Incendies à Londres des locaux des journaux anarchistes l’Arbeiterfreund et Die Autonomie. Mai 1893

Le dernier numéro du journal.

Rapport de l’indicateur France (1ère brigade de recherches), Paris 16 juin 1893 :

Un incendie a éclaté le 13 mai dans la maison portant le n°20 de Hootchisson Street à Londres, où se trouvait l’imprimerie de l’Arbeiterfreund. Le feu a détruit l’imprimerie et la plus grande partie des caractères hébraïques qui servaient à la composition du journal.

Le premier numéro d’Arbeiterfreund du 15 juillet 1885. Document Éphéméride anarchiste.

Détail singulier à noter : une semaine auparavant le feu avait également détruit le matériel d’imprimerie de l’Autonomie, journal des anarchistes allemands, de sorte que cette feuille a dû cesser sa publication.

Ces deux incendies se suivant l’un l’autre à si court intervalle ont donné lieu à de nombreux commentaires.

Beaucoup de gens croient que ces incendies sont dus à la malveillance, et les soupçons se sont portés sur la bande Ehrlich et cie qui publie à Londres une feuille endiablée Der Revolutionär* et que l’on dit être à la solde de la police allemande.

Ce journal se présente d’ailleurs comme le concurrent de l’Autonomie qu’il voulait ruiner.

Archives de la Préfecture de police Ba 1508

* Publié à Londres de 1892 à 1893 avec cinq éditions. Le n°1 parut le 6 août 1892. Ses successeurs furent Der Einbrecher et le Londoner Arbeiter-Zeitung (Max Nettlau: Geschichte der Anarchie. Band 5, S. 180).

Pour en savoir plus sur l’Arbeiterfreund lire ici

Lire le dossier : L’Internationale noire

DUFOURNEL Pierre [dit Pompette], ajusteur mécanicien, anarchiste à Lyon, Bruxelles et à Londres.

Né le 16 novembre 1867 a Saint-Jean de Bonnefonds (Loire), mort le 20 juillet 1908 à Paris, ajusteur mécanicien, anarchiste à Lyon, Bruxelles et à Londres.

Il vint très jeune habiter avec ses parents à la Mulalière, à Lyon, et fut à cette époque employé à l’usine Tragvous.

Il ne tarda pas à lier connaissance avec les socialistes et les anarchistes de la ville et fit peu après partie du groupe Ni Dieu, ni Maître, du quartier de la Mouche. A la fin de 1887, il partit pour Paris. Le maire de la Mulatière tira au sort pour lui et Dufournel fut envoyé à Grenoble; le régiment ne le retint pas longtemps et en 1888, le soldat anarchiste désertait, emportant avec lui ses effets militaires.

Arrêté quelques mois après et condamné à un an de prison, Dufournet fut gracié au bout de dix mois et réintégré au corps pour y achever son temps de service; soldat au 22e de ligne de Montélimar il déserta de nouveau à la fin de l’année 1891, et partît à l’étranger avec ses effets militaires, il se rendit en Belgique accompagné d’un de ses amis nommé Blandin. Tous deux collaborèrent au journal la Réforme. Il allait souvent à Londres et était un des amis intimes de Francis, l’auteur présumé, à l’époque, de l’explosion du restaurant Véry.

Dufournet était en relations avec les anarchistes militants de Paris, il venait fréquemment en France et se chargeait des communications des révolutionnaires anglais.

Lors de son dernier voyage, il avait amené son amie anglaise.

Pierre Dufournel avait été arrêté à Paris le 17 juillet 1892 avec Parmeggiani. Ils arrivaient de Londres avec l’Allemand Frugendorf (le Petit Charles).

Le 9 août 1892, de nouvelles perquisitions avaient été faites à la requête de M. Atthalin, par M. Touny, commissaire aux délégations judiciaires, qui s’était fait accompagner par Dufournel, lequel était gardé par des agents des brigades spéciales.

Le magistrat s’était d’abord transporté 137 rue du Château, à l’hôtel du Parc. C’était là où, paraît-il, Dufournel avait habité un moment avec sa maîtresse, Alice Spencer.

Letellier et sa femme y avaient retenu un cabinet meublé le 15 juillet. Ce jour-là, Mme Letellier était restée seule avec la compagne de Dufournel. Toutes deux avaient passé la nuit là.

Le lendemain matin, Letellier était arrivé avec un homme qu’une témoin, reconnut pour l’anarchiste Schouppe.

Puis Letellier resta seul avec sa femme ; le lendemain les agents de la sûreté vinrent établir leur surveillance. Le soir, vers huit heures, Mme Letellier rentrait avec son amie l’Anglaise, qui s’en allait sitôt le retour du mari, lequel arrivait vers dix heures et demie, accompagné parfois par un camarade.

Le 28 août 1892, la 9e chambre correctionnelle de Paris le condamna , selon l’Echo de Paris, à huit jours de prison, pour insulte et rébellion aux agents (6 mois de prison d’après un autre journal).

Il avait été traduit le 9 novembre 1892 devant le conseil de guerre à Lyon pour désertion à l’étranger en temps de paix.

Le colonel Martin, du 96e de ligne, présidait . Après lecture de l’acte d’accusation, l’interrogatoire commença :

D. Pourquoi avez-vous déserté ?

R. Parce que je ne voulais pas être soldat.

D. Votre père est mort de chagrin en apprenant votre conduite.

R. Non, il est mort de faim. Comment voulez-vous que je ne sois pas anarchiste ? Je considère que c’est le seul parti possible et qui puisse soulager mon existence.

Dufournel fit à ce moment une longue profession de foi anarchiste.

D.Vous avez été expulsé de Belgique?

R. Oui, pour complot contre Sa Majesté le roi !

Après la plaidoirie et le réquisitoire, le président demanda à Dufournel s’il avait quelque chose à dire pour sa défense.

« Je suis anarchiste, a-t-il répondu ; je le serai toujours, mais jamais je ne serai soldat ! »

Le conseil rapporta un verdict condamnant Dufournel à cinq ans de travaux publics. Durant son procès à Lyon, Alice Spencer demeurait à La Mulatière, près de Lyon, et recevait des secours des anarchistes lyonnais.

Il aurait été envoyé dans un bataillon en Afrique du Nord.

Il ne semble pas qu’il puisse s’agir de Prosper Dufournel recruté comme indicateur par la police anglaise et qui opérait sous le pseudonyme « Cabot », de mars 1900 jusqu’à avril 1904.

Le Libertaire annonçait son décès le 20 juillet 1908 à l’hôpital Tenon de Paris.

SOURCES :

La Révolte 20 août 1892 — Le Père Peinard, 31 juillet, 20 novembre 1892 — Archives de la Préfecture de police Ba 1508 — Le Libertaire, 26 juillet 1908 — Le Radical 27 juillet, 10 août 1892 — La Justice 23 juillet 1892 — La Petite république 29 août 1892 — Gil Blas 11 août 1892 — Echo de Paris 4 septembre 1892 — La Justice 10 novembre 1892 — Le Rappel 10 novembre 1892 — Le Figaro 10 novembre 1892 — Note Rolf Dupuy — Anarchismes et anarchistes en France et en Grande-Bretagne, 1880-1914 : Échanges, représentations, transferts par Constance Bantman.

L’anarchiste Jourdan et la 3e brigade de recherches de la Préfecture de police

LES ANARCHISTES

De qui se moque-t-on ? – Un compagnon du Coin du quai. – Les mécomptes de la police. – Expédition compromise.

Un journal du matin annonçait, hier, l’arrestation probable, pour aujourd’hui ou demain, d’un anarchiste militant, nommé Jourdan, et d’un de ses amis, dont « malheureusement on ignore le nom » .

« Ces deux anarchistes, ajoutait notre » confrère, arriveront à Paris par la gare du Nord. Ils seront arrêtés par des agents de la troisième brigade de recherches. »

Nous sommes en mesure de compléter aujourd’hui cette information, qui, comme, on le verra, était en partie fondée.

L’anarchiste Jourdan

Nous avons relaté, en son temps, l’arrestation de deux anarchistes connus, Parmeggiani et Dufournel.

Avant – hier, nous annoncions que les agents de M. Fédée venaient d’arrêter les nommés Antonio Agresti et Portet.

Or, dans cette affaire, Jourdan, l’anarchiste « dangereux », a joué un rôle tout spécial, qui devait amener un tout autre résultat. que celui obtenu.

Le 21 juillet dernier, des agents ds la troisième brigade des recherches étaient postés à la gare du Nord, avec mandat de mettre en état d’arrestation quatre individus arrivant de Londres, et qui n’étaient autres que Parmeggiani, Dufournel, Jourdain et Agresti.

Soit habileté de la part des anarchistes, soit distraction de la part des agents ou insuffisance de signalements, aucune arrestation ne fut opérée.

Cependant, la préfecture de police avait reçu, de Londres, avis du départ des quatre anarchistes. C’était donc un coup manqué..

M. Fêdée, officier de paix de la troisième brigade des recherches, ne tarda pas à en avoir le cœur net. En effet, une heure à peine après l’arrivée du train tant surveillé, un individu se présentait à son cabinet, était, après avoir donné un nom quelconque à l’employé de service, immédiatement introduit, et tenait au policier ce langage textuel :

« Quels sont donc les imbéciles que vous, avez envoyés à la gare? ils nous ont laissé passer sans nous voir l »

Et l’interlocuteur de M. Fédée regardait d’un œil mécontent l’officier de paix, qui semblait très penaud.

« C’était bien la peine, reprit-il, de me donner tant de mal ; je vous amène trois anarchistes de bonne prise et vous les ratez. Il ne fallait pas envoyer des c… comme ça à la gare ! »

LE MONSIEUR MÉCONTENT N’ÉTAIT AUTRE QUI L’ANARCHISTE « DANGEREUX » JOURDAN.

Dans la soirée de ce jour, on fit une perquisition, qui ne donna aucun résultat – bien entendu -€” chez la mère de Jourdan, à Clichy.

Un raccommodage

Il s’agissait pourtant de repêcher l’affaire ; pour un raté, on ne jette pas son arme.

M. Fédée se mit en campagne et, disons-le, manœuvra habilement. Quelques jours après, il arrêtait Parmeggiani et Dufournel, dans les circonstances que l’on connaît.

Plus tard, grâce aux précieuses indications d’un autre « dangereux », le nommé Bouteville (chez qui M. Touny fit, on se le rappelle, une perquisition, d’ailleurs de pure forme), il mettait la main sur Agresti et, par occasion, sur son ami Porret.

Le mouchard

Mais, pendant ce temps, que devenait 1er terrible Jourdan ?

Voici : Après l’échec de la gare du Nord, M. Fédée, reconnaissant que le soi-disant compagnon avait fort bien remplira sa tâche et que le raté n’était pas de son fait, lui confia une autre mission.

Jourdan repartit pour l’Angleterre.

Entre temps, la préfecture continuant à se moquer de la presse et du public, communiquait de palpitants détails sur les exploits des fins limiers lancés à la poursuite de Jourdan, à travers le dédale des rues parisiennes.

Nouvelle expédition

Jourdan est un actif, il ne passe pas son temps à manger les frais de voyage que lui alloue la maison qui l’emploie – fût-elle au coin du quai.

Il y a quelques jours, il annonçait à « la boite » que lundi ou mardi, il débarquerait toujours en gare du Nord, avec un nouveau stock d’anarchistes.

Cette lois, ils n’étaient qu’un, mais par contre, c’était un bon.

Voilà comme quoi notre excellent confrère a donné une information, exacte au fond, mais erronée quant aux détails.

Il n’a jamais été question d’arrêter – sérieusement- Jourdan, pas plus d’ailleurs que Chaumantin.

Les « prochaines arrestations »

Maintenant la double arrestation de la gare du Nord aura-t-elle lieu, comme il était convenu? La note publiée hier matin aura-telle produit le même effet que la publicité donnée au départ de M. Fédée pour Londres, le mois dernier ? C’est ce que nous ignorons, encore.

D’autre part, il nous revient que deux arrestations, jugées importantes par la préfecture, seront opérées demain, à Saint-Denis.

Nous tiendrons nos lecteurs au courant des événements.

La Justice 8 août 1892

Le procès du vol de dynamite de Soisy-sous-Etiolles. 27 et 28 juillet 1892

COUR D’ASSISES DE SEINE – ET – OISE

Présidence de M. le conseiller Faynot.

(Correspondance particulière de la Gazette des Tribunaux )

Audience du 27 juillet

LE VOL DE DYNAMITE DE SOISY-SOUS-ÉTIOLLES.

Les accusés déclarent se nommer :

Faugoux (Auguste-Alfred), né à Nantes, le 24 février 1862 ;

Chevenet (Benoît), né à Daizy-le-Pertuis, le 30 avril 1864 ;

Drouet (Julien), né à Vallet (Loire-Inférieure),le 4 septembre 1854;

Étiévant (Claude-François-Georges), né à Paris, le 8 juin 1865.

Mes Boutin, Silvy du barreau de Paris, Mes Lebaron et Devaux du barreau de Versailles, sont au banc de la défense.

L’acte d’accusation expose les faits suivants :

Le 15 février dernier, M. le maire de Soisy-sous-Etiolles prévenait le Parquet qu’un vol important de dynamite venait d’être commis dans une carrière exploitée sur le territoire de la commune par le sieur Cussy.

Le surveillant de cette carrière s’était aperçu le matin à 6 h. et demie de cette soustraction, elle avait été commise dans une cabane servant de dépôt.

Cette cabane est entourée d’une palissade en bois de deux mètres de haut, fermée par une porte pleine. Son unique ouverture est protégée par une double porte.

L.a porte de la palissade avait été trouée à l’aide de pesées ; la pince employée avait laissé des traces, la gâche de la serrure avait été arrachée.

Le cadenas de sûreté de la serrure fermant la première porte de la cabane avait été arraché, la serrure de la seconde porte avait été fracturée; à l’intérieur, une caisse encore intacte contenant des cartouches de dynamite avait été aussi fracturée ; elle avait été vidée, il en avait été de même d’une autre caisse ouverte au cours de distribution. Trois cent soixante cartouches de dynamite, environ trente kilos, trois kilos de poudre Favier, cent mètres de mèche et mille quatre cents capsules amorces avaient été enlevées.

L’agitation qui se produisait depuis quelque temps dans les groupes anarchistes, les circonstances mêmes du vol indiquaient la direction qui devait être donnée à l’instruction. Des perquisitions furent opérées chez certains anarchistes de Paris. Celle opérée dans une chambre, 32, rue Broca, momentanément occupée par Chevenet Benoit dit Chalbret, amena la découverte de quarante-et-une cartouches de dynamite, dissimulées dans du sel gris, dans une boîte en bois cachée, elle-même, dans un placard.

Ces cartouches portaient la mention « Société française des explosifs, fabrique de Cugny (S.-M.)»; sur 36 était inscrite la date du 3 février 1892. On trouvait dans le même endroit 5 boîtes de capsules amorces, 4 mètres de mèches, une cartouche de poudre Favier adaptée à une mèche et deux pinces-monseigneur; sur la cheminée, un pot contenant 48 amorces de cartouches de dynamite et un revolver chargé.

Une autre perquisition à Asnières, impasse Sainte-Geneviève, n° 1, dans le lieu de réunion du « Groupe amical d’études sociales », fit également découvrir dans le foyer d’un poêle en fonte, 16 cartouches de dynamite portant les mêmes mentions que les précédentes et 2 cartouches de poudre Favier.

Les cartouches saisies dans deux endroits différents provenaient les unes et les autres du vol de Soisy-sous-Etiolles ; le sieur Cussy avait reçu les cartouches qui lui avaient été soustraites, le 8 février; elles portaient leurs dates de fabrication; sur celles qui restaient comme sur celles volées était inscrite la date du 3 février, il était certain que les autres détenteurs des cartouches ayant reçu la même inscription les avaient encore en leur possession.

Le 11 février, deux individus avaient longuement causé avec un des ouvriers travaillant dans la carrière Cussy : cet ouvrier donna le signalement de ces individus ; il fut confronté avec Chevenet, dit Chalbret, et avec Faugoux ; il reconnut formellement le premier et celui-ci avoua qu’il était allé, en effet, à la date indiquée en compagnie de Faugoux à Soisy-sous-Etiolles pour chercher du travail.

Le 14 février, vers six heures du soir, quatre hommes s’étaient fait servir à boire et à manger chez le sieur Baschet, marchand de vins à Ivry-Châtillon ; à sept heures du soir ils étaient partis se dirigeant sur Ris et par conséquent sur Soisy-sous-Etiolles. Baschet fut mis en face de Chevenet et de Faugoux, il les reconnut sans hésiter, il ajouta que l’un des deux autres consommateurs portant toute la barbe ayant un pardessus à pèlerine, un chapeau melon, portant une valise, pouvait bien être Ravachol ; Faugoux et Chevenet continuaient à nier : ils furent mis en présence de Chaumartin qui répéta devant eux le récit que Ravachol lui avait fait à lui-même. Ils avaient commis le vol de Soisy en compagnie de Ravachol et d’un homme blond dont celui-ci ignorait le nom : cette seconde confrontation décida Faugoux et Chevenet à faire des aveux :

Faugoux a eu l’initiative. — Le 11 février il était à Soisy et il revenait avec l’assurance qu’il trouverait là les matières explosibles qui devaient servir à la propagande par le fait des idées anarchistes ; le 12 en présence de Chaumartin il faisait part de son projet à Ravachol, et donnait à celui-ci des détails et traçait un croquis des lieux où était déposée la dynamite.

Ravachol se montra fout disposé à s’associer à la réalisation de ce projet ; il donnait rendez-vous chez lui pour le 14 à Faugoux, et Faugoux, accompagné de l’homme blond, était le 14, à midi, chez Ravachol. Les trois hommes se rendaient à la gare de Lyon, où Chevenet, qui s’était muni des pinces nécessaires pour commettre les effractions, les attendait.

Ravachol s’était muni de deux revolvers; Faugoux avait sur lui un revolver dont il ne se séparait jamais et tout fait supposer que Chevenet portait une arme de même nature.

A cinq heures vingt minutes, ils prenaient tous ensemble le train de Corbeil, et le quittaient à la station de Juvisy ; ils s’arrêtaient quelques instants chez le sieur Baschet, marchand de vins à Ivry-Châlillon et vers sept heures, ils se dirigeaient sur Soisy-sous-Etiolles, divisés en deux groupes pour ne pas éveiller l’attention.

Arrivés devant le dépôt de dynamite, ils se partagèrent les rôles ; Faugoux, après avoir escaladé la palissade, fit sauter la gâche de la porte, Chevenet et lui franchirent les portes du dépôt, Ravachol et l’homme blond pénétrèrent avec eux dans le dépôt, une caisse fut brisée et chacun se chargea de cartouches. Ravachol, qui s’était muni d’un sac, le remplit, et les quatre malfaiteurs chargés du produit de leur vol allèrent prendre le train à Draveil pour rentrer à Paris. Ils étaient à la gare de Lyon vers onze heures et demie ; arrivés là, ils se sont séparés emportant chacun de leur côté un certain nombre de cartouches.

Faugoux seul, pris d’une peur subite, s’était débarrassé de sa part et un de ses compagnons avait consenti à la joindre à celle qui lui avait été déjà attribuée. L’information connaissait la part de responsabilité des quatre malfaiteurs qui avaient commis le vol de Soisy, elle n’avait pu encore établir l’identité du quatrième de l’homme blond. Faugoux qui seul la connaissait, refusait énergiquement de la révéler.

Une autre information ouverte à Paris procura cette indication aux magistrats de Corbeil; l’inconnu toujours désigné jusque là sous le nom de l’homme blond s’appelait Drouet (Julien). Interrogé, il avoua avoir participé au vol de Soisy et avoir emporté une partie des cartouches soustraites; pour diminuer sa responsabilité, il avait essayé tout d’abord de soutenir qu’en partant pour Soisy il ignorait qu’il allait commettre un vol, mais sur la déclaration de Faugoux qui ne s’est plus cru obligé au silence à la suite de ces aveux, il a dû reconnaître qu’il connaissait, dès le 13 février, le projet de vol de dynamite et qu’il savait aussi que pour consommer le vol il faudrait fracturer la porte d’une cabane.

L’information a été moins heureuse dans la recherche qu’elle s’était proposée des cartouches soustraites. Ravachol en avait emporté de Soisy la plus grosse part, puisqu’il en avait garni un sac ; il les a employées à commettre les sinistres attentats dont il a eu à répondre devant la justice ; Chevenet semble en avoir distribué une certaine quantité aux anarchistes d’Asnières, Faugoux prétend avoir expédié en Espagne la part qui lui avait été dévolue: il n’a pas été possible de contrôler cette assertion.

Seize cartouches avaient été trouvées dès le début de l’information dans le local du Groupe amical d’études sociales, à Asnières ; ce local, fréquenté par un groupe d’anarchistes, était affermé au nom de l’un d’eux; la justice devait demander compte à celui-ci de la détention des matières explosibles trouvées dans un appartement dont il avait la clef. Pour se défendre il révéla qu’elles avaient été apportées dans leur lieu de réunion par l’un d’entre eux, Etiévant Claude-François-Georges.

Etiévant, après avoir refusé de parler, s’est enfin décidé à avouer qu’il avait en effet apporté à Asnières des cartouches de dynamite, il a déclaré en même temps qu’il ne révélerait pas le nom du compagnon de qui il les tenait, et depuis il a persisté à ne pas répondre aux questions qui lui ont été posées. Il ne pouvait ignorer la provenance de ces cartouches: sa complicité dans le vol de Soisy est donc établie. Il n’y a point lieu de s’occuper de Ravachol ; sans doute sa participation au vol de Soisy est surabondamment démontrée, mais il a été condamné à des peines supérieures à celles qu’il pourrait encourir pour cette participation: il n’existait aucun motif pour le comprendre dans la poursuite.

Faugoux, Chevenet, Drouet, auteurs principaux du vol, Etiévant, leur complice, ont seuls à répondre devant la Cour d’Assises du crime qui leur a été commun. Us appartiennent tous les quatre au groupe anarchiste militant.

Faugoux a été employé de commerce, commis aux écritures, manœuvre, il n’a jamais travaillé régulièrement. En 1889, à Angers, il se présentait comme socialiste révolutionnaire aux élections législatives, la même année il continuait à Nantes la campagne pour la propagande des idées anarchistes; en 1890, il se rendait à Paris et devenait gérant du journal le Père Peinard.

Le 8 décembre de cette même année, il était condamné par la Cour d’Assises de la Seine à deux ans de prison pour provocation au meurtre, au pillage et à l’insubordination militaire ; à la suite de cette condamnation il se réfugiait en Espagne, dont il était expulsé pour menées anarchistes, il passait en Suisse le 1er mai 1891, il déclarait dans une assemblée publique que l’action devait remplacer la parole et se disait prêt à attaquer les bourgeois. Il fut expulsé de Suisse: au mois de février dernier il était arrêté à Paris ; au moment de son arrestation, il était porteur d’un poignard et d’un revolver, il se serait servi de ses armes contre les agents, a-t-il dit, si ceux-ci ne s’étaient pas emparés de lui à l’improviste; à cette époque il fut condamné à un mois de prison pour un port d’arme prohibée et, le 3 mars, la Cour d’Assises de la Seine prononçait contre lui la peine de six mois de prison pour provocation à l’insubordination militaire.

Chevenet, durant toute l’information, a prétendu s’appeler Chalbret et être d’origine espagnole. Dans un dernier interrogatoire, il a révélé son véritable état civil; il a déserté en 1886; rentré en France après avoir séjourné quelque temps en Espagne, il a travaillé fort irrégulièrement. Le 10 juin 1891, il a été condamné à six mois de prison pour filouterie, port d’arme prohibée et voies de fait.

Drouet, ouvrier maçon, est arrivé à Paris en juillet 1891 : il travaillait rarement et tenait les propos les plus violents. Il a subi, en 1872, une condamnation à trois mois de prison, pour outrage public à la pudeur.

Etiévant, Claude-Francois-Georges est ouvrier imprimeur, il travaille régulièrement, mais fréquente les réunions anarchistes et se livre à une propagande active; quand il a bu, il devient irascible et méchant; le 12 novembre 1891, il a été condamné à 50 francs d’amende pour port d’armes prohibées.

En conséquence sont accusés : Faugoux, (Auguste, Alfred) Chevenet Benoit dit Chalbret et Drouet (Julien), d’avoir en février dernier 1892, à Soisy-sous-Etiolles (Seine-et-Oise), soustrait frauduleusement une certaine quantité de cartouches de dynamite de poudre Favier, de mèches et de capsules amorces au préjudice du sieur Cussy, avec ces circonstances que ladite soustraction a été commise :

1° la nuit;

2° par deux ou plusieurs personnes;

3° à l’aide d’escalade dans un enclos;

4° à l’aide d’effraction dans un enclos et dans un édifice ;

5° les coupables ou l’un des coupables étant porteurs d’armes apparentes ou cachées.

Etiévant (Claude-François-Georges), de s’être à Paris en 1892, rendu complice du crime de soustraction frauduleuse ci-dessus spécifiée, en recélant tout ou partie de choses obtenues à l’aide de ce vol sachant qu’elle en provenaient.

Pendant la lecture de l’acte d’accusation, Faugoux interrompt plusieurs fois M. Grison, greffier; il proteste tantôt avec violence, tantôt en riant contre certains passages de l’acte d’accusation.

Les débats de cette affaire n’ont commencé qu’à deux heures; lorsque M le président, constate l’identité des accusés, Etiévant refuse de donner son nom et de se lever; il dit que le président doit se lever aussi, tous les hommes étant égaux.

– Levez-vous vous-même, dit-il, et puis je me lèverai. Je ne veux pas dire mon nom, cela ne regarde personne.

Il finit par donner son nom.

Quand on procède à l’appel des témoins, on constate l’absence de l’un d’eux, de Chaumartin.

Faugoux s’emporte contre lui et dit qu’il a peur, qu’il n’a pas osé venir parce que c’est un policier.

Me Boutin, au nom de Faugoux et de Chevenet, demande le renvoi de l’affaire à une autre session.

Me Lebaron, au nom d’Etiévant, déclare s’y opposer.

Me Devaux, au nom de Drouet, s’en rapporte à la justice.

M. le procureur de la République Chrétien fait observer que la déposition de Chaumartin n’est pas indispensable à la manifestation de la vérité, que d’ailleurs il espère que ce témoin qu’il fait rechercher va pouvoir être entendu.

La Cour rejette les conclusions tendant au renvoi de l’affaire à une autre session.

M. le président procède à l’interrogatoire des accusés.

Faugoux répond en riant et ne manque jamais l’occasion de dire qu’il ne doit rien à la société, qu’il ne lui reconnait pas le droit de le juger ; il proteste contre l’exploitation bourgeoise et exprime ses regrets d’avoir été arrêté à l’improviste sans quoi il eut fait usage de ses armes et eut vendu chèrement sa liberté.

L’interrogatoire de Chevenet et de Drouet n’offre que peu d’intérêt. Drouet prétend avoir ignoré le but du voyage à Soisy-sous-Etiolles, mais Faugoux lui donne de formels démentis.

Etiévant ne reconnaît à personne le droit de juger son semblable ; on peut parfois, dit-il, juger les actes, mais jamais les hommes : la meilleure preuve, ajoute-t-il, c’est que les lois faites par les hommes sont changeantes.

M. le président lui demande s’il n’a pas fait partie du groupe « d’études sociales » dans le lieu de réunion duquel des cartouches de dynamite ont été trouvées.

Il reconnaît avoir fait partie de ce groupe, mais il refuse de donner aucune autre explication.

Après l’audition de quelques témoins dont les dépositions n’offrent aucun intérêt, l’audience est levée et renvoyée à demain.

Audience du 28 juillet.

LE VOL DE DYNAMITE DE SOISY-SOUS-ÉTIOLLES.

L’audience est ouverte à onze heures et demie.

M. le président donne lecture de la déposition écrite de Chaumartin, qui n’a pas été touché par la citation.

Faugoux déclare que cette déposition de «l’infâme » Chaumartin est fausse.

M. Chrétien, procureur de la République, prend la parole et prononce son réquisitoire.

Il est interrompu plusieurs fois par les accusés.

Le ministère public dit que le vol de dynamite de Soisy-sous-Etiolles a un caractère très grave et très dangereux, surtout en raison du mobile qui a poussé les accusés à le commettre.

Il considère les accusés non pas comme des hommes politiques, mais comme des malfaiteurs.

Il réclame du jury un verdict affirmatif sur toutes les questions, sans admission de circonstances atténuantes, un verdict enfin qui ait une portée sociale.

Me Boutin présente la défense de Faugoux, Me Silvy celle de Chalbret, Me Devauœ celle de Drouet et Me Le Baron celle d’Etiévant.

Le jury rend un verdict affirmatif avec circonstances atténuantes en ce qui concerne Drouet et Etiévant.

Faugoux est condamné à vingt ans de travaux forcés et à vingt ans d’interdiction de séjour.

Chalbret, à douze ans de travaux forcés et dix ans d’interdiction de séjour.

Drouet, à six ans de réclusion et dix ans d interdiction de séjour.

Etiévant, à cinq ans de prison

Gazette des tribunaux 28 et 29 juillet 1892

Les anarchistes et les deux polices. 22 juillet 1892

On s’est plaint maintes fois, pas les anarchistes qui courent, de manquer de police. On a eu tort. La police nous fait si peu défaut, qu’au lieu d’une nous en avons deux. Il y a d’abord celle du préfet. Il y a ensuite celle du directeur de la Sûreté générale. Il y en a même une troisième, la police du Cabinet attachée plus particulièrement à la personne du ministre. Mais celle-ci, composée de décavés, de rastaquouères et de pseudo-journalistes, toujours brûlés et toujours les mêmes, ne sert guère qu’à exploiter les ministres lorsqu’ils arrivent et à les faire chanter quand ils sont partis. Autant dire que ses services sont des plus relatifs. La police politique — c’est de celle-là seulement que je veux parler — ne se fait de façon-vraiment utile que dans les bureaux du boulevard du Palais ou dans ceux de la rue Cambacérès. Sur l’utilité de ce genre de police, il n’y a plus guère à discuter aujourd’hui ; les arguments qui lui furent opposés au moment où fut supprimée la brigade Lombard ne tiendraient pas debout devant l’existence du parti anarchiste et ses moyens d’action. Ce qui est plus discutable, c’est la manière dont cette police est organisée.

On a cru longtemps que c’était pour le ministre une excellente chose de pouvoir se renseigner à des sources différentes et contrôler ainsi ses informations les unes par les autres. En principe la méthode est séduisante. En réalité elle aboutit à un perpétuel conflit. La juridiction de la Préfecture embrasse le territoire de la Seine ; celle de la Sûreté générale ne devrait s’exercer qu’en province, et pourtant de cette dernière relèvent trois commissaires spéciaux qui, détachés rue Cambacérès, n’ont pas d’autre mission que de faire à Paris même, de « l’information politique ». Ce sont MM. Paoli; Escourrou et Dietz, et chaque fois qu’il s’agit d’élucider une affaire intéressant la sûreté de l’Etat, ces messieurs opèrent parallèlement aux trois officiers de paix du «service des recherches », MM. Auger, Fédée et Boys, qui eux travaillent pour le compte de la Préfecture.

On devine bien que ce parallélisme, s’il présente quelques avantages, ne va pas sans beaucoup d’inconvénients. Le premier consiste en des brimades réciproques qui rappellent la légendaire rivalité, sous l’Empire, d’Hyrvoix et de Lagrange, et le plaisant antagonisme qui régnait alors entre la police du «Château » et celle de la «Maison ». Le Château, aujourd’hui, c’est le ministère de l’intérieur ; la Maison, c’est toujours la maison qui est au coin du quai. Deux exemples entre mille donneront une idée de cet état de choses. Le premier remonte aux temps du boulangisme. Un jour, le bruit vint à courir que le général, se disposait à quitter Regent Street. M. Constans, désirant être, à cet égard, très exactement renseigné, pria M. Lozé et M. Gazelles de faire, chacun de son côté, le nécessaire. M. Lozé avait à Londres des agents à demeure, M. Cazelles envoya un de ses commissaires spéciaux.

Il s’agissait entre la Maison et le Château de savoir qui arriverait bon premier. Ce fut l’envoyé de M. Cazelles qui l’emporta. Se donnant comme un marchand d’éventails, il pénétra chez le général, lui causa et s’assura ainsi de sa présence. A l’instant même où il sortait, il croisa devant la porte les agents de la préfecture qui faisaient « une plante». Une idée amusante lui traversa l’esprit. A peine eut-il fait quelques pas, qu’il dépêcha sur les lieux ses propres agents avec ordre de dévisager sous le nez leurs camarades de la Préfecture. Ces derniers, se croyant dépistés, battirent en retraite, remettant au lendemain la suite de « leur plante », et notre Spécial repartit le soir même, muni de son Renseignement que seul il possédait. Il ne faudrait pourtant pas de cette anecdote conclure que les agents de la place Beauvau ont la spécialité de ces taquineries entre collègues. Les gens de la « Maison » les leur rendent avec usure. Nous venons d’en avoir une preuve toute récente dans l’affaire des anarchistes.

La veille de l’explosion du restaurant Véry, M.Dietz avait reçu un « petit bleu » l’informant qu’on devait le lendemain faire travailler la dynamite. Chez un magistrat, probablement, ajoutait le télégramme. Il était évident, à première lecture, que «l’indicateur » avait saisi quelques propos, qu’il s’était empressé, comme il arrive souvent, de le télégraphier sans plus de précision, mais telle quelle l’indication méritait qu’on en tînt compte. M. Dietz dépêcha aussitôt un commissaire adjoint, M. Martin, à la place Beauvau, et le ministre de téléphoner bien vite à son préfet de police. « Nous avons, nous aussi, nos informations; laissez-nous faire. » Telle fut, textuellement, la réponse qui vint de la Maison. Le lendemain, Véry sautait.

Quelques jours plus tard, sur une piste fournie par M. Dietz, Francis était arrêté. Pour demander cette arrestation, M. Dietz avait quelques motifs plausibles ; c’étaient les révélations d’un compagnon, grand ami de Francis, mais dévoué à M. Dietz, et que M. Dietz, détail comique, fait régulièrement incarcérer à chaque rafle d’anarchistes. Francis invoqua un alibi. Le Parquet y crut, mais M. Dietz, lui, savait de bonne source comment s’y prennent tes anarchistes pour se ménager d’avance des alibis prudents.

Ils sont 200 environ, appartenant tous au groupe de la « Propagande Anarchiste », qui fréquentent assidûment deux débits; l’un situé rue Oberkampf et l’autre rue Aumaire, ou qui, le plus souvent, se réunissent dans un établissement nommé « les Grandes Caves ». C’est là que les anarchistes, discutent et dressent leurs plans ; c’est là que venait Francis, et c’est dans ce milieu qu’il s’était d’avance assuré des témoignages pour son alibi. M. Dietz le savait pertinemment. Il insista donc auprès de la Préfecture pour que Francis fût l’objet d’une « filature » des plus sévères, même après avoir été relâché comme innocent.

Mais la « Maison » ne crut pas devoir tenir autrement compte des conseils du «Château», et Francis est aujourd’hui à Londres, d’où il fait la nique aux deux polices réunies.

Ces brimades ne sont pas, d’ailleurs, le seul inconvénient de l’antagonisme qui existe entre la Maison et le Château. Il est d’autres inconvénients qui résultent de l’organisation actuelle. Les officiers de paix comme MM. Fédée, Auger et Boys ont tous pouvoirs pour faire à la fois « l’information » et « l’exécution ». Les Spéciaux, eux, doivent se contenter, à Paris, de faire de « l’information », et dès qu’il s’agit : d’exécuter, les voilà obligés de passer la main à la Préfecture. On entend bien que cela ne fait pas tout à fait l’affaire, et que, bons chiens de chasse, les Spéciaux ne se soucient pas toujours de lever le gibier pour le rabattre sur la «Maison ».

De là un certain découragement chez les Spéciaux, une certaine inertie dédaigneuse chez les agents de la Préfecture, et, en fin de compte, des tiraillements préjudiciables au service.

Il semble, au premier abord, qu’il serait facile d’y remédier. Rien ne paraît plus simple que de laisser à la seule Préfecture le soin de faire toutes les recherches, puisque seule la Préfecture est complètement armée pour cette chasse. Rien ne paraît plus aisé que de supprimer la police du Château pour se contenter de celle de la Préfecture.

Le raisonnement serait juste, si la Préfecture, à son outillage, joignait toutes les aptitudes qu’exige la police politique. Mais il s’en faut qu’il en soit ainsi.

La Préfecture, par l’étendue de ses attributions est tenue d’avoir l’œil sur tout. Qui trop embrasse, mal étreint. MM. Auger, Fédée et Boys ne sont pas seulement chargés des recherches politiques, ils sont chargés aussi de recherches de tout ordre. Dès lors, ce n’est pas seulement par l’effet d’une trop grande extension que leurs services s’affaiblissent ; c’est surtout parce que ces agents sont employés le plus souvent à la recherche des délits et des crimes, et qu’à ce métier ils acquièrent une psychologie criminelle et non une psychologie politique. Ce n’est pas du tout la même chose. On s’en aperçoit de reste quand ces messieurs opèrent sur le terrain politique.

Lorsqu’il y a deux mois, après la grande rafle qui venait d’être faite, on crut pouvoir relâcher un certain nombre d’anarchistes, ce fut sous condition qu’ils se feraient, le cas échéant, les collaborateurs de la Préfecture. Tous promirent, bien entendu ; aucun pourtant n’a tenu sa promesse. La Préfecture avait espéré que les choses se passeraient comme avec les « chevaux de retour », dont la seule idée est de se garer de la justice ; elle avait compté, avec les anarchistes, sans la dose de conviction qui se retrouve plus ou moins chez tous les révolutionnaires.

La Préfecture, il est vrai, a sur la Sûreté générale l’avantage de recruter plus facilement des auxiliaires dans tous les mondes. Dans le monde des garnis, des mastroquets, des pickpockets, des souteneurs et des filles, les collaborateurs s’offrent d’eux-mêmes à la police parisienne, mais rien n’indique que ces collaborateurs soient aptes plus spécialement à la police politique. Or le nombre des indicateurs, en cette matière, importe peu: ce qui importe,c’est leur qualité et, sur ce point, la supériorité de la Préfecture n’est qu’apparente.

Tout autre en effet est la façon de procéder à la Sûreté générale. D’abord les commissaires spéciaux chargés de faire de la police politique n’ont pas autre chose à faire que cette police-là; ils y peuvent appliquer toute leur attention. Ce n’est pas un mince avantage si l’on songe que toute question de police est comme un problème d’échecs, qu’il faut s’y absorber tout entier, calculant chaque coup, préparant l’un par l’autre. D’autre part, les commissaires spéciaux n’ont sans doute pas à leur disposition des indicateurs tout faits. Mais loin que ceci soit un mal, il paraît bien, à la réflexion,que c’est une bonne chose. Les commissaires spéciaux sont en effet obligés, pour chaque circonstance, de se ménager des intelligences « particulières » et se «créer »,pour chaque occasion, l’indicateur voulu.

On voit que ce dernier système n’est pas sans quelques avantages sur le système en usage à la Préfecture. C’est d’ailleurs à la pratique et aux résultats qu’il faut en demander la preuve. Pour quiconque connaît les dessous de la période boulangiste, durant laquelle la police joua un si grand rôle, les gaffes de la Préfecture se comptent par centaines. Connaît-on par exemple la piteuse mésaventure de ce « fileur » resté en panne devant le restaurant Lucas, tan dis que le brav’ général traversait le passage et allait prendre, de l’autre côté, le fiacre qui devait le conduire à la gare du Nord? Toutes les recherches de la Préfecture, à cette époque, furent du même acabit. Plus heureuse fut la Sûreté générale, et M. Constans vous racontera qu’un de ses commissaires spéciaux, grâce à l’intermédiaire d’un détective londonien et à la complaisance inconsciente d’un valet de chambre, lui remettait quotidiennement les feuillets d’une autobiographie, écrite au jour le jour, par le général lui-même. En matière de police, c’est là un assez joli tour de force.

Pour revenir aux anarchistes, la comparaison entre la Maison et le Château , ne tournerait pas davantage à l’honneur de la Préfecture. On connaît mal l’équipée des deux policiers récemment envoyés à Londres à la poursuite de Francis. On n’ignore peut-être pas que la nouvelle de leur départ avait été communiquée par la Préfecture elle-même à un journal du matin, et que cette nouvelle, téléphonée instantanément à Londres par l’Agence Dalziel, avait eu pour effet de donner l’éveil aux anarchistes. Ce qu’on ignore davantage, c’est la façon dont M. Houillier, arrivé à Londres, orienta ses recherches.

A dire vrai, le choix de cet inspecteur n’était pas des plus heureux. Déjà, quelque temps auparavant, M. Houillier avait été lancé en Angleterre sur les traces de Mathieu. Arrivé à Londres, M. Houillier avait réussi à pénétrer dans les milieux anarchistes. Jusque-là, c’était à merveille. Mais où M. Houillier fut un peu moins habile, c’est lorsqu’il déclara à ses nouveaux amis qu’il recherchait « dans son intérêt» l’introuvable compagnon. La confidence était naïve. Pour toute réponse, elle valut à M. Houillier la menace de « lui casser les tibias » à la première occasion.

M. Houillier était donc « brûlé » d’avance, lorsqu’il est retourné l’autre semaine à Londres. D’autre part, il avait cru bien faire en s’assurant le concours d’un détective anglais, Heindrich, qu’il avait connu à Paris. On sait qu’avec le système de primes en usage chez nos voisins, les détectives prennent à forfait les recherches criminelles et que chacun d’eux peut être demain appelé à opérer dans le rayon de Paris. La police française est donc assurée de trouver chez eux toutes sortes de complaisances. Le détective de M. Houillier était si complaisant que d’abord il avait consenti à travailler un dimanche, ce qui est, pour un insulaire, le dernier mot de l’impiété, et qu’il avait consenti ensuite à crocheter, pour faire main-basse sur des papiers anarchistes, la porte d’un Français, M. Delbecque. Malheureusement pour M. Houillier, c’était bel et bien une violation de domicile qu’il allait commet tre sans même y prendre garde, et un délit que les lois anglaises punissent facilement de 150.000 francs d’amende et de cinq ans de penal-servitude.

On comprend que, dans ces conditions, M. Houillier ait repris le premier bateau en partance. Il n’aura réussi démontrer, une fois de plus, la malchance et les maladresses de la Préfecture dans les affaires de police politique.

Au contraire, les recherches de la Sûreté générale semblent avoir été conduites avec une tout autre activité et, dans tous les cas, avec plus de bonheur. C’est grâce à elle, il faut bien en convenir, que l’on sait aujourd’hui quelque chose sur l’explosion du restaurant Véry; le mérite en revient à l’un des trois Spéciaux de la rue Cambacérès, à M. Escourrou, qui, des trois, passe in contestablement pour être le plus habile.

Je me suis laissé conter que M. Escourrou avait eu l’intelligence de se lier avec un anarchiste de très haute marque et dont les anarchistes ne se défieront probablement jamais, tant son passé est déplorable. Un vrai type, ce compagnon ! Il paraît que depuis longtemps il tient une comptabilité régulière des faits et gestes de ses camarades et que, sur chacun d’eux, il possède des dossiers dressés et classés avec une méthode que lui envierait M. Wilson.

On juge si un pareil « indicateur » est un homme précieux. Grâce à ses révélations, M. Escourrou put s’assurer que Drouhet était le véritable détenteur de la dynamite volée à Soisy-sous-Etiolles. De là à s’assurer de Drouhet, il n’y avait qu’un pas. Arrêté et mis au secret, Drouhet ne tarda guère à « manger le morceau », comme on dit et à raconter par le menu tous les détails de l’explosion Véry.

On apprit de la sorte que Meunier, Bricou et sa femme étaient les véritables auteurs de l’attentat.

Mais quand il s’agit de mettre la main sur Bricou et sa femme, ce fut une autre affaire. Il fallut que Bricou, soupçonné de trahison par les anarchistes, essayât, pour échapper à leurs menaces, de se suicider au Havre. Sa femme, elle, se cachait à Paris, mais lorsqu’on voulut retrouver son ancienne adresse… la Préfecture l’avait perdue. Il fallut que M. Lozé vînt la redemander à la Sûreté générale! Finalement, la femme. Bricou, incarcérée à son tour, compléta les bavardages de Drouhet, en dénonçant Francis comme son complice, et c’est ainsi qu’aujourd’hui le Parquet est parfaitement au courant des moindres incidents de la dernière explosion.

Voilà, très authentiquement racontée, la genèse de cette découverte. Il serait, on le voit, difficile d’en attribuer le mérite à la police criminelle de la Préfecture et de refuser ce même mérite à la police politique de la place Beauvau.

Cela ne démontre-t-il pas surabondamment que la police politique est et doit être une police à part? Or, cette police politique proprement dite existe au ministère de l’intérieur ; il suffirait, pour la rendre absolument efficace, d’étendre jusqu’à Paris la juridiction des commissaires spéciaux qui se trouve actuellement limitée à l’intérieur des gares. Dans tous les cas, il paraît démontré que la police politique et la police criminelle gagneraient l’une et l’autre à ne plus être confondues. La première devrait être exclusivement confiée aux Spéciaux, attachés ad latus à la personne même du ministre de l’intérieur ; la seconde devrait être exclusivement laissée aux soins de la Préfecture. Je crois pouvoir affirmer qu’à la Préfecture on serait loin de s’en plaindre. Ce qu’il y a de certain, c’est que les anarchistes sont les seuls à bénéficier de l’organisation actuelle, de ses lacunes et de ses travers.

X.

Le Figaro 22 juillet 1892

LE VOL DE SOISY-SOUS-ETIOLLES. L’acte d’accusation. 26 juillet 1892

Les assises de Seine-et-Oise. — Dynamite volée. — Les accusés. — La défense. — L’acte d’accusation.

Aujourd’hui ont commencé devant les assises de Seine-et-Oise. à Versailles, les débats du procès des anarchistes, inculpés pour le vol de dynamite commis à Soisy-sous-Etiolles. An banc des accusés se tiennent quatre individus à la face énergique, à l’œil dur. Ce sont les nommés Faugoux. Chevenet, dit Chalbret, Drouet et Eliévant, Ravachol manque. Il a expié depuis d’autres crimes et son nom nefligure plus à l’acte d’accusation. A la défense se trouvent Mes Boutin, Silvy, Le Baron et Devaux, qui défendront, respectivement Faugoux, Chalbret, Drouet et Etiévant.

L’acte d’accusation

Apres avoir procédé à l’appel des jurés, le président ordonne au greffier de donner lecture de l’acte d’accusation, dont nous ne donnons, pour mémoire, qu’un résumé rapide, M. Cuisy, maître carrier à Soisy- sous-Etiolles, possède pour les besoins de son industrie, sur le territoire de cette commune, un dépôt de dynamite situé à 500 mètres du village. Ce dépôt est composé d’une cabane fermée par deux portes munies de serrures et dont la première qui s’ouvre en dehors, est munie d’un cadenas de sûreté; il est entouré d’une palissade close par une porte pleine fermant avec une forte serrure.

Le 15 février dernier, vers six heures et de mie du matin, on constatait que les trois portes avaient été ouvertes au moyen de pesées, que les serrures avaient été arrachées, ainsi que le cadenas, et qu’on avait soustrait dans la cabane 30 kilogrammes de dynamite répartie en 360 cartouches, 3 kiogrammes de poudre Favier, 400 mètres de mèches et environ 1.440 capsules-amorces.

L’instruction, guidée par les révélations de Chaumentin, fit connaître que les auteurs du vol n’étaient autres que les compagnons Faugoux, Chevenet et Drouet, assistés de Ravachol.

La première pensée du crime était venue à Faugoux et à Ghevenet, dans un voyage qu’ils avaient fait à Soisy-sous-Etiolles, le 11 février. Ils en avaient fait part à Ravachol qui l’avait adopté et ils y avaient associé Drouet, connu sous le sobriquet du 1’ «Homme blond. »

Leur vol accompli, les quatre compagnons en avaient réparti entre eux le produit qu’ils avaient dissimulé dans des paquets ou dans leurs poches, puis ils allaient reprendre à Draveil un train pour Paris, où ils arrivaient à onze heures ou onze heures et demie.

Tous ces faits sont confirmés par les aveux des accusés, particulièrement par ceux de Chevenet. Etiévant, lui, s’il n’est pas allé à Soisy-sous Etiollcs, s’est rendu complice du crime en cachant à Asnières, dans un poêle en fonte, les cartouches volées. Il l’a avoué, mais a toujours refusé de faire connaître celui qui lui avait confié ces matières explosibles.

Les renseignements recueillis sur le compte des quatre anarchistes poursuivis les représentent comme paresseux et voleurs; Faugoux a été condamné par la cour d’assises de la Seine pour provocation au meurtre et au pillage, à l’incendie et à l’insubordination des militaires. L’audience continue.

Paris 26 juillet 1892

DELANNOY Alfred, Jean-Baptiste [dit le Parisien],raffineur, chaudronnier, anarchiste de Maubeuge (Nord), réfugié à Londres, indicateur.


Album photographique des individus qui doivent être l’objet d’une surveillance spéciale aux frontières. Septembre 1894. Photo p.2 n°10. CIRA de Lausanne.

Né le 5 mai 1861 à Orchies (Nord), raffineur, chaudronnier, anarchiste de Maubeuge (Nord), réfugié à Londres.

Il était le fils de Jean-Baptiste et de Emerantine Mascret.

Pendant son service militaire au Tonkin, il fut condamné à 3 ans de prison pour insubordination.

A la suite d’un vol de 20 kilos de dynamite commis à Louvroil-lez-Maubeuge (Nord), dans la nuit du 22 au 23 février 1892, le parquet d’Avesnes avait adressé le 29 mars une commission rogatoire au parquet de Paris, le chargeant de rechercher dans cette ville un individu soupçonné d’être l’auteur de ce vol et se nommant Jean-Baptiste Delannoy, dit le Parisien.

Delannoy fut arrêté dans le 1er avril sur les indications des agents de la troisième brigade, par M. Véron, commissaire de police et Fédée, officier de paix, dans une chambre garnie, 13, impasse Montferrat où il habitait chez son frère; ce dernier avait également été mis en état d’arrestation pour port d’armes illicite.

Selon certains journaux Delannoy aurait nié être l’auteur du vol de dynamite, selon le Gaulois, le dialogue suivant aurait eu lieu :

« Le commissaire de police demanda à Delannoy ce qu’il avait fait de la dynamite volée à Louvroil.

– Ce que j’en ai fait ? c’est bien simple, répondit Delannoy, je l’ai vendue aux compagnons.

–A quels compagnons?

–Je ne sais pas leurs noms. J’avais besoin de vivre. On m’a donné quelque argent et je n’ai pas cru mal faire. Je m’étais emparé de cette dynamite dans une cabane sans porte ni fenêtre, ou elle était à la portée de tous. Je ne pourrai donc être poursuivi que pour un vol simple. »

Delannoy, fut transféré le 5 avril à la maison d’arrêt de Valenciennes, sur mandat du parquet, qui le réclamait pour différents délits commis dans l’arrondissement d’Avesne.

Il figurait sur l’état récapitulatif des anarchistes au 26 décembre 1893, notant qu’il serait à Londres.

Le 2 juin 1893, l’indicateur Z6 de Londres, signalait : « Si vous avez intérêt, prévenez par dépêche le sieur Delannoy ou Delaunay, agent de la police française, habitant chez Leroy et fils, horlogers, près de Duke street, lequel fait passer et reçoit ses lettres par le bureau d’Oxford street, qu’il est découvert, vendu et que sa vie est en jeu.

Avec une maladresse inouïe, il s’est présenté au Club autonomiste pour demander des renseignements sur Meunier. Il a eu le malheur de tomber sur une femme anarchiste anglaise qui l’a dénoncé et c’est très vraisemblablement chez elle ou dans un rendez-vous qu’elle donnera, qu’aura lieu l’exécution. »

Z6 poursuivait dans une note du 6 juin 1893 : « Le nommé Delannoy a été attaqué samedi à Charing-Cross par l’anglaise Ida, Capt et Bidault. Les agents qui viennent du Continent ont la mauvaise habitude de toujours parler d’explosifs et cela donne l’éveil. »

SOURCES :

Un premier exil libertaire. Les anarchistes français à Londres, 1880-1914 par Constance Bantman. Editions Libertalia, p. 218 et 219 — Album photographique des individus qui doivent être l’objet d’une surveillance spéciale aux frontières. Septembre 1894. Photo p.2 n°10 — Le Rappel 2 avril 1892 — Petit Journal 9 avril 1892 — Le Gaulois 1er avril 1892 La Justice 1er avril 1892 — Archives de la préfecture de police Ba 1500 et 1508.

L’Internationale noire. L’argent des souscriptions va-t-il toujours à leurs destinataires ? 5 juin 1883

Londres le 5 juin 1883

Dans une précédente lettre, j’ai dit qu’après avoir fait circuler des listes de souscriptions pour Kropotkine, Gautier et leurs compagnons de détention à Clairvaux, l’idée avait été émise par Villers d’organiser un concert dont le produit serait envoyé à ces mêmes détenus.

Présenté au club de Poland Street à Tchaikovski, Villers demanda qu’un comité fut nommé pour se mettre en rapport avec les personnes qui l’hiver dernier, avaient prêté leur concours pour venir en aide à des infortunes privées.

Seulement, pour ne pas effaroucher certaines de ces personnes qui, par leur position ne pourraient pas se mêler sans inconvénient à une question de cette nature, il fut décidé que les réunions du comité se tiendraient sur un terrain neutre, dans un public-house de Charlotte Street, Fitzroy square, fréquenté par les français de ce quartier.

Déjà trois réunions ont eu lieu sans résultat. Cependant, à la dernière, Dussert a relevé sur une liste, une douzaine de noms d’artistes amateurs, auxquels il a dû écrire pour leur demander s’ils consentiraient à venir chanter à leur soirée.

Selon la réponse qui aura été faite on arrêtera un programme et le concert aura lieu dans un mois à Graffton Hall.

Entre temps, la section française de Poland street a mis en circulation des listes de souscriptions pour Malatesta et ceux de ses amis qui ont arrêtés dernièrement en Italie.

Jusqu’à présent, la somme produite est relativement élevée. Mais comment faire pour remettre l’argent à ces prisonniers ?

Toujours la même question et à force de faire ainsi des souscriptions, les mauvaises langues insinuent que les bénéficiaires ne sont autres que les organisateurs de la prétendue œuvre de bienfaisance politique.

Archives de la Préfecture de police Ba 435

Lire le dossier : L’Internationale noire

Perquisitions chez les anarchistes de Saint-Denis à la suite du vol de 360 cartouches de dynamite à Soisy-sous-Etioles. 25 février 1892

VOL DE DYNAMITE

Perquisitions chez les anarchistes.

A la suite d’un vol de trois cent soixante cartouches de dynamite commis à Soisy-sous-Etioles, près de Corbeil, dans les bureaux de la carrière de pierres meunières appartenant à M. Dehayon. MM.Clément, commissaire aux délégations, Brissaud, du quartier Bonne Nouvelle, bureau du Mail; Bernard, du quartier Gaillon; Lejeune, de celui de la Sorbonne; Girard, de Belleville; Archer, de Clignancourt; Belouino et Baube, de Saint-Denis nord et sud; Guilhen, de Levallois; Berthelot, de Clichy; Amat, de Puteaux; Pelatan, d’Asnières et enfin M. Goron, chef de la sûreté, puis aussi M. Cochefert, des délégations judiciaires, furent chargés de faire des perquisitions chez différents anarchistes de Paris et de la banlieue.

Les perquisitions faites à Paris ont amené la découverte de 41 cartouches de dynamite chez le compagnon Chalbret qui habite une mansarde, 32, rue Broca.

Dans la banlieue, à Asnières, M. Pelatan a découvert chez l’anarchiste Bordier et au siège du groupe d’études sociales La Bombe, situé impasse Sainte-Geneviève, 18, cartouches de dynamite cachées dans le poêle.

Chalbret et Bordier, malgré leurs déclarations de ne pas connaître la provenance de ces cartouches, ont été maintenus à la disposition de la Justice.

A St-Denis, MM. Baube et Belouino ont fait des perquisitions chez les anarchistes dionysiens les plus connus : Altérant, rue du Canal; Bouteville, 20, rue Brise-Échalas; Bastard, rue du Canal; Pauwels, sujet belge, expulsé de France à la suite des affaires du 1″ mai et recherché depuis, et enfin chez Ploock

Le Journal de Saint-Denis 25 février 1892

Lire la dossier : Les anarchistes de Seine-Saint-Denis

Mme Viard abandonne sa plainte contre Gustave Mathieu et Simon dit Biscuit. 18 février 1892

Saint-Ouen

L’affaire des anarchistes.

La version dont nous avons parlé dans notre dernier numéro, celle produite par les inculpés, semble avoir prévalu.

Après l’interrogatoire subi mardi, chez M. Huet, juge d’instruction, les deux anarchistes arrêtés, Mathieu et Simon, ont été mis en liberté; à 7 h. du soir ils étaient de retour à St Ouen. Ils ont affirmé avoir agi sur les ordres de Mme veuve Viard.

Les détenteurs de marchandises provenant de chez Viard, ont été appelés également devant le juge sur mandat de comparution; parmi eux, se trouve un marchand de vin de la zone qui fut conseiller municipal, qui fut du parti possibiliste et lequel actuellement, est répartiteur de nos contributions!! désigné ainsi, on saura de qui nous voulons parler.

Le piquant cette affaire, c’est que l’ex-adjoint Lefève est mêlé à cette affaire et paraît être le confident et conseiller de Mme Viard.

Mathieu et Simon sont furieux contre la veuve, contre Lefèvre, ils se défendront au procès d’être des voleurs.

Étant donné la tournure que prend l’affaire, il est presque certain que Mme veuve Viard va se désister de sa plainte contre Mathieu et Simon, qui ne paraissent pas se contenter de cette solution.

Les marchandises soustraites à la liquidation Viard ont été relevées dans les différents dépôts ou elles se trouvaient par les soins de M. Daltroff, commissaire de police. La vente des dites marchandises aura lieu ultérieurement. L’intervention si empressée de l’ex-adjoint au maire révolutionnaire de Saint-Ouen, dans cette affaire, a bien sûr pour but de sauver la personnalité dont nous parlons plus haut, qui doit être, si les poursuites suivent leur cours, considérée comme receleur.

Mme veuve Viard se désistant de sa plainte, et d’un autre côté une pression étant faite sur les fournisseurs, il est à présumer que cette affaire ne verra pas le jour de l’audience. Ce qui n’empêchera pas d’être édifié sur le compte de certains politiciens de barrière.

Le Journal de Saint-Denis 18 février 1892

Lire la dossier : Les anarchistes de Seine-Saint-Denis