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Archives de Catégorie: Fortuné Henry

Fortuné Henry, le commis-voyageur de l’anarchie.
Fortuné Henry, l’animateur de la colonie l’Essai d’Aiglemont.
Fortuné Henry, le syndicaliste CGT, fondateur du journal Le Cubilot.

L’ensemble des épisodes de la vie de Fortuné Henry et la colonie d’Aiglemont est protégées par le copyright sur les droits d’auteur. (© D. Petit, 2019, tous droits réservés). Pas de reproduction ni exploitation commerciale ou collective sans accord (art. L.111-1, L 121-1, L.122-1, L.122-7 et L. 335-2 du Code de la Propriété Intellectuelle).

L’imprimerie La Moderne inondée, Fortuné devient secrétaire de rédaction du journal du syndicat des terrassiers.

24 dimanche Jan 2021

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Saison 3 : Fortuné Henry, le syndicaliste CGT, fondateur du journal Le Cubilot. Lire l’ensemble des épisodes.
Vingt huitième épisode. L’imprimerie La Moderne inondée, Fortuné devient secrétaire de rédaction du journal du syndicat des terrassiers.

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Fortuné Henry. Album Bertillon septembre 1894. CIRA de Lausanne

Le 26 juin 1909, le Syndicat général des travailleurs du papier, du carton et similaires, tient une réunion de propagande, à 9 heures du soir, salle des grèves à la Bourse du Travail, 3, rue du Château-d’Eau, avec le concours de Fortuné Henry, d’un délégué de la Fédération et de Garreau, secrétaire de l’organisation sur le thème : « L’utilité du syndicat, sa raison d’être, son action. »1

Le 27 juin 1909, la Fédération syndicale des mineurs du Pas-de-Calais et du Nord qui compte dans ses rangs le Jeune syndicat dit Syndicat Broutchoux, tient son congrès régional à la Maison du peuple, 50 rue de Paris à Lens (Pas-de-Calais), sous la présidence de Métivier, délégué de la CGT. 50 délégués y assistent.

Broutchoux avait fondé une imprimerie 1 rue Emile Zola à Lens, propriété du Jeune syndicat mais elle ne réalise pas de gros bénéfices, alors que le syndicat a une dette de 859 francs. Dardenne, de Rouen, ancien typographe de la colonie d’Aiglemont fait connaître son intention de faire paraître à nouveau le journal antimilitariste Le Cubilot, imprimé autrefois à Aiglemont, mais il ne semble pas que ce projet ait eu une suite.2

Le 7 août 1909, les Temps nouveaux publient cet entrefilet : « Le camarade Guillemin-Remy nous fait tenir 2.000 brochures provenant de la Colonie d’Aiglemont, pour être vendues au profit du Journal. Ces brochures sont (franco) : L’A B C. du Libertaire, 0 fr. 15 ; En Communisme, 0 fr. 15 ; La Question Sociale, 0 fr. 15 ; Grive et Sabotage, 0 fr. 15. »

Le 15 août 1909, paraît le premier numéro du Terrassier, organe du syndicat général des ouvriers terrassiers, puisatiers-mineurs, tubistes, poseurs de rails et parties similaires du département de la Seine.

Le journal est imprimé par la Coopérative La Moderne, 74 avenue de Beauté au Parc Saint-Maur.

Document Gallica.
Document Gallica.

Mais un conflit naît entre Fortuné et Pallot, un membre du syndicat, au sujet du journal le Terrassier. C’est probablement au cours de l’assemblée générale des terrassiers du 11 octobre 1909 qui se déroule au Tivoli Vaux-Hall qu’une commission d’enquête est nommée pour solutionner le litige.

Le 24 octobre 1909, la Bourse du travail de Vierzon (Cher), organise un meeting salle de l’Eden-Tivoli , suivi d’une manifestation, pour protester contre l’exécution de Ferrer et la répression en Catalogne. En présence d’une salle archi-comble où se trouvent les terrassiers grévistes, la tribune est pavoisée de deux drapeaux rouges cravatés de noir. Fortuné Henry y prend la parole comme représentant de la C. G. T 5 : il fait une charge à fond contre le ministre des affaires étrangères et contre le gouvernement actuel. « En apprenant la mort de Ferrer, s’est-il écrié, j’ai été plus émotionné que lorsque je sus que mon frère, après avoir fait sauter l’hôtel Terminus à Paris, avait été guillotiné ! » 6Alors que Janvion refuse de participer à la campagne de protestation contre l’assassinat de Ferrer, Fortuné, lui, y est bien présent. Janvion considère que « son cadavre est aujourd’hui odieusement exploité par tous les Sacripants de Loges et les Cabotins en Révolution. »

Le 15 novembre 1909 paraît le 1er numéro de Terre libre3, organe d’action syndicale. Le gérant est Émile Janvion. Le journal est imprimé à la Coopérative La Nouvelle, 74 avenue de Beauté au Parc Saint-Maur. C’est dans L’Action française du 2 novembre 1909 que Janvion choisit d’accorder une interview annonçant sa sortie. Confirmation est donnée de sa proximité avec l’extrême-droite. Rapidement, la tonalité des articles donne un profil particulier à Terre Libre teinté d’antisémitisme à base syndicale et farouchement opposé à la direction d’une CGT fonctionnarisée (composée de permanents coupés des masses). La lutte contre les sectes au sein de la CGT, va vite se résumer à celle contre la franc-maçonnerie, considérée comme « la façade des juifs qui tentent de mettre la main sur la France ». 4 Cette alliance de la carpe et du lapin entre un complotiste anti-maçonnique et de plus en plus antisémite, avec un franc-maçon comme Fortuné peut étonner. Janvion n’est certes pas un inconnu pour Fortuné : en janvier 1908, la colonie d’Aiglemont a édité la brochure n°8 L’École, antichambre de caserne et de sacristie d’Émile Janvion. Le 14 octobre 1908, F. Henry appartient au syndicat des correcteurs d’imprimerie, il est franc-maçon et entre dans le même syndicat que Janvion qui mène une campagne anti-maçonnique dans la CGT. En octobre 1908, Fortuné semblait être en délicatesse avec la franc-maçonnerie à propos de la question de l’antimilitarisme mais selon un rapport de police du 22 décembre 1908, il est toujours franc-maçon. Alors simple relation commerciale, profitable à l’imprimerie ? L’imprimeur semble avoir mis ses convictions militantes sous le boisseau. Le courant des « ultras » de la CGT semble en tout cas en pleine décomposition idéologique.

Le 17 décembre 1909, Léon Viet, demeurant 15 route d’Asnières à Clichy (Hauts-de-Seine) écrit au maire d’Aiglemont : « Je viens au nom de la commission d’enquête, vous demander si vous pourriez nous renseigner sur la conduite de Fortuné Henry, fondateur d’une colonie à Aiglemont, depuis sa naissance, jusque la fin et surtout sur le déménagement du matériel et dans quelle condition s’est-elle faite. Son impression qu’il a laissé dans les Ardennes et si cela vous est possible, nous mettre en rapport avec des camarades qui ont vécu dans cette colonie.

Monsieur, pour le bien de quelques travailleurs qui voudraient travailler et qui voudraient savoir si cet homme est bien placé pour nous gérer, nous vous demandons tous les renseignements qu’il vous sera possible de nous fournir car il paraît que c’est un finaud. »7

Le 12 décembre 1909, lors d’un meeting organisé par le Syndicat général des terrassiers au Tivoli Vaux-Hall, rue de la Douane, auquel participent 5.000 personnes, un membre de la commission d’enquête déclare que d’après les renseignements recueillis, on a acquis la certitude que Fortuné Henry a agi avec déloyauté à la colonie d’Aiglemont.

Fortuné essaie de se disculper, il se montre très violent contre Pallot. Il déclare qu’il avait apporté à la colonie d’Aiglemont une somme de 18.000 francs et qu’il en est parti avec 2.800 francs de dettes. Il met Pallot au défit de lui prouver qu’il a volé le matériel d’imprimerie.

Pallot lui répond que des renseignements recuillis, tant auprès de la direction de la Guerre sociale, qu’auprès de Matha, Baptistin et Courtois, il résulte qu’il a agi envers tous ses camarades avec déloyauté.

La séance devient très houleuse et Pallot ne parvient pas à se faire entendre.

Ledu déclare que la commission d’enquête va s’occuper d’acquérir la preuve des accusations formulées contre Fortuné Henry : « Si Pallot a menti, il sera radié du syndicat ; s’il a dit vrai, Fortuné Henry sera exclu du journal. » Cette déclaration provoque un violent tumulte.8

Le 1er janvier 1910, Pataud se rapproche de Fortuné qui mène dans la coulisse, le mouvement des terrassiers. C’est lui qui rédige leur journal, conseille et dirige les manifestations auxquelles ils se sont livrés. Toutefois aucune action combinée des terrassiers et des électriciens n’est encore envisagée.9

Selon un rapport de la Préfecture de police du 6 janvier 1910, Lévy continue à être le dupe de Collongy à l’imprimerie du Parc Saint-Maur, mais il semble commencer à s’en apercevoir : « c’est un scandale en perspective. Fortuné Henry, toujours chez les terrassiers, comme permanent auxiliaire, se plaint des diffamations de Baptistin et de Matha à propos de la colonie d’Aiglemont. »10

La fin du mois de janvier 1910 est une période de très fortes inondations et le Parc Saint-Maur n’est pas épargné : l’imprimerie coopérative La Moderne est elle aussi victime des intempéries. L’inondation ne lui permet plus de rester au 74 avenue de Beauté, elle doit déménager.11

En février 1910, Fortuné semble être sorti vainqueur de ce conflit avec Pallot, puisqu’on le retrouve secrétaire de rédaction du journal Le Terrassier. Il travaille au bureau du syndicat, « on le consulte sur tout et c’est lui qui, en réalité, est à l’heure actuelle le chef réel du syndicat. »12Alors que l’imprimerie La Moderne est en plein déménagement, cet emploi est le bienvenu.

Pour Fortuné, si satisfaction n’est pas accordée aux terrassiers dans leur mouvement de grève, il n’y a que l’action directe et la violence qui peuvent donner des résultats. Il fait une propagande active dans ce sens chez les terrassiers et dans la CGT.

Le 3 février 1910, il se trouve dans le bureau de la commission administrative du syndicat des terrassiers où il explique que les terrassiers sont en pleine effervescence. Il y a selon lui environ 10.000 chômeurs dans cette corporation et les compagnies de chemin de fer comme PLM, effectuent la réparation de leurs lignes endommagées par les inondations, en se servant d’ouvriers à elles, qu’elles font venir de province, plutôt qu’à des ouvriers terrassiers de Paris ou du département de la Seine. En outre, on se sert de la troupe pour des travaux de terrassements dans les quartiers de Paris atteints par la crue. Pour Fortuné, le gouvernement veut se passer des terrassiers parce qu’ils sont solidement organisés dans leur syndicat.

Il se rend au comité confédéral de la CGT pour soumettre cette question et les prier d’intervenir. Si les revendications ne sont pas satisfaites par les voies ordinaires, il estime que l’on devrait employer les grands moyens : descendre dans la rue et faire fonctionner contre les travailleurs qui font des travaux de terrassement, la « chaussette à clous » et la « machine à bosseler »13

Notes :

1 L’Humanité 26 juin 1909

2 Archives nationales 199940434 art 628 Dossier Benoit Broutchoux

3 Bianco : presse anarchiste. Fiche Terre libre : https://bianco.ficedl.info/article2062.html

4 Une histoire de Terre Libre, entre syndicalisme révolutionnaire et minorités socialistes http://archivescommunistes.over-blog.fr/2015/03/une-histoire-de-terre-libre-entre-syndicalisme-revolutionnaire-et-minorites-socialistes-6.html

5 L’Émancipateur 24 octobre 1909

6 La Dépêche du Berry 26 octobre 1909

7 Archives départementales des Ardennes. Archives communales d’Aiglemont S1

8 Archives nationales F7 15968. Rapport 13 décembre 1909

9 Archives de la Préfecture de police Ba 1603 rapport 1er janvier 1910

10 Archives nationales F7 12723

11 L’Humanité 31 décembre 1913

12 Archives nationales F7 15968. Rapports 4 et 5 février 1910

13 Archives nationales F7 15968 Rapport 4 et 5 février 1910

(© D. Petit, 2020, tous droits réservés)

La vente aux enchères du bâtiment de la colonie d’Aiglemont.

05 mardi Jan 2021

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Saison 3 : Fortuné Henry, le syndicaliste CGT, fondateur du journal Le Cubilot. Lire l’ensemble des épisodes.
Vingt septième épisode. La vente aux enchères du bâtiment de la colonie d’Aiglemont.

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Fortuné Henry. Album Bertillon septembre 1894. CIRA de Lausanne

Lors de sa séance du 20 février 1909, le conseil municipal d’Aiglemont, sous la présidence de son maire Léon Michel, est contraint de constater qu’il ne peut récupérer des sommes dues par Fortuné, depuis son départ de la commune. Il s’agit d’une taxe de 7 francs 50 pour son chien et de prestations pour 32 francs 40.1 Cet événement anodin annonce la fin de la colonie d’Aiglemont.

Le samedi 13 mars 1909 a lieu la vente à l’amiable, aux enchères publiques, de ce qui reste de l’Essai. C’est l’étude de maître Rose, huissier à Charleville, 2 rue Jacquemart-Templeux qui se charge de l’opération. Sont mis en vente : un bâtiment démontable, en sapin de 14 mètres de long sur 10 mètres de large, comprenant rez-de-chaussée, étage, grenier, véranda. Toit et murs en fibro-ciment, également démontables.
Ce bâtiment comprend 350 mètres environ de parquet sapin, 160 poutrelle en sapin, 33 portes et fenêtres. Le démontage est à la charge de l’acquéreur. Sont également mis en vente un cheval, une voiture maraîchère à deux roues.

Le Petit ardennais 11 mars 1909. Archives départementales des Ardennes.

Cette liquidation de la colonie entraîne une vague d’ironie et de révélations plus ou moins sérieuses dans la presse de droite des Ardennes.

La Dépêche des Ardennes entame dès le 11 mars la litanie : « Les colons avaient fait des dettes chez bon nombre de commerçants des environs. De plus, leur campement, leur villa même n’étaient pas payés.

Un grand marchand de bois de Charleville avait fourni aux libertaires pour 1.200 francs de marchandise.

Un ingénieur-constructeur leur avait fourni des machines agricoles, qui également ne lui furent point réglées.

Le marchand de bois aurait bien voulu se faire solder, mais les gars étaient revêches.

Il leur délégua un employé ministériel qui se fit passer pour son propre garçon de bureau.

Il trouva là 5 homme et la femme à Thiry, le fameux libertaire condamné récemment aux assises.

L’employé déclina sa qualité et demanda à causer au « supérieur de la Congrégation. »

D’une façon tout à fait diplomatique, il lui demanda s’il songeait à payer le négociant par versements successifs.

Le « supérieur » le prit de haut, surtout quand l’employé lui suggéra de vendre son établissement pour payer ses créanciers.

  • Et s’ils voulaient vous faire poursuivre par un huissier et vendre de force ?
  • Ah ! Nous voudrions bien voir cela. Nous ficherons plutôt le feu à la baraque. Qu’il ne s’en présente jamais un « d’huissier », nous le recevrons avec tous les honneurs dus à son grade.
  • Ces bâtiments-là sont notre propriété. Fortuné est parti avec 6.000 francs, le reste constitue notre patrimoine.

L’employé regagna Charleville et rendit compte de sa mission. Quelques jours après le marchand de bois recevait la visite des libertaires qui rééditèrent leurs menaces. Ils eurent même l’audace d’offrir en vente à ce négociant, la maison construite avec le bois qu’il leur avait fourni. Ils trouvèrent ensuite une tierce personne qui voulut bien s’offrir à leur racheter leurs établissements.

Cette tierce personne vint trouver un huissier de Charleville et lui demanda de les vendre à sa requête. »

Le Peuple ardennais du 11 mars 1909, poursuit : « Hier, à deux heures de l’après-midi, eut lieu par les soins d’un huissier de Charleville, la vente de la colonie d’Aiglemont.

Cette vente était faite à la requête du bailleur de fonds de Fortuné henry, un certain M. Sabot2 de Saint-Servan.

La vente ne fut pas fructueuse, personne ne fit monter les enchères, seul le vieux cheval, avec lequel les libertaires se rendaient au marché de Charleville, fut vendu et quelques clôtures en fer.

Quant à la maison démontable, en fibre ciment, le prix offert fut jugé dérisoire par M. Sabot et sa vente remise à une date ultérieure. »

Le Petit ardennais du 14 mars 1909 rend compte de la vente : « Beaucoup de monde malgré le mauvais temps et les difficultés d’accès, s’y était rendu ; mais la vente a été peu productive. Seuls ont été vendus le vieux cheval, les harnais et les clôtures. Le tout 220 francs. »

La Dépêche des Ardennes du 15 mars 1909 enfonce le clou : « L’Essai s’effondre sous les feuilles de papier timbré et les sommations d’huissier. Les libertaires se considèrent maintenant en ennemis. Ils concentrent leurs rancunes contre Fortuné Henry, qu’ils traitent d’exploiteur, tandis que le frère du guillotiné appelle ses anciens colons des paresseux, des gourmands et des coquins.

Tous ont raison, Fortuné a exploité la bêtise des anarchistes. En les grisant de sa parole élégante, il leur a fait miroiter le paradis de la Révolution tout en les enfermant dans un bagne beaucoup plus dur et plus étroit que celui de l’Ile du Diable.

Il était parvenu à se créer une délicieuse villégiature et à tirer profit de sa culture grâce au travail non rémunéré de ces ouvriers que, en se retranchant derrière la formule communiste, il ne payait pas. Par son Essai, il était arrivé à reformer une propriété qui était sienne, bien que par bail emphytéotique, il n’en fût légalement que locataire. La colonie ne profitant qu’à lui, tandis que ses soi-disant collaborateurs n’étaient en réalité pas plus que les serfs du moyen âge.

Ceux-ci, au contraire, confiants dans les théories de partage prêchées par les apôtres de l’anarchie, considéraient comme leur, une exploitation dont ils n’étaient que les instruments serviles.

Fortuné s’est retiré au bon moment. Il a vu que l’édifice s’écroulait. Il a su tirer son épingle du jeu en emportant la forte somme et le matériel qui lui plaisait, laissant ses compagnons se débrouiller comme ils pouvaient. »

Au moment de la vente aux enchères des restes de la colonie d’Aiglemont, à Paris au théâtre Antoine reprend la Clairière de Maurice Donnay et Lucien Descaves3, la pièce raconte une expérience de milieu libre anarchiste. Donnay le généreux donateur et visiteur de l’expérience de Gesly voit son œuvre littéraire, écrite avant l’Essai, continuer son chemin propre.

Cette coïncidence de la vente aux enchères et de la reprise de la Clairière est un véritable événement médiatique national. L’ensemble de la presse publie des articles sur ce sujet : Le Figaro, le Petit parisien, L’Echo de Paris, L’Action française, Le Journal, le 13 mars 1909 ; La Lanterne, L’Evénement, La Gazette de France, Le Radical, La République française, Le Peuple français, L’Action, La Liberté le 14 mars ; Le Soir, le 15 mars ; L’Estafette, La Croix, Le Petit Caporal, le 16 mars ; Le Petit moniteur universel le 17 mars ; L’Action, le 19 mars ; le Journal du Cher le 5 avril ; L’Univers le 12 avril.

La Vie illustrée, journal hebdomadaire du 26 mars 1909, publie à cette occasion un reportage photographique de deux pages : « La Clairière » en action. Fiction théâtrale et réalité. Une colonie libertaire à Aiglemont.

La Vie illustrée 20 mars 1906. Cliquer ici pour lire l’article en entier.

Fortuné pendant ce temps et loin de l’agitation autour de la colonie habite 74 avenue de Beauté à Saint-Maur.4

Depuis le 17 avril 1909, les 150 ouvriers de la Société anonyme des Fonderies de Monthermé-Laval-Dieu (Ardennes) sont en grève, réclamant une augmentation de salaire. La situation calme au début, menace de s’aggraver. Merrheim de la Fédération de la métallurgie de la CGT vient sur les lieux et contre toute attente, il est accompagné par Fortuné Henry5. Après des rapports tendus entre les deux hommes, lors de la lutte d’appareil au sein du syndicat, il semble que les choses se sont arrangées.

Le 9 mai 1909, l’imprimerie La Moderne, au Parc-Saint-Maur, comprend maintenant neuf colons. Charles Grauvogel l’a quittée quinze jours auparavant à la suite d’une vive altercation avec Fortuné Henry. Selon un rapport de police, « on peut considérer Henry comme momentanément en dehors du mouvement révolutionnaire. »6 Quant à Lévy, actionnaire de la Moderne, il s’en occupe de moins en moins. Collongy, pour sa part serait heureux de ne plus avoir à faire de propagande.

Le 20 mai 1909, la situation de Niel à la direction de la CGT devient intenable, il est de plus en plus contesté par le courant révolutionnaire et anarchiste. De la cour de l’immeuble de la Grange-aux-Belles, des cris montent. Un fort groupe de terrassiers l’occupent, ils s’impatientent : « C’est un vendu ! Faut le pendre ! Mort à Niel ! »

Niel devient très pâle, mais continue à siéger comme s’il n’entendait pas. Les délégués du bâtiment ricanent : c’est Griffuelhes qui a demandé à Ledu de lui envoyer une équipe.

Dans la cour, le bruit continue. Les terrassiers demandent toujours la tête de Niel. Dret les harangue et leur dit que « le comité confédéral est entrain de faire justice ».

Dans le brouhaha, les délégués du comité fédéral s’en vont un à un. Niel reste bientôt presque seul.

Pierre Le Blavec, un ouvrier charron de la Fédération de la voiture, antimilitariste et anarchiste, s’adresse à lui : « Je suis de tes adversaires, tu m’as grossièrement rembarré hier soir… mais on veut t’assassiner ; reste ici, je vais t’y enfermer. Dans le bureau voisin (Métallurgie), Blanchard, Galantus, Fortuné Henry et Collongy se tiennent prêts à te défendre. Moi je vais aller ouvrir ton bureau, et je répondrai que tu es parti, si on me demande après toi. »7

Niel accepte et ne quitte la Maison des Fédérations que fort tard.

Curieusement ce sont des antimilitaristes et des anarchistes qui bien qu’en désaccord avec Niel le réformiste, lui sauvent la mise en lui permettant d’échapper à un groupe de terrassiers, pourtant révolutionnaires eux aussi. Après le vote de Lévy qui permit l’élection de Niel, des intrigues complexes se jouent à la direction de la CGT et Fortuné n’est jamais bien loin.

1 Archives municipale d’Aiglemont D6. Registre des délibérations du conseil 1899-1913

2 Concernant Sabot, voir l’épisode De la Tunisie à Nouzon (Ardennes) : itinéraires de la maturation d’un projet.

3 Le Figaro 13 mars 1909

4 Archives nationales F7 13053

5 La Croix 19 avril 1909

6 Archives nationales F7 15968. Rapport 9 mai 1909

7 Archives de la Préfecture de police Ba 1603. Rapport 21 mai 1909

(© D. Petit, 2020, tous droits réservés)

Fortuné fonde l’imprimerie La Moderne. La CGT en crise dans les Ardennes et à Paris.

20 dimanche Déc 2020

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Saison 3 : Fortuné Henry, le syndicaliste CGT, fondateur du journal Le Cubilot. Lire l’ensemble des épisodes.
Vingt sixième épisode. Fortuné fonde l’imprimerie La Moderne. La CGT en crise dans les Ardennes et à Paris.

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Fortuné Henry. Album Bertillon septembre 1894. CIRA de Lausanne.

Lévy le trésorier de la CGT après avoir réglé ses comptes de fin d’année 1908, est parti chez Fortuné au Parc Saint-Maur où il prépare par correspondance sa réélection au poste de trésorier, en écrivant en province. Le 6 janvier il est de retour à son poste, au siège de la CGT.

Mais l’atmosphère est délétère au sommet du syndicat. On peut même parler d’une crise d’identité, Alors qu’une partie de son comité confédéral est emprisonné, au lieu d’une solidarité active qui aurait dû souder ses dirigeants, cela part un peu dans tous les sens et les inimitiés se révèlent.

Ces Messieurs de la CGT par M. Leclercq et E. Giraud de Fléaux. Collection particulière E. B.C.

Le 2 janvier 1909, une délégation de la CGT est reçu cordialement par le secrétaire de rédaction de l’Action française, le quotidien royaliste, afin de lui remettre un appel aux ouvriers qui sera intégralement publié par le journal. Il s’agit d’appeler à participer aux meetings organisés le 9 janvier, pour protester contre la comparution devant la cour d’assises de la Seine-et-Oise des 8 dirigeants inculpés de la CGT.1

Le 5 janvier les détenus de la CGT sont amnistiés par le gouvernement.

Dès le 6 janvier 1908, au comité confédéral, c’est la reprise du duel Griffuelhes–Lévy, le premier expliquant que Lévy avait fait des ragots durant son emprisonnement, concernant de l’argent qui se serait évaporé. Lévy lui répond que certains services étaient mal gérés comme l’imprimerie et la dette de la Maison des Fédérations, rue de la Grange-aux-Belles.

Le 11 janvier 1909, on se chicane toujours au bureau confédéral mais cette fois à cause du quotidien La Révolution que va fonder Pouget, il y a ceux qui sont dans le projet : Griffuelhes, Monatte et ceux qui n’en sont pas : Lévy, Yvetot, Janvion. Ce dernier s’est proposé pour collaborer au journal mais Pouget l’a écarté. Les deux camps se mènent une guerre futile.

Il semble que depuis le congrès de Marseille, la CGT se délite et Pouget semble espérer, sur ses ruines, créer les bases d’un grand Parti du Travail.2

Cette crise de la CGT est marquée par un renouveau des groupes purement anarchistes et Pouget considère que La Révolution faciliterait probablement ce renouveau de l’anarchie pure.

Durant la première quinzaine de janvier, Janvion se rend 6 à 8 fois à l’Action française, le bruit se répand d’une collaboration des royalistes et de la CGT.

Selon un rapport de la Préfecture de police, à la CGT « certains ne cachent même plus les sympathies qu’ils ont pour l’Action française dont l’activité révolutionnaire les séduit. La plupart se promettent, le cas échéant, de rester neutre et même, au besoin de faire le jeu des royalistes. »3

Au comité confédéral la lutte se poursuit entre partisans et adversaires de la Révolution, d’un côté Pouget et Griffuelhes, de l’autre Lévy qui accusait Griffuelhes d’être un tripoteur qui s’était livré à des opérations commerciales suspectes, pour acquérir l’immeuble de la rue Grange-aux-Belles, sur lesquelles il avait prélevé des bénéfices scandaleux.4 Griffuelhes se défend et montre que grâce à ses efforts la CGT a un local convenable alors qu’elle risquait de se retrouver à la rue. Il met son poste de secrétaire de la CGT en jeu : si Lévy est reconduit comme trésorier, il ne faut plus compter sur lui.

Le 19 janvier 1909, le comité confédéral réélit Lévy comme trésorier par 56 voix contre 50 à Sauvage de la Fédération des mouleurs et 33 abstentions. Mais Lévy démissionne aussitôt, alors que Griffuelhes vient d’être désavoué. Il explique qu’il n’a posé sa candidature que pour une raison morale et remercie le comité de la preuve de confiance qu’il lui accorde et s’adressant à Griffuelhes, il aurait dit : « A nous deux maintenant ! Toi aussi tu seras obligé de partir » .5

Mais chaque camp a des arrières pensées : Griffuelhes ne veut pas quitter son poste au moment du lancement du quotidien La Révolution et Lévy a un projet d’hebdomadaire avec Janvion.6

A la fin du mois de janvier, Griffuelhes n’est plus candidat à sa réélection et son départ risque de poser un problème car il est propriétaire des locaux de la Grange-aux-Belles avec Garnery et Louzon. En effet Griffuelhes est le gérant de « Griffuelhes et Cie », propriétaire de l’immeuble. Selon un rapport de police, il aurait déclaré à Merrheim : « Comment veux-tu que je m’en aille. C’est moi qui suis le mandataire du propriétaire ; je suis le gérant. Il faut que je touche les loyers et surveille la maison. »7

Maison des Fédérations rue de la Grange aux Belles

Pendant ce temps à Aiglemont, les derniers colons ont tenté de liquider le mobilier et des militants ardennais s’y sont opposés. La colonie est actuellement animée par Tafforeau et Cousinet que Fortuné parle d’aller les chasser à coups de pieds dans le derrière.8

Le 1er février 1909, le quotidien de droite extrême La Dépèche des Ardennes se réjouit du chant du cygne de la colonie : « L’Essai, qui d’après le célèbre anarchiste, devait être la cellule initiale de la société future, est tombée dans le marasme, et cet essai prouve une fois de plus l’inanité de la formule anarchiste et l’indestructibilité de la société.

Que le Vieux Gesly continue à être exploité par de soi-disant colons, inconnus et désormais sans influence, il n’en est pas moins avéré que l’argent est le facteur indispensable de la vie et la « déconfiture » de l’Essai a contribué à la victoire éclatante du capital uni au travail, sur le collectivisme et l’anarchie.

En abandonnant la colonie sur laquelle il échafaudait de si beaux rêves et où il avait mis toutes ses espérances, F. Henry a avoué son impuissance.

L’Essai, qui, au début, devait être une agglomération sociale chargée de montrer aux yeux des apôtres, la pourriture de la vieille société, s’est muée en repaire, et l’idyllique conception de F. Henry a eu comme conclusion l’affaire Thiry et Paret et comme dénouement la cour d’assises et le bagne. »9

Quelques jours plus tard, la Dépêche des Ardennes poursuit ses attaques contre Fortuné et dénonce les conditions de son départ, estimant qu’il : « a commencé par s’adjuger la part du lion dans le matériel de la colonie. Le reste appartenait en commun aux compagnons restés au Gesly ; or dans tout ce matériel que M. Fortuné a bien voulu laisser à ses successeurs, figuraient un cheval et une voiture ; tout cet équipage fut prêté à l’un d’eux, le compagnon Roger, candidat anarchiste aux élections de 1906 ; depuis ce moment, ni cheval, ni voiture n’ont reparu à la colonie et personne ne sait ce qu’ils sont devenus. Se réclamant des principes anarchistes, le compagnon Roger a-t-il considéré cet équipage comme sa part du matériel de la colonie ; imitant son chef de file, s’est-t-il dit que les compagnons lésés ne s’adresseraient pas à la police pour se faire restituer ce qui faisait partie du bien de leur communauté ? Personne ne le sait ; en tout cas, cheval et voiture sont disparus, fondus, évanouis et cette étonnante disparition fait beaucoup de bruit dans le landernau anarchiste. »

Le 4 février 1909, un rapport de police note que l’imprimerie La Moderne, au Parc Saint-Maur, vient d’être transformée, en société coopérative de production, enregistrée devant notaire, par l’intermédiaire de la Chambre consultative des coopératives. La Moderne est munie d’un conseil d’administration dirigé par Lévy, l’ancien trésorier de la CGT. Lévy n’est pas appointé et prête seulement son nom.10 Le capital social est fixé à 2.000 francs. La société commence son exercice le 7 mars 1909, pour une durée de 99 ans. Le conseil délègue tout ou partie de ses pouvoirs à un directeur qu’il choisit suivant sa volonté, dans son sein, parmi ses associés, et même en dehors de la Société. Le 15 février 1909, la Moderne est constituée par acte notarié reçu par Me Maciet, notaire à Paris, par Albert Lévy et Fortuné Henry, fondateurs. L’assemblée constitutive tenue le 6 mars 1909, nomme Louis Collongy, Albert Lévy et Fortuné Henry, membres du Conseil d’administration. Elle désigne Albert Lévy et Louis Collongy, commissaires. Par délibération du 6 mars du conseil d’administration, Fortuné est nommé directeur, avec tous les pouvoirs, y compris la signature sociale.11

Le même mois Fortuné se trouve en conflit avec Sébastien Faure, à propos d’un travail exécuté par l’imprimerie. Faure lui écrit que le prix est trop élevé, ce qui est facturé 40 francs, n’en vaut pas plus de 12. Il semble que Fortuné fait payer trop cher ses travaux. Il imprime maintenant 3 journaux syndicaux : celui des limonadiers, des choristes et des artistes lyriques.12

Dans les Ardennes, à la mi-février, les syndicats ardennais ne cotisent plus à la CGT et le local de l’Union, rue Victoire Cousin est à louer.13

Taffet à averti Merrheim du transfert du siège de l’Union des syndicats au 16 rue Baudin à Mohon (près de Mézières. Ardennes). Le journal Le Travailleur des Ardennes reparaîtrait à partir du 1er mars.14

Le 25 février 1909, un réformiste est élu secrétaire de la CGT, en remplacement de Griffuelhes. Niel n’est élu que par une voix d’avance sur Nicollet, le candidat des révolutionnaires, présenté par la Fédération du bâtiment. Niel est sauvé par Lévy, celui-ci avait mandat de la Fédération de la Marine de voter Nicollet, il a bien voté pour lui au 1er tour mais au second tour il s’est abstenu.15

Notes :

1 Archives de la Préfecture de police Ba 1603. Rapport 4 janvier 1909

2 Archives de la Préfecture de police Ba 1603. Rapport 11 janvier 1909 et Le Parti du travail, éd. de la Guerre sociale, Bibliothèque syndicaliste n° 3, s.d. [1910]

3 Archives de la Préfecture de police Ba 1603. Rapport 14 janvier 1909

4 Archives de la Préfecture de police Ba 1603. Rapport 15 janvier 1909

5 L’Humanité 20 janvier 1909 et le Temps 21 janvier 1909

6 Archives de la Préfecture de police Ba 1603. Rapport 20 janvier 1909

7 Archives de la Préfecture de police Ba 1603. Rapport 4 février 1909

8 Archives nationales F7 15968. Rapport 23 janvier 1909

9 La Dépêche des Ardennes 1er février 1909

10 Archives nationales F7 15968. Rapport 4 février 1909

11 Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris 18 mars 1909

12 Archives nationales F7 15968. Rapport 18 février 1909

13 Archives de la Préfecture de police Ba 1603. Rapport 17 février 1909

14 Archives de la Préfecture de police Ba 1603. Rapport 18 février 1909

15 Archives de la Préfecture de police Ba 1603. Rapport 25 février 1909

(© D. Petit, 2020, tous droits réservés)

Le lancement de la Mère Peinard. Les déconvenues de Fortuné dans l’appareil de la CGT.

06 dimanche Déc 2020

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Saison 3 : Fortuné Henry, le syndicaliste CGT, fondateur du journal Le Cubilot. Lire l’ensemble des épisodes.
Vingt cinquième épisode. Le lancement de la Mère Peinard. Les déconvenues de Fortuné dans l’appareil de la CGT.

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Fortuné Henry. Album Bertillon septembre 1894. CIRA de Lausanne.

Le 12 septembre 1908, paraît le premier numéro de La Mère Peinard. Reflecs hebdomadaire d’une lavandière. Le journal comporte 8 pages. Fortuné Henry en est le rédacteur principal, la rédaction et l’administration du journal sont chez lui au Parc Saint-Maur. Charles Favier qui avait été à partir d’ août 1896 le gérant du journal La Sociale (Paris, 76 numéros du 12 mai 1895 au 18 octobre 1896)1 animé par Emile Pouget. Ce titre fut remplacé par une nouvelle série du Père Peinard à partir d’octobre 1896 dont C. Favier fut également le gérant. Le contenu de la Mère Peinard est principalement antimilitariste et syndicaliste. Le journal est marqué par les événements de Draveil, l’incarcération des dirigeants de la CGT et le congrès de Marseille. On retrouve la rubriques du Cubilot, « Coups de boutoir » devenue « Coups de battoir ». Le style et le vocabulaire employé (l’argot) sont par contre celui du Père Peinard. Cela ne plaît pas aux Temps Nouveaux2, hebdomadaire anarchiste concurrent : « Vient de paraître, La Mère Peinard, hebdomadaire. Parc Saint-Maur (Seine). Nous aimerions à souhaiter, sans restriction, la bienvenue à tout nouvel organe de propagande.

Loin de croire qu’un nouveau journal soit un concurrent, nous estimons, que c’est un moyen d’activer la propagande lorsqu’il trouve son public.

Seulement, faire de la propagande, c’est élever les esprits, c’est purifier le goût, et nous ne croyons pas que le style de La Mère Peinard rentre dans ce cadre. »

Cliquer ici pour lire le journal en entier.

C’est sous l’inspiration de Pouget, détenu à la prison de Corbeil que la Mère Peinard est crée. Malato, qui devait assurer la publication du journal n’ayant pu le faire, c’est Fortuné qui s’en charge.

Les fonds nécessaires à la publication sont fournis par Pouget, sinon en totalité, du moins en partie.

Pouget pense être acquitté et pense qu’il pourrait être éliminé du premier rang de la CGT, au congrès de Marseille. Il souhaite donc avoir à sa disposition un hebdomadaire, où sous couvert d’anonymat, il pourrait agir contre ses adversaires réformistes ou révolutionnaires, plus modérés que lui.3

Mais depuis l’apparition de la Mère Peinard, Merrheim redouble d’activité contre Fortuné. Il fait tout ce qu’il peut pour le discréditer dans l’esprit des militants. Toutefois Merrheim est contrarié dans sa besogne par Albert Lévy, hostile au nouveau bureau confédéral, dont Merrheim cherche à être l’animateur.

Mais Fortuné très adroit sent la manœuvre contre lui, puisqu’il n’est pas adhérent à un syndicat de la CGT. Il se fait inscrire au syndicat des employés, dont Lévy est le dirigent et espère ainsi se faire déléguer au comité confédéral. Il n’y a pas en ce moment de mandat disponible, mais Fortuné pense obtenir celui de délégué de l’Union des syndicats des Ardennes, actuellement détenu par Merrheim.4

Le 24 septembre 1908, une note de la Préfecture de police sur La Mère Peinard précise : « Ce journal ne paraîtra pas longtemps. Déjà, cette semaine, ses principaux collaborateurs n’ont pas envoyé de copie.

Fortuné Henry enrage et attribue cela à l’influence de certains militants, comme Merrheim. De plus, Fortuné comptait sur ce journal pour vivre. Il a des dettes criardes. Il doit 800 francs à Collongy, de Nancy, qui les réclame instamment ; 600 francs à Taffet qui les exige. On commence à faire courir le bruit qu’il n’a pas quitté Aiglemont sans le sou, mais qu’il ne veut pas payer.

A noter la campagne de sous-entendus de Merrheim et consorts dans les milieux syndicaux. Toutefois, l’énergie de F. Henry est telle qu’il remontera certainement le courant. »5

Le n°2 de la Mère Peinard paraît le 19 septembre 1908.

Après le congrès de Marseille de la CGT qui s’est déroulé du 5 au 12 octobre 1908, Lévy, le trésorier confédéral, auquel la commission de contrôle a voté des félicitations enthousiastes, va se reposer un mois, avec sa femme, chez Fortuné, au Parc-Saint-Maur.

Lévy facilite l’entrée de Fortuné dans les organisations de la CGT : depuis le 14 octobre, F. Henry appartient au syndicat des correcteurs. Cette entrée dans ce syndicat peut paraître étonnante, puisqu’il est franc-maçon et entre dans le même syndicat que Janvion qui mène une campagne anti-maçonnique.

Mais selon un rapport de la Préfecture de police6 : « Fortuné n’attend que le compte-rendu du Convent7 pour sortir de la F :. M :.8 en claquant les portes. Il s’appuiera sur ce qui aura été dit sur l’antimilitarisme. Il est probable que l’entrée de F. Henry au comité confédéral aura lieu dès la première séance, sans doute. Janvion qui possède trois mandats de Bourses du travail, en cédera un (La Rochelle) à F. Henry.

On peut prévoir que, si de telles relations s’établissent entre les deux hommes, Janvion sera documenté pour ses campagnes à venir contre la F :. M :. »

Finalement les dirigeants confédéraux de la CGT sont libérés et Fortuné ne semble pas si heureux de cette victoire qui d’une certaine façon contrecarre son ambition de grimper dans les échelons du syndicat. Il compare cette affaire au procès des Trente9 et montre « le sauve qui peut » général des dirigeants accusés qui « se dégagent des pauvres bougres qui ont fait de l’action à leur instigation. »10

Le 24 octobre 1908, paraît le n°7 et dernier de la Mère Peinard. Il semble que pour Pouget cet hebdomadaire n’avait plus de véritable intérêt avec sa sortie de prison. Il ne reprit pas son poste de secrétaire de La Voix du peuple, mais travailla activement à son projet de quotidien, La Révolution.

La Mère Peinard avait vécu. Au Parc-Saint-Maur, Charles Favier, le gérant de la Mère Peinard est surpris que le journal n’ait pas plus de succès, il reproche amèrement aux compagnons de n’avoir pas goûté cette littérature qu’il trouve supérieure.11

Au mois de novembre 1908, Salives, ancien typographe de la colonie d’Aiglemont, est soldat à la 4e compagnie du 137e à Fontenay-le-Comte. Ayant obtenu une permission de 48 heures, il demande à Fortuné Henry, s’il peut passer au Parc-Saint-Maur. Craignant qu’il n’en profite pour déserter, Fortuné refuse. Son attitude est sévèrement jugée dans le milieu libertaire.12

Le 30 novembre 1908, l’imprimerie du Parc-Saint-Maur a des difficultés financières. Une avance de fonds devait être faite par un F :. M :.  des Ardennes, M. Rossignol, mais celui-ci, sans doute informé par des adversaires de Fortuné, ne donne pas suite à sa promesse. Sans le sou et furieux, Fortuné pense partir dans les Ardennes, avec l’intention de casser la figure aux colons d’Aiglemont qu’il soupçonne de l’avoir dénigré.13

Louis Collongy, typographe à qui Fortuné devait de l’argent, tout juste sorti de prison pour injure à magistrat, rejoint Fortuné à Saint-Maur. Au départ il ne pense pas y rester, puis au début décembre, il change d’avis et décide d’aider Fortuné à exploiter l’imprimerie. Leur situation est précaire. Ils ont du travail, provenant de tout ce qui échappe à l’imprimerie de la CGT, mais ils manquent de fonds pour acheter du papier et des fournitures.14

Grâce à la sympathie inspirée par Collongy dans les milieux syndicaux et à l’entregent de Fortuné, toujours Franc-maçon , le travail finit par arriver et les deux associés espèrent bientôt lancer un journal de propagande anarchiste à tendance syndicaliste.15

1 Bianco : presse anarchiste https://bianco.ficedl.info/article1994.html

2 Les Temps nouveaux 3 octobre 1908

3 Archives nationales F7 15968. Rapport 14 septembre 1908

4 Archives de la Préfecture de police Ba 1602 . Rapport 16 septembre 1908

5 Archives nationales F7 15968. Rapport 24 septembre 1908

6 Archives de la Préfecture de police Ba 1602 . Rapport 15 octobre 1908

7 Assemblée de francs maçons

8 Sigle employé pour désigner la Franc-maçonnerie

9 Procès des anarchistes en 1894, accusés d’association de malfaiteurs.

10 Archives nationales F7 15968 et Archives de la Préfecture de police Ba 1602. Rapport 2 novembre 1908

11 Archives nationales F7 15968. Rapport 7 décembre 1908

12 Archives nationales F7 15968. Rapport 3 novembre 1908

13 Archives nationales F7 15968. Rapport 30 novembre 1908

14 Archives de la Préfecture de police Ba 1602. Rapport 14 décembre 1908

15 Archives nationales F7 12723 . Rapport 22 décembre 1908

(© D. Petit, 2020, tous droits réservés)

La « grève intermittente » de Fortuné Henry : nouveau concept pour rendre possible la « grève générale » ?

22 dimanche Nov 2020

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Saison 3 : Fortuné Henry, le syndicaliste CGT, fondateur du journal Le Cubilot. Lire l’ensemble des épisodes.
Vingt quatrième épisode. La « grève intermittente » de Fortuné Henry : nouveau concept pour rendre possible la « grève générale » ?

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Fortuné Henry. Album Bertillon septembre 1894. CIRA de Lausanne.

Le 21 août 1908, Fortuné se trouve dans les locaux de la CGT, rue de la Grange aux Belles. Devant plusieurs membres du conseil confédéral et Brossard du syndicat des cordonniers, il déclare que dans le cas où les membres dirigeants de la CGT seraient condamnés1, il faudrait « s’assurer des personnes de Clemenceau, Briand et Viviani »2

Le soir, l’Union des syndicats de la Seine organise un meeting à la salle du Libre-Echange, avenue de Clichy, afin de protester contre l’arrestation des principaux leaders de la CGT. Environ un millier de personnes y assistent. Luquet, secrétaire général de la CGT ouvre la séance : « Il s’agit de faire la discussion de la grève générale, de nous convaincre de sa nécessité. »3 Il explique que la dernière grève générale du 3 août a pleinement réussi.

Fortuné Henry au meeting du Libre-Echange. L’Eclair du 3 septembre 1908. Retronews.

Fortuné Henry s’avança pour lui répondre, la barbe soignée, vêtu d’un veston noir, une cravate lavallière dont les plis flottent sur un gilet blanc. Il commence à parler, allant de droite et de gauche, les mains dans les poches. Les idées qu’il développe ont une caractère de nouveauté. On est loin des phrases habituelles et toutes faites des théories de la grève générale, récitées comme une leçon et dont on sait à l’avance ce qui va être dit.

Fortuné ne s’appesantit pas sur les arrestations des dirigeants de la CGT, ni sur la grève de 24 heures. Il propose des méthodes d’actions nouvelles et se fait unanimement applaudir.

Fortuné Henry ne croit pas au succès d’une grève générale. Il préfère des grèves partielles et soudaines, sans motif apparent, dans le genre de la grève de deux heures que firent les électriciens de Paris : « Vous n’avez à la bouche que les mots de grève générale… Etes-vous en état de la faire ? Je réponds : Non ! La grève générale, mais c’est la révolution triomphante. D’ici là ! … Nous ne serons capables de la faire que lorsque nous tous, machines inertes, bêtes de passage au service de la bourgeoisie, aurons pris conscience de tout notre droit, lorsque au lieu de nous amuser à faire de petites grèves de rien du tout, pour obtenir 75 centimes de bénéfice à tout un atelier, nous serons capables d’arrêter le travail à notre heure, selon notre bon plaisir, parce cela nous plaira…

Actuellement, voilà ce qui se passe. Les ouvriers déclarent la grève. Ils apportent un cahier de revendications au patron qui demande un délai pour l’examiner. Pendant ce temps, il met ordre à ses affaires, prend des précautions, et lorsque la délégation ouvrière revient chercher sa réponse, il lève les bras au ciel et répond : « ce n’est pas possible ». Bernés, vous faites grève. L’usine se ferme. L’armée arrive… Puis c’est la misère au foyer, la faim, quelque fois les fusillades. Vous êtes vaincus d’avance.

Est-ce la formule réelle de lutte ? Risquer tout pour rien, est-ce raisonnable ? Il faut que le travailleur arrive à un état de conscience suffisant pour qu’il fasse grève, quand cela lui plaît, sans rien demander et sans explications, en ayant soin que cette interruption de travail corresponde exactement au moment précis où ça presse, où les commandes doivent être livrées… Vous voyez d’ici l’affolement des patrons devant leurs fours éteints, devant leurs camions chargés et laissés en panne, etc. Ils perdront de l’argent ? La Belle affaire ! Qu’est-ce que cela peut nous faire ?

Ils vous demanderont : « Qu’es-ce que vous voulez ? » Vous répondrez : « Rien ! » Ils vous diront : « Pourquoi cessez-vous le travail ? », vous n’êtes pas embarrassé pour répliquer : « Parce que ça me convient » ou « Parce que je suis fatigué » ou « Parce que le beau temps m’invite à la balade » ou « Parce que je suis maître de mes muscles et que rien ne m’ordonne de les faire servir à ton seul profit »

Quand vous vous serez livrés souvent à cette gymnastique, je vous jure que vous pourrez faire la grève générale ! »4

« Les électriciens ont donné un exemple qu’il faut suivre. Préparons donc l’arrêt brusque du travail dans toutes les corporations : au gaz, dans les chemins de fer et transports, dans l’alimentation, chez les typographes, etc., c’est le seul moyen d’arriver au résultat que nous poursuivons. Soyons tenaces et surtout pas de défaillances. » Ce n’est pas qu’il condamne la grève générale. Il estime, au contraire, que tel doit être l’objectif constant du monde des travailleurs. Seulement, pour y atteindre, il faut une préparation patiente, un entraînement de tous les jours, des «grèves intermittentes », habilement choisies comme celle des électriciens qui donnent aux ouvriers conscience de leur force véritable, en quelque sorte sans risque. « Ce n’est que le jour où le prolétariat dans son ensemble, ayant une notion exacte de son droit et la ferme volonté de l’imposer, que la grève générale pourra se faire avec succès. Jusque-là, ce n’est que fantasmagorie pure, entraînant à sa suite, si l’on veut passer de la théorie à la pratique, la misère au foyer, la faim, quelquefois les fusillades ». 5

– Si vous arrêtez subitement toute la vie industrielle et commerciale, a demandé un auditeur, comment ferez-vous pour manger ?

  • Comment avez-vous fait le 15 août ? à répondu Fortuné Henry. »6

A l’issue du meeting, il apparaît que Fortuné peut fort bien devenir, l’un des nouveaux dirigeants de la CGT, les anciens se trouvant emprisonnés et leurs remplaçant n’ayant pas une envergure personnelle suffisante.

Le journal l’Eclair7 remarque cette inflexion possible de l’orientation de la CGT, avec l’arrivée de ce potentiel nouvel animateur syndical, pouvant combler la place des syndicalistes emprisonnés : « Il nous a paru utile de connaître, autrement que par les périodes d’un discours de réunion publique, ce qu’est la tactique qui risque de succéder à celle des Griffuelhes et des Pouget. On ne combat bien que ce qu’on connaît bien. Nous avons demandé à M. Fortuné Henry un exposé des idées qu’il veut introduire à la C. G. T., et ce qui sera opposé à la grève générale dont nous avons vu d’incohérents essais : la grève intermittente. Il a préféré à une interview une déclaration précise : le document n’en est que plus exact.

Lors d’une entrevue ultérieure avec Fortuné, Maurice Leclercq, journaliste de l’Eclair donne de nombreux détails sur cette rencontre, dans le livre Ces messieurs de la CGT8 : « pour causer il nous entraîna dans son cabinet de travail. Une pièce claire, un bureau massif, à tiroirs, comme on en trouve dans les grandes administrations. Dessus, des lettres, des paperasses, deux cendriers pleins de débris et, dans le devant de l’encrier un cachet à manche d’onyx. Les rideaux, encore à accrocher, étalent dans un coin leur teinte verte. Sur la cheminée quelques photographies, des bibelots, deux vases en plâtre, artistiques et tourmentés. Au mur, dans un cadre, le portrait du frère cadet mort sur l’échafaud ; imberbe, la photographie lui donne un air maigriot et tout fluet.

Fortuné Henry s’assied devant le bureau, dans un fauteuil tendu de cretonne et laqué de blanc. Derrière lui, une bibliothèque, pareillement peinte, laisse voir ses rayons vides. L’anarchiste n’est là que depuis peu de jours ; il emménage.

Du geste, il nous désigne une chaise et, tout en fumant des cigarettes, nous causons :

  • Vous voilà à la Confédération Générale du Travail, maintenant ; comment y êtes-vous venu ?
  • J’en suis, sans en être ; et j’en ai toujours été de cette façon. Pouget est un de mes amis personnels, Griffuelhes aussi ; Lévy, Yvetot, Merrheim, Aulagnier, je les connais tous. Je considère que ce qu’ils font est, au point de vue révolutionnaire, la seule chose qui se tienne en ce moment-ci. Il y a dans les Fédérations, comme dans tout le mouvement syndical actuel, une force que l’on peut et que l’on doit utiliser.
  • Je vous croyais anarchiste et j’avais entendu dire que les anarchistes étaient hostiles au syndicalisme, comme à tout autre enrégimentement.
  • Sans doute, j’ai toujours été libertaire et je le reste ; mais pour les questions de groupement, il y a des accommodements avec les principes (sic).
  • Vous me dites que vous considérez la la Confédération Générale du Travail comme la seule force révolutionnaire à l’heure actuelle. Ne croyez-vous pas que les arrestations récentes lui aient été un fâcheux à-coup, et, pour tout dire, que les hommes qui ont succédé aux arrêtés, à Pouget et à Griffuelhes notamment, soient de taille à mener à bien leur œuvre, en les continuant ?
  • Voyez, vous étiez au meeting du Libre-Echange, m’avez-vous dit. Le mouvement continue sans eux, comme avant.
  • Dans votre discours, vous avez soulevé des points nouveaux, vous avez intéressé la salle et votre manière de conversation à la bonne franquette a paru la conquérir…
  • Oui, je parle comme je pense, tout simplement. Je déteste ceux qui « la font à l’orateur » en cherchant leurs effets et en calculant leurs intonations. Tenez, X… a parlé avant moi, eh bien, je n’ai pas pu rester à l’écouter jusqu’au bout, je suis sorti (sic).
  • Il a pourtant bien tenu son rôle, en défendant les arrêtés auxquels il succède.
  • Ce n’était pas ce qu’il disait, c’était sa manière.
  • Vous trouviez que c’était trop théâtre… Vous avez parlé avec beaucoup plus de simplicité.
  • Quand on a quelque chose à dire, c’est le seul moyen… Je n’avais pas parlé en public depuis cinq ans, le temps où je me suis enfermé à Aiglemont. Sans cela, autrefois, j’avais plus l’habitude. Mais cela a toujours été ma manière de venir aux réunions tel que je suis et d’y parler comme cela me vient…
  • J’en reviens à ce nous disions tout à l’heure. Vous pensez que les arrestations n’amèneront aucun flottement à la Confédération Générale du Travail. Pourtant, il semble que des divisions soient en train de s’y produire.
  • Croyez-vous ?
  • Au Libre-Echange, tels orateurs qui vont ont succédé ont reproché aux arrêtés « leur couardise et leur peur des responsabilités », disaient-ils. Et les mêmes, ont accentué encore la note, le 29 août, aux Sociétés savantes, jusqu’à esquisser une déclaration de guerre contre Luquet et les nouveaux chefs.
  • C’étaient des anarchistes : ce ne peut être autrement. Vous assistiez certainement à ce meeting… Eh bien, rappelez-vous la composition de l’auditoire. Ils devaient être deux ou trois cents. Je les connais bien. Cette attitude chez eux date de toujours.
  • Et qu’en pensez-vous ?
  • Je la désapprouve. Sans avoir tout à fait les mêmes idées que nous, les chefs de la CGT que l’on a arrêtés, menaient le même combat. Et puis, ce n’est jamais le moment de taper sur les gens, quand ils sont en prison. C’est faire le jeu de nos adversaires.
  • En même temps que les anarchistes, les éléments réformistes de la Confédération Générale du Travail se remuent aussi. Ils voudraient reprendre la direction… C’est ainsi qu’ils demandaient la révision des statuts confédéraux au congrès de Marseille et l’établissement de la représentation proportionnelle dans les syndicats.
  • Et le Congrès a repoussé leur demande par 741 voix contre 138 !
  • Mais cette idée peut être reprise : à Marseille ne l’était-elle pas déjà puisqu’on on avait discuté à Bourges.
  • C’est possible. Mais, en outre que les révolutionnaires demanderaient alors la représentation des minorités, impossible à leur refuser (ce qui diminuerait notablement le succès des réformistes, car leurs syndicats, nombreux en adhérents, possèdent tous de fortes minorités révolutionnaires) ; cela ne saurait avoir d’importance. 

Je sais qu’à la CGT, il y a quelques révolutionnaires qui accepteraient de rendre aux réformistes le gouvernement de la confédération. Moi-même, je souhaite que cela arrive et j’y vois un grand avantage.

  • Comment ?
  • Si les réformistes et les modérés prenaient la direction de la CGT et s’installaient au bureau, les éléments révolutionnaires resteraient toujours, placés derrière eux, pour les pousser. Vos réformistes devront marcher ensuite, et aussi loin que s’ils étaient révolutionnaires ; plus même, parce qu’on les talonnera. Ils devront faire, eux-même, ce qu’ils voudraient empêcher, tandis que les autres resteront à couvert.
  • Vous voulez dire qu’en cas de poursuites et de nouvelles arrestations, ce seraient les réformistes, ainsi mis en façade comme tampon, qui trinqueraient, tandis que votre état-major, plus actif, resterait intact.
  • Oui.
  • Et c’est dans ce sens que vous comptez exercer votre influence à la CGT, puisque vous y voici maintenant ?…
  • Mais je n’y ai aucune fonction.
  • Sans doute, mais mettons que vous y venez en auxiliaire, comme un allié…
  • C’est cela.
  • Eh bien, ma question reste entière. Qu’y comptez-vous faire ?
  • J’ai, là, une théorie très personnelle… Il y a d’abord la propagande antimilitariste qui est actuellement à continuer et à pousser activement même ; parce que, voyez-vous, tant qu’il y aura des soldats en face de nous, nous ne sommes pas encore en nombre suffisant pour faire la Révolution, ni la grève générale qui serait encore la révolution, ni même une grève partielle intéressante.
  • Vous condamnez donc momentanément l’idée de grève générale et même de grève partielle ?
  • Non. Je trouve en principe, très belle et parfaite, l’idée de grève générale. J’ajoute seulement que nous ne sommes pas outillés pour la faire, pour le moment. En attendant, nous devons trouver un moyen d’y suppléer, et de nous y préparer, en nous entraînant.
  • Mais ne disiez-vous pas aussi qu’on ne peut pas actuellement faire de grève, même corporative, intéressante ?
  • C’est qu’on les fait mal … Notez que ne dis pas de mal, en principe, des grèves corporatives ; c’est jusqu’ici le seul moyen que l’ouvrier possède pour essayer d’améliorer son sort ; ce qui est chez lui, même à côté de la révolution à faire, un désir très légitime et la grève corporative lui a permis d’y réussir quelques fois. Je déplore seulement que l’instrument soit si imparfait et je souhaiterais l’améliorer.
  • Comment l’améliorerez-vous ?
  • Par la grève intermittente… Comprenez moi bien. Qu’est-ce qui se passe d’ordinaire ? Les ouvriers d’une usine ont des revendications à présenter à leur patron. Ils nomment d’abord une délégation qui va le trouver. C’est un moyen détestable. Le patron demande huit jours pour « réfléchir» ; on accepte. Pendant ce temps-là, le téléphone et le télégraphe marchent ; on met en main les commandes les plus pressées ; des ballots de marchandises partent. Et quand, le huitième jour, les ouvriers reviennent chercher la réponse, le patron prend des airs confus pour leur dire : « J’aurais bien voulu, mais la concurrence… j’ai fait le calcul ; non, vous comprenez. Impossible. Je regrette, mais je ne peux pas. »

On se met alors en grève en criant très fort. Mais le patron est paré. Il a le temps d’attendre, tandis que le sous-préfet, prévenu d’avance, envoie des gendarmes dès le premier jour, et de la troupe à la première manifestation. La grève traîne lamentablement, et finalement échoue. C’était immanquable.

  • Et le remède, le moyen à employer au lieu de cela ?
  • Je vous le disais : la grève intermittente. Plus d’avertissements préalables ; la grève à l’improviste, comme les électriciens.

Cran… Tout d’un coup, les ouvriers de l’usine quittent le travail. Le patron accourt : « Pourquoi avez-vous arrêté de travailler ?

  • Parce que ça nous fait plaisir !
  • Et vous reprendrez le travail ?
  • Quand cela nous fera plaisir.

On reprend le travail une heure après, ou bien, indifféremment, huit jours plus tard. Et l’on recommence la semaine suivante, à moins que ce soit le lendemain…

Au bout de trois fois, le patron sera affolé… Il accordera tout ce que l’on voudra. Et, en même temps, les ouvriers, en se persuadant expérimentalement de leur puissance et de leur indépendance, auront avancé la possibilité de faire la grève générale et la révolution sociale de demain.

  • Et vous comptez répandre cette idée de la « grève intermittente » dans les milieux de la CGT ?
  • D’abord par une brochure que je vais publier et où j’expose mon système. Ensuite par mon journal, puis par des conférences comme celle que j’ai faite au mois d’août à l’avenue de Clichy. Enfin, je compte que les chefs de la CGT, qui sont mes amis et qui commencent à comprendre l’importance de ma théorie, quand ils seront convaincus de tout ce qu’elle peut donner, m’aideront à la répandre.
  • Le fait pour la Confédération Générale du Travail de l’adopter comme moyen de combat, supposerait qu’elle abandonne alors ses méthodes actuelles, pour la lui substituer… Ce serait alors pour vous, prendre de fait la direction de la CGT et la place qu’occupait hier, à sa tête Pouget.

Fortuné Henry leva les bras au ciel, dans un air de profond étonnement :

  • Je n’ai aucune ambition personnelle, absolument aucune ! Je lutte pour des idées, moi. Peu importe même que d’autres me les prennent. S’ils les faisaient triompher, il me serait indifférent que ce soient eux qui en aient le bénéfice moral, au lieu de moi.
  • Cas improbable, cher monsieur… Si votre idée triomphe, nous irons vous interviewer un jour, les uns ou les autres, dans l’ancien bureau de Griffuelhes, à la CGT.

Fortuné Henry se leva, agitant encore les mains, et cela mit fin à notre conversation.

Elle avait duré longtemps : plus d’une heure et demie. »

Le 22 août 1908, Merrheim se dispute avec Luquet, à propos de Fortuné Henry dont Luquet a favorisé l’introduction à la Confédération et à l’Union des syndicats. Il semble que Merrheim craigne que la concurrence de Fortuné puisse entraver son projet de remplacer Griffuelhes comme secrétaire de la CGT, si celui-ci était condamné. La discussion a lieu devant une demi-douzaine de militants. Merrheim reproche à Fortuné d’être arrivé à la réunion du Libre-Echange, les poches bourrées de prospectus annonçant l a parution de la Mère Peinard le 12 septembre. Selon lui, Fortuné ne cherche à s’introduire à la CGT que pour y diffuser son journal. Il reproche également à Burglin d’avoir accepté de collaborer à la Mère Peinard. Burglin répond qu’il a accepté de participer à un projet de revue bi-mensuelle qui a ensuite été abandonné.9

Fortuné s’est fixé durablement au Parc Saint-Maur où il installe l’imprimerie avec les machines venant d’Aiglemont. Sa villa comporte une avant-cour avec un jet d’eau au milieu d’un bassin, des allées de gravier, quatre bosquets d’angle donnent l’illusion d’un parc. A l’arrière se trouve un verger d’arbres fruitiers. L’imprimerie est installée dans une ancienne serre. Avec l’aide de deux compagnons, il réinstalle l’imprimerie de la colonie d’Aiglemont, afin de procéder au retirage de la brochure Lettres de pioupious. Il a l’intention de faire paraître La Mère Peinard dès le 19 septembre.10

Le 27 août 1908, Merrheim et ses amis continuent leur campagne contre la Mère Peinard et Fortuné. Ils l’accusent de mener « une combinaison malpropre » et citent le Cubilot qui devait « tout avaler » et finit bien drôlement au moment des grèves de Revin, alors qu’il aurait pu justifier son utilité. »11

Notes :

1 A la suite des événements de Villeneuve-Saint-Georges, le 31 juillet, le parquet de Corbeil émet un mandat d’arrêt contre une trentaine de responsables de la CGT.

2 Archives de la Préfecture de police Ba 1602

3 Le Figaro 22 août 1908

4 La Lanterne 24 août 1908

5 Le Temps 23 août 1908

6 L’Aurore 22 août 1908

7 L’Eclair 3 septembre 1908

8 Ces Messieurs de la C.G.T.: profils révolutionnaires par Maurice Leclercq et E. Girod de Fléaux. Société d’éditions littéraires et artistiques, 1908

9 Archives de la Préfecture de police Ba 1602

10 Archives nationales F7 15968

11 Archives de la Préfecture de police Ba 1602

(© D. Petit, 2020, tous droits réservés)

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Des proches de l’Essai volent 10.000 francs chez un dentiste. Fortuné Henry quitte la colonie d’Aiglemont et s’installe au Parc Saint-Maur

08 dimanche Nov 2020

Saison 3 : Fortuné Henry, le syndicaliste CGT, fondateur du journal Le Cubilot. Lire l’ensemble des épisodes.
Vingt troisième épisode. Fortuné Henry quitte la colonie d’Aiglemont et s’installe au Parc Saint-Maur.

Fortuné Henry. Album Bertillon septembre 1894. CIRA de Lausanne.


Une mauvaise entente entre colons d’Aiglemont s’est installée depuis un moment mais un autre événement précipite la chute de l’Essai. Ce sont deux proches de la colonie qui y viennent régulièrement assister aux conférences ou manger à l’Essai, qui vont causer la chute et amplifier les divergences.

Le dimanche 7 juin 1908, Camille Thiry, menuisier et Pierre Paret, ajusteur-mécanicien, se rencontrent à 11 heures à l’Union des syndicats, rue Victoire Cousin, sont également présents Louis Bara, Alphonse Taffet, Ferrette et d’autres syndicalistes de l’Union. Thiry et Paret emportent un paquet d’affiches intitulées « Gouvernement d’assassins » pour les coller en ville le soir même.1

Lire le texte de l’affiche ici

Ce jour de la Pentecôte, à la colonie d’Aiglemont, Fortuné, le Russe, Couca, l’Américain, Samuel Lefèvre, Adrienne Tarby et Mme Berthe sont bien occupés, montrant qu’ils n’accordent aucune importance aux fêtes religieuses. Entre 15 h et 17 h, Vermorel dit « Couca » ou « l’Espagnol » et Lefèvre sèment des betteraves. Des compagnons de Nouzon, dont Emile Roger, en visite, viennent discuter avec Lefèvre et les regardent travailler un moment. Toute la journée du dimanche passe en divers travaux agricoles, jusqu’à 17 ou 18 heures.

Vers 20 h 30, Lefèvre, Mme Berthe, « le typographe » et « l’américain » partent alors au bal dans le village voisin de Neufmanil, Mme Berthe danse avec « le typographe ». Ils rentrent vers 23 heures.

Le lendemain, 7 juin 1908, M. Thiéry, dentiste à Charleville se rend avec sa famille, passer la soirée salle du Gymnase où a lieu une séance de cinématographe. Lorsqu’il revient chez lui, à minuit, rue Forest, il constate qu’on s’est introduit chez lui et que 10.000 francs ont été volé dans son secrétaire.

Le voleur a escaladé une terrasse et brisé la vitre d’une porte-fenêtre, puis il est allé directement, en passant par plusieurs pièces, au secrétaire renfermant l’argent.

M. Thiéry fait connaître au juge d’instruction Garnier, que Camille Thiry, avait travaillé chez lui pendant un certain temps lors de la réparation de son secrétaire et qu’il savait qu’il y enfermait de l’argent.2

L’information judiciaire ouverte permet d’établir que Thiry a surveillé la famille du dentiste au abord du cinématographe, pour s’assurer que la famille Thiéry va y passer la soirée et qu’ensuite il passe voir Joseph Paret avec lequel il reste jusque tard dans la nuit.

Plan des lieux de l’affaire du vol. Zoomer sur le document ici. Archives départementales des Ardennes 3 U 2385.

Un fragment de vitre, provenant de la fenêtre fracturée et portant des empreintes de doigts est envoyée au service anthropométrique de Bertillon à Paris qui confirme qu’elles correspondent à celles de Paret.

C’est Paret qui s’est introduit chez le dentiste pour voler, avec la complicité de Thiry qui lui fournit les renseignements nécessaires sur la disposition des lieux.

Le 8 juin 1908, lundi de Pentecôte, une perquisition a lieu chez Camille Thiry, pour trouver le butin du vol, à cette occasion des affiches « Gouvernement d’assassins » sont saisies mais aucune trace du butin. Thiry est laissé en liberté. Pour une raison inconnue (est-ce pour cacher l’argent volé?), il décide d’aller à vélo à Puissemange en Belgique, en passant par Gespunsart, Neufmanil et le Petit Sabot l’auberge située près de la colonie d’Aiglemont où il vient pour assister à une conférence de Fortuné Henry l’après-midi.

Le même jour, Pierre Paret se rend au siège de l’Union des syndicats des Ardennes, rue Victoire Cousin. Vers 11 heures avec Alphonse Taffet et Louis Bara, ils partent à pieds pour la colonie d’Aiglemont. Ils y arrivent vers 13 heures.

Thiry arrive à la colonie d’Aiglemont alors que tous les colons sont à table à l’extérieur de la maison en fibrociment. Il paraît préoccupé, au point que Lefèvre se demande s’il lui est arrivé quelque chose. Lefèvre quitte la table, s’approche de lui et l’interroge, Thiry lui répond qu’il vient d’être perquisitionné. Lefèvre lui dit que ce n’est pas une raison pour être impressionné de la sorte. Thiry rétorque : « J’ai déjà été condamné, je crains de l’être à nouveau, bien que je sois innocent. J’ai une femme, des gosses que j’aime bien. » Après cette discussion à l’écart, Lefèvre reprend sa place et Thiry vient s’installer en bout de table

Lefevre part alors en vélo à Charleville une demi-heure ou une heure plus tard, pour « consoler » Mme Thiry pour laquelle il semble avoir une certaine attirance et bien sûr sans rien en dire au mari. Il trouve Mme Thiry en pleurs et lui dit que son mari est à la colonie et qu’il va revenir. Il rentre à la colonie vers 18h ou 18h 30.

Pendant ce temps Thiry se repose dans l’herbe de son voyage en Belgique. Il discute avec Roger de Nouzon et Rigaut de Deville.

Thiry et Paret, se mettent à discuter de la perquisition qui vient d’avoir lieu le jour même chez Thiry et des affiches saisies par la police. Paret répond : « Tu n’as pas de bile à te faire, les affiches n’ont pas été posées. Si on te dit quelque chose, tu diras que c’est moi qui les ai apportées. » Taffet, pour sa part, s’étonne même que Thiry ne lui adresse pas la parole, alors que la veille, il lui a remis un paquet d’affiches à coller.

Pendant ce temps Fortuné fait la sieste. Adrienne Tarby vient le réveiller vers 15 h 30, pour faire la conférence qui avait été annoncée.

Avant la conférence de Fortuné, Thiry prend une tasse de lait, il entend Fortuné qui invite Paret à rester à souper. La conférence a lieu en plein air entre la maison d’habitation et l’imprimerie, une soixantaines de personnes y sont rassemblées. Elle dure une heure et demie à deux heures puis on chante. Sa causerie terminée, Fortuné emmène les spectateurs voir l’imprimerie et la fait fonctionner.

Thiry repart en vélo vers 18 ou 19h. Les colons se mettent à table à l’intérieur, pour souper.

De son côté, Paret reste à la colonie. Il y chante, se promène dans les bois, mange avec eux et vers 22 heures rentre à Charleville. Il est minuit lorsqu’il arrive chez Camille Thiry, celui-ci lui remet un paquet contenant un revolver que Paret a l’habitude de porter sur lui, même lorsqu’il se rend à l’Essai.

Le 11 juin le juge d’instruction, précédé de cinq gendarmes,3 vient interroger Fortuné à la colonie et perquisitionne sa chambre, son coffre, la salle commune et l’imprimerie, sans trouver l’argent volé chez le dentiste. La perquisition semble assez bienveillante, tous les bâtiments ne sont pas visités.

Fortuné explique au juge Garnier que Thiry et Paret ne lui ont remis aucun paquet le lundi 8 juin.

Seulement 10 jours plus tard Fortuné quitte définitivement Aiglemont.

Le 21 juin 1908, il arrive chez son frère qui est fruitier, Grande rue à Brévannes, le préfet de Versailles, dans un télégramme4, lui prête l’intention de venir se fixer dans les environs.

Le 20 juillet 1908, une note du Préfet de police indique que « des dissentiments entre Fortuné et les autres colons, notamment avec le russe Mathieu qui lui reprochait d’être autoritaire, le fondateur après avoir vendu le matériel agricole, vient de s’installer à son compte à Brévannes, comme imprimeur. Il emporte, en quittant la colonie, le matériel d’imprimerie. »5

Le juge d’instruction Garnier, de son côté, considère que le départ de Fortuné Henry, peut être de nature à faire supposer que l’ argent du vol chez le dentiste a pu servir à cette émigration, mais il n’en n’a aucune preuve. Il est vrai que le transfert de l’imprimerie des bois d’Aiglemont vers la région parisienne n’est pas une mince affaire.

Quant à Lefèvre, il quitte la colonie, le 27 juin 1908, pour se rendre à Nancy, n’étant plus en « communion d’idées » avec Fortuné, à cause de « son attitude envers certains camarades. »

Selon Lefèvre  « la seule raison de la dislocation de la colonie est un manque d’harmonie entre les colons »

Le 1er août 1908, il ne reste à Aiglemont que Vermorel, le Russe est descendu à Charleville. Fortuné, l’Américain, Adrienne Tarby et Mme Berthe ont quitté l’Essai. Le juge d’instruction qui se présente à la colonie pour les interroger ne peut entendre que Vermorel. Il s’agit pour lui de vérifier l’alibi de Lefèvre, à l’époque inculpé dans l’affaire du vol chez le dentiste6

Début août 1908, Fortuné s’installe au Parc Saint-Maur (quartier à Saint-Maur-des-Fossés. Val-de-Marne). Le 4 août 1908, le commissaire de police de Nouzon signale au juge d’instruction que la colonie d’Aiglemont a évacué sur la maison Maudière-Jeunehomme, anarchiste de la localité, une « partie de son personnel et de son mobilier, notamment une vache et un baudet. »

Dès le 15 août 1908, Fortuné vient tous les jours à la CGT à Paris. Il essaie d’y récolter des commandes des commandes pour son imprimerie et semble également vouloir intégrer la direction du syndicat, malgré la défiance de Merrheim à son égard. Il a donc attendu que Merrheim soit parti pour quatre jours en tournée dans le Nord et le Pas-de-Calais, « pour manœuvre et il est parvenu à séduire Alexandre Luquet, qui lui a demandé de venir prendre la parole dans une réunion dans le XVIIIe arrondissement. » Le 17 août, à son retour, Merrheim fustige la maladresse de Luquet qui s’excuse, mais les affiches sont déjà posées et « si compromettantes que paraisse à certains militants la présence, comme orateur de F. Henry, dans une réunion confédérale, il faudra bien le subir. »7

Notes :

1 3 U 2385 Archives départementales des Ardennes (lorsqu’il n’est pas mentionné une autre source, les informations de ce chapitre proviennent de ce dossier)

2 Le Petit ardennais 28 novembre 1908

3 Petit ardennais 13 juin 1908

4 Archives nationales F7 15968

5 Archives nationales F7 15968

6 Lefèvre sera finalement disculpé. Au procès en cour d’assises le 27 novembre 1908, Paret sera condamné à 5 ans de travaux forcés et Thiry à 20 ans de travaux forcés avec relégation.

7 Archives nationales F7 15968

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Fortuné Henry et Taffet en prison

01 jeudi Oct 2020

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Saison 3 : Fortuné Henry, le syndicaliste CGT, fondateur du journal Le Cubilot. Lire l’ensemble des épisodes.
Vingt deuxième épisode. Fortuné Henry et Taffet en prison

Fortuné Henry. Album Bertillon septembre 1894. CIRA de Lausanne.

La situation n’est guère brillante en ce début d’années 1908, pour les anarchistes et syndicalistes révolutionnaires des Ardennes. Le Cubilot et Le Communiste sont disparus. Par contre à l’autre extrême de l’échiquier politique est apparu depuis septembre 1907 un nouveau journal bimensuel, soutenu par le patronat : Le Pilori, journal antirévolutionnaire. Il s’affirme comme l’organe des groupements ouvriers de l’Union des travailleurs libres des Ardennes. Sa devise ne laisse place à aucune ambiguïté : « Les meneurs de grève sont des artisans de misère ; c’est pourquoi nous les combattons.1 » Son langage est encore plus virulent que celui de la Dépêche des Ardennes.

Document archives départementales des Ardennes

Le journal évoquant la tournée de conférences de Gabrielle Petit dans les Ardennes, la qualifie de « mégère à la panse rebondie », Lefèvre, le syndicaliste revinois c’est « le plus sombre crétin de la bande qui aurait dû fuir déjà la ville qu’il a ruinée, si son intelligence oblitérée lui permettait de comprendre quel sentiment de mépris sa paresse luisante et sa fainéantise engraissée inspirent à ses anciens camarades d’atelier » Quant à Taffet, le Pilori le décrit ainsi : « Taffet appartient à cette race spéciale de travailleurs dont la spécialité est de ne jamais travailler, la destinée, au lieu d’un poil, l’ayant fait naître avec une perruque dans la main. Produit d’un spermatozoïde incomplet, cet homoncule embryonnaire avait pourtant été doué par la nature d’un gosier prodigieusement en pente qui lui permettait d’ingurgiter facilement dans sa journée un nombre incalculable de pernods et de pecquets »2

La disparition des journaux anarchistes laisse le champ libre aux pires attaques ad hominem.

Le 4 décembre 1907, Fortuné avait été condamné à 15 jours de prison, pour avoir frappé un conducteur de tramway. C’est au mois de janvier 1908 que cette peine s’applique, il est incarcéré à la prison de Charleville. Il profite de cette période d’inactivité forcée pour rédiger le texte d’une nouvelle brochure : « Grève et sabotage. 1. La grève intermittente. »

Début janvier 1908, 75 ouvriers mouleurs de l’usine Hénon se mettent en grève suite au renvoi d’un mouleur « pour cause de défaut de production.3 » Lors d’une réunion à la Manufacture, en solidarité avec les gréviste, Taffet, secrétaire de l’Union des syndicats fait un appel à la solidarité et proclame l’utilité des syndicats. Une quête est effectuée qui s’ajoute à celles déjà faites en ville et dans les usines en faveur des ouvriers sans travail.

Le 22 janvier 1908, Taffet et Louis Bara, ouvrier lamineur comparaissent devant le tribunal correctionnel de Charleville, pour répondre d’une altercation qui s’était déroulée le 29 décembre 1907. Le garde champêtre de Mohon, voyant le café Lamblot ouvert après l’heure, verbalisait le patron et plusieurs consommateurs. Parmi ceux-ci se trouvaient Taffet qui l’insulta et le traita de « paresseux, crève de faim » et Bara qui tint le même genre de propos. A l’audience Taffet affirme que la police n’est d’aucune utilité.

Tous deux sont condamnés à trois jours de prison et à 25 francs d’amende. 4Taffet en quittant la salle, murmure : « Merci pour le tarif 5»

Le 24 janvier 1908, Taffet donne rendez-vous, vers 18 heures, aux grévistes près de l’usine Hénon, pour assister à la sortie des ouvriers non grévistes. Montrant du doigt l’usine, il s’écrie : « A ceux-là nous administreront une fessée. » Le commissaire de police arrive et demande à Taffet de disperser les manifestants. Un cortège de 120 personnes se forme qui se dirige vers la place Ducale où il se disloque après un discours de Taffet.6

Le 25 janvier 1908, les grévistes se réunissent rue du Petit-Bois. Un barrage de gendarmerie est établi au pont du chemin de fer. Les manifestants voulant passer sont dispersés. 150 ouvriers se réunissent alors place Ducale. A 19 heures, le commissaire de police escorté d’une dizaine de gendarmes et d’agents fait refluer la foule dans les rues adjacentes. Entre temps, Taffet est arrêté au Petit-Bois et mis à la disposition du procureur de la république qui le fait écrouer. Il lui est reproché d’avoir proféré des menaces la veille contre un débitant qui loge des non grévistes.7

L’arrestation de Taffet est décrite dans le détail par la Dépêche des Ardennes : « au tournant d’une allée, accompagné de quelques acolytes, nous apercevons le farouche libertaire, immédiatement averti, le commissaire de police s’avance au devant de l’homme.

  • Vous êtes bien monsieur Taffet ? Suivez-nous !

Et nullement émotionné, la cigarette aux lèvres et les mains dans les poches, le distingué secrétaire s’en va à pas comptés, escorté de quelques agents.

C’est l’heure de la sortie des usines du quartier ; les ouvriers, mis au courant du fait, se précipitent pour escorter cet illustre maître, mais aussitôt les agents de police et les gendarmes barrent la route et refoulent avec peine le flot des ouvriers.

Des murmures s’élèvent dans la foule, mais devant l’attitude énergique de la police, la masse se disperse dans les rues voisines.

Taffet entre au commissariat et monsieur le commissaire commence son interrogatoire.

Cependant la foule parvient à rompre le cordon des agents et, se portant place Ducale, alla se masser autour de la statue de Charles de Gonzague. L’Internationale fut entonnée mais les gendarmes firent circuler et évacuer la place aussitôt. »8

Contrairement à ce que laisse entendre La Dépêche des Ardennes et le Pilori, Taffet n’est donc pas isolé et rejeté par la classe ouvrière, la manifestation spontanée des ouvriers à la sortie du travail, pour protester contre son arrestation en est la démonstration.

Le 29 janvier 1908, une conférence est organisée par l’Union des syndicats des Ardennes dans la salle de l’ancienne Manufacture. Environ 3509 personnes y assistent. Burglin, ex secrétaire du syndicat métallurgiste de la Seine, proteste contre l’arrestation de Taffet et invite les camarades à se grouper. Merrheim, secrétaire de l’Union fédérale des métallurgistes, s’insurge contre l’arrestation qu’il qualifie d’arbitraire et dont il fait rejaillir la responsabilité sur le gouvernement Clémenceau-Briand-Viviani. Faisant allusion à la grève Hénon, il assure que les sacrifices des camarades sauront placer les grévistes à l’abri de la faim et leur permettre de soutenir victorieusement leurs revendications. »10

Le 31 janvier 1908, le comité fédéral de la métallurgie de la CGT désigne Taffet comme délégué régional.11

Rentré à Paris, Merrheim reconnaît que trois femmes sont citées comme témoins à charge contre Taffet.12Selon ces témoins, le 24 janvier 1908, Taffet, accompagné de manifestants se dirigea vers le café tenu par Mme Beauvais, chez qui des ouvriers travaillant à l’usine Hénon, prenaient pension. Taffet prit la parole et déclara, selon la propriétaire de l’établissement : « Les ouvriers qui travaillent actuellement à l’usine Hénon et qui se trouvent en pension dans une maison proche, il faut à tout prix qu’ils soient renvoyés, sans quoi cette maison sautera »13

L’affaire est jugée le 5 février 1908 devant le tribunal correctionnel de Charleville. Taffet proteste contre les dépositions des témoins à charge. Il aurait seulement déclaré : « Il y a ici une maison proche qui héberge des piloris ; nous prévenons les tenanciers que s’ils ne les renvoient pas, nous ne pouvons plus répondre des violences individuelles qui pourront arriver. »14 Le tribunal considère qu’il s’agit d’une menace. Après une délibération d’environ une demi-heure, le tribunal le condamne à un mois de prison.

Le 14 mars 1908, le conseil municipal d’Aiglemont15 prend connaissance d’une lettre de Fortuné et Nicolas Hénon, locataires de terrains communaux au lieu dit « Les Mottes », par bail du 7 janvier 1906, qui demandent de céder leur droit, jusqu’à expiration en 1914, à deux habitants de la commune. Le conseil donne son accord pour cette transaction.

La culture des terres ne semble plus être la préoccupation première des colons qui se débarrassent de ce terrain de 42 ares qu’ils n’ont plus l’occasion d’exploiter eux-mêmes.

Document Archives autonomie.Cliquer sur le lien pour lire la brochure.

En mars 1908 paraît le n°9 et dernier numéro de la série de brochures éditées par la colonie d’Aiglemont : Grève et sabotage. I, La grève intermittente par Fortuné Henry. Écrite pendant son séjour à la prison de Charleville, le titre peut laisser penser qu’une deuxième brochure traitant du sabotage suivra, mais il n’en sera rien. Nous ne saurons pas ce que Fortuné pense du sabotage comme moyen d’action directe des salariés dans les conflits sociaux.

Tenant compte des expériences récentes et des échecs, tant des grèves partielles que de la grève générale, il propose un nouveau moyen d’action, la grève intermittente : « Il nous faut donc trouver la formule nouvelle de conflit qui donne confiance au prolétaire, en même temps qu’elle fasse sentir au patron, affolé, que ses machines sont inutiles si la main du travailleur ne les guide, et qu’enfin la volonté ouvrière peut, si elle le veut, paralyser toute sa force de production et l’activité de son commerce et de ses affaires.

Celle que nous avons trouvée consisterait, au lieu de la réclamation presque toujours refusée, qui est précise autant que péremptoire et qui aboutit à la grève, à ne pas présenter de réclamations, à cesser purement et simplement le travail parce qu’il nous plairait ainsi, pour le reprendre le lendemain ou le surlendemain ; puis, tandis que le patron commencerait à se flatter de tenir encore son bétail dans la main, interrompre le labeur à nouveau, quelques heures, une journée, plus, si on le veut, en ayant soin que cette interruption corresponde exactement au moment précis où ça presse, où les commandes doivent être livrées. »

Dans cette brochure, fort de l’expérience qu’il a suivi de près, de la grève générale à Revin, Fortuné apporte son point de vue sur les débats en cours à la CGT, concernant la grève générale, son efficacité et le recours à d’autre moyens d’actions.

Quant au projet d’un milieu libre de production évoqué par Fortuné dans le n°2 du Communiste est toujours d’actualité, c’est le groupe libertaire qui se charge désormais de promouvoir ce projet.

Selon Le Libertaire du 11 mai 1908, un nom lui a même été trouvé : « MEZIERES-CHARLEVILLE Groupe libertaire. — Rendez-vous est donné a tous les camarades pour le dimanche, 10 mai, à 3 heures de l’après-midi, 31, rue de Tivoli (de l’autre côté du passage à niveau), à Charleville.

Un traitera la question: Le milieu libre, la Preuve.

Très urgent. »

Le Libertaire du 19 avril 1908, publie une annonce du groupe libertaire de Charleville : « MEZIERES-CHARLEVILLE Groupe libertaire. — Les camarades de la région sont avisés qu’une promenade avec déjeuner champêtre est organisée pour le lundi 20 avril 1908 (lundi de Pâques).

Visite à la colonie d’Aiglemont. Chacun apportera une provision de vivres. Rendez-vous a 9 h 1/2 du matin, Café de la Promenade à l’intersection des routes d’Aiglement et de Saint-Laurent.

Le déjeuner aura lieu au « Petit Sabot », à 3h. à la colonie. Conférence en plein air par les camarades F. Henry et A. Bataille16.

La constitution d’un milieu libre de production étant à l’étude les camarades sont priés de venir nombreux à cette promenade au cours de laquelle seront jetées les bases de la future organisation.

Los camarades sont également priés — dans un but éducatif — d’y amener leurs compagnes et leurs enfants. »

A la suite de l’Essai doit donc voir naître la Preuve. Le laboratoire que constituait l’Essai a permis de prouver que le communisme pouvait fonctionner. Il ne reste à la Preuve qu’à le démontrer par son exemple.

Mais un événement inattendu va complètement remettre en cause à la fois la création de la Preuve et la survie de l’Essai lui-même.

La colonie d’Aiglemont fait publier un communiqué dans le Libertaire du 23 août 1908 : « demande un camarade jardinier sérieux » qui peut laisser penser que le développement du maraîchage est de nouveau à l’ordre du jour. Mais il n’en est rien, c’est simplement que la colonie doit faire face au départ de son fondateur Fortuné Henry et qu’un nouveau colon doit le remplacer.

La semaine suivante, Leporoni17 pose sa candidature, sans se douter, probablement de la situation de désorganisation à Aiglemont, le journal s’étant gardé de l’évoquer. Mais dans son édition du 6 septembre 1908, il lui est demandé de passer au journal, sans doute pour lui expliquer ce qui ne peut être publié.

Notes :

1 Histoire de la presse ardennaise (1764-1944) par Gérald Dardart. Arch’Libris Editions. 2009

2 Le Pilori n°12 1er février 1908

3 Le Petit ardennais 6 janvier 1908

4 Le Petit ardennais 23 janvier 1908 et La Dépêche des Ardennes 23 janvier 1908

5 La Dépêche des Ardennes 23 janvier 1908

6 La Dépêche des Ardennes 25 janvier 1908

7 Le Petit ardennais 26 janvier 1908

8 La Dépêche des Ardennes 26 janvier 1908

9 La Dépêche des Ardennes 31 janvier 1908

10 Lettre du préfet des Ardennes 30 janvier 1908. Archives nationales F7 12497 (1Mi 50 Archives départementales des Ardennes)

11 La Voix du peuple 23 février 1908

12 Archives nationales F7 13599. Note du 1er février 1908. La grève des fondeurs de Charleville.

13 Archives nationales F7 13599. Note du préfet des Ardennes du 4 février 1908

14 Le Petit Ardennais 6 février 1908

15 Registres de délibérations du conseil municipal d’Aiglemont 1899-1913. D 6. Archives départementales des Ardennes.

16 Il s’agit du pseudonyme de Burglin

17 Le Libertaire 30 août 1908

(© D. Petit, 2020, tous droits réservés)

Le Communiste remplace Le Cubilot. Le procès de Mounier.

05 samedi Sep 2020

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Saison 3 : Fortuné Henry, le syndicaliste CGT, fondateur du journal Le Cubilot. Lire l’ensemble des épisodes.
Vingt et unième épisode. Le Communiste remplace Le Cubilot. Le procès de Mounier.

Fortuné Henry. Album Bertillon septembre 1894. CIRA de Lausanne.

Document Bnf Jo 12488. Cliquer ici pour lire le numéro complet

Le premier numéro du Communiste paraît le 15 janvier 1908, la présentation du journal ne souffre pas la comparaison avec celle du Cubilot, l’impression est de mauvaise qualité, la première page est à peine lisible, le dessin qui accompagnait le titre est disparu. Alors que le Cubilot est devenu hebdomadaire, le Communiste ne paraît plus que tous les quinze jours.

Bien que les documents n’en apportent pas la preuve, il semble bien que les typographes (Jean Salives et François Dardenne) venus s’installer à Aiglemont pour faire fonctionner l’imprimerie, s’en sont allés. Il ne reste probablement plus que Fortuné, l’apprenti typographe, pour faire fonctionner la presse Alauzet.

En page sept, une partie de la colonne est même remplacée par le communiqué suivant : « Grâce à la température sibérienne dont nous sommes gratifiés (il fait 14 degrés de froid à cinq heures du matin, dans notre imprimerie pendant que nous composons ces quelques lignes), un camarade typographe a accidentellement mis en pâte le paquet de composition qui devait occuper cette place. Nos lecteurs et amis excuseront les défectuosités de ce numéro ; nous saurons les éviter à l’avenir. »

Bien sûr Le Cubilot hebdomadaire ne comportait que 4 pages mais si le Communiste en a le double, le journal est devenu plus théorique et n’a plus guère de lien avec les Ardennes. Fortuné ne se cache plus derrière un gérant de paille, comme l’était Mounier, il occupe désormais officiellement la fonction … et les risques juridiques qui vont avec.

Dans le Communiste, aucune trace de la campagne antimilitariste menée par Le Cubilot, l’absence de Dardenne qui avait marqué ce tournant lors de la fusion avec L’Egalité n’y est probablement pas étrangère.

Avec le Communiste, Fortuné semble vouloir en revenir à son but premier, lorsqu’il fonda la colonie d’Aiglemont : « Ainsi que notre dernier numéro du Cubilot – auquel le Communiste succède – l’a indiqué, nous avons décidé de continuer et de compléter ici le travail de propagande sur un plan quelque peu nouveau, celui des réalisations possibles. »1

Contrairement à ce qu’affirme la Dépêche des Ardennes, les poursuites contre Mounier, le gérant du Cubilot ne cessent pas, bien au contraire, Fortuné n’est pas inquiété puisque Mounier a endossé la paternité des articles les plus antimilitaristes mais le journal de droite extrême poursuit sa campagne de dénigrement dénuée de fondements objectifs : « Poursuivi avec son gérant, pour avoir publié dans son factum anarchiste, un article intitulé Pro Patria, le supérieur de la congrégation libertaire du Vieux Gesly n’a trouvé rien de mieux que de laisser disparaître un journal qui, d’après lui, huit jours auparavant, était en pleine prospérité.

Fortuné Henry n’aime pas les juges. Il ne se gène pas pour le dire, mais il ne veut pas comparaître devant eux et cela se comprend.

C’est pourquoi la presse si généreusement offerte par M. Corneau à l’imprimerie du compagnon Fortuné, publiera le Communiste qui ne différera de la feuille tombée que par le titre. »2

Dans sa haine contre Fortuné, la Dépêche ne comprend rien aux véritables raisons qui conduisent à la fin du Cubilot.

Qaunt à Mounier, il s’était bien présenté à la convocation du juge d’instruction Edmond Garnier le 30 décembre 1907 qui lui avait notifié son inculpation pour les articles antimilitaristes du Cubilot. Le 22 janvier 1908, un huissier remet entre les mains d’Adrienne Tarby, à la colonie d’Aiglemont, la notification de la fin de l’instruction du juge Garnier. Le 10 février s’est encore Adrienne Tarby qui reçoit la notification de l’huissier informant Mounier de son renvoi devant la cour d’assises des Ardennes.

Mais depuis le 25 janvier 1908, Mounier a définitivement quitté la colonie et le 18 février il est condamné par défaut à 3 mois de prison et 500 f. d’amende par la Cour d’assises des Ardennes.

Réfugié en Suisse, il habite depuis début mai 1908, le hameau de La Sarvaz canton du Valais.

Document IIHS Amsterdam. Cliquer ici pour lire la brochure en entier.

En janvier 1908, paraît la brochure n°8 des Publications périodiques de la colonie communiste d’Aiglemont : L’École, antichambre de caserne et de sacristie d’Émile Janvion .4

Document Bnf Jo 12488. Cliquer ici pour lire le numéro complet

Le 1er février 1908, sort le n°2 du Communiste. Dès l’article de Une, la rédaction s’excuse : « Le Communiste ne paraît aujourd’hui que sur quatre pages.

Les raisons qui nous obligent à cet écourtement étant surtout techniques, n’intéresseraient pas nos lecteurs.

Nous nous dispensons donc de les donner.

Nous les prions de nous excuser.

Mais pour les dédommager, nous les informons que le prochain numéro sera accompagné d’une superbe prime qui, nous l’espérons, aura l’heur de leur plaire et qui consistera dans un très beau portrait d’Elisée Reclus. » Les lecteurs du journal ne seront jamais dédommagés puisque ce numéro deux est le dernier. Les difficultés pour composer le journal sont bien réelles et Fortuné ne semble plus capable de publier le Communiste.

Dans l’article « Communisme pratique », il revient sur les buts assignés à l’Essai d’Aiglemont lorsqu’il créa la colonie, ces tentatives pratiques sont un laboratoire pour montrer que le communisme est possible mais il ne faut pas se leurrer, elles ne pourront à elles seules renverser le capitalisme : « On doit se garder de croire que, même multipliés, ces essais puissent avoir au point de vue social au autre rôle que celui d’éducation. Il ne peut venir à des esprits sérieux, l’idée de constituer de toutes pièces et avec des éléments qui, quoique choisis, sont encore fort défectueux, une société d’être raisonnables vivant raisonnablement dans la société de fous où nous vivons. »

Puis Fortuné annonce un nouveau projet, il va se créer dans les Ardennes un groupement de production communiste : « Nous ne sommes pas indiscrets en disant que bientôt les Ardennes verront s’établir un groupement de métallurgistes qui donneront, par le fait, l’exemple de ce que l’on peut faire dans le domaine de la production.

Une industrie à base communiste destinée à la fabrication d’outillage est en passe de voir le jour.

Ce groupement libre fabriquera et certaines fédérations de métier seront dès maintenant les intermédiaires entre ces travailleurs et ceux qui ont à employer les produits de leur fabrication, pour assurer le succès économique de la tentative…Bientôt, nous l’espérons, nous pourrons entretenir nos lecteurs d’une tentative qui les intéressera par ses origines et par le but qu’elle poursuit. »

La fin du Communiste ne nous permettra pas d’en savoir plus. S’agit-il d’étendre et de coordonner des tentatives de créations d’entreprises ouvrières, nées durant la grève générale de Revin ? (les sociétés en nom collectif dites les 20, les 22 et les 40)5

Notes :

1 Article « A l’oeuvre » Le Communiste n°1 15 janvier 1908

2 La Dépêche des Ardennes 10 janvier 1908

3 Cour d’assises 3U 2413 Archives Départementales des Ardennes

4 Réédition d’une brochure déjà parue à La Guerre sociale ([imprimerie de la Colonie communiste « L’Essai » d’Aiglemont] 1907, 31 p.).

5 Historique des mouvements ouvriers à Revin (1891-1914) par Tinel. Collection personnelle.

(© D. Petit, 2020, tous droits réservés)

La fin du Cubilot

08 samedi Août 2020

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Saison 3 : Fortuné Henry, le syndicaliste CGT, fondateur du journal Le Cubilot. Lire l’ensemble des épisodes.
Vingtième épisode. La fin du Cubilot.

Fortuné Henry. Album Bertillon septembre 1894. CIRA de Lausanne.

La plainte du ministre de la guerre contre les articles antimilitaristes du Cubilot suit son cours : le 4 novembre 1907, le procureur de la république rédige son réquisitoire introductif, il estime que l’article « Pro patria », signé Jean Prolo, publié dans la n°35 du Cubilot du 6 octobre 1907 contient des propos antimilitaristes, en infraction avec la loi du 29 juillet 1881, sur la presse et qu’un juge d’instruction doit être saisi.

Le 7 novembre 1907, André Mounier, au titre de gérant du journal est convoqué au cabinet du juge d’instruction Edmond Garnier, pour se voir notifier son inculpation. Mounier reconnaît avoir signé le numéro, comme gérant.

Le 12 novembre 1907, il est convoqué une deuxième fois par le juge d’instruction. Il reconnaît avoir lu l’article « Pro patria » et en approuver les termes. Il déclare être l’auteur de cet article, signé Jean Prolo, alors que ce pseudonyme est utilisé habituellement par Fortuné Henry. Le juge d’instruction Edmond Garnier lui demande alors : « Dire que l’armée reçoit chaque année sa provende de chair fraîche et la rendra dans deux ans sous forme d’alcooliques, de syphilisés, de tuberculeux ou de mouchards, dire que entrer dans l’armée, c’est aller à l’école de la paresse ou de l’ivrognerie. Reconnaissez-vous que c’est un outrage à l’armée ? »

Mounier répond : « Je reconnais que c’est une chose qui est vraie, et c’est pour cela que je l’ai dit et que je l’ai écrit »*

Ces poursuites vont marquer le chant du cygne pour le Cubilot.

Document IISG ZF 10075. Cliquer ici pour lire le journal.

Le 8 décembre 1907, paraît le n° 42 du Cubilot, les conséquences de la grève générale à Revin se font encore sentir, l’Union des syndicats des Ardennes s’y adresse aux travailleurs : « Nous rappelons qu’il y a encore à Revin bon nombre de chômeurs que MM. Les patrons n’ont pas réembauchés à la suite de la grève. Nous prions donc les ouvriers mouleurs et métallurgistes de ne pas se diriger sur Revin pour y chercher du travail. En outre, un patron de Revin a fait construire une fonderie à Signy-le-Petit ; là, il va y avoir besoin de bras, les chômeurs de Revin sont tout indiqués. C’est pourquoi nous mettons à l’INTERDIT Revin et Signy.

N’y allez pas !

Le comité général »

Le journal publie également l’annonce d’une réunion le 8 décembre, du groupe libertaire de Charleville, au café 31 rue de Tivoli, pour discuter de la question d’un local et l’organisation d’une bibliothèque.

Le Cubilot annonce aussi que l’Union des syndicats des Ardennes organise une conférence publique et contradictoire à Givonne, sur le but et l’œuvre de la CGT, par Taffet et sur le thème « Syndicats d’arrivistes et syndicats révolutionnaires » par Fortuné Henry.

Document IISG ZF 10075. Cliquer ici pour lire le journal.

Dans le n°43 du Cubilot du 15 décembre 1907, E. Dantes dans un article intitulé « Solidaires ou fratricides » revient sur l’épineuse question des cotisations à la CGT : au congrès de Mohon en avril 1907, six mois avaient été accordés aux syndicats non encore adhérents à la Confédération, pour régulariser leur situation. Mais les six mois sont écoulés et 16 syndicats s’obstinent à ne pas payer leur cotisation à la CGT nationale, se contentant d’adhérer à l’Union des syndicats des Ardennes. Seuls 18 syndicats se sont mis en conformité avec la décision du congrès.

Le journal annonce également la parution en janvier 1908 d’une brochure de Taffet sur l’Historique de l’Union des syndicats des Ardennes, avec une préface de Griffuelhes.

Archives départementales des Ardennes. 3 U 2413. Cliquer ici pour lire le journal.

Le 22 décembre 1907, paraît le 44e numéro du Cubilot. Le journal nous apprend que la crise de l’automobile frappe les Ardennes : plusieurs entreprises de Charleville licencient des ouvriers, 80 chez Demangel, 24 chez Deville et Paillette. « La coalition patronale trouve en face d’elle désarmée et vaincue la foule des exploités inconscients qui, avachis par des salaires qu’ils ont cru raisonnables, ont refusé de constituer contre l’association des intérêts capitalistes qui s’agite, le bloc de défense des travailleurs. »

L’antimilitarisme s’exprime également dans ce numéro :

A Sedan « le colon du 147e par la voie du rapport ayant appris qu’un soldat avait lu Le Cubilot, entra dans la colère qui sied, et avec le motif pour lui fort grave de propagande antimilitariste, lui colla huit jours de grosse… Mais ce n’est pas tout. On avait autorisé les soldats du 147e à suivre les cours d’espéranto qui ont lieu à la Bourse du travail. Or, a-t-on vu dans ces cours et la présence du Cubilot à la caserne une corrélation, toujours est-il que cette autorisation est retirée. »

Document IISG ZF 10075.Cliquer ici pour lire le journal.

Le n°45 du Cubilot qui paraît le 20 décembre 1907, annonce en une que le journal cesse de paraître pour se transformer : « Depuis dix-huit mois que nous paraissons nous avons mené le combat que nous croyons utile de mener avec méthode et opiniâtreté, encouragé par les nombreux camarades, dont l’aide morale a été pour nous le principal appoint.

Depuis dix-huit mois nous avons fait notre possible pour aider dans leur développement les syndicats de la Vallée et cela parce que nous estimons que c’est dans ces organisations que le travailleur est le mieux disposé à comprendre et à entreprendre le grand combat économique qu’il qu’il faudra livrer à la société capitaliste et bourgeoise.

Sans autres ressources que notre volonté et notre travail, nous sommes arrivés à faire vivre, à maintenir et à développer Le Cubilot, le seul organe du département qui ne soit inféodé à aucun clan.

Communistes, nous avons réussi à monter une imprimerie communiste qui nous permet de faire une propagande de plus en plus intense.

Le Cubilot vit de ses propres ressources et pourrait continuer à paraître tel qu’il est.

Nous avons décidé de l’interrompre ou plus exactement – que nos amis se rassurent – de le transformer ;

Et cela nous l’avons décidé voici pourquoi :

Absorbés par le souci de faire un journal tous les huit jours, qui réponde aux colères et aux rancœurs ouvrières, on se laisse entraîner et on se borne malheureusement à ne faire que de la polémique anti patronale, à dénoncer les abus, à faire plaisir à quelques uns parce que l’on crosse et que l’on cravache des misérables, mais on néglige fatalement l’éducation indispensable qui peut et doit nous conduire petit à petit à réaliser chaque jour des tentatives et des œuvres devenues possibles.

Les bibliothèques manquent, il faut en ouvrir.

Des liens étroits entre producteurs et consommateurs n’existent pas, il faut les déterminer.

Des coopératives à base syndicale et communiste n’existent pas, il faut en créer.

Des groupes de production libre où des travailleurs conscients prouveront par l’exemple, que l’on peut par la volonté déjà et dès maintenant, supprimer l’exploitation, sont à fonder.

Des groupes sérieux d’études sociales, mais des groupes où l’on étudie au lieu de ne s’agiter que quand il y a une élection en perspective, sont à fonder.

Et bien camarades, pour accompagner cette besogne, qui n’est pas celle de candidats à la députation, il faut de la méthode, de la volonté, de la cohésion, de l’abnégation et du temps.

On ne peut tout faire, si on veut faire bien.

L’Union des syndicats des Ardennes est aujourd’hui en belle voie de développement et elle peut suffire à la tâche syndicaliste. Si un organe exclusivement syndicaliste est estimé nécessaire, elle contient dans son sein les hommes et les éléments pour le fonder et le faire marcher.

Et tout en restant syndicalistes-révolutionnaires nous serons en partie déchargés de cette besogne.

La propagande ne saurait donc en souffrir.

Mais il reste à faire celle que nous avons indiquée plus haut pour laquelle il nous faut du temps, beaucoup de temps et des bonnes volontés auxquelles nous faisons appel.

Le Cubilot sera continué par Le Communiste qui sera un journal à huit pages.

Il paraîtra tous les quinze jours, à partir du 15 janvier prochain.

Sans avoir l’allure doctrinaire nous donnerons dans ses colonnes les études et les questions qu’il faut faire et traiter sous peine de nous retrouver dans vingt ans aussi peu avancés qu’aujourd’hui.

Il faut déterminer l’esprit communiste et solidaire pour remplacer l’égoïsme étroit et meurtrier de notre malheureuse société.

Il faut entrer dans la période de réalisations et faire que les cinq années d’efforts faits à la colonie l’Essai d’Aiglemont, ne soient pas perdus.

Peut-être Le Communiste sera-t-il aussi un journal polémique.

Cela dépendra de l’attitude des politiciens qui hypnotisés par le souci d’arriver, n’ont pas craint jusqu’à présent de boycotter, dans les coulisses le Cubilot, qui il faut le dire ne s’en portait pas plus mal.

Cette hypocrisie, cette malhonnêteté nous ne les permettrons plus.

Tous savent, même ceux qui font semblant ne pas le savoir que nous ne faisons pas de politique.

Nous continuerons de ne pas en faire, décidés à poursuivre notre œuvre de travail communiste et à y convier les militants que l’on a trompés et conduits pour se servir d’eux.

De deux choses l’une :

Ou politiquer et duper les camarades assez confiants et assez peu clairvoyants pour vous donner leurs épaules comme marchepied.

Ou poursuivre par voie d’éducation et de réalisation immédiates, l’œuvre de transformation sociale qui doit nous conduire en même temps qu’à plus de bonheur, à plus de justice.

C’est cette dernière que nous choisissons.

« L’ESSAI »

Groupement communiste d’Aiglemont »

Cette fin du Cubilot est assez surprenante, elle marque un tournant important, en abandonnant la propagande syndicalisme révolutionnaire, pour laisser cette tâche à un éventuel journal de l’Union des syndicats des Ardennes1. Les colons d’Aiglemont et plus particulièrement Fortuné qui s’est le plus investi dans cette orientation, estiment que L’Union a désormais les moyens de voler de ses propres ailes. Dès lors il s’agit de revenir au projet communiste de transformation de la société en montrant par des exemples concrets : coopératives, groupes de production libres que cette organisation sociale est possible. Si les coopératives de consommation représentent bien une réalité sociale dans les Ardennes et ailleurs, les groupes de production n’ont aucune existence réelle.

Ce retour aux sources du projet éducatif qui amena à la constitution de l’Essai d’Aiglemont : montrer que le communisme est possible, ne fait toutefois plus référence à la colonie communiste elle-même comme si elle avait déjà cessé d’être un modèle généralisable, il n’est plus question d’essaimer des milieux libres pour progressivement transformer la société mais de créer des coopératives de consommation et de production.

Du côté de la presse de droite la fin du Cubilot marque l’échec des tentatives révolutionnaires dans les Ardennes : « Le Cubilot du baron Fortuné, le fameux organe anarchiste, qui croyait amener la Révolution dans les Ardennes, exhale son dernier soupir. Le testament que ce triste journal a laissé peut se résumer en deux mots : Misère et ruine.

Mais pourquoi disparaît-il ? D’après le Cubilot lui-même, sa tâche est terminée : l’Union des syndicats est assez forte pour voler de ses propres ailes et la baron féodal du Vieux Gesly entend se consacrer à la propagande communiste qui lui permet de vivre agréablement dans sa magnifique propriété d’Aiglemont. Il annonce même la prochaine publication d’une nouvelle feuille destinée à l’aider dans son œuvre.

Mais ce journal coûtera 10 centimes le numéro. C’est cher pour un ouvrier et l’organe communiste ne sera pas à la portée de la bourse des travailleurs. Donc le compagnon Fortuné devient imprimeur, grâce au Vénérable M. Georges Corneau, trouve que le commerce est une bonne chose. Pourtant le prétexte de l’œuvre achevée est-il bien le véritable motif de la mort du Cubilot ? Ne serait-ce pas plutôt la peur des juges et l’horreur des gendarmes ? Étant l’objet de poursuites ordonnées pour ses articles antimilitaristes, a-t-il voulu s’y soustraire et éviter sa comparution devant le tribunal ? C’est bien possible et nous ne serions pas étonné que celui qui prétend ne connaître aucune loi, ai succombé devant la loi. »2

La Dépêche des Ardennes se trompe car Fortuné Henry, s’il est le rédacteur des articles signés Jean Prolo n’en est pas le responsable juridique. C’est André Mounier le gérant, qui a d’ailleurs revendiqué la paternité des articles (pratique habituelle des gérants anarchistes) et c’est lui qui risque de subir les foudres judiciaires. Pénalement Fortuné ne risque rien, la fin du Cubilot peut probablement s’expliquer par d’autres motifs.

Notes :

*Archives départementales 3 U 2413

1 L’Union des syndicats des Ardennes sortira son propre journal Le Travailleur des Ardennes le 2 mai 1908.

2 La Dépêche des Ardennes 31 décembre 1907

(© D. Petit, 2020, tous droits réservés)

Le Cubilot et la tyrannie syndicale.

20 lundi Juil 2020

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Saison 3 : Fortuné Henry, le syndicaliste CGT, fondateur du journal Le Cubilot. Lire l’ensemble des épisodes.
Dix-neuvième épisode. Le Cubilot et la tyrannie syndicale.

Fortuné Henry. Album Bertillon septembre 1894. CIRA de Lausanne.

Archives départementales des Ardennes. Lire le journal ici

Dans son n° 39 paru le 17 novembre 1907, Le Cubilot revient, sous la plume de son gérant André Mounier, sur les poursuites judiciaires engagées contre le journal, dans un article intitulé « Explications simplistes » : « Le Cubilot est poursuivi. Le Cubilot s’est donc rendu coupable de quelque forfait monstrueux ?

Le fait est certain.

Des hommes à figure vénérable, le poil blanchi par le souci d’atteindre une justice à laquelle, sans remords d’ailleurs, ils n’arrivent jamais lui ont dit, au Cubilot :

« Il ressort de la lecture de nombreux articles parus dans vos colonnes que vous poursuivez une campagne nettement antimilitariste. Vous vous êtes livré à des outrages envers les armées de terre et de mer. Pour cela vous êtes poursuivable et punissable. »

Et à sa stupéfaction profonde, on lui lut ce qui aurait soulevé le courroux de la loi.

Ce pauvre petit Cubilot n’en est pas encore revenu. Il affirme tout simplement ce qui est vrai, ce que beaucoup ont l’intelligence de penser, quelques uns le courage de dire et on le gronde, on le menace ; comme on ne peut pas le battre, on le mettra au pain sec dans un noir cachot.

Cette perspective n’ayant rien de particulièrement réjouissant, le Cubilot en toute honnêteté se prit à réfléchir…

Il relut consciencieusement les articles incriminés, se tortura l’esprit pour y découvrir ce qui aurait pu s’y glisser de mensonger, prêt à faire amende honorable s’il s’était trompé…

Mais après ce scrupuleux examen, il fut dans l’obligation envers sa conscience, car le Cubilot a une conscience, de se déclarer ne rien pouvoir comprendre aux observations qui lui avaient été faites puisque ce qui avait été écrit était l’expression de la vérité… »

Dans le même numéro du journal Taffet dresse un bilan d’une tournée de conférences syndicales dans les Ardennes, accomplie par Merrheim : « Avec le camarade Merrheim, de la Confédération Générale du Travail, nous venons de faire dans les Ardennes une tournée de propagande syndicale.

Partout nous avons constaté le même état d’inconscience de la classe ouvrière. Nous avons visité Charleville le 1er novembre, où 150 personnes seulement assistaient à la réunion ; le 2, nous étions à Bourg-Fidèle, là l’avachissement bat son plein, le personnel du bagne Péchenard, courbé sous la férule du maître, n’ose même pas assister à une réunion. Péchanard et Curry peuvent exploiter à merci leurs serfs ne bougeront pas. C’est le comble de la lâcheté ouvrière et notre camarade Quénelisse a la tâche dure dans ce pays.

Le dimanche 3, c’est à Fumay que Merrheim seul, prit la parole à l’issue du congrès des ardoisiers des Ardennes. Cette réunion avait un caractère privé, car les délégués au congrès donnaient un compte-rendu de mandat.

Le 4, nous fûmes aux Mazures, là un peu de réconfort, la totalité des ouvriers d’usines est syndiquée. Les camarades vont persévérer dans leur voie et entrer à la CGT.

Le mardi 4, à Revin, nous avons assisté au compte-rendu financier de la grève et au rapport fait par la commission de contrôle sur la gestion des fonds de grève. Environ 800 camarades y assistaient et après notre conférence faite à l’issue de la réunion syndicale, les camarades affirmèrent leur intention de rester groupés au Syndicat pour les luttes futures.

A Deville le 5, Merrheim et Lefèvre étaient devant un nombreux auditoire qui prouva, en approbations, que le Syndicat était bien compris.

Le jeudi 7, à Vrigne-aux-Bois, peu nombreux étaient les camarades, mais tous furent unanimes à déclarer que l’action confédérale est efficace par ses moyens de lutte.

Vendredi 8, nous fîmes à Vivier-au-Court une très bonne réunion, les camarades y assistaient en masse, et après nous avoir entendu, ils déclarèrent continuer la grève Guillot-Fagot jusqu’à complète satisfaction.

Dimanche 10, nous étions à Braux avec Fortuné Henry. Notre conférence très goûtée des camarades de Braux portera ses fruits… »

Archives départementales des Ardennes.

Cette tournée de conférences de Merrheim ne laisse pas indifférente la presse de droite et en particulier le Pilori qui vient d’être crée en septembre 1907, journal antirévolutionnaire, organe des groupements ouvriers de l’Union des travailleurs libres des Ardennes, soutenu par le patronat paternaliste, dont la devise est « Les meneurs de grève sont des artisans de misère ; c’est pourquoi nous les combattons. »1

Dans son numéro du 11 novembre 1907, Le Pilori donne sa version des conférences de Merrheim : « L’insuccès de la semaine dernière prouve que les ouvriers sont enfin fatigués d’être les éternels dupes de ces exploiteurs de mauvaise foi. Et cependant toute la troupe avait donné. Au programme, Taffet, le microbe alcoolique, le champion des buveurs de péquets2, qui s’est fait une réputation en montant sur les zincs des mastroquets pour y clamer, d’une voix éraillée, des couplets révolutionnaires. Capitaine dans l’armée anarchiste, il est général dans celle des poivrots. »

Fortuné, autre « meneur » désigné par le journal est lui aussi épinglé : « Fortuné Henry, l’agriculteur d’Aiglemont, qui a trouvé le moyen de faire travailler ses terres sans payer de salaire à ses ouvriers et qui, vivant en parasite, a su se faire passer pour un apôtre aux yeux de ceux-là même qu’il exploite. »

Archives départementales des Ardennes. Collection Philippe Decobert. Lire le journal ici

Lors de la parution du n°40 du Cubilot le 24 novembre 1907, André Mounier dans un article couvrant toute la première page, semble enfoncer le clou de l’antimilitarisme dans un article « Ce qu’est l’armée. A une gueule noire » : « On m’a reproché d’avoir écrit que l’armée était pourvoyeuse de syphilitiques, de tuberculeux, d’alcooliques, cela est vrai. Les soirs de bienvenue, n’est-il pas nécessaire de passer la soirée dans des maisons qui, pour être sous contrôle dit compétent, n’en sont pas moins loin d’être hygiénique.

Les gradés d’ailleurs n’en sont-ils pas les piliers au vu et au su de tout le monde ?

Nul ne peut loyalement affirmer que les conditions hygiéniques soient ce que les intéressés prétendent et ils est connu que la caserne est un foyer de tuberculose.

Quant à la qualité des soins reçus, les malades non reconnus, la proportion de ceux qui rentrent dans leurs foyers atteints irrémédiablement, alors qu’ils en étaient partis sinon hercules du moins sains, sont suffisants pour en donner une idée exacte… L’armée est le soutien du capital, comme telle pourvoyeuse de misère, négatrice d’affranchissement.

L’armée est donc l’ennemie du prolétariat organisé, tu juges par là ce que tu dois être et faire. »

En fait Mounier ne critique que des aspects annexes de l’armée, sur ce qui se passe hors des casernes et sur les soins aux tuberculeux. Il évite soigneusement d’appeler clairement à l’insoumission et n’invite pas plus les soldats à retourner leurs armes contre leurs chefs en cas de guerre ou de répression des mouvements sociaux. Ce qui l’aurait placé en infraction avec la loi. Mais comme gérant, il est responsable de tous articles publiés sur le sujet, même s’ils ne sont pas de lui et sa prudence ne lui sera guère utile.

Après la conférence à Braux avec Taffet, Fortuné poursuit par une autre réunion publique contradictoire, organisée par le syndicat des métallurgistes de Signy-le-Petit, adhérent à l’Union des syndicats des Ardennes. Il est toujours accompagné de Taffet, ils traitent de la CGT et du rôle des syndicats.

A Chateau-Regnault, un groupe d’éducation révolutionnaire s’est crée, le samedi 29 novembre 1907, un « camarade » fait une causerie sur la « Lutte de classe et le mouvement syndicalistes. » Des journaux et brochures sont distribuées.

Archives départementales des Ardennes. Collection Philippe Decobert. Lire le journal ici

Dans le numéro 41 du Cubilot, paru le 1er décembre 1907, Taffet réplique aux attaques de la presse de droite, les plus outrancières proviennent du Pilori, mais il se contente d’évoquer à propos de ce journal « une prose absurde qu’il emploie comme feuilleton ». Mais assez curieusement il répond plutôt à un article de l’Usine, journal édité depuis 1891, dont Camille Didier est le secrétaire depuis 1893.3Le journal est éditée par le Syndicat des industriels métallurgistes ardennais. Les arguments avancés par L’Usine semblent aujourd’hui assez recevables, compte-tenu de l’évolution des conflits sociaux. Il s’agit pour le syndicat des industriels métallurgistes de n’accepter des négociations qu’avec les salariés de leur entreprise : « Les ouvriers d’une même usine peuvent réclamer eux-mêmes telle revendication concertée en syndicat ; mais ils ne peuvent forcer le patron à entrer en relation avec leur syndicat qui comprend des ouvriers étrangers à son usine et à discuter avec lui des conditions du travail dans son établissement. Il n’y a aucune atteinte au droit du syndicat dans cette attitude.

C’est son droit strict, mais que ne veulent pas comprendre les meneurs des syndicats, qui veulent, dans leur ambition arriver à être reçus dans toutes les usines, suivant leur bon plaisir, et s’imposer aux patrons auxquels ils prétendent faire la loi. » L’Usine emploie également un argument plus classique : « Les syndicats ne sont bien souvent que des façades. Les reconnaître dans le sens où ils le demandent, ce ne serait que leur donner une investiture qui leur servirait pour accroître leur prestige et leur importance auprès des ouvriers.

La tyrannie syndicale s’exerce en même temps contre les ouvriers indépendants ; nous en avons eu plusieurs exemples récents dans les Ardennes. » Le terme d’ouvriers « indépendants » est à prendre comme un euphémisme quand on sait que les syndicats « indépendants » sont en fait soutenus par le patronat.

Dans sa réponse Taffet réfute toute tyrannie syndicale mais emploie à ce sujet des arguments assez surprenants : « il est de notre devoir de forcer l’indifférent à prendre conscience de son droit et de sa force, pour lutter contre vos agissements inhumains.

Vous jetez des cris de putois parce que nous poussons, nous obligeons même, l’ouvrier isolé à se grouper au syndicat, parce que vous savez que de celui-là il n’y a rien à craindre et vous savez mettre à profit les trop nombreuses divisions qui existent parmi le personnel de vos bagnes. »

Taffet reconnaît non pas une tyrannie mais au moins des méthodes musclées pour développer la force syndicale.

1 Histoire de la presse ardennaise (1764-1944) par Gérald Dardart. Arch’Libris Editions 2009, p. 47

2 Eau de vie de prune.

3 Histoire de la presse ardennaise (1764-1944) par Gérald Dardart. Arch’Libris Editions 2009, p. 33

Document :

Les gréviculteurs des Ardennes

Nous avons le meneur Taffet

Petit microbe alcoolique,

C’est le type le plus parfait

du jouisseur et du cynique

Sans cesse chez les mastroquets

Ce pitre révolutionnaire.

Travaille… à boire des péquets

A la santé du prolétaire.

***

Monsieur Lefèvre de Revin

Est d’une autre catégorie

Moins vadrouilleur que son copain

Il a plus de canaillerie

Il a restreint son ambition

N’ayant pas la foi des apôtres

A s’engraisser comme un cochon

Avec les salaires des autres

***

Voici l’ermite du Gesly !

(Saluez tous : c’est le prophète)

L’illustre Fortuné Henry

Renommé pour être un ascète

Pourtant ce terrible anarcho

Va souvent, quoique libertaire

Chez le millionnaire Corneau

Savourer des spooms au madère

****

Parfois, pour aider ces remparts

Espoirs de la cité future

Soldats des rouges étendards

Il vient de Paris, des doublures

Merrheim, Séraphine ou Blanchard

Que les sociétés ouvrières

Devraient expulser sans retard

A coups de pieds dans le derrière

Léon Raynier

 

Le Pilori du 27 novembre 1907

 

(© D. Petit, 2020, tous droits réservés)

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