Hermann Stellmacher Wien Museum, Inventarnummer HMW 168895/2
Né à Grottkau (Silésie prussienne) en 1864, mort le 8 août 1884, cordonnier, anarchiste à Zürich (Suisse) et à Vienne (Autriche).
Il était déserteur d’un régiment saxon, après s’être enfui d’Allemagne Stellmacher se rendit d’abord à Vevey dès le mois de Février 1880 où il fit la connaissance d’une Bernoise, Marie Herren, avec laquelle il contracta mariage en 1882.
Après avoir été membre de l’Arbeiterverein, il en fut exclu avec d’autres, à cause de ses opinions anarchistes.
Il aurait participé le 17 septembre 1880 – aux cotés entre autres de Kropotkine, Herzig, Elisée Reclus, Otter à une réunion à Vevey (Vaud) où aurait été adopté un programme préconisant l’autonomie des groupes et la propagande par le fait. Cette réunion est contestée par plusieurs historiens.
Stellmacher a été condamné à Vevey, pour escroquerie, à 45 jours de prison et à la privation des droits civiques pendant 5 ans.
Il avait demeuré ensuite à Fluntern, près de Zurich, durant 3 ans, où il était l’un des diffuseurs du journal Freiheit de J. Most.
Il ne vivait pas en bonne harmonie avec sa femme et la maltraitait souvent selon la presse.
A la fin de l’année 1883 Stellmacher déménagea et loua un logement au n° 13 Zurichbergstrasse.
En décembre 1883, peu avant une perquisition, il avait quitté Zurich, laissant femme et enfants .
Sous l’inspiration d’un ancien compagnon de Jean Most, le journal socialiste Der Rebell invita ses lecteurs à créer un « trésor de guerre ».
Kammerer répondit à cet appel. Il était secrétaire d’un cercle ouvrier et, en cette qualité, correspondait avec Stellmacher. Ils se rencontrèrent pour la première fois à Zurich. Là, ils convenaient de commettre un vol dans une pharmacie, pour se procurer de l’argent afin de commettre un meurtre contre la famille impériale.
Arrivé à Strasbourg, ils s’emparaient d’une voiture, is se faisaient conduire hors des fortifications; le cocher leur résista et s’enfuit. A la porte de la ville, le factionnaire s’inquiéta des cris poussés; ils s’approchèrent de lui et le poignardèrent. A minuit, ils sonnèrent à la porte d’une pharmacie, ils assaillent pharmacien de garde, M. Linhart, le tuèrent et dévalisèrent le magasin.
Ils se rendirent à Stuttgart et s’attaquaient en plein jour à deux changeurs, dont ils dévalisèrent le coffre-fort, et s’échappent sans laisser de trace. Mais Stellmacher fit remarquer à son associé qu’ils avaient besoin de fonds plus considérables pour voyager, dépister les polices autrichienne et allemande et gagner l’Amérique au milieu de l’émoi général que ne manquera pas de provoquer le meurtre de la famille impériale.
Kammerer se rendit à ces raisonnements ; ils arrivèrent à Vienne et le 10 janvier 1884, le changeur Eisert et ses deux fils tomba sous leurs coups. Ils firent main basse sur la caisse, qui contenait plus de 7.000 florins.
Le 25 janvier1884, Stellmacher tua à Vienne en lui plantant son poignard entre les deux épaules, l’officier de police Hubek, à la sortie d’un meeting socialiste où il se voyait surveillés de près. Il blessait d’un deuxième coup l’ouvrier Meloun, qui accourait pour prêter main forte. Poursuivi par la foule et appréhendé par deux hommes, l’anarchiste jeta au milieu du groupe qui le serrait de plus près une boîte du poids d’environ un kilogramme, remplie de dynamite. Fort heureusement, l’explosion ne se produisit pas. On trouva sur lui deux revolvers, un sac rempli de munitions, un poignard et deux flacons de colle. Stellmacher portait une fausse barbe qu’il collait rapidement quand il croyait avoir à dépister la police.
Kammerer fut arrêté quelques jours plus tard.
Une perquisition à son dernier domicile en Suisse fit découvrir une quantité énorme de journaux socialistes anarchistes et révolutionnaires tels que la Freiheit, le Sozialdemocrat,le Drapeau noir et toute une cassette contenant du plomb coupé eu petits morceaux. La bombe que Stellmacher jeta au moment de son arrestation était remplie de la même substance.
Ils furent condamnés à mort le 10 juin 1884. Stellmacher fut exécuté le 8 août et Kammerer le 20 septembre suivant.
SOURCES :
Der Bund 12 février, 31 mars 1880 — La Suisse libérale 7 février 1884 — La Tribune de Genève 7 février 1884 — Le Jura 8 février 1884 — La National suisse 9 février 1884 — Le National suisse 14 février 1884— Feuille fédérale suisse 18 juillet 1885 — Notice Stellmacher du Dictionnaire des militants anarchistes — Notice Stellmacher du chantier biographique des anarchistes en Suisse — Le Figaro 11 juin, 22 juillet 1884.
Extrait de l’état signalétique des anarchistes expulsés de France. N°5 Juillet 1894.
Préfecture de la Haute-Savoie
Cabinet du préfet
Direction de la Sûreté générale
Cabinet du directeur
Annecy le 26 septembre 1894
Monsieur le ministre,
Je crois devoir vous informer que le Département de Justice et Police fédéral, à Berne, vient de demander au Département de Justice et Police à Genève, par l’intermédiaire du procureur général de la Confédération, des renseignements au sujet de l’expulsion de France des anarchistes Steiger (Jacques-Eugène) et Steigmeier (Jean-Adam), qui figurent sur l’état signalétique des anarchistes étrangers expulsés de France, juillet 1894, n°56 et 57.
Le procureur général demande notamment si ces deux individus ont déjà séjourné en France et ce qui a pu motiver leur expulsion.
Le Département de Justice et Police de Genève n’a pu que répondre qu’il n’était pas à sa connaissance que les nommés Steiger et Steigmeier fussent allés en France ces temps derniers et qu’il ne pouvait fournir aucun renseignement sur leur expulsion.
A cette occasion, les autorités suisses ont cru devoir critiquer assez vivement le mode de procéder actuel qui consiste à faire figurer sur les états signalétiques des anarchistes étrangers expulsés de France, ceux d’entre eux ne résidant pas en France.
« Nous reconnaissons, disent-elles, le droit à tout pays d’expulser de son territoire tout étranger dont la présence peut être considérée comme un danger pour la sécurité publique, mais il n’en est pas de même pour ceux qui ne résident pas en France et qui ne s’y rendront peut-être jamais. Il eût été plus rationnel de faire figurer sur un état à part ceux de cette dernière catégorie, état dont la police aurait eu seule communication en vue de l’arrestation et de l’expulsion de ces individus, dans le cas de découverte en France. Le système actuel, s’il se généralise, donnera certainement lieu à des réclamations et à des conflits qui obligeront la police suisse à refuser à l’avenir tout renseignement à la police française. »
Il est certain qu’en ce qui concerne la question anarchiste, la Suisse sachant qu’elle n’a rien à craindre chez elle, se désintéresse absolument de ce qui peut se passer à l’étranger, et que ce n’est qu’à contre cœur qu’elle a pris jusqu’à présent quelques mesures de rigueur.
On ne doit voir toutefois dans cette affaire qu’une question de mots dont la susceptibilité suisse s’est émue « A expulse » au lieu de « expulsés »
J’ai cru devoir appeler votre attention sur ce point, monsieur le ministre, en vous signalant l’intérêt qu’il y aurait à ne pas faire figurer sur l’état des anarchistes étrangers expulsés de France ceux d’entre eux qui ne résident pas en France et auxquels l’arrêté n’a pas été notifié.
Ces derniers pourraient, en effet, figurer sur un autre état dont la police française seule aurait communication.
Dans le cas contraire, il importerait de supprimer dès à présent la communication aux gouvernements étrangers, ainsi qu’aux diverses polices des états signalétiques actuellement publiés et qui leur sont remis au fur et à mesure de leur publication par les ambassades et consulats de France.
En conservant à cette publication un caractère confidentiel on évitera ainsi des réclamations et des conflits qui n’auraient d’autre résultat que d’amener la police suisse à refuser certains renseignements à la police française.
La récente campagne poursuivie par certains journaux français, notamment le Matin et le Figaro sur le séjour en Suisse d’anarchistes dangereux et sur la tolérance qu’y rencontreraient leurs agissements de la part des autorités locales a eu le don de mettre la presse suisse en fort mauvaise humeur.
Il serait trop long d’analyser les divers articles qui ont été publiés à cette occasion de ce côté de la frontière. Tous, d’ailleurs suivaient le même but sous une forme un peu différente : établir la fausseté des renseignements fournis par les journaux français, faire valoir le (illisible) scrupuleux avec lequel la (illisible) remplace les devoirs internationaux.
Il va sans dire que, dans la plupart des feuilles locales, le thème était accompagné de commentaires assez désobligeants pour notre pays et sa presse et le Bund, organe allemand de Berne a été jusqu’à conseiller « à la France de balayer devant sa porte, sans s’occuper de ce qui se passe chez les voisins. »
Si l’on rapproche cette polémique au ton généralement (illisible) des déclarations que j’ai recueilli de la bouche de M. Raffy, chef du Département de Justice et Police, quand j’ai, sur les instance de V. E., appelé l’attention du gouvernement fédéral sur les agissements des anarchistes de Lugano, il est facile d’établir à quel mot d’ordre la presse obéis en répondant aussi vertement aux insinuations de nos journaux.
M. Raffy étant, en effet, bien embarrassé pour me répondre, il a certainement conscience de l’impuissance où se trouve le pouvoir exécutif fédéral à agir dans certains cantons et notamment au Tessin (partie illisible) que les circonstances (illisible) et devant les indications précises que je lui apportais, il a préféré nier le mal que de s’engager à le combattre par des mesures qu’il se sent incapable de faire exécuter. Sans méconnaître les difficultés que (illisible) la police de Lugano, le chef du Département de Police et Justice m’a assuré cependant que sur ce point comme sur les autres, la police fédérale étendait sa vigilante attention et que s’il pouvait se passer quelque chose d’inquiétant que son département en serait aussitôt informé.
Or si la police politique existe et rend des services dans les cantons de langue française et allemande, comme à Genève, Berne et Zürich, chacun sait qu’elle ne pénètre pas dans le Tessin, où elle devrait, pour avoir une action utile, recruter sur place. . Les seuls renseignements que le Procureur général de la Confédération puisse recevoir de ce canton ne lui viennent que des Préfets, fonctionnaires payés par le Gouvernement cantonal et peu enclins d’ailleurs, pour diverses raisons à appeler l’attention en haut lieu sur ce qui se passe dans leurs districts.
C’est ainsi que s’explique l’errement avec lequel le canton du Tessin a accueilli la nouvelle que des ordres étaient venus du (illisible) fédéral pour surveiller les anarchistes de Lugano : « quelle surveillance , demandait le journal, à la date du 2 août dernier, est-ce la fameuse police fédérale ? », laissant entendre ainsi le cas qu’il fallait faire d’une police à qui il ne manque, pour fonctionnaires, qu’une direction, un personnel et de l’argent.
Bien entendu, je n’ai pas cru devoir insister outre mesure, dans mon entrevue avec M. Raffy, sur les renseignements que je possède et sur l’excessive tolérance dont les municipalités tessinoises se montrent vis à vis des anarchistes.
Je n’ai pu que prendre acte des déclarations qu’il m’a faites touchant les réformes accomplies dans le service des directions de police cantonales et le bon résultat qu’il fallait en attendre.
Il est certain que l’entente entre des administrations, l’échange des notes et des signalements qu’elles se communiqueraient, assureraient dans une certaine mesure la surveillance des individus suspects.
On peut dire que la bonne volonté apportée par les cantons frontières, dans leurs relations avec nos commissaires spéciaux et la fermeté avec laquelle le Conseil fédéral prononce l’expulsion des anarchistes français que (illisible) signale, sont pour nous donner jusqu’à maintenant (illisible) satisfaction.
Mais je persiste à penser qu’il y aurait plus à faire dans cet ordre d’idées et en faisant valoir si complaisamment les quelques réformes secondaires qu’il a réalisé, M. Buffy n’a réussi qu’à montrer clairement l’impuissance où il se trouve de prendre des mesures plus énergiques.
L’événement d’ailleurs l’a poussé, à la suite de ma démarche et des révélations faites par la presse française, un ordre d’expulsion cantonal a été lancé contre Pacini, Gori et Lavetere, agitateur connus de Lugano.
Sur la résistance des municipalités locales, le gouvernement du Tessin (partie illisible).
Dans ces conditions j’estime que mon (illisible) peut-être le (illisible) ainsi que je l’ai suggéré dans mon rapport du 1er août, d’organiser à Lugano une surveillance dont nous supporterions les frais et qui nous permettrait d’être tenus exactement au courant des mouvements anarchistes du Tessin. D’après les renseignements qui me sont parvenus, il ne serait pas impossible de trouver, dans la ville même, des hommes capables de se charger de cette mission et d’y apporter le tact et la discrétion nécessaires. Si V.E. veut bien m’accorder les fonds qui seraient indispensables pour l’organisation de ce service, j’examinerai les moyens les plus pratiques d’établir à Lugano une surveillance que le gouvernement fédéral est définitivement incapable d’assurer lui-même.
Eduard Nathan, alias Dr Edward Nathan-Ganz, alias Charles Edward Robertson, alias Bernhardt Wyprecht, alias Steinmann, alias Da Costa, alias Dr Charles-Louis Hartmann . .. (1856-1934).
Deux commentaires sur le Congrès international socialiste révolutionnaire à Londres en juillet 1881 :
L’un des délégués américains était un certain Dr Nathan Gans. Le modèle d’un insolent et d’un arrogant dandy. Toute son apparence, alors qu’il cabriolait dans le congrès, a été répulsive pour moi…. Josef Peukert (1913).
Plus mystérieux encore était l’autre délégué américain, le Dr. Edward Nathan-Ganz, qui ne ressemblait à rien de plus qu’un personnage de Dostoïevski ou Joseph Conrad …. Une ténébreuse figure, dont l’histoire n’est pas bien connue …. Paul Avrich (1984).
Alors, qui était cet homme et quelle est son histoire ?
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« CE QUE NOUS FERONS ET CE QUE NOUS NE FERONS PAS.
NOUS LUTTERONS contre toutes les tyrannies et autorités auto-imposées, ils apparaissent sous quelque forme que ce soit.
Nous ferons de cette revue un point de ralliement et un terrain de rassemblement de l’armée socialiste jusqu’ici dispersée sur ce continent ; en union il y a de la force.
Nous donnerons asile à toute opinion honnête sur les questions politiques et sociales qui s’est vu refuser l’admission par la presse en place des monopoleurs.
On gardera à l’esprit que Force a depuis le début de l’histoire été l’accoucheur de toute réforme sérieuse ; nous avons le sincère conviction, et nous forcerons nos efforts pour la transmettre aux masses, que leur seul salut est dans la Révolution.
Nous discuterons de toutes les questions relatives au bien-être humain dans un esprit loyal et manière honnête.
Nous ne considérerons pas les insultes comme des arguments, ni la « boue » comme raison.
Nous faisons confiance à nos adversaires qui au sein de l’armée des réformateurs sociaux suivra le même cours, ce qui est le moyen le plus sûr de conduire notre noble cause à une victoire rapide.
NOUS N’AURONS PAS peur des menaces quelles qu’elles soient, que ce soit par le gouvernement ou par n’importe quelle classe, ou par des individus; et il sera toujours clairement dit ce que nous considérons juste et vrai.
Nous ne laisserons pas un mot pour ou contre la religion se glisser dans ce publication, considérant que la religion est une affaire privée de l’individu, qui ne concerne personne d’autre que lui-même.
Nous n’entrerons pas dans les polémiques personnelles, respectant notre espace et nos lecteurs pour les fatiguer avec une simple question personnelle.
Frère Bohémiens, réjouissez-vous ! Il y a une chance pour vous de calomnier et de diffamer sans aucune crainte de contradiction ou de châtiment !
Nous ne proclamerons pas cette Revue comme une « Bible » du Socialisme, ni n’allons-nous en faire un véhicule pour les dogmes. Nous ne prônerons aucune utopie théoriques, ayant pour objet un état fixe ultime – être le point culminant de toute évolution sociale; mais seulement ceux qui peuvent être exécutés en prenant comme facteur dans le calcul les conditions économiques et politiques présentes.
Nous ne chargerons pas nos pages d’abstractions théoriques sèches, indigeste par l’entendement commun ; mais comptez sur la force des démonstrations pratiques, des moyens et fins pratiques, ensemble avec brièveté, expressivité et intrépidité.
Nous n’entendrons gain personnel à s’embarquer dans ce entreprise, et nous ne désirons la gratification d’aucune ambition personnelle. En plaçant notre entreprise devant le public, nous souhaitons remarquer que la politique générale de sa gestion sera conforme au principe anarchiste lui-même, – pas de centralisation.
Nous ne sommes qu’une fédération d’écrivains ; chacun autonome, et n’est responsable que de ce qui apparaît au-dessus de sa propre signature ; il ne sera pas responsables, ni même supposés favoriser les idées prônées dans les autres articles, tous n’étant réunis que dans le but général, – LE BIEN-ÊTRE HUMAIN. »
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Cet éditorial était l’article d’ouverture d’un journal intitulé L’an-archiste (ainsi orthographié) – le premier en anglais à utiliser un tel titre – et sous-titré Revue Socialiste-Révolutionnaire. La première numéro paru à Boston, Massachusetts, le mercredi 22 décembre 1880, était daté de janvier 1881, était au prix de 6 cents et a été édité et publié par le « Dr. Nathan-Ganz » au 3 Worcester Square, Boston. L’An-archiste se voulait un mensuel, et les contributeurs listés sur la couverture du premier numéro comprenait Félix Pyat (l’ancien révolutionnaire), Johann Most (l’ancien révolutionnaire allemand, alors à Londres), Menotti Garibaldi (le fils aîné de Giuseppe Garibaldi), Leo Hartmann (le révolutionnaire social russe, alors à Londres), W. G. H. Smart (un anarchiste alors actif dans la région de Boston et en politique nationaliste irlandaise), et Adhémar Schwitzguébel (l’anarchiste suisse et ami de Bakounine).
A Londres, le mensuel de George Standring The Republican publia un compte rendu de The An-archist en janvier 1881 :
« La couverture est noire, le nom, etc., étant imprimé en orange, formant un novel(?) et contraste résolument efficace. [Il convient de mentionner que la couverture du journal américain The Radical Review de 1878 avait été imprimé dans le même couleurs, et que son rédacteur en chef Benjamin R. Tucker a contribué à une critique de The Anarchist.] L’éditeur, le Dr Nathan-Ganz, nous écrit comme suit :- « Ample (?) signifie, et l’exclusion de ce projet de toute visée personnelle, permettez-moi ce sacrifice pour mes idées et la cause pour laquelle je me bats, les sommes qui seront trouvées nécessaires pour faire de cette publication un succès complet. Qu’il en sera ainsi dans un sens littéraire aussi, est garanti par le tableau des collaborateurs, qui ne contient que des noms de renommée mondiale. Cette revue sera unique en son genre sur le tout le continent américain. Il sera émis du premier numéro 20 000 copies. »
Le New York Herald (19 décembre 1880) titrait : « NOUVELLE SENSATION A BOSTON. LE RADICALISME EXTRÊME A UN ORGANE EN AMÉRIQUE. ABOLIR L’ETAT. LÉGALITÉ UN MOT INVENTÉ PAR DES RASCALS ET APPLIQUÉS PAR DES LÂCHES. » Son rapport donne des extraits de l’éditorial et quelques autres articles, ainsi que quelques informations à propos du « Dr. Nathan-Ganz » – évidemment fournies par lui-même. Il a déclaré qu’il « est Hongrois de naissance, docteur en médecine diplômé et révolutionnaire par choix. Il est citoyen américain naturalisé et vit dans ce pays depuis 1873, bien qu’il ait traversé l’Atlantique treize fois depuis lors. Son apparence a été décrite quelques mois plus tard dans The Republican (septembre 1881) comme « étant court et sombre ». Il est un linguiste de premier ordre, maîtrisant sept ou huit langues. Mais Standring ajoutait déjà sur un ton assez différent : « Comme projecteur et rédacteur en chef de The An-archist, le Dr Ganz a fait de nombreuses promesses élogieuses qu’il n’a jamais tenues, montrant qu’il est compétent pour mentir en Anglais. » Un tel point de vue a été repris par Tucker (dans une lettre à Max Nettlau, 6 juillet 1937) : « C’était simplement un escroc raffiné et assez fascinant. »
Le Dr Nathan-Ganz avait fait sa première apparition dans la presse révolutionnaire quelques semaines plus tôt, dans Freiheit de Johann Most quand il était encore publié à Londres, avec un article sur ‘Inhuman Warfare’ (13 novembre 1880):
« Je ne suis nullement un ami de la guerre, je la déteste comme tout socialiste. Mais je crois que, tant que la guerre – et j’inclus ici aussi notre guerre – est quelque chose d’inévitable, et l’art d’exterminer les humains est cultivé comme une science, la guerre doit avoir pour but théorique final, comme toutes les sciences, l’absolu la perfection. »
Après avoir rappelé à plusieurs reprises que la guerre n’est pas une activité humaine mais est repoussant pour tout être humain sain d’esprit, il a déclaré que ce qui était en quelque sorte le leitmotiv de sa vie :
« Gouverner par la violence, opprimer, forcer à se soumettre, signifie quitter le adversaire pas d’autre choix que l’auto-émasculation déshonorante ou l’utilisation de tous moyens qui peuvent conduire au but poursuivi. Ici la parole des Jésuites est en effet à sanctionner : « La fin justifie les moyens. » Qui par la force opprime ses égaux, ses semblables, doit être considéré comme un hors-la-loi, et tout moyen par lequel il peut être neutralisé est un moyen sacré, quel que soit les assassins professionnels de la grâce de Dieu s’y opposent.
A mes yeux, la morale qui applique les seuls moyens possibles pour parvenir à un objectif noble et aider ainsi des centaines de milliers de personnes au bonheur, est le seul vraie morale.
Tant qu’une telle morale ne sera pas reconnue par tous les amis de la liberté, tant les assassins couronnés seront en mesure, au moyen du meurtre civilisé, de régner le monde et d’asservir l’Humanité. »
Il a suivi cela trois semaines plus tard avec une nécrologie élogieuse de Karl Heinzen, « La vie d’un homme courageux » (4 décembre 1880). Heinzen était un Quarante-huitard allemand qu’il prétendait bien connaître et appelait son « ami spirituel ». (Incidemment, lorsque le président McKinley était assassiné par l’anarchiste Leon Czolgosz 21 ans plus tard, Johann Most venaient de réimprimer dans Freiheit un vieil article tyrannicide de Heinzen, « Murder versus Murder », qui lui a valu sa dernière prison peine d’un an.) Cinquante ans plus tard, Nathan-Ganz a rappelé (dans une lettre à Nettlau, 7 mars 1931):
« J’ai rendu visite à Heinzen à Boston peu avant sa mort et j’ai assisté à ses funérailles. Il vivait avec la famille de son gendre, qui avait une grande imprimerie. Ils ont bien pris soin de lui, mais ont admis peu de personnes à le voir et a empêché toute discussion politique. Nous avons quand même eu une conversation sur l’anarchisme qui pour lui n’était que chaos. Il n’a pas compris un mot de celui-ci. J’ai eu son journal The Pioneer jusqu’au dernier numéro. Il était autoritaire du début à la fin et blanquiste quant aux moyens de réalisation, c’est-à-dire une qu’une petite minorité devait saisir par un coup de force le gouvernement et avec un dictateur à la tête réorganiser la société.
Le premier numéro de L’An-archiste contenait, dans la même veine que son premier article dans Freiheit, le premier volet de ce qui devait être un série sur la « science de la guerre révolutionnaire ». Il a été préfacé par Félix Pyat, un Journaliste radical français, Quarante-huitard et Communard, qui fut vaguement socialiste mais, comme Heinzen, profondément autoritaire et pas anarchiste, et extrêmement féroce :
« Eh bien, soyons aussi moins chrétiens, moins moutonniers, moins bêtes ; ne laissons plus offrez la joue droite après la gauche; plus de résignation, plus de prières, plus de larmes, et plus de connivence ! Nous avons le droit, nous avons le pouvoir ; défendez-le, employez-le ! sans réserve, sans remords, sans échantillons, sans pitié… C’est l’antagonisme des castes, la répulsion des atomes ; un lutte plus qu’humaine, plus qu’animale, plus qu’instinctive ; … sans autre fin que la mort de l’un des deux adversaires : la démocratie ou la royauté, la révolution ou la féodalité, la liberté ou la servitude, la civilisation ou la barbarie ! C’est une guerre sainte, une guerre de principes et de défense… Salus populi. Pour le bien du peuple, le fer et le feu – toutes les armes sont humaines, toutes les forces légitimes et toutes signifient sacré.
Nous désirons la paix, l’ennemi veut la guerre. Il peut l’avoir, absolument. Tuer, brûler – tous les moyens sont justifiables. Les utiliser; alors ce sera la paix ! »
Après cette introduction encourageante, et avant de commencer la première tranche de la série, sur ‘Barricade Warfare’, l’éditeur a précisé dans un commentaire anonyme que pendant quelques pages il allait oublier son titre médical, se décrivant plutôt comme « un officier militaire en service actif dans l’armée —-, en sympathie avec notre cause, dont la qualité est le gage de sa connaissance profonde et approfondie du sujet traité’, et signant lui-même « Col. N ….. z ».
Outre quelques descriptions techniques de la guerre des barricades, l’article introduit alors pour la première fois dans un contexte anarchiste ce que allait bientôt préoccuper une grande partie du mouvement anarchiste et devait finalement être identifié par le public à l’anarchisme en tant que tel :
« De nombreux avantages sont liés aux progrès de la chimie, qui dans aucun des cas précédents n’a été utilisée, et qui aura un rôle décisif dans toutes les révolutions à venir. Dans toute lutte à venir, les ingénieurs de nos rangs saisiront sûrement l’occasion que les grandes canalisations d’égout sous-jacentes aux rues de presque toutes les capitales européennes, en plaçant, en certains points, des dépôts de composés explosifs, – comme la dynamite, ou la nitroglycérine, – à réunir, au moyen de fils conducteurs, à un certain point central, à partir duquel ils pourraient, soit simultanément, soit séparément, être déclenchés au moment nécessaire ….
Mais les agents de destruction à notre portée ne sont même pas épuisés par le procédé ci-dessus de. L’ennemi pourrait être soumis à un sort plus terrible au gré de l’ingénieur. Un gaz invisible, chargé d’arsenic … pourrait être pompé dans cette partie du système tubulaire [des conduites de gaz] …. Je pourrais rencontrer, peut-être dans notre propres rangs, l’opposition à l’utilisation d’expédients de guerre aussi extrêmes et « inhumains ».
Ceux qui le feront oublient que la vraie humanité se trouvera dans la poursuite de la guerre aussi énergiquement que possible, afin d’atteindre le but proposé aussi efficacement et aussi rapidement que possible. L’adhésion aux moyens conventionnels de tuer est basée sur le préjugé seul, et non sur la moralité …. Je n’admire pas la guerre, et personne sain d’esprit ne le fait; mais si c’est inévitable, il devient de mon devoir de ne rien rejeter ou d’aide à ma portée ! »
Cette exposition – répétée et approfondie par Nathan-Ganz dans d’autres articles (et réimprimés dans d’autres journaux, tels que Burnette G. Haskell’s Truth en novembre-décembre 1883) – a fait une profonde impression sur de nombreux socialistes-révolutionnaires et aussi sur les anarchistes, une impression dramatiquement renforcée par l’assassinat du Tsar russe quelques mois plus tard, en mars 1881. Cette tendance conduit à une redéfinition de la « propagande par le fait ». Ce concept avait été formulé à l’origine par Paul Brousse dans le Bulletin de la Fédération Jurassienne, dans un article du 5 août 1877 (le troisième d’une série dont les deux premiers ont été écrits par Kropotkine). Il avait été inspiré par plusieurs initiatives locales au cours de l’année précédente – comme le drapeau rouge de la manifestation à l’église de Kazan à Saint-Pétersbourg par Plekhanov et ses amis, la manifestation du drapeau rouge à Berne par Kropotkine et ses amis de la Fédération du Jura, et l’insurrection de Bénévent par Malatesta et ses amis – et était basée sur l’idée que la propagande par des manifestations collectives populaires ou des insurrections aurait un impact plus fort que la propagande conventionnelle des mots écrits ou parlés. Malgré son flirt avec les autoritaires et sa volonté de coopérer avec eux jusqu’à adapter des tactiques clairement opposées aux principes anarchistes de base (comme l’acceptation du principe jésuite, quelque temps avant Lénine, que la fin justifie les moyens), Nathan-Ganz s’appelait anarchiste (ou «an-archiste», comme il l’écrivait généralement), et avec quelques justifications. Il avait suivi de près et attentivement la presse révolutionnaire et anarchiste depuis quelques années, et – bien qu’il soit improbable qu’il ait vraiment fait la connaissance de Malatesta dès 1876 à bord d’un navire de l’Egypte à la Grèce, comme il le prétendait dans conversation avec Nettlau cinquante ans plus tard – il connaissait même que des journaux si peu distribué comme l’Arbeiterzeitung, produit par Brousse et Kropotkine à Berne de 1876 à 1877. Dans un article non signé sur « La Théorie de l’anarchisme » (dans L’An-archiste), il a peut-être donné la plus claire première exposition du socialisme anarchiste en anglais: « La théorie de l’anarchisme est une forme politico-sociale ; sa substance économique est celle du socialisme. Sa quintessence est le principe d’Autonomie Individuelle, – qui, sous la désignation de « souveraineté individuelle » a déjà une valeur assez respectable. nombre d’ardents défenseurs, tels que Buckle, Josiah Warren, Andrews, Tucker, Smart, Morse, etc. (An-archistes à leur insu, et qui ont presque sous-estimé, que la condition sine qua non d’un tel État politico-social est, que sa condition économique soit basée sur le socialisme, – sans quoi la principe de la Souveraineté Individuelle est tout à fait insoutenable et n’aboutit qu’à la servitude individuelle !)
En tant que théorie, l’an-archisme est l’application de l’idée de fédéralisme à la plus petites particules de l’organisation humaine – les individus. »
Il poursuit en disant que Proudhon a trouvé
« que la véritable solution du problème de l’organisation humaine ne sera jamais découverte en posant la question : « Comment pouvons-nous devenir les mieux gouvernés ? » – mais comment pouvons-nous devenir les plus libres ?!’ Et il est arrivé à la très bonne conclusion que l’« État », le « Gouvernement », est un produit de la vie collective, ayant pour but la maintien d’un ordre fondé sur l’inégalité économique et l’antagonisme d’intérêts.
Notre objectif principal doit donc être l’abolition de « l’État » ; notre principal l’activité doit pour le moment nécessairement être destructrice au lieu d’être destructrice au lieu d’être constructive. »
Bien qu’il se qualifie lui-même d’anarchiste, sa fixation sur le « succès » par n’importe quel moyens pratiques, quel que soit le prix « moral » théorique, était tout à fait inhabituel à cette époque. Cela ressort clairement de ce qu’il a dit à propos de coopération avec d’autres socialistes, allant même jusqu’à former un organisation commune (une proposition que fera Merlino, une quinzaine d’années plus tard, qui sera l’objet des critiques les plus violentes chez les anarchistes). Il a écrit dans un autre article, « Close the Ranks » :
« Il n’est pas une ville de notre « glorieuse République » où nos idées n’aient déjà gagné des partisans. Quelle est la raison pour laquelle jusqu’ici nous avons entendu tant rarement et si peu ?
La réponse n’est pas difficile.
Une Organisation était recherchée.
Séparés, – et si nous étions ne serait-ce qu’un million, nous ne comptons pas plus que zéro.
Dix mille hommes sérieux et énergiques, organisés, sont une force réelle. Organisez-vous !
Prolétaires, levez-vous ! …
Organisez-vous en un parti révolutionnaire socialiste distinct ! …
Et il a également écrit dans l’article suivant, intitulé « Pacte fédéral d’Alliance Révolutionnaire du Continent Américain’ :
« … Considérant donc que notre objet premier et principal doit être la dissolution de l’état économique et politique actuel ;
Considérant, en outre, que toutes les questions de réorganisation, après la révolution, comme seulement en second ordre ; que dans notre objet – le bien-être humain – nous sommes tous unis; que les différences entre les mesures positives proposées pour apporter autour de ce résultat ne sont pas de nature à rendre impossible toute action commune ;
Considérant, en outre, que la haine et l’antagonisme existant dans notre propre rangs – entre les socialistes d’État, les fédéralistes, les communistes, les anarchistes, etc. – sont non seulement injustifiables, mais une des principales causes de notre impuissance ;
Résolus, Nous formons par la présente une Alliance Révolutionnaire du Continent Américain, n’ayant en vue que la consolidation des forces révolutionnaires – chaque groupe adhérant étant autonome dans la discussion et l’adoption de toute proposition constructive théories entrant DANS LE TERME GÉNÉRAL « SOCIALISME ». C’était, bien sûr, essentiellement ce que nombre d’anarchistes et sympathisants – et même Bakounine lui-même – ont vu dans l’Association Internationale des Travailleurs (Première Internationale), et aussi comment ils ont agit dans le mouvement ouvrier américain au cours des années suivantes. La volonté anarchiste de travailler avec des révolutionnaires sociaux (autoritaires) s’est manifestée de façon frappante dans l’Internationale Social-Révolutionnaire Congrès qui s’est tenu à Londres en juillet 1881, qui est souvent qualifié à tort de congrès anarchiste, et auquel ont participé par Nathan-Ganz. Après l’éclatement de la Première Internationale suite à la scission entre les marxistes et leurs adversaires, cependant, une forte méfiance à l’égard des socialistes influencés par Marx prévalait chez la plupart des anarchistes. L’ouverture – ce que certains ont appelé la négligence – des efforts d’organisation de Nathan-Ganz était à cette époque déjà quelque peu inhabituelle, et nombreuses des deux côtés, y compris les autoritaires, l’ont regardé avec un soupçon plutôt sombre qui trouvera quelques années plus tard une large expression dans circonstances de la fondation et des premiers congrès de la soi-disant Deuxième Internationale.
Au cours de la période précédant le Congrès de Londres, Nathan-Ganz s’est efforcé de propager ces idées, et en dehors des articles, il semble avoir bombardé de lettres en double les éditeurs non seulement de de nombreux journaux allemands et anglais en Amérique du Nord et en Grande-Bretagne mais aussi de diverses feuilles en France, en Suisse et en Amérique Latine. Son intérêt pour le mouvement révolutionnaire russe (qui dura jusqu’à sa mort) s’est manifestée par exemple dans un article sur « N. G. Chernyshevksi » (New York Belletristisches Journal, réimprimé dans Freiheit, 29 janvier 1881). Sa première contribution signée dans la presse française fut un rapport de Boston daté du 22 décembre 1880 dans le journal anarchiste La Révolution Sociale (4 janvier 1881), qui prétendait :
Le parti social-révolutionnaire y fait chaque jour des progrès étonnants. Des sections sont maintenant établies à New York, Philadelphie, Chicago et Boston, et dans presque toutes les autres villes, des comités d’action sont sur le point d’être formés. Boston compte désormais des groupes allemands, français, anglo-américains et russes, forment un Conseil fédéral qui s’active sans relâche et qui, la semaine dernière a soumis à toutes les sections du pays et du continent le projet d’un Alliance révolutionnaire sur le continent américain.
Ce projet a déjà reçu l’approbation du Conseil Général de notre parti au Mexique, où l’on compte plus de trois mille inscrits et membres cotisants, et de ceux de Montevideo et de Rio de Janeiro, où le projet a été présenté il y a déjà plusieurs mois.
L’An-archiste nommé parmi « nos sympathiques compagnons » de La RevolucionSociale au Mexique et El Internacionalista à Montevideo, journaux qui ne semblent pas avoir survécu. Mais El Socialista, le « à peine un journal nominalement socialiste » (Nettlau) de la Confederacion de los Trabajadores Mexicanos, a imprimé une traduction de l’éditorial de The An-archist et aussi un article de Nathan-Ganz intitulé « La guerre contre les autorités par diverses méthodes et moyens » (10 janvier 1881). En janvier dernier, il a invité le Gran Circulo Obrero (Mexique) à envoyer un délégué au prochain Congrès socialiste international de Londres (lettre lue en séance du 7 février), et le 21 février, il est lui-même élu pour y représenter la Confédération mexicaine.
Mais au cours de ces mois, il écrivit non seulement pour les socialistes et la presse anarchiste mais aussi pour des journaux bourgeois comme le Boston Daily Globe (au sein de la rédaction de laquelle travaillait alors Benjamin R. Tucker). Fin janvier 1881, cependant, Nathan-Ganz est arrêté à Boston pour avoir prétendument participé à une fraude à grande échelle et à une utilisation abusive des services postaux. Il a affirmé plus tard qu’à cette occasion la police avait saisi le deuxième numéro de TheAn-archist, et l’a brûlé avec preuves, manuscrits, etc. « Bien sûr, c’était un acte tout à fait illégal, mais vous ne trouverez aucun jury aux États-Unis pour condamner des policiers pour l’avoir fait» (lettre à Nettlau, 12 mars 1931). Certes, aucune trace du deuxième numéro n’a survécu.
En avril, il a été acquitté, sa libération a été accueillie avec enthousiasme par Freiheit à Londres, et il a été invité à remplacer Johann Most emprisonné comme éditeur. Après son arrivée à Londres quelques semaines plus tard, cependant, les membres du groupe éditorial ont été plutôt déçus et dégrisé par son apparence, qui semblait beaucoup trop bourgeoise et « à la mode ».
Il a ensuite représenté la Confédération des travailleurs du Mexique et a pris un rôle prépondérant dans le congrès social-révolutionnaire qui se réunit à Londres entre le 14 et le 20 juillet 1881. La lettre à Nettlau déjà citée a été écrite en réponse à la publication dans Anarchisten und Sozialrevolutioniire (1931) des procès-verbaux et des documents du Congrès, que Nettlau avait obtenu de Gustave Brocher, le secrétaire du Congrès. Nathan-Ganz a poursuivi en rappelant que « le congrès a eu lieu dans la Lodgeroom au premier étage d’un pub n° 6 Charrington-street’. Ceci est un exemple du manque de fiabilité des informations personnelles et des réminiscences peuvent être, car si le Congrès s’est réuni dans une salle du premier étage d’un pub londonien, ce n’était pas dans Charrington Street à Somers Town mais dans les Fitzroy Arms, 42 Cardington Street, Euston Square (un à un quart de mille). Nathan-Ganz répondait à la informations données par Nettlau lui-même, qu’il avait obtenues dans un conversation avec Joseph Lane (un autre délégué) en 1911. C’est aussi un exemple de la façon dont l’écriture historique peut être peu fiable, la même petite erreur a été fidèlement répétée depuis dans chaque référence publiée sur le sujet. Pourtant, les rapports de police de plusieurs pays européens (France, Allemagne, Pays-Bas) sont unanimes à placer le congrès au Fitzroy Arms dans Cardington Street. C’est presque dommage de gâcher le plaisir en pointant la vérité !
Pour protéger l’anonymat des délégués, ils ont été désignés uniquement par des chiffres. Nathan-Ganz était n ° 22 (qu’il a ensuite utilisé pour signer des articles, comme son rapport sur le congrès à Benjamin R. Tucker dans Liberty). Le 15 juillet, après s’être déclaré révolutionnaire, anarchiste et communiste privilégiant les moyens violents, il soumet une rapport sur le mouvement ouvrier au Mexique – très bien informé, il semble, et entre autres prétendre que La Confédération Mexicaine a réuni dix-huit sections avec environ 1 800 membres. Parmi les quatre articles publiés par des membres ou des groupes adhérant à la Confédération, deux selon lui étaient franchement anarchiste (La Revolucion Sociale et La Reforma Sociale), tandis que deux autres étaient des socialistes » roses » – et l’un d’entre eux était El Socialista (qui a publié du matériel de lui).
Le 17 juillet, il propose la création d’un Bureau international de statistique à Londres, où on registrerait du matériel de guerre en magasin dans les différentes capitales, et emplacement et le nombre de soldats qui s’y trouvaient, l’esprit des différents bataillons, les listes de militaires ou personnes civiles, fonctionnaires, représentants ou autres personnes susceptibles d’avoir toute influence sur les résistants, leurs lieux de résidence, etc. ; d’autres enregistrements des entrepôts de produits chimiques, de médicaments, de poudre, de machines à vapeur, etc., dans le différents quartiers de ces capitales ; – bref, tous les matériaux, de toutes les informations qui pourraient être utilisées pour un certain événement.
Cette proposition ! n’a pas été acceptée, le Congrès n’étant d’accord que sur la création d’un bureau international général d’information pour faciliter les relations épistolaires entre les groupements et fédérations concernés.
Mais une autre proposition soumise par Nathan-Ganz le 19 juillet a eu plus de succès et est plus significative. Il recommandait « l’étude de la chimie, l’électricité et toutes les sciences offrant des moyens de défense et destruction » – c’est-à-dire ce qu’il avait proposé dans « Revolutionary War Science’ dans l’An-archiste. Cela a été fortement opposé par Kropotkine et quelques autres, mais finalement le congrès, «reconnaissant la nécessité de compléter la propagande par la voix et la plume par la propagande par le fait », a convenu de ce qui suit :
Il est strictement nécessaire de faire tous les efforts possibles pour diffuser par l’action l’idée révolutionnaire et l’esprit de révolte…. En abandonnant le terrain juridique sur lequel nous nous sommes généralement tenus jusqu’ici, pour étendre notre action dans le domaine de l’illégalité, qui est la seule voie menant à la révolution, il faut recourir à des méthodes conformes à cette fin…. Les sciences techniques et chimiques ayant déjà rendu service à la cause révolutionnaire et étant destiné à rendre encore plus de services à l’avenir, le Congrès recommande aux organisations et aux individus appartenant au L’International Working-People’s Association d’accorder un grand poids à l’étude et l’application de ces sciences comme méthode de défense et d’attaque.
C’est le texte donné dans le rapport de Tucker à Liberty (20 août 1881), extrait du journal suisse Le Révolté, qui publia un compte rendu très complet de tout le congrès. Le Révolté parle de « propagande par le fait », qui est généralement rendu en anglais par « propagande par l’acte », et cette résolution représente le changement définitif dans le sens du terme d’actes de révolte collective à des actes de terreur individuelle. Suivant ces lignes, Nathan-Ganz publia bientôt dans Freiheit (13 août 1881) un autre article sur « La chimie et la Révolution ». Son prochain article dans Freiheit (21 août 1881), « L’argent et la révolution », commençait par le mono (?) : « Vraiment moral est tout ce qui a son l’altruisme de départ – le bien-être des autres. Vraiment amoral est tout ce qui essaie de promouvoir l’égoïsme – l’intérêt personnel – au détriment d’autres ». Nathan-Ganz a alors recommandé le réapprovisionnement par tous moyen de la « tour Spandau » (tirelire) de la révolution et, bien qu’il évitait de le dire explicitement, sous-entendait très clairement l’emploi de moyens tels que le vol, la fraude et l’escroquerie. En direct conséquence de cet article, Johann Neve a fermé les colonnes de Freiheit à Nathan-Ganz.
Il quitta bientôt l’Angleterre et, à l’automne de 1881, passa deux ou trois mois aux Pays-Bas, vivant à Amsterdam et Rotterdam. Depuis il y annonça le 2 septembre l’apparition d’un Journal allemand clandestin, Der Kampf (Le combat), qu’il a finalement publié à Londres en décembre 1881 sous le titre Der Rebell (The Rebel). Il comprend des articles sur tous les thèmes favoris de Nathan-Ganz – « Economie Terrorisme » (fraude, etc.), « La révolution approche ! », « On Warfare », et « The Social War » sur ses propositions pratiques préférées pour se rapprocher de la révolution. Il n’a publié qu’un seul numéro de Der Rebell (qui se poursuivit en 1883 et devint ironiquement le journal autour de Josef Peukert, plus tard socialiste-révolutionnaire autrichien et anarchiste et qui était au Congrès de Londres l’un des adversaires acharnés de Nathan-Ganz).
En janvier 1882, Nathan-Ganz est à Paris, entre autres pour découvrir la vérité sur les soupçons concernant l’espion policier Serreaux (qui avait été délégué au Congrès de Londres et qui était l’un des rédacteurs en chef du journal anarchiste parisien LaRévolution Sociale auquel Nathan-Ganz avait contribué). A son retour en Angleterre, Nathan- Ganz est arrêté à Southampton fin janvier 1882 à la demande du gouvernement néerlandais, qui a exigé son extradition pour une accusation d’obtenir de l’argent sous de faux prétextes à Rotterdam. Il a perdu l’affaire à la Queen’s Bench Division à Londres le 30 mars et un quelques jours plus tard a été extradé vers les Pays-Bas. Il semble qu’il avait promis par des publicités destinées aux public en Allemagne de gros profits en leur offrant des bijoux et des montres de valeur à des prix ridiculement bas – et des sommes d’argent importantes sont arrivées en marks d’or, Nathan-Ganz ayant complètement oublié d’envoyer les montres promises. Cet oubli l’a conduit à être condamné à six ans de prison.
Ainsi s’achève la courte et fulgurante carrière de l’anarchiste connu sous le nom de « Dr Nathan-Ganz » – dont l’introduction de l’accent mis sur la chimie et dynamite pour la propagande révolutionnaire et de la justification de financer la propagande et la révolution par des moyens illégaux eut une telle portée dans le mouvement. Mais qui était-il, où est-il d’où vient-il, et qu’est-il devenu ?
Comme dans les interviews qu’il avait données en tant que rédacteur en chef de The An-archist à Boston, Nathan-Ganz a également clamé lors de la procédure d’extradition à Londres et au procès de Rotterdam « qu’il était natif de Pesth de naissance et avait ensuite été naturalisé en tant que citoyen des Etats Unis »(rapport dans The Times, 31 mars 1882). Cependant, toutes les personnes qui l’ont rencontré à Londres en 1881 avant, pendant et après Le Congrès ont convenu qu’il n’était pas hongrois et que son accent mélangeantt dans l’anglais et le français semblaient allemand. Dans les années 1920, il revendiquait dans des biographies publiées pour être né à Cincinnati le 6 janvier 1855; et un peu plus tard il dit à Nettlau qu’il était né en Alsace. Un de ceux qui l’ont connu en 1881 à Londres, Karl Schneidt, a beaucoup plongé dans ses réminiscences (publiées à plusieurs reprises au cours années 1890), disant qu’il était né en Allemagne et originaire de Hesse. Au moins, son accent lorsqu’il parlait allemand indiquait que Hesse était sa patrie. Il mentionnait aussi souvent qu’il avait étudié à l’Université de Giessen. »
Comme dans d’autres cas de telles recherches, quand tout mène à une fin mortelle, pourquoi ne pas essayer la police occasionnellement si involontairement utile ? Les bureaux d’enregistrement pour cette partie de l’Allemagne sont à Marburg et Wiesbaden, et une recherche dans le Hauptstaatsarchiv à Wiesbaden a confirmé que la police est parfois mieux informée que les universitaires, ou même les camarades. Dans un certain nombre de rapports à l’époque du procès de Rotterdam, le La police allemande a établi que le « Dr Edward Nathan-Ganz » était identique avec Eduard Nathan, décrit comme commis, né le 6 janvier 1856 à Mayence.
L’acte de naissance a ensuite été obtenu auprès du bureau d’état civil de Mayence qui a montré que ses parents étaient Moises Nathan, un commerçant, 34 ans, et Amalia, née Ganz, 20 ans; tous deux étaient juifs. Édouard n’était certainement pas un médecin d’aucune sorte; en effet, il n’a jamais acquis de qualifications académiques et n’a même pas fréquenté une université. Presque certainement il n’a jamais servi dans l’armée non plus. En 1873 ou 1874, à l’âge d’environ dix-sept ans, il est allé pendant un certain temps aux États-Unis (peut-être pour éviter le service militaire en Allemagne), et il a dit plus tard qu’un oncle y éditait un quotidien (allemand), probablement à Cincinnati ou Chicago. Il y apprend le métier de journaliste – mais aussi, comme les dossiers de police montrent, s’est exercé à l’art de soutirer de l’argent des poches des autres. De retour en Allemagne, il est en 1875 condamné à Francfort-sur-le-Main à trois mois de prison pour escroquerie ; il s’est évadé et a été arrêté en janvier 1876 à Budapest sous le nom de Charles Edward Robertson d’Amérique, toujours pour fraude et obtenir de l’argent sous de faux prétextes. Bientôt, bien sûr, il fut de nouveau aux États-Unis.
Peu de temps après sa sortie de prison à Rotterdam, il a définitivement a abandonné le nom de Nathan-Ganz. En 1888, il est apparu à Paris comme Da Costa, mais il fut bientôt identifié et de nouveau recherché par les Hollandais, la police belge et française pour les mêmes infractions qu’auparavant. Mais alors la police a perdu toute trace de lui. Lorsque Nettlau a commencé ses recherches historiques à la fin des années 1880 et dans les années 1890, et s’est enquis de Nathan-Ganz dans le mouvement parmi les personnes qui l’avaient connu en 1881, aucun on ne savait ce qu’il était devenu ; il avait complètement disparu.
Mais, comme tout historien le sait, si l’on cherche quelque chose ou quelqu’un, la chance frappe une fois, elle frappe généralement une seconde fois – généralement quand on ne s’y attend pas et qu’on cherche quelque chose complètement différent. Quelques années après avoir découvert l’existence des origines de Nathan-Ganz, dans un tout autre contexte que je travaillais sur le journal français de Gustave Hervé La Guerre Sociale pour la période qui a précédé la Première Guerre mondiale – et j’ai soudain eut l’impression la foudre avait frappé lorsque j’avais lu un article intitulé « 500 .000 ! » (20/26 mars 1912). Il comportait une lettre au président de la France signé « Numéro 22, ex-lieutenant et propriétaire ». Herve était en prison depuis mai 1910, purgeant une peine de six ans et trois mois pour sa propagande anti-patriotique, et la lettre formule une pensée quelque peu familière :
Hervé en prison ou hors de prison importe peu, car ce ne sont pas les hommes à qui ce mouvement fait défaut. Ce qu’il faut, c’est le nervus rerum, Sa Majesté l’argent – indispensable dans notre société actuelle, même pour faire la révolution, il en faut. Donc – cet argent, je vais le mettre à leur disposition !, et nous verrons ce qu’il en est de plus dangereux, Hervé libéré sans un sou, ou Hervé au cachot avec 500.000 francs à sa disposition !
« Numéro 22 » avait déjà donné deux fois 1.000 francs – la première en janvier 1912, « pour protester concrètement contre votre détention [en tant que] vieux Lieutenant qui a dit adieu à toutes les théories et ne conserve que le culte des hommes courageux » (Eugène Merle, « Un beau geste », La Guerre Sociale, 31 janvier/5 février 1912) ; puis en février, « à la suite de ma protestation contre votre détention, je mettrai à votre disposition chacun mois 1 000 francs jusqu’au jour de votre libération » (Eugène Merle, ‘Pour la libération de Gustave Hervé’, La Guerre Sociale, 14/20 février 1912). En mars, avril et juin suivirent une autre 1 000 francs ; cependant, la moitié de la dernière somme devait être versée au Comité de défense de Malatesta à Londres (pour protester contre son menacé d’expulsion de Grande-Bretagne). Puis, pour la sixième fois, la réception de 1 000 francs a été annoncée et une nouvelle lettre imprimée signé « Ex-Lieutenant » (Miguel Almereyda, « Le 6e billet de 1 000 francs », La Guerre Sociale, 10/16 juillet 1912). L’envoi suivant a été orné du titre « HERVÉ LIBÉRÉ ». La semaine suivante Hervé a remercié « particulièrement l’Ex-Lieutenant qui lors des dernière sept mois de mon emprisonnement me bombarda chaque mois selon sa promesse avec un billet de 1 000 francs destiné à mon travail révolutionnaire et avec une précision vraiment militaire ».
Deux ans plus tard, plusieurs mois avant la Première Guerre mondiale, Hervé s’était débarrassé de son antipatriotisme violent et s’était détourné de l’antimilitariste pour devenir un ardent patriote français. En réponse à cette trahison La Guerre Sociale (11/17 février 1914) imprimait pour la dernière fois une lettre signée « Ex-Lieutenant n°22 », critiquant sévèrement le changement d’attitude et de tactique et prônant un front uni de toutes les forces socialistes, de toutes celles qui sont unies par une opposition irréductible à la classe bourgeoise dans son ensemble et à l’Etat comme son instrument. Je ne comprendrai jamais une alliance entre ceux qui veulent détruire l’ordre social actuel et ceux qui veulent le défendre ».
Il est peu probable que deux personnes différentes signent si mystérieusement comme « No 22 », et il est facile d’imaginer les raisons de la rétrogradation d’un faux officier de colonel à lieutenant, mais des faits concrets sont insaisissables. Ici le nom d’Hervé devait servir sur la piste de cette personnalité évasive, et il a finalement aidé à dénicher un pamphlet de 46 pages qui s’intitulait Le Général et le Lieutenant, sous-titré « Correspondance entre Gustave Hervé et Charles-L. Hartman », et publié à Genève en 1917. Dans son introduction le pacifiste, ancien anarchiste et futur communiste Henri Guilbeaux informait le lecteur :
La bonne fortune m’a permis de dissiper l’épais mystère qui obscurcit cette personnalité curieuse. Américaine de naissance et française, plus exactement alsacienne de origine, le Dr Charles-L. Hartmann, actuellement âgé de 62 ans, est un curieux spécimen de ces Yankees que Walt Whitman comprenait et chantait, le grand poète de la démocratie américaine dans l’intimité duquel, soit dit en passant, il a vécu et qu’il admire.
Aventurier, audacieux, intelligent, il découvre très jeune combien les conditions économiques pèsent sur l’humanité. Socialiste-anarchiste, il n’a pas hésité à quitter sa famille …. Pendant plusieurs années, il a eu une dure existence, pénible…. Il a essayé presque toutes les professions avec plus ou moins de succès, ou plus précisément plus ou moins infructueux…. Son intention avait été d’acquérir une sorte de fortune qui assurerait non seulement son existence matérielle, mais qui lui permettrait aussi de se consacrer à une utile révolution, la propagande. Il l’a fait, et généralement curieux, il a voyagé. Il a visité les cinq coins du monde, étudiant l’art, l’histoire, les institutions politiques des plus grands et les plus petits États.
A ce stade mes doutes sur l’identité d’Eduard Nathan alias Dr Edward Nathan-Ganz alias Dr Charles-Louis Hartmann étaient – . peut-être un peu prématurément – pratiquement dissipé. Mais quand je racontait avec enthousiasme l’histoire à un ami et collègue, d’autres étranges coïncidences ont finalement réglé l’affaire. Car, tout en travaillant à travers des milliers de pages de notes sténographiques que Max Nettlau avait pris lors de séjours en Espagne, il était soudain tombé sur quelques pages avec des comptes rendus de plusieurs entretiens que Nettlau a eu à Vienne en 1928 et 1929 avec le « Délégué No 22 au Congrès de 1881 ». Une fois que la connexion avec Nettlau avait été établie, bien sûr, beaucoup plus de matériel est devenu disponible – y compris de nombreuses lettres à Nettlau du « Consul Dr Charles-L Hartman ». Les réminiscences de Hartmann et Nettlau ainsi que plusieurs explications, telles que les suivantes :
Toute l’affaire a commencé ainsi. Vers 1926, Rocker m’a parlé … d’un monsieur plus âgé qui avait acheté tous ses livres historiques et les miens …. Il avait a ensuite écrit à Rocker et lui a rendu visite, s’enquérant de moi et affichant une bonne connaissance des idées et du mouvement…. En 1928 ce monsieur a déménagé à Baden près de Vienne et a écrit à partir de là. . . – Là se dressa soudain devant mes yeux une énigme du passé enfin résolue. Son attention l’écriture manuscrite a façonné le L de Charles-Louis d’une manière particulière, et j’ai relu les papiers du London Social Revolutionary Congress (1881) que j’avais reçu de [Gustave Brocher], et parmi ces résolutions etc. écrites par « Dr Nathan Ganz », ont a trouvé le même L et on a identifié les deux écritures comme identique.
De cette façon, et avec les informations données dans ses lettres et ses livres (‘J’ai écrit quatorze livres dont un certain nombre ont été traduits en quatre, cinq langues »), sa biographie depuis sa « disparition » en 1888 pourrait être au moins grossièrement reconstruite comme suit.
Au début de 1889, il est en Floride, voyageant ensuite dans le Nord et l’Amérique du Sud, où d’une manière ou d’une autre, quelque part, il est devenu consul. En 1896 il vivait à Hakodate (Japon) et en janvier 1898 à La Havane (Cuba). Fin 1899 ou début 1900, il épouse Marguerite Thouvenin. En octobre 1902, il était à New York, en août 1903 à Long Island. A partir de 1906 au moins, il vit en France jusqu’au déclenchement de la Première Guerre mondiale en 1914, avec des visites régulières à Lugano (Suisse) et Brighton, où il retrouve Kropotkine peu avant et pendant les premiers mois de la guerre. Le 1er août 1914, il quitte la France pour l’Angleterre, où il séjourne à Londres et Brighton jusqu’en février 1915. Le 27 février 1915, il quitte Liverpool à bord du Carmania pour New York. Le 21 avril, il quitte New York de nouveau pour Gênes et, chemin faisant, il est arrêté le 27 avril à Gibraltar. Il a été interné en tant qu’étranger ennemi, expédié en octobre à Liverpool, et finalement à Knockaloe sur l’île de Man. En Février 1916 il est libéré sur l’intervention d’Aristide Briand, en partie en reconnaissance du bluff de 500 000 francs qui avait contribué à la libération d’Hervé en 1912. Il quitte l’Angleterre pour Paris et peu de temps après a déménagé en Suisse, s’installant près de Zürich. Là, il est impliqués dans des milieux pacifistes et en partie pro-allemands, a coopéré pendant un temps avec Henri Guilbeaux (qui publia le pamphlet d’Hervé pour lui), et participe à la création du quotidien Paris-Genève. En partie pour toute cette activité, pour ses activités de propagande ami-française, et prétendument aussi pour espionnage, il était – comme Guilbeaux et plusieurs autres – jugé en France par contumace et condamné à mort.
Vers 1920, il s’installe à Berlin où il ouvre une agence de presse, la Deutsche Presse Centrale. En 1928, il s’installe à Baden, près de Vienne, et fin 1929 retour en Allemagne, d’abord à Baden-Baden puis à Bad Homburg en Hesse. Ce n’était qu’à 25 milles d’où il est né; en effet sa femme a dit après sa mort non seulement qu’elle a toujours été convaincue qu’il était allemand mais qu’elle pensait qu’il avait retourné délibérément dans la région d’où il venait (lettre à Nettlau, 11 juillet 1938). Pendant ces années en Allemagne et en Autriche, il n’était pas plus actif politiquement. Il gagnait sa vie de plus en plus précaire en en donnant des cours d’écriture et de journalisme et en produisant des publications sur le sujet, dont un journal Der Journalist und Schriftsteller : Fachorgan des Verbandes der Journalisten und Schriftsteller (Le Journaliste et écrivain : Journal professionnel de l’Association des Journalistes et écrivains – une organisation fondée par lui-même). En 1930 il a eu une période anxieuse, quand le vrai Dr Charles-Louis Hartmann était arrêté en France à cause de la peine de mort, et s’est défendu lui-même en affirmant que pendant de nombreuses années, il avait souffert de plusieurs manières en étant confondu avec quelqu’un d’autre qui utilisait son nom et ses papiers!
Le faux Hartmann appréciait sa correspondance occasionnelle avec Nettlau, se délectant de souvenirs et justifiant ses actions. Dans une série de lettres répondant à la publication en 193 l du volume de L’histoire de l’anarchie de Nettlau le couvrant le Congrès de Londres, il a rappelé des incidents ou essayé de corriger des erreurs ou de rétablir l’équilibre.
Votre critique est tout à fait justifiée et agréablement impartiale. Est-il connu de vous que Kropotkine et Malatesta ont été informés des « expropriations » prévues ? Le premier refusant, M. s’est en revanche activement impliqué pour se procurer les moyens d’un journal L’Insurrezione (prévu par Malatesta et Vito Solieri pour être publié à Londres en juillet et août 1881] et une insurrection en province.
Nettlau dans ses mémoires non publiés décrit à ce stade la fureur de Kropotkine contre Nathan-Ganz, considérée comme de l’hypocrisie et remarque sèchement : « Qui a écrit plus sur l’expropriation que Kropotkine et pourtant il n’a jamais touché à la propriété d’autrui ?
Nathan-Ganz a également affirmé avoir réussi ainsi soutenir financièrement plusieurs événements russes, notamment le libération de Leo Deutsch, la Jeune Garde d’Almereyda, Hervé de la Guerre Sociale, L’ Anarchie de Mauricius, etc…. Une condition sine qua non est de s’abstenir de toute activité politique, même des réunions de visite de camarades; vous devez être bourgeois avec les bourgeois et se faire plaisir dans les belles choses du système bourgeois. (Lettre, 2 mars 1931) Il a également affirmé : Bien sûr, sans The Anarchist, Liberty ne serait jamais apparu. . . . Tucker avait reçu l’intégralité du contenu des archives de The Anarchist correspondance, abonnés, etc., ce qui l’aidait beaucoup. … Ce n’était pas l’ancien projet indépendant de Tucker d’avoir son propre journal, mais de le l’opportunité et des facilités qu’offrait la disparition de l’Anarchist, qui a conduisit à la fondation de Liberty – pas la fille mais la mère de commande ». (Lettre, en anglais, 12 mars 1931) Le commentaire de Tucker était sec : « Liberty » n’est pas née des affaires de Ganz. de quelque manière que ce soit » (lettre à Nettlau, 6 juillet 1937). Maintenant, cependant, Nathan-Ganz était devenu plus pessimiste :
Moi-même, je n’ai vraiment aucun désir, je désespère de toute amélioration pour les masses, cinquante longues années j’ai eu l’espoir et les perspectives aujourd’hui sont plus sombres qu’elles l’étaient alors ! Je m’ennuie de tout, de cette blague stupide de la vie elle-même et j’attendant avec joie le jour où ce sera fini. Vous trouvez l’oubli et le plaisir dans votre travail – la vue d’un stylo et d’un papier m’est odieuse ! (Noël 1929)
Et encore:
Je suis actuellement coincé jusqu’au cou et à la tête au travail pour gagner du pain sans margarine, sans parler du beurre.
Comme vous le voyez dans la brochure ci-jointe, j’essaie actuellement de faire sortir les éditeurs d’aides-coiffeurs. Ce n’est en aucun cas aussi difficile que vous pourriez le penser. Il serait beaucoup plus difficile de transformer un éditeur en un bon coiffeur. ( 4 décembre 1931)
Le 18 mars 1934, l’homme qui a commencé comme Eduard Nathan, est connu aux historiens sous le nom d’Edward Nathan-Ganz, et se faisant encore appeler Charles-Louis Hartmann, est mort à Bad Homburg d’une hémorragie au cerveau à 78 ans. Pendant un demi-siècle, Nettlau était la seule personne qui savait que Charles-Louis Hartmann était Edward Nathan-Ganz, et il n’a rien publié sur cette histoire parce qu’il avait été supplié de ne pas la révéler. Et même Nettlau ne savait pas que cette personne était vraiment Eduard Nathan.
Maintenant le mystère de son identité est résolu, mais sans doute là se trouvent encore plusieurs autres mystères à son sujet.
Notes
Ce premier récit factuel fiable de la vie d’Edward Nathan-Ganz est largement sur la base de documents inédits de l’Insùtute lnternaùonal d’études sociales Histoire, d’Amsterdam, et des archives policières et publiques à Wiesbaden, La Haye, Paris et Londres. Les références publiées à son sujet apparaissent dans le troisième volume de Geschichte der Anarchie (Histoire de l’anarchie) de Max Nettlau, Anarchisten undSozialrevolutionare (Berlin, 1931) et dans plusieurs autres endroits -Paul Avrich La tragédie de Haymarket (Princeton, 1984), Ronald Creagh Histoire de l’anarchisme aux Etats-Unis d’Amérique, 1826-1886 (Grenoble, 1981) et L’Anarchisme aux Etats-Unis (2 volumes, Berne &c, 1983), John M. Hart L’anarchisme et le verre de travail mexicain, 1860-1931 (Ausùn, 1978), Clara E. Lida ‘Mexico y el internacionalismo clandestino del ochocientes’ in El trabajo y los trabajadores en la historia de Mexico (Mexique et Tucson, 1979), A. Sartorms Freiherr von Waltershausen Der moderne Socialismus in den Vereinigten Staaten von America (Berlin, 1890). Les souvenirs de personnes qui le connaissaient comprennent Henri Guilbeaux Du Kremlin au Cherche-Midi (Paris, 1933), Josef Peukert Erinnerungen eines Proletariers aus der revolutioniiren Arbeiterbewegung (Berlin, 1913), Die Hintermiinner der Socialdemokratie : Von einem Eingeweihten [c’est-à-dire Charles Schneidt] (Berlin, 1890).
Les livres connus de Nathan-Ganz, qui ont tous été publiés anonymement ou sous un pseudonyme, sont les suivants :
Richard Wagner en tant que Reformator der Tonkunst (New York, 1876)
Études de littérature allemande (Chicago, 1876, 1887)
Lex Talionis (Chicago, 1891)
Bouddhisme ésothérique (Londres, 1891)
Conférences sur l’art japonais (Londres, 1895)
La France moderne (3e édition illustrée, New York, 1910)
Vor der Wa.ffenruhe: Eine Kritik der reinen Unvernunft (Bâle, 1917)
Le Général et le Lieutenant : Correspondance entre Gustave Hervé et Charles-L. Hartmann (Genève, 1917)
Briefe eines Pazlfisten (1917)
Das Recht des legitimen Besitzes und andere Ungemutliche Geschichten (Halle a. S., 1917
Kriegsgefangener auf Gibraltar und der Insel Man (Berne, 1918)
Wer tragt die Schuld am Weltkriege (Berlin, 1924)
Hinter den Kulissen des franzosischen Journalismus : Von einem Pariser Chefrédakteur (Berlin, 1925)
Journaliste und Schriftsteller: Eine Einführung in den Beruf (Bad Homburg, 1931)
M. Chenard, journaliste français, jadis expulsé d’Italie comme correspondant du Figaro, m’a fourni sur les mouvements des anarchistes du Tessin des renseignements qui m’ont déterminé à envoyer à Lugano, M. Legrand, secrétaire de cette ambassade.
Il résulte des investigations de ce dernier qu’il existe à Lugano, dans un local loué pour eux et où les anarchistes se réunissent tous les soirs, une véritable école de crime, alimentée par les révolutionnaires italiens réfugiés à la suite du meurtre de M. Carnot.
Ceux qui la dirigent sont les frères Pacina (Isaïe et Santi), Melano, Maracini et Gargliardi (celui-ci particulièrement violent est Suisse).
L’avocat milanais Gori habite également Lugano depuis l’attentat de Lyon, il préside aux réunions anarchistes et joue un rôle marquant dans leurs agissements. Quant à Paniza, dont vous aviez demandé le signalement, il aurait disparu depuis quinze jours sans qu’on ait retrouvé sa trace.
On suppose que c’est Gorgliardi qui a caché la dynamite que les anarchistes possèdent (à Biasca ou à Bionnio). Le prochain courrier vous portera un rapport complet sur ces individus. M. Legrand a constaté en outre que l’anarchie opère en liberté, ou peu s’en faut, à Lugano et que le Préfet, homme énergique sur lequel on pourrait agir, était réduit à l’impuissance par suite de la mollesse ou de la mauvaise volonté des autorités locales.
M. Chenard, sans pouvoir préciser, a dit qu’il était convaincu qu’il se tramait actuellement un ou plusieurs attentats.
Il y a bien longtemps que j’aurais dû vous répondre, mais ne sachant rien sur le Gargini dont vous me parlez, j’ai écrit à Charles pour lui demander s’il ne le connaissait pas, – et après toutes sortes de choses m’ont empêché de vous répondre.
Quant à moi je ne le connais pas du tout et certainement il ne m’a donné aucun renseignement pour le Révolté, puisque tous ceux que nous avons mis venaient, soit de Merlino, soit de Carlo. Il est vrai que j’ai reçu en été aux montagnes où j’étais, à Chesières, la visite d’un Monsieur qui m’a fait bien l’air d’un marchand et qui est venu me dire que le consul italien a fait faire mon portrait ; mais je suis presque sûr que c’est un des nombreux mouchards qui traînent à Chésières, probablement pour s’assurer que je suis bien là et pas en Russie.
Il m’a donné son nom Annibal Rossi, de ma taille, longues moustaches noires, pas de barbe, parlant assez mal français et manière de causer très ervile, très bavard aussi.
A propos de la Voix de l’ouvrier – ils sont toujours comme ça. C’est comme Marx déclarant que Bakounine est un mouchard et puis – trouvant son excuse en disant que c’est en son absence un autre qui a fait insérer cela. Ils sont tous de la même trempe – dégoûtant en effet.
Ont-ils au moins inséré la rectification ? Je ne reçois pas la Voix de l’ouvrier puisqu’ils ne nous l’envoient pas depuis quelque temps.
Comment vous plaisez-vous à Bruxelles ?
Depuis deux mois je suis déjà à Genève après avoir fini le travail avec Reclus. Nous travaillons maintenant surtout à faire de la propagande en France : le moins possible de polémique avec les étatistes et le plus possible de propagande de nos idées. Je ne m’illusionne plus facilement maintenant, mais il me semble que nous que nous réalisons des progrès réels en France. Le tempérament français se fait aisément aux idées de l’anarchie et puis les ouvriers sont tellement dégoûtés de tous les ambitieux qui cherchent à parvenir en montant sur leur dos, qu’ils ne se laissent pas prendre facilement par des inventeurs de programmes, les uns plus mauvais que les autres.
Mais il est évident que les anarchistes français ne marcheront d’un pas sûr que lorsqu’ils se sentiront appuyés nationalement et internationalement. C’est pourquoi il serait d’une très grande importance que l’idée des amis de Verviers de reconstituer l’association internationale des travailleurs prenne bien et arrive à bon port.
Pourriez-vous les aider dans le travail de réorganisation qu’ils ont entrepris ?
Il y a une chose surtout qui m’inspire des craintes, c’est que le mouvement ne dégénère simplement en une organisation de révolutionnaires isolés sans appui aucun, sans racines dans les masses. Alors on sera sûr que le mouvement cesserait d’être l’expression des aspirations populaires et qu’il se transformerait en une agitation superficielle et purement politique qui ne viserait qu’une chose : la guerre aux personnalités ds gouvernants et qui n’aurait pas avec elle les masses.
C’est pourquoi il me semble qu’il faudrait déployer toutes les forces en Belgique et en France pour activer la réorganisation de gros corps de forces ouvrières et il me semble que l’unique moyen serait de reconstituer l’Internationale avec ses grandes sections de corps de métier et ses grèves.
Je me hâte de finir, cher compagnon et je vous serre bien fraternellement la main.
Bien à vous
[s] Pierre Kro.
Avez-vous des nouvelles de Malatesta ? Est-il déjà à Londres ? Viendra-t-il ici ? Avez-vous son adresse ?
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15 février 1881
Genève, 17 route de Carouge
Cher compagnon,
Votre idée, comme vous dites , à mon avis est excellente. Pour le Congrès de Londres, j’ai entendu dire que les promoteurs mêmes de ce congrès commencent à y refuser et proposent la Suisse en voyant le peu de monde qui pourrait y venir. Mais l’affaire de commencer de la propagande socialiste (qui jamais n’a été faite) me semble excellente. Seulement, pour que le Congrès y fasse quelque chose, il faudrait qu’il fût nombreux et imposant ; autrement il n’aurait pas prise sur les anglais.
Mais, Congrès à part, n’y aurait-il pas moyen en effet de commencer quelque chose en Angleterre précisément parmi les ouvriers anglais.
Après avoir séjourné deux hivers à Londres – qui est encore l’endroit le moins propice – je me suis persuadé que – quoiqu’il n’ait été rien fait dans la direction socialiste et que les préjugés les plus absurdes règnent sur la capitale – néanmoins la grande masse des « Gesindel » comme disent les allemands est très enclin à partager nos idées. Seulement il faudrait agir absolument en dehors de l’aristocratie ouvrière organisée, c’est à dire des « Trades Unions ».
Comment pénétrer. Je connais seulement un seul qui me semble disposé à devenir socialiste et anarchiste – c’est le nouveau collaborateur du Républicain dont j’ai traduit l’article dans le Révolté. On pourrait se mettre en relation avec lui.
Ne pourriez-vous le faire ? Pour ma part je suis trop occupé – j’ai trop négligé mon gagne pain pedant ces trois mois, en sorte que je dois m’y mettre sérieusement. Mais ne pourriez-vous pas, vous, entamer des relations ? Connaissez-vous le nouveau journal Le Radical ? On en dit du bien.
Peut-être il y a là des gens avec lesquels on pourrait entrer en relation. Sur les vieux, comme Jung, il n’y a pas à compter ; il faut en découvrir de nouveaux et meilleurs.
Autre chose. Pourquoi vous méfiez-vous des belges ? Connaissez-vous les verviétois ? Je les aime beaucoup et je crois qu’ils feront quelque chose de bon. Surtout en temps de révolution, il donneront la vraie note au mouvement en le faisant économique, socialiste, non politique. Je ne dirai pas que les mineurs du Centre soient aussi bons que les verviétois. Les quelques uns que j’ai vus pendant quelques heures que j’y ai passées, ne m’ont pas produit l’excellent effet que font les verviétois.
A Bruxelles, il n’y a jamais eu depuis 1872 de mouvement révolutionnaire, ni vraiment socialiste.
Je vous remercie bien de votre aimable proposition et j’aurais voulu pouvoir en profiter de suite, car j’aurais bien aimé faire un voyage en Belgique, notamment à Verviers, à Charleroi, à Liège pour travailler à reconstruire l’Internationale ouvrière. Je ne perds pas espoir de pouvoir venir si je parviens à faire quelque travail bien payé.
Je vous écris en galop (lirez vous ma main).
C’est la semaine du Révolté et notre compositeur demande de la copie pour demain matin, donc je bûche. Je vous serre donc à la hâte mais bien cordialement la main.
A vous.
[s] Léopold
Henri (Malatesta) est à Ligano.
Quels journaux voudriez-vous avoir ?
J’ai écrit en marge par erreur. J’ouvrais une lettre adressée à Malatesta pour y ajouter cela et je le confonds avec la vôtre.
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27 février 1881
Genève, 17 route de Carouge
Cher ami,
Je viens de recevoir votre seconde lettre et je m’empresse d’y répondre.
J’ai déjà dit une fois formellement dans le Révolté à propos du Congrès de Zürich et je le répète à propos du Congrès de Londres – et la fédération jurassienne a unanimement approuvé cela – que je blâme de toutes mes forces cette habitude qui s’établit aujourd’hui de faire tout entre rédacteurs de journaux, qui s’érigent en meneurs, tandis que les organisations ouvrières restent de côté. J’ai dit que le Révolté n’avait pas à prononcer s’il adhérait, oui ou non au Congrès ; c’est à la Fédération jurassienne à se prononcer. Or, celle-ci ne s’est pas prononcée, parce jusqu’à présent :
1°Elle n’a su du Congrès que par les journaux ;
2° Parce que jusqu’à présent il n’est venu de nulle part, aucune proposition sérieuse concernant le sujet des discussions au Congrès. Il ne suffit pas que quelques personnes disent qu’ils vont réorganiser à Londres l’association internationale des travailleurs (en se gardant bien de formuler une seule proposition pratique) ; il faut savoir si l’Internationale veut se réorganiser et dans quel sens veut-elle modifier ses statuts et son mode d’action, s’il y a lieu de le modifier.
Eh bien, la fédération jurassienne, la fédération espagnole, ni les groupes de l’Italie qui ont tenu bon à l’Internationale pendant la période difficile, n’ont jamais reçu aucune communication à ce sujet, ni aucune proposition.
Le Révolté n’a pas à se placer comme organisateur du Congrès de Londres. Il est l’organe de la fédération jurassienne et il suivra cette fédération. Si l’ont veut savoir ce que la fédération pense du congrès, il faut lui exposer ce que l’on se propose de faire au Congrès, s’entendre tous sur l’ordre du jour et alors la fédération dira si, oui ou non, elle participe à ce congrès. Je vous avoue que la manière de faire tout entre 4, 5 personnes me répugne au plus haut degré. Nous l’avons assez vu fonctionner chez les social-démocrates allemands pour que nous, qui les avons attaqué à ce sujet, ne fassions pas de même.
Je le répète donc : Le Révolté n’a pas à se faire le bureau pour un congrès. Les adhésions doivent être envoyées directement aux organisateurs et si les organisateurs formulent des propositions d’une certaine importance, ils seront sûrs d’avoir des adhésions.
Maintenant, puisque les amis belges tiennent à avoir un Congrès à Londres, la fédération jurassienne se fera représenter à ce Congrès.
Il est mal lancé ; le renvoi même lui fera du tort – c’est vrai, mais il est évident que la fédération jurassienne fera tout ce qu’elle pourra pour qu’il réussisse. Malheureusement ce « qu’elle pourra » devra se réduire à l’envoi d’un délégué ; car vous comprenez que nous n’avons pas des masses d’argent en caisse et que l’on gardera avant de dépenser 300 francs par délégué – pour discuter quoi ?
Je l’ai dit dans une lettre à Delsaute et je vous prie de lire cette lettre et de la faire lire à tous.
Quel but visons nous par le Congrès de Londres ?
Est-ce la création d’une forte organisation révolutionnaire ? Je crois que oui. Eh bien, comment faut-il s’y prendre ? Il faut deux choses :
1° Une organisation secrète qui peut être peu nombreuse, mais bien organisée d’abord entre gens qui se connaissent bien et puis qui étendent leurs ramifications sur tous les pays – le genre d’organisation ne se fait pas à un congrès. Il s’arrête entre gens qui se connaissent tous et non pas dans un Congrès où il y aura 2, 3 mouchards, puisque le principe d’un congrès de ce genre, c’est la liberté de toute organisation révolutionnaire, ou se disant telle, de s’y faire représenter.
Veut-on une organisation secrète ? J’y applaudi de toutes mes forces et mes amis du Jura y applaudissent aussi. Nous l’avons toujours pratiquée et nous le pratiqueront.
Mais alors que diable va-t-on faire un Congrès qui est chose publique, ouvert à tous.
Qu’on convoque dans un endroit central, Paris par exemple ou même Bruxelles, une conférence clandestine. Qu’on élabore un plan d’alliance et qu’on fasse à cette conférence clandestine une organisation sérieuse.
Si on ne le fait pas c’est qu’on ne se rend pas compte de ce que doit être une conférence sérieuse poursuivant ce but.
2° Pour que l’organisation clandestine ne reste pas isolée de la main des ouvriers, pour que la masse ouvrière, elle aussi, entre dans le mouvement – il faut, en outre, une organisation ouvrière vaste, englobant des 100.000 hommes.
Le plan de cette organisation est tout fait, c’est l’Internationale et il n’y a qu’une chose à ajouter à ses statuts, celle-ci : l’Internationale ne prend aucune part aux luttes parlementaires . Elle poursuit la lutte sur le terrain économique.
D’un coup nous avons ainsi exclu les politiqueurs et nous créons, si nous y travaillons sérieusement, une organisation pacifique au début, mais nombreuse, imposanteet qui – dans la situation actuelle où chaque grève dégénère en combat et avec le travail souterrain qui se fera par l’organisation secrète, devra devenir le foyer de la révolution populaire. Est-ce clair ?
Eh bien ! Le congrès de Londres est un congrès manqué. Il n’est pas assez franchement révolutionnaire pour être une réunion de conspirateurs qui se connaissent. Il n’est pas non plus un Congrès destiné au public qui ferait beaucoup de bruit, imposant par le nombre de ses délégués (c’est matériellement impossible à cause de la distance).
Et vous comprenez que l’Internationale n’ira pas manger des milliers de francs (beaucoup plus utiles pour l’action) pour parader à un congrès de ce genre.
Evidemment nous y serons. Evidemment le Révolté en sera solidaire et lui fera de la propagande. Evidemment nous endosserons tous la responsabilité ; mais, entre nous, nous devons nous dire ce qu’il y a de défectueux.
Si nous n’avions pas devant nous le Congrès de Zürich qui peut se terminer par la constitution d’une association internationale ouvrière excluant de son sein tous les éléments révolutionnaires et soumettant les masses ouvrières à la dictature occulte des meneurs anti-révolutionnaires – si nous n’avions pas devant nous cette éventualité, j’aurais dit : eh bien, c’est une partie remise.
Allons à Londres, faisons figure piteuse aux yeux de l’Europe, mais au moins entendons-nous là pour convoquer un Congrès sérieux avec beaucoup d’organisations ouvrières et entendons nous entre quelques uns pour constituer une entente secrète.
Mais le temps passe et le Congrès de Zürich peut rendre impossible ce que nous devrions viser : l’Internationale des groupes ouvriers ne s’occupant pas de minimussisme.
Si ces observations arrivent encore à temps, profitons-en. Sinon, eh bien disons : le vin est tiré, il faut le boire.
Dans ce cas là :
1° Que les organisateurs écrivent à la fédération jurassienne (l’adresse du bureau fédéral est : Henri Robert Pares, 39 à Neuchatel) la date du Congrès, l’adresse du Comité d’organisation du Congrès et surtout quelles propositions les amis belges se proposent de faire et qu’es ce qu’ils entendent sous cette phrase (si malheureusement choisie pour un Congrès qui n’est pas un Congrès de l’Internationale) par réorganisation de l’Internationale.
La fédération espagnole étant clandestine et fortement poursuivie en ce moment, je peux me charger de leur expédier la lettre du comité organisateur du Congrès et alors ils verront eux-mêmes en Espagne quelle adresse ils peuvent donner à ce comité.
Si le Congrès a lieu, on tâchera de le faire pour le mieux et d’atténuer ce qui doit fatalement lui être nuisible. De cette solidarité nous avons toujours fait preuve et les belges qui nous connaissent, n’en douteront pas. Je n’y mets qu’une seule condition ; c’est qu’on dise enfin, qu’est-ce que l’on propose de faire à ce congrès ? Alors je saurai au moins ce que j’ai à en dire dans le Révolté et je sortirai enfin de cette situation stupide dans laquelle les amis belges nous ont mis, celle de parler d’un Congrès dont on ne sait pas même qu’est-ce qu’il veut.
On ne s’enthousiasme d’ailleurs jamais pour l’inconnu.
Il est temps de finir et je finis en vous serrant bien fraternellement la main.
(signé) Léopold
N’adressez pas Levachoff.
J’ai abandonné depuis longtemps ce nom de guerre.
Source : 3077. Max Nettlau Papers. IISH Amsterdam, p. 5-15
Note de présentation des 3 lettres : Photocopie d’une lettre de Pierre Kropotkine relative au Congrès de 1881. Avec photocopie d’une circulaire de Belgique [envoyée au Bureau de renseignements] dans laquelle la lettre est mentionnée. 1881. 1 couverture NB. Reçu d’Anna Staudacher en 1987.