Perquisitions chez les anarchistes de Saint-Denis à la suite du vol de 360 cartouches de dynamite à Soisy-sous-Etioles. 25 février 1892

VOL DE DYNAMITE

Perquisitions chez les anarchistes.

A la suite d’un vol de trois cent soixante cartouches de dynamite commis à Soisy-sous-Etioles, près de Corbeil, dans les bureaux de la carrière de pierres meunières appartenant à M. Dehayon. MM.Clément, commissaire aux délégations, Brissaud, du quartier Bonne Nouvelle, bureau du Mail; Bernard, du quartier Gaillon; Lejeune, de celui de la Sorbonne; Girard, de Belleville; Archer, de Clignancourt; Belouino et Baube, de Saint-Denis nord et sud; Guilhen, de Levallois; Berthelot, de Clichy; Amat, de Puteaux; Pelatan, d’Asnières et enfin M. Goron, chef de la sûreté, puis aussi M. Cochefert, des délégations judiciaires, furent chargés de faire des perquisitions chez différents anarchistes de Paris et de la banlieue.

Les perquisitions faites à Paris ont amené la découverte de 41 cartouches de dynamite chez le compagnon Chalbret qui habite une mansarde, 32, rue Broca.

Dans la banlieue, à Asnières, M. Pelatan a découvert chez l’anarchiste Bordier et au siège du groupe d’études sociales La Bombe, situé impasse Sainte-Geneviève, 18, cartouches de dynamite cachées dans le poêle.

Chalbret et Bordier, malgré leurs déclarations de ne pas connaître la provenance de ces cartouches, ont été maintenus à la disposition de la Justice.

A St-Denis, MM. Baube et Belouino ont fait des perquisitions chez les anarchistes dionysiens les plus connus : Altérant, rue du Canal; Bouteville, 20, rue Brise-Échalas; Bastard, rue du Canal; Pauwels, sujet belge, expulsé de France à la suite des affaires du 1″ mai et recherché depuis, et enfin chez Ploock

Le Journal de Saint-Denis 25 février 1892

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Mme Viard abandonne sa plainte contre Gustave Mathieu et Simon dit Biscuit. 18 février 1892

Saint-Ouen

L’affaire des anarchistes.

La version dont nous avons parlé dans notre dernier numéro, celle produite par les inculpés, semble avoir prévalu.

Après l’interrogatoire subi mardi, chez M. Huet, juge d’instruction, les deux anarchistes arrêtés, Mathieu et Simon, ont été mis en liberté; à 7 h. du soir ils étaient de retour à St Ouen. Ils ont affirmé avoir agi sur les ordres de Mme veuve Viard.

Les détenteurs de marchandises provenant de chez Viard, ont été appelés également devant le juge sur mandat de comparution; parmi eux, se trouve un marchand de vin de la zone qui fut conseiller municipal, qui fut du parti possibiliste et lequel actuellement, est répartiteur de nos contributions!! désigné ainsi, on saura de qui nous voulons parler.

Le piquant cette affaire, c’est que l’ex-adjoint Lefève est mêlé à cette affaire et paraît être le confident et conseiller de Mme Viard.

Mathieu et Simon sont furieux contre la veuve, contre Lefèvre, ils se défendront au procès d’être des voleurs.

Étant donné la tournure que prend l’affaire, il est presque certain que Mme veuve Viard va se désister de sa plainte contre Mathieu et Simon, qui ne paraissent pas se contenter de cette solution.

Les marchandises soustraites à la liquidation Viard ont été relevées dans les différents dépôts ou elles se trouvaient par les soins de M. Daltroff, commissaire de police. La vente des dites marchandises aura lieu ultérieurement. L’intervention si empressée de l’ex-adjoint au maire révolutionnaire de Saint-Ouen, dans cette affaire, a bien sûr pour but de sauver la personnalité dont nous parlons plus haut, qui doit être, si les poursuites suivent leur cours, considérée comme receleur.

Mme veuve Viard se désistant de sa plainte, et d’un autre côté une pression étant faite sur les fournisseurs, il est à présumer que cette affaire ne verra pas le jour de l’audience. Ce qui n’empêchera pas d’être édifié sur le compte de certains politiciens de barrière.

Le Journal de Saint-Denis 18 février 1892

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Gustave Mathieu et Simon dit Biscuit, accusés de vol par la veuve de Viard. 11 février 1892

L’ANARCHIE PRATIQUE

On a lu dans les faits divers la très amusante arrestation de ces deux anarchistes qui filoutaient leur maître en anarchie, feu Viard, de gaie mémoire. On connait les faits, nous ne les rappellerons donc que succinctement, mais la notoriété spéciale que s’était acquise l’un des filous anarchistes, le compagnon Mathieu, permet de revenir sur cette curieuse affaire.

Mathieu était l’un des plus beaux ornements des réunions publiques où il débitait sur un ton monotone les inepties habituelles qu’il avait apprises à l’école de Viard.

Mathieu et son complice Charles Simon dit Biscuit étaient âgés : le premier de 26 ans, le second de 18. Viard les avaient pris à son service, ils l’aidaient dans sa fabrique de vernis et dans les réunions anarchistes. Viard ne se doutait certes pas que ses deux adeptes profiteraient si bien de ses leçons, qu’ils n’hésiteraient pas à appliquer sur lui-même le fameux principe de la restitution par le vol. C’est la veuve de Viard qui s’en est aperçue et qui, sans respect pour les principes anarchistes, a dénoncé ces deux larrons.

L’arrestation a eu lieu samedi matin, à six heures, à leur domicile commun, 59, rue Montmartre à St-Ouen.

M. Daltroff. à la tête de ses agents, s’introduisait sans bruit dans la maison et, arrivé devant la porte du logement, lui fit donner une brusque poussée : la porte vola en éclats, et en un instant le commissaire et ses agents étaient sur eux.

L’attaque fut si prompte qu’ils n’eurent pas le temps de se servir de deux revolvers de fort calibre, qu’ils avaient à leur portée sous leur oreiller, chargés de six balles. En un clin d’œil ils furent ligotés, en dépit de leur résistance, et, menottes aux mains, conduits au commissariat.

Au cours des perquisitions, M. Daltroff saisit tout un arsenal d’armes, ainsi qu’une malle pleine de brochures anarchistes.

Interrogés par ce magistrat, ils ont déclaré s’être attribué ces marchandises parce que Viard leur devait de l’argent, mais le fait fut reconnu faux. Le chiffre représenté par les marchandises détournées s’élève à plus de 20.000 fr. Elles devaient leur servir à monter une maison de commerce concurrente, rue Montmartre, 30.

C’est à ce domicile que furent trouvées les adresses de quatre autres magasins où nos deux voleurs avaient accumulé et caché de véritables stocks. M. Daltroff perquisitionna successivement dans ces maisons, situées : 109, avenue Michelet; 177, avenue des Batignolles ; 23, rue des Entrepôts, et 37, rue des Rosiers, le tout à Saint-Ouen.

On a découvert dans l’un deux une garde-robe complète répartie en deux malles, le tout venant d’un grand magasin de nouveautés; les vêtements étaient neufs et des plus élégants.

C’est avec l’un de ces costumes qu’à la la dernière réunion anarchiste de la salle Mérot à Saint-Denis, Mathieu est monté à la tribune. Ses copains étaient presque jaloux de ses belles frusques.

Détail amusant et triste, à l’enterrement de son patron Mathieu, conduisait le deuil.

Ces deux jeunes coquins ont été envoyés au Dépôt.

Journal de Saint-Denis 11 février 1892

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Arrivèrent les avènements de l’année dernière. La police voulut le mêler aux attentats de Ravachol. N’ayant pu réussir à l’y impliquer, elle profita de la dénonciation d’une misérable femme, la femme du compagnon Viard qui employait Mathieu. Cette coquine était en faillite, elle profita de la grande amitié que Simon et Mathieu avaient pour son mari, pour les engager à déménager des marchandises et à les soustraire ainsi à l’actif de la faillite.

Dénoncée, elle ne trouva rien de mieux que de les accuser de vol. La police, heureuse d’un prétexte pour saler des anarchistes, accueillit d’emblée sa dénonciation, et quoiqu’il fut prouvé, au procès, que c’était le fils Viard, non moins ignoble dans cette affaire que sa mère — qui avait loué les magasins où avaient été remisées les marchandises, nos deux compagnons furent condamnés comme voleurs! La magistrature aussi ignoble que la police n’avait rien à refuser au pouvoir. Elle se vengeait des transes où l’avait plongée les attentats de Ravachol.

C’est la seule condamnation pour vol qu’ait encourue Mathieu, et les journaux bourgeois, non moins ignobles que la police et la magistrature, mentent sciemment en affirmant le contraire.

La Révolte 1er avril 1893

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Réunion anarchiste à Saint-Denis : un agent frappé à coup de tiers-point. 17 septembre 1891

Réunion anarchiste. Excitateurs et Excités. — Un agent frappé à coup de tiers-point. Arrestation.

L’Alliance franco-russe traitée par les anarchistes à la salle Mérot, ça pouvait être intéressant. Aussi nous nous sommes rendus samedi à la réunion de ces politiciens fumistes, comme à une partie de plaisir. Les Paulus de la bande devaient nous égayer. Ils n’y ont pas manqué.

Il y avait environ 400 spectateurs à la réunion qui portait comme programme : Echauffourée de Clichy (encore ); l’alliance franco-russe, éventualité d’une guerre; attitude des révolutionnaires.

On avait invité MM. Revest, Laur et Déroulède. Bien entendu ni l’un, ni les autres, n’ont répondu à l’invitation.

Gomme orateurs: les compagnons Martinet, Tortelier, Viard. etc… Les discours peuvent se résumer ainsi : Répétez une cinquantaine de fois de suite; canaille le Tzar ! assassin comme Constans ; misérable Gouvernement, bandits, escrocs, voleurs, ignobles gredins, vengeons nos «frères de Clichy »! — et vous avez la substance des « éloquents discours » des compagnons.

Les spectateurs ont applaudi les artistes qui jouaient nature.

Les compagnons malgré leurs menaces ne sont pas dangereux ; comme les choristes d’opéra criant « marchons, marchons ! » et qui ne bougent, messieurs les anarchistes clament « vengeons nos frères! » et… s’en vont prendre des bocks.

Ce sera toujours les quelques naïfs qui auront tenté d’appliquer les théories de ces messieurs qui paieront pour eux s’ils se laissent aller à essayer d’éventrer quelque agent en service.

D’autres orateurs ont engagé les conscrits à refuser de tirer au sort et à apprendre à tirer pour tuer leurs chefs et non les Prussiens, si on les mène au feu.

Craignant quelques désordres à la sortie de la réunion, M. Bélouino, commissaire de police et M. Marie, secrétaire, ont dirigé un service d’ordre aux alentours de la salle Mérot, sans que toutefois personne se fut aperçu d’un déploiement inusité de police.

A l’issue de la réunion, les anarchistes se sont rendus place aux Gueldres en chantant la Carmagnole.

Les agents s’y trouvèrent en même temps qu’eux. C’était le moment de venger les «frères de Clichy ».

Pour accomplir cette vengeance, Martinet, Viard et quelques autres sautèrent dans le tramway…

Un seul individu, nommé Morin, garçon de café, armé d’un tiers-point, en porta un coup violent dans le dos d’un agent. Un passant dont nous regrettons d’ignorer le nom et qui avait vu cet acte de lâcheté, sauta sur le bras de Morin et détourna le coup.

L’agent Pique l’arrêta et l’emmena au dépôt. Pendant ce temps, nous le répétons, les chefs Martinet, Viard et autres allèrent prendre des bocks à la santé du malheureux imbécile qui avait tenté de frapper l’agent. Toujours la même chanson.

A part cette arrestation, il ne s’est produit aucun incident et la manifestation projetée sur la voie publique n’a pu avoir lieu.

De Beauchamps

Journal de Saint-Denis 17 septembre 1891

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Émeute ouvrière à Saint-Denis. 22 février 1892

Saint-Denis. — Le lundi 22 février, la sortie des usines, des forges et ateliers, a été marquée par une révolte ouvrière. Depuis longtemps ils réclamaient le paiement par quinzaine, tandis qu’on les payait par mois et qu’on ne leur accordait que deux francs d’acompte tous les deux jours. Ce système succédait à un autre consistant en jetons. Bref, les ouvriers ne pouvaient plus joindre les deux bouts, surtout que cette modeste avance n’était pas payée régulièrement.

A 6 heurts, 1.200 ouvriers réclamèrent une dernière fois, sans obtenir satisfaction. Ils se dirigèrent alors vers les bureaux et mirent tout au pillage : carreaux, meubles, bureaux, livres de comptabilité, marquises, camions renversés, etc.

Trois arrestations ont été faites, mais il semble que satisfaction doivent être donnée aux révoltés.

Voila qui est bien.

La Révolte 27 février 1892

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Une brochure pour Decamps, Dardare et Léveillé. Juillet-septembre 1891

Saint-Denis. — Le groupe va publier un manifeste qui expliquera la conduite des camarade Decamps, Dardare et Léveillé dans la bagarre de Clichy.

Ce manifeste sera envoyé gratuitement à tous les groupes qui en feront la demande.

Donc, camarades de tous pays, aidez-nous. Il faut démontrer la tactique anarchiste, avant que la presse bourgeoise déverse toutes ses infamies contre nos amis.

Envoyer fonds et conseils au compagnon Boutteville, 20, rue Brise-Echalas à Saint-Denis ou au compagnon Mathieu, 8, rue Montmartre, à Saint-Ouen.

La Révolte 18 juillet 1891

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Appel à la solidarité de tous les compagnons anarchistes de Paris, la banlieue, de la province et de l’étranger.

Chers camarades, Si par votre intelligence vous savez reconnaître que nos amis Décamps, Dardare et Léveillé, ont bien agi en se défendant comme ils l’ont fait dans cette journée du 1er mai, contre une bande d’assassins costumés en gendarmes et agents de police, envoyez-nous des sous en quantité pour que nous puissions faire paraître par milliers, des manifestes qui indiqueront à toute la population européenne que nos amis étaient en cas de légitime défense, et que nous saurions en faire autant en pareil cas.

Envoyez tous les sous au compagnon Mathieu, rue Montmartre, à Saint-Ouen ou au compagnon Boutteville, 20, rue Brise-Echalas, à Saint Denis.

La Révolte 8 août 1891

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Saint-Denis. — Les camarades de Saint-Denis informent les groupes et amis, que c’est dans l’intérêt des compagnons Decamps, Dardare et Léveillé que le manifeste dont ils avaient pris l’initiative n’a pas paru, convaincus que l’avocat bêcheur se serait servi de ce manifeste comme il s’est servi de ceux du 1er Mai pour prouver qu’il y avait eu préméditation chez nos amis et de là les envoyer à la guillotine.

Nous avons cru meilleur de nous rallier à l’idée du compagnon Faure, qu’une brochure serait plus profitable qu’un bout de papier, que la police et , même le public déchire; à cet effet nous avons remis l’argent des souscriptions au profit de la brochure.

La Jeunesse libertaire de Saint-Denis.

La Révolte 19 septembre 1891

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Une guerre fratricide (Bruderkrieg) entre les anarchistes allemands réfugiés à Londres. 1884-1887

Johann Most. Document Ephéméride anarchiste.

En analysant le mouvement anarchiste allemand, un facteur ressort clairement des années 1880 : l’ampleur des luttes intestines qui existaient dans le mouvement à Londres après 1884, les luttes intestines avaient fortement contribué à la disparition du mouvement, principalement deux problèmes étaient impliqués dans la Bruderkrieg : qui devrait être le leader du mouvement et quelle devrait être son idéologie, tous les personnages principaux qui avaient joué un rôle dans la Bruderkrieg avaient été à Londres avant 1884, mais seulement à titre temporaire. En 1884, ils retournèrent à Londres après avoir été libérés des prisons allemandes ou après avoir été forcé de quitter la Suisse comme indésirables, Johann Most, que l’on pouvait considérer comme le chef tutélaire du mouvement, en 1884 était en exil permanent aux États-Unis, mais il avait néanmoins joué un rôle important dans la scission du mouvement anarchiste allemand. Les rôles principaux dans la lutte avaient été joués par Victor Dave et Josef Peukert, avec John Neve, Gustav Knauerhase, Sebastian Trunk et Otto Rinke jouèrent des rôles secondaires. La base germanophone des anarchistes s’était alignés soit avec Dave, soit avec Peukert.

La scission du mouvement anarchiste germanophone a commencé à émerger lorsque Victor Dave était revenu à Londres au début Mai 1884 après avoir été libéré de la prison de Halle en Allemagne le 21 avril. Il était incarcéré depuis son arrestation à Augsbourg le 8 décembre 1880. Beaucoup de choses avaient changé au cours des années durant son emprisonnement, le Congrès de Londres avait eu lieu, au cours duquel les délégués avaient officiellement adopté la politique de « propagande par le fait » et la philosophie du communiste-anarchiste ; Freiheit et Most s’étaient installés aux États-Unis ; le mouvement en Autriche avait été écrasé ; plusieurs des principaux anarchistes autrichiens avaient été soit emprisonnés, soit condamnés à mort ou contraints à l’exil. La même chose était vraie en Allemagne. Lorsque Dave fut emprisonné, le seul journal anarchiste publié en langue allemande était Freiheit, mais quand il est arriva en À Londres, il y avait Der Rebell comme organe rival.

Document Ephéméride anarchiste.

Le premier numéro de Der Rebell, organe anarchiste en langue allemand avait été publié par Otto Rinke et Emil Werner à Genève, en Suisse, en décembre 1881. Le nom Erste freie Druckereie Deutschland figurait sur l’en-tête en tant qu’imprimeur du journal, mais la police allemande avait vite découvert qu’aucune société n’existait en Allemagne à ce nom. Ils supposèrent, à tort, que le journal avait été imprimé à Londres (1) De Suisse Der Rebell avait été introduit clandestinement par voie terrestre dans le sud de l’Allemagne, et des copies avaient également été envoyées par lettres. En février 1882 environ 500 exemplaires du numéro de décembre avaient été trouvés à Grabow ; des copies avaient également été découvertes à Riedlingen, Stettin, Gotha et Munich. (2)

Il avait fallu longtemps avant que le deuxième numéro de Der Rebell parut en octobre 1883, suivi des numéros trois et quatre respectivement en novembre et décembre. Le numéro du mois d’octobre déclarait son adhésion aux principes de l’anarchisme communiste, et déclarait la guerre à la « sainte trinité » – l’État, les droits de propriété et la religion. Le numéro d’octobre affirmait qu’il était imprimé par la Freie Volksbuchdruckerei Gemeinigt à Nirgendheim, mais il fut en réalité publié à Londres. Un grands nombres d’exemplaires circulèrent en Allemagne et pendant plusieurs mois la police allemande ne savait pas exactement où il était imprimé. Il avait été distribué dans les rues de certaines villes allemandes, placé dans les boîtes aux lettres privées, jeté dans les vestibules et les couloirs des maisons et laissé dans les bars de quartier. En décembre 1883, deux des paquets contenant respectivement 150 et 100 exemplaires avaient été trouvés à Altona. Ces deux paquets étaient destinés à Karlsruhe et Magdebourg. Le même mois, à Bockenheim, un paquet de 50 exemplaires avait été découvert par les autorités postales. Le paquet avait été renvoyé de Magdebourg avec la mention « destinataire inconnu. » En février 1884, deux paquets destinés à Spire et Mannheim avaient été retrouvés à Lorrach en possession d’un jeune garçon qui les avait amenés de Bâle, en Suisse. Le 2 mars 1884, Otto Naumann (né le 15 juillet 1847 à Dresde) avait été appréhendé à Stuttgart alors qu’il distribuait Der Rebell. Un paquet de 30 exemplaires de Der Rebell avait été retrouvé par la police à Altona, qui avait supposé que la principale route de contrebande passait par navire de Hull en Angleterre à Hambourg. (3)

De nombreux exemplaires de Der Rebell envoyés par la poste étaient tombés entre les mains de la police. Dans le troisième numéro de Der Rebell était apparu une lettre ouverte au ministre des Postes allemand, Stephen, qui disait que la Poste avait été créée par l’État pour servir tout le peuple, mais que maintenant elle travaillait en étroite collaboration avec la police, la lettre indiquait que le service à destination et en provenance socialistes connus était très faible et affirmait que tout le courrier à destination et en provenance de ces socialistes connus avait été ouvert et inspecté.

Ce même numéro de Der Rebell contenait un court article sur l’explosion de dynamite survenue à Francfort-sur-le-Main le 29 octobre, les contributions les plus récentes avaient également été publiées pour la souscription pour la propagande qui répertoriait : dix marks « pour de la nitroglycérine », six marks pour « la rébellion », huit marks seulement « avec le poison nous pouvons être victorieux », trois marks de « à bas avec les amis des militaires », trois marks « dans l’obscurité, oui dans les ténèbres », et six marks pour « Brutus ».

L’impression de Der Rebell à Londres avait été réalisée par Rinke qui retourna à Londres en octobre 1883, il avait été libéré de la prison d’Ulm le 10 octobre, après avoir purgé une peine pour sa désertion militaire de 1873, La peine de prison et les événements de la vie de Rinke au cours des années qui avaient immédiatement précédé doit être racontée car ils contribuent à expliquer la profondeur de la méfiance qui s’était développée parmi d’autres anarchistes allemands.

Au cours des années 1879-1880, Rinke, utilisant Paris comme son point de chute, s’était glissé dans et hors de l’Allemagne tout en aidant à y développer l’organisation, à l’automne 1880 lorsque la police allemande s’était attaquée au réseau anarchiste, elle l’avait arrêté à Mannheim. A l’époque où Rinke utilisait le nom Otto Rau, et la police ne savait visiblement pas à quel point il était importante la personne qu’ils avaient et donc ils l’avaient relâché peu de temps après, il rentra ensuite à Paris où il rencontra Peukert pour la première fois. Ils restèrent amis pour la vie, et constituaient la direction d’une faction du mouvement anarchiste germanophone. L’occasion de leur première rencontre était une assemblée au cours de laquelle Liebknecht parlait au sujet de « Die Revolutionare Kraft der deutschen Sozialdemokratie. (4)

Rinke passa presque tout son temps après 1881 à Paris, sauf pour de courts séjours en Allemagne et en Suisse, à Paris il devient le compagnon constant de Balthasar Grün, un jeune anarchiste allemand, passionné . Le 28 février 1882, à Paris une femme, Céline Renoux avait été volée et laissée avec la tête écrasée par une épaisse bouteille de champagne, on supposait, sur le moment à l’époque, que le crime avait été commis par Grün, mais que Rinke l’avaient orchestré (5). En mars 1882, Rinke et Grün poursuivirent un voyage de propagande en Allemagne, mais avaient été rapidement appréhendés par la police à Darmstadt. Après leur emprisonnement, Grün se suicida à Hanau en septembre 1882, où ils furent tous deux détenus, avant le transfert de Rinke à Ulm. Le fait que Grün se suicida en prison joua un rôle dans les amères luttes intestines de la Bruderkrieg qui sera détaillé ci-dessous. (6)

Peukert, qui, avec Rinke, avait dirigé l’opposition contre Dave et les forces mostiennes était arrivé à Londres lors dans la dernière partie de février 1884. Le 16 février, Peukert avait parlé aux 70 membres du groupe Freiheit réunis à au Café Rütli à Berne.(7) Lors de cette réunion, il fut prévenu par Karl Moor que la police suisse le recherchait pour l’extrader en Autriche où des policiers voulaient l’interroger sur ses relations avec Stellmacher et Kammerer . Il quitta la Suisse immédiatement et se rendit à Paris où il resta pendant quelques jours avant de partir à Londres. A Londres Peukert rapidement renouvela son ancienne amitié avec Rinke et collabora avec lui pour la publication de Der Rebell. Le journal était dans une si mauvaise situation financière qu’il n’avait pas de rédaction ; l’impression avait été réalisée dans le salon de Rinke. Avec beaucoup d’expérience du journalisme en tant que rédacteur en chef de Zukunft, Peukert assuma les tâches éditoriales et rédigea lui-même la majeure partie de la copie, assisté des compositeurs Moritz Schultze et E. Milly.

L’achat du matériel d’impression avait coûté 471 marks, nécessaire pour publier Der Rebell, il en coûtait 90 marks pour publier un seul numéro, alors que dix marks seulement d’un numéro venait des abonnés. Dans l’ensemble, le journal avait été distribué gratuitement. Le déficit rencontré par Der Rebell avait été couvert par des cadeaux d’anarchistes intéressés qui voulaient voir le journal continuer. Habituellement, 1.000 exemplaires par numéro de Der Rebell étaient imprimés, mais parfois ce chiffre descendait jusqu’à 500 exemplaires en cas de problème. En plus du Rebell Rinke et Peukert imprimaient Flugblatter publié à 1.200 exemplaires ; cela coûtait 87 marks pour l’imprimer. La contrebande de Der Rebell en Allemagne n’était pas une opération bien planifiée. Ceux qui avaient fait passer clandestinement Der Rebell utilisaient bon nombre des mêmes techniques que ceux qui faisaient de la contrebande pour Freiheit; empruntant souvent le même itinéraire. Parfois des gens introduisaient clandestinement Freiheit et Rebell en Allemagne, simultanément. La principale route utilisée pour faire entrer clandestinement Rebell en Allemagne passait par Belgique (9), Lorsque Dave arriva à Londres en mai 1884, Der Rebell, même s’il ne prospérait pas, se proclamait l’organe de tous les anarchistes communistes germanophones.

A Londres, en 1884, la plupart des socialistes germanophones, les anarchistes et les révolutionnaires appartenaient au Kommunistischer – Bruderkrieg.

Arbeiterbildungsverein. Il y avait trois sections différentes de cette organisation et chaque groupe avait son propre club house. La Première Section était composée, pour la plupart, d’anarchistes et révolutionnaires. Ils s’appelaient le Whitfield Club et avaient leur club au 46 Whitfield Street, Stephens Mew, Rath bonne Place, qui était une petite rue à l’est de Regents Street. Ce groupe était responsable de la distribution de Freiheit sur le continent. Leur club était un petit bâtiment peu convivial, aux fenêtres brisées qui tenaient ensemble, avec beaucoup de difficulté, par de grandes quantités de cire à cacheter. Sur la fenêtre de la porte d’entrée étaient inscrits les mots « Whitfield Chambers 6d the night pour les hommes célibataires.  » Les participants qui prirent part à la Bruderkrieg provenaient de cette section.

La deuxième section, composée essentiellement de sociaux-démocrates, avait son siège sur Tottenham Street, tandis que le Troisième Section qui, comme la Première, était composée majoritairement d’anarchistes et de révolutionnaires, s’appelait le Club Morgenröthe et était situé dans l’est de Londres, non loin du British Muséum sur Princess Square, 23 Gable Street, dans l’un des pires quartiers de Londres, habité principalement par des parias. Au dessus de la porte intérieure du club apparaissaient les mots « Internat. Société éducative des travailleurs. » Inscrit sur le mur de la salle de réunion du club en grosses lettres dorées, l’avertissement « Arbeiter gedenkt eurer Martyrer ». En dessous de cette phrase, les noms de Reinsdorf, Holzhauer, Kuchler, Lieske, Stellmacher, Grun et Kammerer. Dans la Bruderkrieg le Club Morgenröthe resta neutre. (10)

Les clubs avaient été créés parce que les maisons publiques (pubs) que les anarchistes et les socialistes avaient autrefois utilisé pour leurs réunions étaient des lieux qui fermaient trop tôt le soir et n’étaient ouverts que quelques heures le dimanche et les jours fériés. Qui plus est, ils étaient trop petits et « trop publics » pour le goût des anarchistes et des socialistes. Les clubs avaient soit construit un club house, ou acheté un bâtiment et l’avaient rénové pour l’adapter à leurs besoins. Dans le club, de la bière et d’autres boissons alcoolisées étaient servies. Les membres pouvaient divertir leurs invités dans la salle du bar du club. Il y avait aussi des salles de lecture, une salle de billard, un buffet, et au deuxième étage il y avait une grande salle de réunion, il y avait une scène à une extrémité de la grande salle. Cette pièce était également utilisée pour les danses, les pièces de théâtre, les dîners et autres formes de divertissement. Le but du club était de servir de centre pour la diffusion de propagande et la collecte de de l’argent pour le mouvement. C’était aussi un lieu où les membres pouvaient se rencontrer et discuter des idées de l’anarchisme et du socialisme, en plus de servir de point focal de divertissement à la fois pour le les membres du club et leurs familles. (11)

Les clubs étaient plus intéressés par le nombre de membres que la qualité de ceux qu’ils attiraient. Les cotisations dans certains clubs, était de deux pence par semaine. L’entrée aux danses et les pièces de théâtre coûtaient six pence. Les dîners qui avaient lieu étaient soit des affaires de « partage » ou, si le repas était complet, il avait été préparé au club, généralement les épouses des membres étaient en charge des préparatifs . Le prix d’un tel dîner était tout à fait minime. Chacun des clubs avait un steward qui vivait dans le club et s’en occupait en échange de sa chambre et de sa nourriture, le nombre des anarchistes dans les clubs étaient d’environ 300 .(12)

Avant de passer aux événements réels de la Bruderkrieg il convient de préciser clairement que les luttes intestines qui avaient éclaté dans le mouvement était plus complexes dans leurs motivations que simplement une lutte de personnalités différentes ou une tentative d’un côté de dominer l’autre : une différence idéologique fondamentale était à la racine du problème. Victor Dave, qui avait été emprisonné de décembre 1880 à avril 1884, était un produit de la Première Internationale. Il avait été complètement endoctriné par les idées de Bakounine et Proudhon, ceux qui s’opposèrent à lui dans la Bruderkrieg, par exemple Peukert et Rinke, avaient en revanche été influencés par Kropotkine. Tous deux avaient travaillé en Suisse en étroite collaboration avec le prince anarchiste russe lors de la période de développement de l’anarchisme communiste. Parfois Rinke avait travaillé pour La Révolte. et il convient de noter à cet égard, bien qu’il soit évident que le titre de Rinke et Peukert le journal Der Rebell n’est rien d’autre que son équivalent allemand de La Révolte.

En France, Rinke et Peterkert voyagèrent dans des cercles communistes-anarchistes, s’associant aux communistes-anarchistes bien connus, Emile Gautier et Élisée Reclus. Rinke et Peukert lisaient et parlait français et se tenaient au courant de l’actualité et des développements les plus récents de la pensée anarchiste. Peukert avait peu connaissance de l’anarchisme bakouniniste et il est douteux que Rinke en savait beaucoup plus sur le vieux maître de la Première Internationale même s’il était en Suisse avant la mort de Bakounine en 1876.

Avant même qu’il ne soit appréhendé par la police allemande en décembre 1880, Dave avait perdu le contact avec le mouvement sur le continent. Il avait passé son temps à Londres où il travaillait en collaboration avec Most sur Freiheit ; aussi, ses activités antérieures sur le continent avait été confiné à des zones et à des personnes qui étaient en dehors du courant dominant de la philosophie nouvellement développée de l’anarchisme communiste. A Londres, Dave et Most étaient devenus les meilleurs amis du monde, et comme cela avait déjà été souligné, Most à cette époque, n’était pas un admirateur de l’anarchisme communiste. Depuis la fin de 1882, Most était aux États-Unis et était déconnecté des nouveaux courants anarchistes ; il consacrait le plus de son temps et de son énergie à la « propagande par le fait ».

Le bakouninisme avait déjà commencé à se désintégrer en 1874. et en 1876, de nouvelles idées commencèrent à se développer dans l’anarchisme sous la direction de Pierre Kropotkine, Élisée Reclus, Errico Malatesta, et Carlo Cafiero qui avaient progressivement rejeté les tactiques et principes théoriques de « l’anarchisme collectiviste » comme le disait Bakounine, une version de l’anarchisme généralement appelée ainsi. (13) La nouvelle école des anarchistes communistes avait conclu que les idées de Bakounine n’étaient pas une formule pour la liberté, mais une collection de concepts abstraits et contradictoires des idées libertaires et anti-autoritaires, imposées par les idées de Bakounine avec ses propres pratiques dictatoriales et autoritaires. Les anarchistes communistes, étaient en désaccord avec les exigences de soumission absolue de Bakounine à son autorité et à la formation d’une « dictature invisible » qui orienterait la révolution sur la bonne voie. Kropotkine et les autres partisans de l’anarchisme communiste voulaient une forme d’organisation qui n’aurait aucune trace de principe hiérarchique. Chacun travaillerait volontairement selon ses capacités et consommerait selon ses besoins. Les communistes-anarchistes fondèrent leurs espoirs de réussite sur la croyance en la bonté inhérente de l’homme et sur le principe de l’entraide.

L’idéologie bakouniniste séduisait davantage les citoyens. Les sociaux-démocrates se convertissaient à l’anarchisme plutôt qu’aux néophytes ; Le bakouninisme, de l’avis des convertis, n’était pas aussi radical que cela, comme l’était le « rêve ultra-utopique de Kropotkine ». L’attrait était particulièrement fort aux États-Unis où la plus grande part des anarchistes allemands, était un d’anciens sociaux-démocrates. Johann Most en était la frappante illustration. Il avait été décrit par Nomad comme un « anarchiste réticent » qui a souligné la terreur et dont la philosophie était un « hybride du bakouniniste, des idées blanquistes, marxistes et lassalliennes (loi d’airain des salaires). »(15) Il est douteux que Most ait jamais véritablement accepté les idées de l’anarchisme communiste, bien que, dans les années suivantes, il se soit prononcé en leur faveur. Jusqu’à la fin de sa vie, Most resta un fervent croyant dans le principe que celui qui ne travaille pas ne doit pas recevoir. Ceci est bien sûr diamétralement opposé aux croyances de anarchisme communiste.

Idéologiquement, les deux camps dans la Bruderkrieg étaient séparés par un large gouffre qui s’ouvrait depuis un décennie. Dans un camp, Most et Dave ont adhéré aux idées plus anciennes de l’anarchisme, tandis que dans l’autre Peukert et Rinke suivaient anarchisme communiste. Ironiquement, les deux camps croyaient en « la propagande par le fait ».

Les personnalités contrastées de Peukert et Most ont joué un rôle important dans la Bruderkrieg ; ils portaient un haine amère l’un pour l’autre, jusque dans la tombe, apparemment, ils se battaient tous les deux pour la même chose, mais en termes de personnalité, ils étaient directement opposés : un antagonisme naturel a éclaté entre eux presque dès leur première rencontre. Peukert n’aimait pas la position favorable que Most détenait dans le mouvement anarchiste germanophone et sa domination sur Freiheit, mais on ne peut pas dire que ce ressentiment peut être assimilé à de la jalousie. Il est douteux que Peukert était réellement jaloux de Most, ou s’il se considérait comme un rival. L’argument de Peukert avec Most étaient plus fondamental que cela, comme nous le démontrerons. D’autre part, Most se considérait comme le chef titulaire du mouvement anarchiste allemand et au vu tous ceux qui s’opposaient à lui en tant qu’aspirants à sa couronne, Peukert était plus que disposé à travailler dans le cadre établi de la communauté germanophone du mouvement anarchiste si on lui avait accordé une position à la mesure avec ce qu’il considérait comme ses capacités, malheureusement, il estimait son potentiel plus haut que la plupart.

L’aversion de Peukert pour Most remontait à 1880, lorsque il avait assumé les responsabilités du mouvement à Paris, dans une lettre du 20 septembre 1880 à Victor Dave, Peukert parla en termes critiques de la diatribe de Most contre les électeurs allemands. Il était également en colère contre Most pour avoir refusé d’imprimer un article qu’il avait envoyé à Freiheit, La raison donnée par Most pour le rejet de l’article était qu’il « était trop à droite ». Peukert a ensuite critiqué Most et Freiheit en disant que tout journal contrôlé par un seul homme n’avait pas le droit se dire social-démocrate, ce qui était encore le sous-titre à l’époque. Il disait aussi dogmatiquement que Freiheit n’était pas un journal pour « tous les socialistes », un camarade parisien de Peukert, H. M, Weiss, a donné à Most un compte rendu plus détaillé des sentiments de Peukert et Most a envoyé Dave à Paris . Peukert et Dave ont eu une longueconversation pour parler de son attitude hostile envers Most et Freiheit, à la fin, les opinions de Peukert n’ont pas changé, mais il s’est réconcilié, du moins pour le moment, à la position de pouvoir que Most détenait dans le mouvement. (16)

Il est certain que Peukert n’a pas apprécié l’arrivée de Most dans le mouvement anarchiste, Nettlau estime que la raison pour laquelle Peukert détestait Most vient du fait qu’il pensait être lui-même la personne qui aurait dû être le leader des anarchistes germanophones ainsi que le rédacteur en chef de Freiheit, Nettlau souligne que Peukert pensait posséder de plus grandes capacités organisationnelles et plus de potentiel d’agitation que Most. Il est douteux que Peukert ait réellement pensé à lui-même d’une telle façon. Au cours de ce chapitre, ainsi que du suivant, des preuves seront présentées qui démontreront que l’organisation et la centralisation était quelque chose à laquelle Peukert était opposé, quel que soit le responsable de l’organisation. Selon Nettlau , Most était un agitateur plus compétent que Peukert, ce qui est probablement vrai. Il concluait également, après avoir lu tout ce que Peukert avait écrit dans Zukunft (Vienne), Der Rebell, Die Autonomie et Der Anarchist (New York), que le style d’écriture de Most était plus efficace ; tandis que celui de Peukert était ennuyeux, plat, théorique, verbeux et interminable, Nettlau raconte qu’il avait entendu Peukert parler lors de réunions à Vienne en 1882-1883, et à Londres en 1886 et que ses capacités orales ne correspondaient pas à celles de Most ; cependant, Nettlau ne prétend pas qu’il avait déjà entendu Most parler et il est douteux qu’il ait jamais entendu en fait. Nettlau trouve Peukert obstiné, opiniâtre et amer. Rudolf Rocker est d’accord avec Nettlau dans son évaluation de Peukert, même s’il admet ne l’avoir jamais rencontré en personne, et il est douteux que l’estimation de Peukert par Nettlau soit exacte c’est-à-dire que sa relation, si on peut l’appeler ainsi, se limitait à assister à des réunions auxquelles participait également Peukert à Londres en 1886, des réunions pour régler des récriminations dans la Bruderkrieg.(17)

Le style d’ écriture de Peukert est plus pédant que celui de Most et s’adresse à la raison du lecteur ; Most, de l’autre côté, fait appel aux émotions du lecteur. Peukert manquait du style d’écriture flamboyant de Most et sa capacité à mettre les choses dans le sens langue vernaculaire du travailleur, mais ce qu’il avait à dire était meilleur réfléchi, plus logique et plus précis que ce qui paraissait dans les colonnes du Freiheit, la précision et la logique n’étaient pas importantes à Most ; seul l’impact du message était important. Most était essentiellement un révolutionnaire et ses talents résidaient dans les domaines de la rhétorique émotionnelle et du journalisme flamboyant ; en tant que théoricien ou soucieux des détails, il n’avait aucune compétence. Most était un extraverti et peu sûr de lui, tandis que Peukert était fondamentalement un introverti. Pour Peukert, l’anarchisme avait une signification théorique importante, alors que pour Most, il s’agissait d’un objectif pratique à atteindre. Les articles de Peukert étaient souvent très théoriques et il aurait été difficiles de comprendre pour le travailleur ordinaire, les implications subtiles de ses arguments. D’autre part, Most, touchaint au cœur du sujet dans un langage simple et direct. que les ouvriers pouvaient comprendre. Peukert défendait l’individualisme et l’initiative individuelle , contre la centralisation dans tout domaine; il avait exigé que l’anarchisme prenne l’initiative de l’individu avant tout. De par sa nature même, l’anarchisme signifiait la négation de l’autorité sous toutes ses formes. Ces opinions étaient un anathème pour Most qui pensait au mouvement anarchiste en termes des dirigeants et des dirigés.

Emma Goldmann, qui connaissait Most et Peukert aux États-Unis, a qualifié Peukert de « genou faible révolutionnaire », il qui manquait de la « personnalité vive » de Most … géniale … et une spontanéité fascinante. Peukert était un grave pédant, absolument dénué d’humour… et n’était pas fait de l’étoffe de héros ou martyr. » (18) En toute justice envers Peukert , il devrait être noté qu’Emma Goldmann entretenait une histoire d’amour avec Most, tandis que sa tentative d’établir un dialogue avec Peukert était méprisé.

Max Nomad constate que Peukert « n’avait ni le sens journalistique, l’éclat, ni la verve oratoire de Most », et déclare que Most avait refusé de publier les articles de Peukert dans Freiheit parce que c’étaient « des discours purement théoriques et extrêmement ennuyeux » ce qui « ne présenterait aucun intérêt pour les lecteurs »…(19) Le contemporain de Peukert à l’époque londonienne, l’espion de la police Rudolf Martin, a été plus favorablement impressionné par ses capacités. Il décrivait Peukert comme ayant les cheveux d’un noir absolu et comme étant grand et mince, avec une longueur disproportionnée des bras et des mains exceptionnellement grandes qu’il balançait largement dans l’air pendant qu’il parlait. Martin a constaté que lorsque Peukert parlait, il suscitait beaucoup d’enthousiasme dans le public. (20)

Les différences de personnalités et de capacités de Peukert et Most sont importantes parce qu’elles finissent par diviser la communauté germanophone du mouvement anarchiste, en deux camps; une scission qui n’a jamais été guérie et qui s’est même propagée aux groupes anarchistes germanophones aux États-Unis.

Avant de continuer, il convient de noter que malgré leur de profondes différences théoriques et tactiques, les relations entre Most et Peukert sont restés cordiales jusqu’à l’arrivée de Dave à Londres en mai 1884. Dans une lettre du 25 avril 1884, Most a raconté à Peukert qu’une dépêche d’Associated press, rapporté dans de nombreux journaux américains, avait affirmé que Peukert avait été dénoncé à Genève comme espion de la police, une accusation que Most lui-même a qualifiée de ridicule. (21) Avant que la Bruderkrieg soit terminée, Most considéraient Peukert comme étant beaucoup de choses, y compris peut-être un espion de la police. L’influence que Victor Dave avait sur la formation de l’opinion de Most concernant Peukert est un facteur qui ne peut être négligé.

La Bruderkrieg exista sous la surface du Mouvement anarchiste allemand pendant plus d’un an avant son éclatement à l’air libre. Cela existait dans des antagonismes personnels qui, au début, semblaient important uniquement pour les dirigeants. Un facteur qui est intervenu dès le début la lutte intérieure, concernait la publication de Der Rebell. En 1884 encore, Freiheit était en grande difficulté financière, parce que l’argent envoyé d’Allemagne et d’Autriche n’avait pas couvert même les coûts liés au transport du papier à travers l’océan, sans parler du coût impliqué par sa contrebande en Allemagne et en Autriche. Ce déficit avait dû être comblé par les cotisations des membres du mouvement vivant aux États-Unis et Angleterre. Même si Most lui-même s’était félicité de la réapparition de Der Rebell en octobre 1883, il y avait ceux qui se trouvaient dans le mouvement qui n’était pas si enthousiaste. Ils considérèrent Der Rebell au mieux comme un risque financier et doutaient qu’il puisse réussir. En outre, ils pensaient que Der Rebell drainerait des fonds de Freiheit dont on avait cruellement besoin. DerRebell n’avait donc pas été accueilli à bras ouverts par tout le monde dans le camp anarchiste, même s’il avait reçu l’approbation officielle de Most dans les colonnes du Freiheit. Bien que Rinke et plus tard Peukert, étaient pleinement conscients du risque financier encouru dans une telle entreprise d’édition, ainsi que l’importance que cela pourrait avoir sur le mouvement, ils ont persisté à souligner la nécessité pour la nécessité de publierun journal en langue allemande, affirmant que Freiheit était trop américain et qu’en tant que tel, il ne pourrait jamais espère trouver sa propre place en Allemagne. Comme Freiheit, Der Rebell était en proie à de graves difficultés financières. Il avait été publié de manière irrégulière, avec seulement 17 numéros parus entre 18 81 et 1886. Les opposants au journal ont affirmé que le travail éditorial était mal fait et que Rinke et Peukert n’étaient pas adaptés à la tâche de publier un journal ; allégations non fondées en lisant Der Rebell. Le fait que le travail éditorial de Der Rebellne correspondait souvent pas à celui de Freiheit n’était pas aussi inquiétant comme le fait que le journal menaçait de réduire le lectorat en Allemagne et en Autriche, une menace que Dave et le groupe Freiheit à Londres ne pouvaient pas se permettre de ne pas tenir compte.

Peu après son arrivée à Londres, Victor Dave a pris la relève des responsabilités pour la distribution de Freiheit en Allemagne et en Autriche. Il s’était prononcé contre Der Rebell tout comme Sebastian Trunk et John Neve. Agissant sur les conseils de Dave, Neve avait écrit de Zurich à Rinke et Petert pour leur demander de volontairement cesser la publication de Der Rebell, en leur disant qu’il serait dans le meilleur intérêt du mouvement si le journal était supprimé. Dans sa lettre, Neve exprimait sa crainte que si Der Rebell continuait à être publié, cela aurait pour effet de diviser le mouvement en deux camps opposés. (22)

Le 15 décembre 1884, Neve fut contraint par les autorités de quitter la Suisse et il se rendit donc à Londres. Peu après son arrivée là-bas, une conférence eut lieu pour discuter du sort de Der Rebell. Lors de cette conférence, Peukert avait soutenu que Most ne permettrait à aucune opinion autre que la sienne d’apparaître dans Freiheit. Il avait raconté qu’à de nombreuses reprises, il avait envoyé des articles à Freiheit, mais Most avait refusé de les publier. Neve se leva et dit que ce n’était pas une raison suffisante pour lancer un nouveau journal anarchiste qui menaçait de diviser le mouvement; Dave et Trunk avaient rapidement exprimé leur accord avec cet avis. À ce stade, Rinke déclara avec véhémence que tant qu’il aurait dix doigts, Der Rebell continuerait à être publié. La conférence n’avait rien résolu. Der Rebell continua à être publié, et finalement les opposants étaient restés comme ils l’étaient au début, avec Rinke et Peukert en opposition à Most et Dave. (23)

Il y avait d’autres problèmes sous-jacents impliqués au début des étapes de la Bruderkrieg. En avril 1884, Most commença à publier dans une série d’articles parus en juillet dans une brochure avec le titre Die frefe GeseUschaft. Eine Abhandlung uber die Prinzipien und Taktik der Communistischen Anarchisten. Les idées exposées dans cette série d’articles ne coïncidaient pas avec les thèmes dominants de l’anarchisme communiste, mais plus encore. ressemblaient beaucoup à l’idéologie que Bakounine avait adoptée lors de la Première Internationale. De fortes objections à cette interprétation par Most de l’anarchisme avait été exprimée par Rinke et Peukert. Dans une lettre écrite en août 1884 à Karl Helbedl à Winterthur, Peukert avait déclaré que les articles de Most sur « freie Gesellschaft » étaient une « honte pour le mouvement » et que de nombreux anarchistes germanophones de Londres devaient remettre en question l’acceptabilité de Freiheit comme leur organe officiel. Halbedl avait montré la lettre de Peukert à un certain nombre de ses amis et finalement son contenu était à parvenu à Most. Cette divulgation à Most le rendit encore plus aigri contre Peukert et ses lettres à Dave sont rongées par la haine envers son rival. (25)

Un autre aspect du problème sous-jacent était le discours de Peukert qui accusait Dave de vouloir centraliser tous les canaux de discussion de la communauté germanophone du mouvement anarchiste, entre ses mains à Londres, et qu’il voulait aussi contrôler tous les contacts établis avec le continent. Dave était entré dans le mouvement anarchiste bien plus tôt que Peukert et avait reçu sa formation à la Première Internationale. Il pouvait voir la valeur de l’organisation. Mais aux anarchistes qui étaient entrés plus tard dans le mouvement, comme Peukert, l’organisation était quelque chose à éviter à tout prix.

L’arrivée de Dave à Londres, après sa libération de prison, a coïncidé à peu près avec la mise en œuvre de la loi suisse politique d’expulsion des anarchistes de leurs frontières, cela a eu pour conséquence de fermer pratiquement la Suisse en tant que route qui pourrait être utilisée pour entrer clandestinement en Allemagne et en Autriche. La fermeture de cette route avait considérablement réduit la distribution de Freiheit dans le sud de l’Allemagne et en Autriche. Peu après son arrivé à Londres, Dave écrivit à Neve, qui était toujours en Suisse : demander s’il était possible de rouvrir la route de contrebande suisse, cela s’était avéré être une tâche impossible et le 15 décembre 1884, Neve lui-même fut de nouveau contraint de quitter le pays. Les connexions établies pour la contrebande du Freiheit en Allemagne et en Autriche étaient dans un état de désorganisation totale parce que la Suisse était le lieu d’où opéraient les passeurs et il était désormais fermé pour eux. Dave et Neve avaient compris la nécessité de reconstruire le système de contrebande des itinéraires complets pour amener Freiheit en Allemagne et en Autriche. À la suite de cette prise de conscience, un soi-disant Bureau européen de Freiheit avait été créée à Londres avec Sebastian Trunk et Gustav Knauerhase en charge, la plus grande part du travail et de la responsabilité incombant à Knauerhase.(26)

Une conférence s’est tenue à Londres pour mieux discuter des méthodes pour établir des liens plus solides avec l’Allemagne et l’Autriche. Lors de cette conférence, Dave et quelques-uns de ses associés avaient mis en place une commission qui devait être composée de trois ou quatre membres de confiance et des hommes capables. Cette petite commission serait chargée de la contrebande vers l’Allemagne et l’Autriche. Elle contrôlerait toutes les connexions établies par le bureau de Londres avec le mouvement en Allemagne et en Autriche. Dave avait suggéré qu’afin d’aider la commission tous les anarchistes germanophones devraient remettre au groupe toutes les adresses et connexions qu’ils avaient en Allemagne et en Autriche. De l’avis de Dave une telle commission répondrait à deux objectifs : premièrement, augmenter et régulariser quelque peu le nombre de contacts qui pourrait être réalisé avec l’Allemagne et l’Autriche ; et deuxièmement, en sélectionnant seulement les personnes qui avaient démontré qu’on pouvait leur faire confiance, cela rendrait les liaisons avec l’Allemagne et l’Autriche plus sûres. Ce plan éliminerait également le besoin d’établir des connexions avec des personnes en Allemagne et en Autriche qui étaient inconnues des membres à Londres. Fréquemment des anarchistes en Allemagne ou en Autriche a été arrêtés à la suite d’un système aléatoire de communication qui existait entre Londres et le continent. (27)

Parmi les personnes présentes à la conférence, deux seulement, Rinke et Peukert, n’étaient pas d’accord avec le plan de Dave. Ils s’y sont opposés au motif que cela entraverait l’initiative individuelle dans le mouvement et ont souligné qu’il serait dangereux d’avoir tous les liens avec les groupes anarchistes en Allemagne et en Autriche partant d’un point central unique à Londres.

Peukert a déclaré qu’il ne communiquerait jamais les adresses et les liens qu’il avait avec la commission. Il avait affirmé que la seule raison pour laquelle ses associés, Rinke et Knauerhase, ont pris partie à la réunion était de voir qui Dave avait l’intention de placer dans la Commission. Dans la bataille pour la commission, Trunk était du côté de Dave. Quand Neve est arrivée à Londres en décembre 1884, Dave et Peukert essayèrent de le convaincre de rejoindre leur point de vue respectif dans la commission. Dave l’avait emporté, même s’il convient de noter que Neve avait continué à avoir un pied dans chacun des camps. (28)

Telle que créée par Dave, la commission devait être composée de Peukert, Rinke, Knauerhase, Trunk et Dave, mais Peukert refusa d’y adhérer parce qu’il ne voulait pas donner ses adresses et ses contacts sur le continent. Rinke et Knauerhase l’avaient rejoint pour voir ce que Dave avait en tête. Les membres de la commission, ayant des points de vue si divergents, avaient trouvé impossible de travailler ensemble. Lorsque la commission avait été créée, Knauerhase était toujours en charge de la distribution sur le continent. Lorsqu’il devint évident que les sympathies de Knauerhase allaient vers Rinke et Peukert, Dave révéla qu’il avait transféré dix livres des fonds du club à des fins conspiratrices, sans autorisation de la première section du Kommunistischer -Arbeiterbil – dungsverein. Cet argent n’avait pas été utilisé à ses propres fins, mais avait en fait été dépensé en Allemagne pour aider le mouvement là-bas. Néanmoins, il avait été tenu comme responsable des fonds manquants et avait été contraint d’abandonner le poste qu’il occupait en tant que responsable de la distribution du Freiheit vers le continent. Il rejoignit Rinke et Peukert pour publier Der Rebell, disant que Der Rebell était plus adapté pour ses talents que Freiheit. Lorsque cela s’est produit, Rinke et Knauerhase furent exclus de la commission que Dave avait crée. (29) Knauerhase avait immédiatement décidé d’augmenter le tirage de Der Rebelle en envoyant Johann Eisenbacher, alias Hase d’Allemagne. Il avait réussi à rassembler une liste d’abonnés de Hambourg, Altona et St. Pauli, mais il avait été découvert par la police et arrêté avec la liste d’abonnements en sa possession.(30)

À ce stade, un article était paru dans Der Sozialdemokrat qui était très critique à l’égard de Peukert et de ses partisans. Le article qualifiait Peukert de banal vaurien qui vivait une vie oisive grâce aux fonds destinés au mouvement. Quelques unes des informations contenues dans l’article n’étaient connues que de la commission que Dave avait formée, donc Peukert avait immédiatement accusé Dave d’avoir écrit l’article, une accusation que Dave nia catégoriquement, tout en se disant néanmoins d’accord avec l’article parce que tout ce qu’il contenait était vrai.(31)

Dès la première semaine de mai 1885, il était évident pour les deux parties qu’une impasse avait été atteinte et qu’il y aurait une scission au sein du mouvement anarchiste germanophone. La guerre intérieure fut finalement révélée au grand jour le 16 mai 1885. lorsque Freiheit publia une brève notice disant que désormais uniquement les adresses en Allemagne et en Autriche qui étaient contenues sur la liste établie par la commission à Londres serait considérée comme sûr. Dans le même numéro, Freiheit s’absolvait lui-même de la solidarité qu’il avait déclarée envers Der Rebell à la fin automne 1883. Ce coup visait directement Peukert et ses adeptes dont les adresses et les contacts sur le continent étaient désormais considérés comme dangereux. Lorsque la nouvelle de la scission fut annoncée, la presse populaire de Londres publia des articles à ce sujet. L’un de ces articles, intitulé « Die SpaUung in Lager der Anarchisten », dépeignait Peukert et ses partisans sous le pire jour possible : tout en faisant l’éloge de Dave. Naturellement, Peukert avait dit que l’article avait été publié dans le journal par Dave, ce qui était probablement vrai. (32)

Peukert répondit aux accusations portées dans cet article en écrivant le pamphlet Trau, schau, wem ! ce qui était un acte d’accusation cinglant de Dave. A la suite de ce pamphlet Peukert, Rinke, Knauerhase, Prinz, Szimmoth et un certain nombre de leurs disciples, qui croyaient aux principes de l’anarchisme communiste, étaient expulsé de la première section du Kommunistischer Arbeiterbildungsverein. Au total, environ 15 personnes ont été expulsées, dont les six personnes dont les noms figuraient au bas de la brochure comme souscrivant aux opinions qu’elle contenait ; August Reeder, R. Walhausen, Jakob Nowotny, F. Kirchhoff, H . Heinrich, R. Lieske (un frère de Julius âgé de 20 ans).

Une fois expulsés de la Première Section, Peukert et ses partisans formèrent le Gruppe Autonomie et fondèrent un club house au 32 Charlotte Street ouest. L’adhésion au groupe s’agrandit rapidement et bientôt les salles du club sur Charlotte Street était devenue trop petite. Un nouveau club house était nécessaire mais le problème de l’argent toujours présent était la pierre d’achoppement qui se tenait sur le chemin. Finalement, une maison avait été achetée pour 100 Pounds à Windmill Street 6, qui était très bien situé. Les fonds pour l’achat et la rénovation de la maison avaient été collectés par le les membres du club mettent en gage leurs bagues, montres et autres objets de valeur. Le club house était similaire à ceux décrits ci-dessus, sauf qu’une partie de la maison était réservée au chant. En plus de cela, un groupe de musique de club avait été organisé. (33)

« Le Club Autonomie était un endroit très sale et mal meublé. Quelques bancs, chaises et tables rudimentaires constituaient le seul ameublement offert aux habitués ou aux visiteurs occasionnels. N’importe qui pouvait entrer sans contestation et prendre part au discussions. ,,(34) Les réunions tenues au club étaient typiques des rassemblements anarchistes de l’époque. Il n’y avait « pas de président, n’importe qui pouvait parler quand et comme il lui plaisait, à condition qu’il ait reçu l’approbation de l’assemblée. D’une manière générale, les réunions étaient très ordonnées.,,(35)

Le Club Autonomie au moment de l’affaire Bourdin en 1894

La rhétorique engagée au Club Autonomie était évidemment assez flamboyant parce que « j’ai pris en compte la moitié des menaces qu’y avaient fait raisonner les membres chevronnés du Club Autonomie . . . avait été rélisées, peu de dirigeants ou de millionnaires auraient pu finir leurs jours en paix. ,,(36) Le club avait aussi un certain pittoresque. « La plupart des hommes portaient des chapeaux sombrero et des cravates rouges ; les femmes se coupaient généralement les cheveux courts, portaient des chapeaux de tribu, de courtes jupes minables, des rosettes rouges dans leurs manteaux virils, style bottes professionnelles. (37)

Le Gruppe Autonomie avait également décidé d’entreprendre le publication d’un journal entièrement nouveau, Le journal auparavant associé à Peukert, Rinke et leurs disciples, Der Rebell, avait été publié de manière irrégulière, souvent avec un écoulement de plusieurs mois entre les problèmes, à bien des égards, Der Rebell ressemblait davantage à un Flugbttter qu’à un journal, puisqu’il contenait des petites nouvelles. En septembre 1886, Die Autonomie, Anarchistisch-Communistisches organ était fondé. Le matériel d’impression qui avait servi à imprimer Der Rebell n’était pas suffisant pour imprimer le nouveau journal, il avait donc fallu récolter 30 livres sterling pour acheter des fournitures d’impression supplémentaires pour la nouvelle entreprise. (38) Le 17e et dernier numéro de Der Rebell parut en octobre 1886 et fut bientôt suivi par le premier numéro de Die Autonomie le 6 novembre 1886. Le journal paraissait toutes les deux semaines. Le bureau de rédaction était situé au 96 Wardour Street, Soho Square, Londres W. Au total, 211 numéros de Die Autonomie ont été imprimés avant sa disparition le 22 avril 1893. Die Autonomie était bien reçu, et à juste titre car il était bien écrit, informatif et contenait de nombreux articles intéressants et beaucoup de nouvelles sur le mouvement anarchiste. Most et Dave se sont mis à le discréditer, en prétendant que le Gruppe Autonomie avait volé la liste d’abonnement de Freiheit et que le journal avait été imprimé grâce aux fonds de la police fournis par Berlin. Ces accusations avaient été examinées par un panel impartial d’anarchistes à Londres et s’était avéré erroné. (39)

John Neve, qui avait maintenu des liens avec les deux camps, avait salué Die Autonomie en écrivant à Peukert : « Enfin un journal dont la distribution ne doit pas faire honte, alors que d’un autre côté, je voudrais jeter dans un puisard, la plupart des numéros du Freiheit avec ses articles cochons. (40)

La création de Die Autonomie constituait une nouvelle étape dans le Bruderkrieg. Comme son sous-titre l’indiquait clairement, il adhérait à l’idéologie anarchiste-communiste. Il avait le soutien des principaux anarchistes de l’époque, dont Kropotkine. Comme journal, il était à un niveau plus élevé que Freiheit qui avait avait commencé à dégénérer au milieu de 1885. Le but derrière la fondation de Die Autonomie était de propager les idées de l’anarchisme communiste en Allemagne et en Autriche. Ce fut un plein succès, introduit clandestinement dans ces pays et capta le déjà mince lectorat de Freiheit ; en effet Die Autonomie constituait une concurrence indésirable pour Freiheit à une époque où Freiheit était en difficulté financière et pouvait au moins se permettre de perdre des souscripteurs. Die Autonomie représentait l’individualisme, le groupe souverain, et la libre formation de fédérations, Most attaqua de telles idées en les qualifiant d’« anarchisme des idiots » et « idées de malades ».(41)

En 1886, le décor était planté pour la bataille finale de la Bruderkrieg. Les différences d’idéologie et de personnalité étaient dans le domaine public. La méfiance personnelle qui existait désormais atteignait un point où les camps adverses avaient passé tout leur temps dans l’activité insignifiante de lancer des allégations contre leur opposition, accusations auxquelles répondaient des contre-accusations. Les chroniques de Freiheit, Der Rebell et Die Autonomie étaient remplies de telles charges . Même le Der Sozialdemokrat réussissait à s’impliquer dans les luttes intestines, parfois en tant qu’acteur participant, d’autres fois dans le rôle d’observateur «impartial» savourant les dissensions au sein du mouvement anarchiste allemand.

On peut se demander si, en 1886, il y avait un espoir que le profond clivage qui s’était ouvert dans le mouvement pouvait être fermé. Rudolf Rocker pensait que les deux camps opposés auraient pu panser leurs blessures et joindre leurs forces si n’y avait pas eu l’arrestation de John Neve. (42) Je ne le pense pas, parce que la scission du mouvement était fondée sur des considérations idéologiques qui aurait nécessité un changement substantiel de position d’un côté. Le camp qui aurait dû changer de position idéologique pour mettre fin aux luttes intestines était du côté de Most, et Je doute beaucoup que cela aurait pu être réalisé, car Most et Dave n’étaient pas prêts à faire des concessions à Peukert et Rinke. En revanche, après avoir fondé avec raisonnablement du succès Die Autonomie, Peukert et Rinke n’avaient aucune raison de vouloir rejoindre Most et Dave.

La capture de John Neve par la police belge le 21 février, 1887, assura que la scission du mouvement ne serait jamais scellé. Avec la prise de Neve, les positions opposées se solidifièrent davantage et le Bruderkrieg atteignit son summum; il restait peu d’énergie pour autre chose que ces vicieuses luttes intestines. Au moment où les camps adverses avaient fini de laver leur linge sale dans l’affaire de Neve, le mouvement anarchiste allemand avait pratiquement cessé d’exister. Les dirigeants du mouvement tombèrent et la base était désillusionnée. L’arrestation de Neve et les événements ultérieurs de la Bruderkrieg font l’objet du prochain chapitre.

Notes :

1 . Brandenburgisches Landeshauptarchiv Potsdam, Pr. Br. Rep. 30 Berlin C., Tit. 94, Lit. S., Nr. 1 255, Vol I (13,087), Dossier 331.

2. Staatsarchiv Ludwigsburg, F 201, Stadtdirektion Stuttgart, 632, « Anarchisten 1885-1898, » Dossier 1 – 5. Également dans le premier numéro de Der Rebell voir: Freiheit, No. 9 (March 4, 1882) , p. 4; Le Revolté, No . 1 ( 4 Mars, 1882), p . 4.

3. Brandenburgisches Landeshauptarchiv Potsdam, Pr. Br. Rep. 30 Berlin C., Tit. 94, Lit. S., Nr . 1255, Vol. II ( 1 3, 088), Dossiers 166 -167 . Staatsarchiv Ludwigsburg, F 201 , Stadtdirektion Stuttgart, 632, « Anarchisten 1885 – 1 898, » Dossiers 7 – 17, 23.

4. Josef Peukert, « Otto Rinke », Jahrbuch der freien Génération pour 1910, p. 84. Peterson, alias Fleuron, mentionné ci-dessus en relation avec Reinsdorf, était également présent et a livré un discours.

5. Der Sozialdemokrat, n° 33 (10 août 1882), p. 4 ; l’anarchiste français Jean Grave a affirmé dans ses mémoires, que l’idée du vol et du meurtre a été suggérée à Grun par « .P. », qui était membre du groupe anarchiste de « Levallois-Perret. » Deux ou trois ans plus tard, on découvrit que P. était un agent provocateur. En 1930, Grave raconta à Max Nettlau que P. représentait un homme nommé Pigeon ou Pichon. Nettlau, Anarchisten et Sozialrevolutiomire. PP. 327 – 328.

6. Brandenburgisches Landeshauptarchiv Potsdam, Pr. Br. Rep. 30 Berlin C., Tit. 94, Lit. S., Nr. 1 255, Vol. I ( 13,087), Dossier 331.

7 . Der Sozialdemokrat, No. 10 (6 Mars 1884) , p. 4.

8. Peukert, Erinnerungen eines Proletariers aus der Revolutionaren Arbeiterbewegung, p. 198.

9. Martin, Der Anarchismus und seine Trliger, pp. 164-179; Anonymous, Sozialismus und Anarchismus in Europe und Nordamerika wahrend der Jahre 1883-1886, p. 51.

10. Ibid., p. 71. Évidemment, cette description de Martin est pour 1885 ou 1886 et non 1884, mais ça donne quand même une idée de ce qu’était l’apparence intérieure du club par quelqu’un qui le fréquentait

11 . Rocker, Johann Most, pp. 218 – 219.

12. Martin, Der Anarchismus und seine Trager, p. 57. L’adhésion au Gruppe Autonomie, qui sera discutée ci-dessous est incluse dans cette figure.

13. Milorad Drachkovitsch, L’Internationale Révolutionnaire 1864-1943 (Stanford, 1966), p. 70.

14. Ibid., p. 72.

15. Ibid .

16. Nettlau, Anarchisten und Sozialrevolutionare, pp. 164-165; Rocker, Johann Most, P. 227 ; Brandenburgisches landeshauptarchiv Potsdam, Pro Br. Rep. 30 Berlin C, Polizeiprasidium, Tit. 94, Lit. P . , Nr. 519 ( 12, 276), « Der Maler Josef Peukert

1881-1914. »

17. Rocker, Johann Most, p. 228.

18. Emma Goldmann, Living My Life (New York, 1931), I, pp. 75, 90, 98.

19. Nomad, Apostles of Revolution, p. 283.

20. Martin, Der Anarchismus und seine Trager. p. 74.

21 . La lettre est imprimée du Der Sozialist. Organ des Sozialistischen Bundes (Berlin), No. 6 (15 Mars 1914), p. 43.

22. Rocker, Johann Most, p. 232.

23. Peukert, Erinnerungen eines Proletariers aus der Revolutionaren Arbeiterbewegung, pp. 215 – 217 ; Rocker, Johann Most, pp. 232-233.

24. Lettre citée dans Rocker, Johann Most, p. 236.

25. Pour une sélection de ces lettres, voir : Ibid., pp. 236- 237.

26. Ibid., p. 239 ; « John Neve in den Jahren 1884-1886 , »Der Anarchist (Berlin), No. 13 (Juillet, 1906).

27. Ibid., p. 240.

28. Peukert, Erinnerungen eines Proletariers aus der Revolutionaren Arbeiterbewegung, pp. 204-206 ; Trau, Schau, wem ! (Londres, 1886), pp. 4-10. Cette brochure ne contient pas le nom de l’auteur mais Peukert l’a écrit.

29. En décembre 1885, lorsque le pâtissier Karl Scupin a été appréhendé alors qu’il faisait passer clandestinement Der Rebell en Allemagne, il avait en sa possession une lettre de Rinke qui racontait que Rinke avait rompu ses relations avec Neve et Dave parce qu’ils avaient accusé Knauerhase d’être un escroc. La lettre de Rinke contenait également une accusation contre Dave, relatant cela en 1874, alors que Dave était à Verviers, il avait détourné les fonds des travailleurs et les avait dépensés pour ses plaisirs personnels. Quand cette accusation a été révélée , elle a été immédiatement démentie par Dave. Rocker, Johann Most, p. 237 .

30. Brandenburgisches Landeshauptarchiv Potsdam, Pro Br. Rep. 30 Berlin C., Polizeiprasidium, Tit. 94, Lit. E . , Vol. 4, Nr. 298 (9709), « Emmissare der revolutionaren Propaganda 1885 – 1887. »

31 . Peukert, Erinnerungen eines Proletariers aus der Revolution!iren Arbeiterbewegung, pp. 217-21 8 ; Rocker, Johann Most, pp. 243-244.

32. Trau, shau, wem ! pp. 11-16.

33. Peukert, Erinnerungen eines Proletariers aus der Revolutionaren Arbeiterbewegung, p. 233.

34. Peter Latouche, Anarchie. Une exposition authentique des méthodes des anarchistes et des buts de l’anarchisme (Londres, 1908), p. 63.

35 . Ibid.

36. Ibid. , pp. 63-64.

37. Ibid. , p. 64.

38. Peukert, Jj;rinnerungen eines Proletariers aus der Revolutionaren Arbeiterbewegung, pp. 220-221, 232.

39, Ibid . , p. 232.

40. Cité dans Peukert, Ibid., pp. 232-233. À ce moment Neve vivait à Verviers et était impliquée dans la contrebande de Freiheit et Die Autonomie en Allemagne. Plus tôt, il avait également introduit clandestinement Der Rebell en Allemagne. Dans une lettre du 1er décembre 1885, à Dave, Neve traitait Rebell de « chiffon » et se montrait critique des rédacteurs du journal disant « ces gens ne savent pas ce qu’ils veulent vraiment. Le dernier numéro de Der Rebell était une pâle imitation de la littérature ouvrière ; ceux qui travaillent sur le journal, y compris les rédacteurs, ne sont pas qualifiés pour les postes qu’ils détiennent.  » Cité dans Rocker, p. 230.

41. Peukert, Erinnerungen eines Proletariers aus der Revolutionaren Arbeiterbewegung, p. 235.

42. Rocker, Johann Most, p. 216.

Traduction d’un texte en anglais par traducteur automatique : Anarchism in Germany, chapitre X Bruderkrieg de ANDREW R. CARLSON

Les anarchistes de Saint-Denis et le 1er mai 1891

Clichy-Levallois. — Voici quelques renseignements que nous pouvons donner sur la bagarre de Clichy.

Depuis quelque temps, il ne se passait pas de nuit que des affiches séditieuses ne fussent apposées sur les murs de Levallois. L’une des dernières donnait rendez-vous pour le 1er mai, à midi, aux travailleurs sur la Grand’Place.

La dernière nuit, deux drapeaux noirs avec l’inscription : « A bas la patrie! vive l’Anarchie ! » avaient été arborés dans les fils télégraphiques, et à quatre heures du matin, un ouvrier, policier volontaire, s’en fut dénoncer le fait au commissaire. Ce ne fut qu’après plusieurs heures d’ouvrage, vers huit heures, que la police et les pompiers purent les dégager des fils.

Au rendez-vous de midi, il ne vint naturellement personne que la police locale (3 agents), renforcé de 4 gendarmes à cheval de Suresnes et de six gendarmes à pied.

A deux heures, agents et gendarmas se retirèrent, une heure plus tard, une douzaine d’anarchistes avec un drapeau, traversaient la place et se dirigeaient vers Clichy. Un instant après, la police avertie courait après. Les trois agents de Levallois arrivèrent les premiers devant la boutique du marchand de vins, chez lequel les camarades étaient arrêtés. Un des agents se précipite, ouvre la porte et se saisit du drapeau qui était posé derrière.

C’est alors que les camarades se levèrent, sortant sur le pas de la porte, et ouvrirent le feu sur les agents. Du premier coup, ils furent mis tous trois hors de combat. A ce moment, arrivèrent le commissaire et son secrétaire. Il y eut une mêlée générale, les policiers reçurent encore quelques horions sérieux et ils succombaient sous le nombre, lorsque arrivèrent les quatre gendarmes à cheval. Ceux-ci usèrent de leurs revolvers , mais les anarchistes étaient de taille à leur répondre et les gendarmes empêtrés dans leurs chevaux, n’auraient pu empêcher les camarades de s’échapper, si les gendarmes à pied et les agents de Clichy n’étaient survenus à ce moment. Deux camarades blessés furent arrêtés par les renforts de la police, un troisième fut trouvé un instant après.

Un petit retard dans l’arrivée des gendarmes à pied ou simplement quelques armes meilleures dans les mans des révoltés et personne n’eut été pris. Quand on est décidé à vendre chèrement sa liberté et celle de ses camarades, il faut d’abord s’assurer que l’arme que l’on tient en main ne vous laissera pas en plan au troisième coup, comme il parait que cela est arrivé dans cette lutte. Une autre fois, les agents ne seront pas si pressés d’attaquer les anarchistes.

Les camarades arrêtés sont : Decamps (six coups de sabre à la tête et aux épaules), Leveillé (balle dans la cuisse), Dardare (coup de sabre à la tête), Elvire Chauveau, qui avait porté le drapeau, a «été arrêtée le lendemain, mais quant aux autres, la police a fait buisson creux.

On lui avait désigné Segard, Pauwels et Bastard de Saint-Denis, comme ayant pris une part active à la lutte, elle arrêta quatre anarchistes à Argenteuil et dut les relâcher le lendemain, puis cherchant toujours, elle arrêta quatre personnes à Saint-Denis. Ce n’est pas encore cela !

Personne ne doute que les amis qui ont été pris dans la bagarre, ne soient sérieusement condamnés, mais leur défaite marque le commencement d’une nouvelle ère. Depuis le 1er mai, il ne passe guère de jours ou de nuit qui n’amène l’alerte dans les postes de police de Saint-Denis, Saint-Ouen ou Clichy. Ce sont des meules de foin qui flambent dans la plaine vers Stains, c’est la rupture des fils téléphoniques ou télégraphiques. C’est une tentative d’incendie chez un banquier de Saint-Denis et dans une usine, c’est de la dynamite que l’on trouve dans un wagon de charbon, ce sont des affiches séditieuses ou de simples inscriptions de trois pieds de haut : A bas la police, à bas l’autorité, à bas, à bas la patrie, etc. Tous les industriels sont sur les dents, la surveillance est incessante, mais personne n’a été pincé.

L’affaire des pétroleurs de Saint-Denis consiste en un commencement d’incendie chez un banquier provoqué par un chiffon imbibé de pétrole, introduit par la boite aux lettres et un commencement d’incendie, provoqué de même manière dans l’usine de cuirs vernis, appartenant à M. Leven, conseiller général.

A propos de la bataille de Clichy, n’oublions pas non plus de rappeler le nommé Cartigny qui se vante d’avoir en reporter impeccable assisté de sa fenêtre à la lutte, le crayon à la main pour en narrer les incidents à son journal par le menu. Une balle perdue ne lui aurait pas fait de mal, pas plus que n’en a fait la balle reçue par le garçon boucher Gasnet, qui avait offert sa voiture aux agents de Levallois pour qu’ils ratrappassent plus vite les anarchistes.

La Révolte 23 mai 1891

Lire le dossier : Les anarchistes de Seine-Saint-Denis

Le neuvième Congrès général de l’Internationale, à Verviers (Belgique). (6-8 septembre 1877)

Le Mirabeau, journal de la section de Verviers de l’Internationale, publia le compte-rendu du congrès le 16 septembre 1877.

Je partis de Neuchâtel pour Verviers le mardi 4 septembre ; et, autant qu’il m’en souvient, je fis le voyage seul, par Bâle, Mayence, Cologne, et Aix-la-Chapelle. J’arrivai à Verviers le mercredi, vers le soir, et j’y trouvai la plupart des délégués déjà réunis. Nous nous logeâmes à quelques-uns dans un petit hôtel sur la place du Martyr, à proximité du local où devait se tenir le Congrès.

Le Bulletin a donné, dans son numéro du 24 septembre, un compte-rendu du Congrès, qui est, dit-il, la reproduction d’un article paru dans le Mirabeau du dimanche 16, complété par moi sur quelques points. C’est ce compte-rendu que je vais reproduire ici, en l’abrégeant quelque peu.

Le mercredi 5 septembre étaient arrivés à Verviers des délégués de France, d’Italie, d’Espagne, d’Allemagne, de Russie, de Suisse, et de Belgique. La Fédération de la vallée de la Vesdre avait organisé pour ce jour une soirée familière de réception. « Comme des soirées pareilles ne se représentent pas souvent, à huit heures du soir la grande salle de la cour Sauvage était remplie de compagnons de Verviers et des environs. Après les souhaits de bienvenue adressés aux délégués au nom de la Fédération de la vallée de la Vesdre, la société les Socialistes réunis chanta quelques chœurs de circonstance ; puis des discours furent prononcés par plusieurs délégués. Cette soirée restera comme un excellent souvenir dans tous les cœurs, surtout ceux des ouvriers de la vallée de la Vesdre, qui n’avaient jamais assisté à pareille fête. »

Le lendemain, le Congrès ouvrit ses séances régulières au local de l’Internationale, cour Sauvage.

Première séance (privée), jeudi 6 septembre.

La séance est ouverte à neuf heures du matin. Il est procédé à la nomination d’une commission pour la vérification des mandats. Cette vérification constate la présence des délégués suivants :

Rodriguez [pseudonyme de Soriano] et Mendoza [pseudonyme de Morago], représentant la Fédération espagnole de l’Internationale, composée d’un nombre considérable de fédérations comarcales et locales ;

Andrea Costa, représentant trente-cinq sections de la Fédération italienne ;

Martini, représentant deux sections de la Fédération italienne ;

Paul Brousse et Jules Montels, représentant la Fédération française récemment constituée (douze sections) ;

James Guillaume, représentant vingt-deux sections de la Fédération jurassienne ;

Gérard Gérombou, Luron, Hubertine Ruwette, Simon, Montulet, Noël, Dompret, représentant les sections qui composent la Fédération de la vallée de la Vesdre ;

Otto Rinke et Émile Werner[1], représentant des sections d’Allemagne et de Suisse.

Les socialistes de la Grèce et ceux d’Alexandrie d’Égypte s’étaient en outre fait représenter par Costa.

La question de savoir si les délégués d’organisations ne faisant pas régulièrement partie de l’Internationale, mais ayant son programme, seront admis à siéger au Congrès, est tranchée comme elle l’avait été l’année précédente au Congrès de Berne : ces délégués pourront prendre part aux discussions, à titre d’invités, avec voix consultative. À ce titre sont admis :

Émile Piette, du Cercle l’Étincelle, de Verviers ;

Malempré, des Solidaires d’Ensival (Belgique) ;

Levachof [pseudonyme de Kropotkine], délégué par divers groupes de socialistes russes.

On passe à la formation du bureau. Sont nommés comme présidents : Gérombou, de Verviers ; Werner, d’Allemagne ; et Rodriguez [Soriano], d’Espagne. Les secrétaires sont : Levachof, de Russie ; Montels, de France ; et Piette, de Verviers.

Brousse demande l’admission régulière dans l’Internationale de la Fédération française récemment constituée. — Cette Fédération est reçue.

Werner et Rinke demandent l’admission dans l’Internationale d’un groupe de sections qui viennent de se constituer en Allemagne. — Ce groupe est reçu dans l’Internationale.

La Fédération de Montevidéo est aussi reçue dans l’Internationale[2].

Le Bureau fédéral de l’Internationale ayant chargé le délégué jurassien de la lecture de son rapport, ce rapport, signé Spichiger et Pindy, est lu par Guillaume. Il sera publié en entier dans le compte-rendu du Congrès[3].

Des irrégularités dans la correspondance, de la part du secrétaire du Conseil régional belge, résidant à Anvers, ayant été constatées à la suite de la lecture du rapport en question[4], la résolution ci-dessous est votée par le Congrès à l’unanimité :

Le Congrès, considérant que la correspondance entre le Bureau fédéral et les sections peut se trouver entravée par la négligence d’un Conseil régional, constate que le Bureau fédéral a le droit, quand les circonstances l’exigent, de correspondre directement avec les fédérations locales ou de bassin, et que celles-ci pourront, toutes les fois qu’il leur conviendra, s’adresser au Bureau fédéral.

À la fin de la séance arrive un nouveau délégué : Delban, représentant du Cercle d’études socialistes de Liège.

Ce Cercle demande son affiliation à l’internationale. Les statuts du Cercle ayant été antérieurement communiqués à la Fédération de la vallée de la Vesdre, et ne renfermant rien de contraire aux statuts généraux, le Cercle d’études socialistes de Liège est admis dans l’Internationale, avec cette restriction que, s’il veut s’affilier à la Fédération régionale belge, il devra en faire la demande régulière à cette Fédération.

Le Congrès décide ensuite qu’il y aura un meeting public le même soir, dans la grande salle ; que les séances publiques du vendredi et du samedi seront transformées en soirées familières, et que les rapports des Fédérations seront lus dans la soirée du vendredi. — La séance est levée à midi.

Deuxième séance (privée), jeudi 6 septembre, à deux heures.

La classification de l’ordre du jour du Congrès est établie comme suit ;

1° Vote des sections isolées dans les Congrès généraux ;

2° Des moyens propres à réaliser le plus vite possible l’action révolutionnaire socialiste, et étude de ces moyens (proposition de la fédération de Nouvelle-Castille) ;

3° Dans quelque pays que triomphe le prolétariat, nécessité absolue d’étendre ce triomphe à tous les pays (proposition de la fédération d’Aragon) ;

4° Le Bureau fédéral pourrait-il trouver des moyens de propagande pour nos compagnons d’Égypte (proposition de la section d’Alexandrie) ;

5° Discussion des questions formant l’ordre du jour du Congrès de Gand ;

6° Questions administratives.

La discussion est ouverte sur le premier point : « Vote des sections isolées dans les Congrès généraux ». Le Congrès se rallie à la résolution de la Fédération jurassienne, prise au Congrès de Saint-Imier. (Voir cette résolution plus haut, p. 232.)

On aborde ensuite le deuxième point : « Des moyens propres à réaliser le plus vite possible l’action révolutionnaire socialiste, et étude de ces moyens ». Après une très longue discussion, le Congrès adopte la résolution suivante :

Considérant que la solidarité de fait dans l’action révolutionnaire socialiste a été reconnue, par les congrès et les groupes socialistes révolutionnaires, comme étant, non-seulement le moyen le plus pratique, mais indispensable pour assurer le triomphe de la révolution sociale ;

Considérant, d’autre part, que la question mise à l’ordre du jour par la Nouvelle-Castille se trouve implicitement contenue dans d’autres questions qui seront mises en discussion ;

Pour ces motifs, le Congrès passe à l’ordre du jour[5].

Comme il est six heures du soir et qu’un meeting doit avoir lieu à huit heures, la suite de la discussion est renvoyée au lendemain.

Meeting public, jeudi 6 septembre, à huit heures du soir.

Une foule nombreuse se presse dans la grande salle de la cour Sauvage. Des socialistes de Verviers prennent successivement la parole, et exposent en langue wallonne les principes de l’Internationale ; ils sont chaleureusement applaudis.

Le meeting dure jusqu’à minuit, et paraît laisser à tous les assistants une excellente impression. « Les tiraillements qui avaient malheureusement existé pendant quelque temps entre divers éléments socialistes à Verviers ont disparu ; l’union est rétablie, et chacun envisage l’avenir avec espoir et confiance. Le Congrès de Verviers aura été le signal d’un énergique réveil du socialisme dans le pays wallon : voilà ce que dit chacun, et nous croyons que c’est en effet la vérité. »

Troisième séance (privée), vendredi 7 septembre, à neuf heures du matin.

La lecture des procès-verbaux des deux précédentes séances est faite, et ils sont adoptés.

Un nouveau mandat arrive au bureau, et le Congrès admet le délégué qui en est porteur : Malempré, représentant la section de Lambermont (Belgique)[6].

On aborde le troisième point de l’ordre du jour : « Dans quelque pays que triomphe le prolétariat, nécessité absolue d’étendre ce triomphe à tous les pays ».

James Guillaume, délégué de la Fédération jurassienne, dit qu’il a reçu le mandat de demander au Congrès de passer à l’ordre du jour sur cette question.

Une autre proposition, faite par Costa, avec un complément de Brousse, est présentée aux délégués[7].

Après une très intéressante discussion, le Congrès adopte la résolution suivante de Costa et Brousse, contre laquelle vote seul le délégué de la Fédération jurassienne :

Considérant que, si la révolution sociale est, par sa nature même, internationale, et s’il est nécessaire pour son triomphe qu’elle s’étende à tous les pays, il y a néanmoins certains pays qui, par leur conditions économiques et sociales, se trouvent plus que les autres à même de faire un mouvement révolutionnaire,

Le Congrès déclare :

Qu’il est du devoir de chaque révolutionnaire de soutenir moralement et matériellement chaque pays en révolution, comme il est du devoir de l’étendre (??)[8], car par ces moyens seulement il est possible de faire triompher la révolution dans les pays où elle éclate.

Le quatrième point de l’ordre du jour est ensuite abordé : « Le Bureau fédéral pourrait-il trouver des moyens de propagande pour nos compagnons d’Égypte ? » Sur ce point, le Congrès déclare que le Bureau fédéral de l’Internationale pourra s’entendre à ce sujet avec la section d’Alexandrie, sur la demande de laquelle cette question a été mise à l’ordre du jour.

Quatrième séance (privée), vendredi 7 septembre, à deux heures.

Il est donné lecture d’une lettre des Sections belges du Centre, dont voici la teneur :

« Compagnons, Le Conseil régional belge ayant négligé de nous donner connaissance de la tenue du Congrès, nous n’avons pu en discuter l’ordre du jour dans nos sections, ni nous préparer à y envoyer un délégué. Réunis aujourd’hui en séance intime, nous ne pouvons laisser passer l’occasion de venir vous affirmer que nous partageons fermement les principes exposés et admis dans les Congrès antérieurs de l’Association internationale des travailleurs. Salut et révolution sociale. (Signé) : Fidèle Cornet, groupe des mécaniciens de Jolimont ; — Théophile Massart, J. Gillet, mécanicien, Maréchal, A. Massart, Waterlot, Hermant, Deschamps, section de Fayt ; — Lazare, section d’Haine-Mariemont. »

La proposition suivante est présentée au bureau :

« Nous, délégués de la Belgique, proposons au neuvième Congrès de l’Association internationale des travailleurs de rédiger une adresse de sympathie en faveur de nos frères victimes de leur énergie révolutionnaire dans les divers mouvements qui ont eu lieu, tels que : Notre-Dame-de-Kazan, Berne, Bénévent, Amérique, etc. Les délégués : Gérombou, Lurox, Malempré, Hubertine Ruwette, Simon, Montulet, Noël, Dompret, Delbars, Piette. »

Le Congrès, appelé à se prononcer sur cette proposition, vote la déclaration suivante :

Sur la proposition unanime des délégués belges, le Congrès général de l’Internationale, réuni à Verviers, manifeste par la présente déclaration sa sympathie et sa solidarité envers ceux de nos frères qui ont été victimes de leur énergie révolutionnaire dans les divers mouvements qui ont eu lieu cette année, entre autres à Bénévent, à Saint-Pétersbourg, à Berne, et aux États-Unis.

Une discussion s’engage ensuite sur la manière en laquelle doit être exécutée la décision prise l’année précédente, au Congrès de Berne, concernant une caisse centrale de propagande qui serait administrée par le Bureau fédéral (Voir ci-dessus p. 105). La proposition suivante est adoptée, comme adjonction à la décision du Congrès de Berne :

Les Fédérations détermineront elles-mêmes les moyens qu’elles jugeront convenables pour réunir la somme à verser à cette caisse de propagande.

L’ordre du jour appelle l’examen du programme du Congrès de Gand. Une discussion générale s’engage à ce sujet, et aboutit à la constatation d’une complète entente entre les délégués. La discussion spéciale sur les diverses questions du programme de Gand est renvoyée au lendemain.

La séance est levée à six heures et demie.

« Pendant cette séance, le commissaire de police de Verviers s’est rendu au local du Congrès et a fait prier les délégués de passer le lendemain matin à son bureau pour y faire constater leur identité. Cette cérémonie officielle s’accomplit le lendemain sans aucun incident digne de remarque, et le commissaire, ayant obtenu sur le lieu de naissance des délégués, leur profession, leur âge et la couleur de leurs cheveux, tous les renseignements qui l’intéressaient, put télégraphier au gouvernement belge que sa vigilance avait sauvé la patrie. »

Cinquième séance (publique), vendredi 7 septembre, à huit heures du soir.

Cette séance, tenue sous la forme d’une soirée familière, fut consacrée à l’audition des rapports des fédérations et sections. Les rapports suivants furent lus ou présentés verbalement :

Fédération de la vallée de la Vesdre ; — Section des femmes de Verviers ; — Fédération espagnole ; — Fédération française ; — Fédération italienne ; — Groupe des sections allemandes ; — Fédération jurassienne ; — Groupes socialistes russes ; — Groupes de la Grèce ; — Groupes d’Égypte.

Après la lecture de ces rapports, une discussion très intéressante s’engage sur les grèves, à propos de la grève de Seraing, dont Meunier fait le récit. La séance est levée vers minuit.

Sixième séance (privée), samedi 8 septembre, à neuf heures du matin.

Les procès-verbaux de la troisième et de la quatrième séance sont lus et adoptés.

Cette séance est spécialement consacrée à des questions administratives. Ce sont :

1° « Des moyens de publier le Compte-rendu du Congrès actuel. » — Il est décidé que les secrétaires du Congrès auront à s’entendre avec la rédaction du Mirabeau au sujet de cette publication.

2° « Liquidation des Comptes-rendus du Congrès général de 1874, tenu à Bruxelles. » — Il reste encore environ 300 exemplaires de ce Compte-rendu, dont les frais ont été jusqu’ici supportés exclusivement par la Fédération de la vallée de la Vesdre. Il est décidé que les 300 exemplaires restants seront mis au prix de 50 c., et que chaque Fédération régionale sera invitée à se charger d’en écouler un certain nombre.

3° « Frais du présent Congrès. » — Ces frais, s’élevant à 63 fr. 20, sont répartis séance tenante entre les Fédérations représentées.

4° « Quelle Fédération remplira les fonctions de Bureau fédéral de l’Internationale pour 1877-1878 ? » — Plusieurs Fédérations proposent la Belgique. La Fédération belge n’étant pas représentée dans son entier, il est proposé de charger provisoirement de ce mandat la Fédératiou de la vallée de la Vesdre, jusqu’à ce que la Fédération régionale belge, réunie en congrès, ait pu déclarer si elle accepte ou refuse les fonctions de Bureau fédéral.

Les délégués belges demandent la suspension de la séance pour pouvoir se concerter entre eux. À la reprise de la séance, ils annoncent qu’à l’unanimité ils acceptent la proposition de désigner Verviers comme siège provisoire du Bureau fédéral.

Il est proposé en outre, pour le cas où le Congrès régional belge ne ratifierait pas cette décision, de placer le Bureau fédéral en Espagne. Les délégués espagnols déclarent qu’ils pensent que leur Fédération serait disposée à accepter ce mandat, s’il lui était conféré.

5° « Pays où se tiendra le prochain Congrès général. » — La Suisse est désignée à l’unanimité.

La séance est levée à midi.

Septième séance (privée), samedi 8 septembre, à deux heures.

L’ordre du jour appelle la discussion sur chacune des six questions formant le programme du Congrès de Gand.

Un mémoire émanant d’une section de Genève a été envoyé au Congrès avec prière d’en prendre connaissance. Ce mémoire, destiné au Congrès de Gand, traite une à une les diverses questions du programme. Il est décidé de donner lecture de ses différents chapitres au cours de la discussion.

1re question du Congrès de Gand : « Des tendances de la production moderne au point de vue de la propriété ». — Après une longue discussion, la résolution suivante est adoptée :

Considérant que le mode de production moderne tend, au point de vue de la propriété, à l’accumulation des capitaux dans les mains de quelques-uns, et accroît l’exploitation des ouvriers ;

Qu’il faut changer cet état de choses, point de départ de toutes les iniquités sociales,

Le Congrès considère la réalisation de la propriété collective, c’est-à-dire la prise de possession du capital social par les groupes de travailleurs, comme une nécessité ; le Congrès déclare en outre qu’un parti socialiste vraiment digne de ce nom doit faire figurer le principe de la propriété collective, non dans un idéal lointain, mais dans ses programmes actuels et dans ses manifestations de chaque jour.

2e question du Congrès de Gand : « Quelle doit être l’attitude du prolétariat à regard des partis politiques ? » — À cette question, le Congrès en joint une autre qui s’y rattache, et qui a été proposée pour l’ordre du jour du Congrès de Verviers par la Fédération napolitaine : « De la conduite des socialistes révolutionnaires anarchistes vis-à-vis des partis politiques soi-disant socialistes ».

Après une discussion approfondie, qui a duré plusieurs heures, le Congrès vote la résolution suivante :

Considérant que la conquête du pouvoir est la tendance naturelle qu’ont tous les partis politiques, et que ce pouvoir n’a d’autre but que la défense du privilège économique ;

Considérant, d’autre part, qu’en réalité la société actuelle est divisée, non pas en partis politiques, mais bien en situations économiques : exploités et exploiteurs, ouvriers et patrons, salariés et capitalistes ;

Considérant, en outre, que l’antagonisme qui existe entre ces deux catégories ne peut cesser de par la volonté d’un gouvernement ou pouvoir quelconque, mais bien par les efforts réunis de tous les exploités contre leurs exploiteurs ;

Pour ces motifs :

Le Congrès déclare qu’il ne fait aucune différence entre les divers partis politiques, qu’ils se disent socialistes ou non : tous ces partis, sans distinction, forment, à ses yeux, une masse réactionnaire, et il croit de son devoir de les combattre tous.

Il espère que les ouvriers qui marchent encore dans les rangs de ces divers partis, instruits par les leçons de l’expérience et par la propagande révolutionnaire, ouvriront les yeux et abandonneront la voie politique pour adopter celle du socialisme révolutionnaire.

La séance est levée à sept heures.

Huitième séance (publique), samedi 8 septembre, à huit heures et demie du soir.

Cette séance, comme celle de la veille au soir, est tenue sous la forme d’une soirée familière.

La discussion sur le programme du Congrès de Gand est reprise.

3e question du Congrès de Gand : « De l’organisation des corps de métier ». — Cette question soulève une discussion très intéressante, de laquelle il résulte que, la grande industrie n’étant pas développée aujourd’hui d’une manière identique dans tous les pays, les corps de métier n’ont pas partout, au point de vue socialiste révolutionnaire, la même valeur. La résolution suivante est votée à l’unanimité :

Le Congrès, tout en reconnaissant l’importance des corps de métier, et en en recommandant la formation sur le terrain international, déclare que le corps de métier, s’il n’a d’autre but que l’amélioration de la situation de l’ouvrier, soit par la diminution des heures de travail, soit par l’augmentation du taux du salaire, n’amènera jamais l’émancipation du prolétariat ; et que le corps de métier doit se proposer, comme but principal, l’abolition du salariat, c’est-à-dire l’abolition du patronat, et la prise de possession des instruments de travail par l’expropriation de leurs détenteurs.

4e question du Congrès de Gand : « Pacte de solidarité à conclure entre les diverses organisations ouvrières socialistes ». — Le Congrès, reconnaissant qu’un pacte de solidarité ne peut être conclu entre l’Internationale et des organisations dont les principes et les moyens d’action diffèrent des siens sur des points essentiels, passe à l’ordre du jour.

5e question du Congrès de Gand : « De la fondation, dans une ville européenne, d’un Bureau central de correspondance et de statistique ouvrière, qui réunirait et publierait les renseignements relatifs aux prix de la main-d’œuvre, des denrées alimentaires, aux heures de travail, aux règlements de fabriques, etc. » — Le Congrès émet l’opinion que le Bureau fédéral de l’Internationale pourrait se charger de la mission énoncée dans la question ci-dessus, sans qu’il soit besoin de créer un nouveau bureau spécial.

6e question du Congrès de Gand : « De la valeur et de la portée sociale des colonies communistes, etc. » — Après un exposé historique de la question, lecture est faite de la résolution votée à ce sujet par le Congrès de Saint-Imier (voir p. 235). Le Congrès de Verviers décide de se rallier à cette résolution.

Il est entendu que les résolutions adoptées relativement au Congrès de Gand n’ont pas un caractère absolument impératif et que les délégués ne seront pas liés à leur texte, mais qu’elles indiquent seulement le point de vue auquel les délégués de l’Internationale ont résolu de se placer dans la discussion.

Toutes les questions du programme du Congrès de Gand ayant été examinées, la discussion sur les grèves est reprise, et se prolonge assez tard, mais sans aboutir au vote d’une résolution.

Il est décidé, pour terminer la séance, que les procès-verbaux qui n’ont pas pu être lus seront remis au bureau, qui les vérifiera. Puis la clôturer du Congrès est prononcée aux cris de Vive l’Internationale !

Le lendemain, dimanche, les délégués de l’Internationale prenaient congé de leurs amis de Verviers pour se rendre à Gand, après avoir promis que ceux d’entre eux qui le pourraient s’arrêteraient à Verviers au retour.

  1. Rinke et Werner, condamnés l’un à quarante jours, l’autre à trente jours de prison le 18 août, et en outre bannis pour trois ans du canton de Berne, s’étaient rendus à pied de Berne à Verviers, voyageant à petites journées à la façon des Wandergesellen allemands.

2. Le Bureau fédéral, dans sa circulaire du 1er août (voir p. 219), avait porté à la connaissance des Fédérations régionales la demande d’admission de la Fédération de Montevidéo, qui n’avait pu, vu la distance, envoyer un délégué au Congrès.

3. Ce compte-rendu devait s’imprimer à Verviers ; les démarches que j’ai faites dans ces dernières années en vue de m’en procurer un exemplaire n’ont pas abouti, et je suis porté à croire qu’il n’a pas été publié. 4. On a vu, p. 252, en quoi consistaient ces « irrégularités », et j’admire encore, trente ans après, l’extrême modération dont le Congrès général de l’Internationale fit preuve, en se contentant de voter, à propos de cet incident, la résolution qu’on va lire.

5. Nous ne donnons que sous toutes réserves le texte de cette résolution et de la suivante, que nous empruntons au Mirabeau, et qui nous paraît contenir des erreurs et des incorrections. Lorsque nous aurons reçu communication des procès-verbaux officiels du Congrès, nous rectifierons ces textes s’il y a lieu. (Note du Bulletin.) — Ces textes n’ont pas été rectifiés, les textes authentiques n’ayant pas été communiqués à la Fédération jurassienne par les secrétaires du Congrès.

6. Le nombre total des délégués se trouva par là porté à vingt.

L’Internationale, documents et souvenirs/Tome IV/VI,14 par James Guimmaume

https://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Internationale,_documents_et_souvenirs/Tome_IV/VI,14#cite_ref-1

Lire le dossier : Les anarchistes en Belgique

Rinke, Erich Otto dit Rau, Rinkius, Big Otto (1853-1899)

Erich Otto Rinke était le fils d’un fonctionnaire forestier de Schmiegel, dans la province allemande de Posen (aujourd’hui Poznan en Pologne). Il était grand et large et était souvent appelé Big Otto. Carlsen, dans son ouvrage Anarchism in Germany, dit que « par nature, il était argumentatif, bourru et brutal. Jusqu’en 1890, il eut le respect, mais pas toujours l’amour, des membres du mouvement anarchiste ». Il est décrit par John Henry MacKay dans son roman The Anarchists comme ayant une courte barbe brune et pleine et parlant couramment le français mais pas très doué pour parler l’anglais.

Otto Rinke, comme on l’appelait habituellement, travaillait comme serrurier et, peu de temps après avoir terminé son apprentissage, il commença à errer dans toute l’Allemagne à la recherche de travail. Au cours de ses voyages, il entra en contact avec le mouvement ouvrier en développement en Saxe et dans le Wurtemberg et s’engagea dans une direction radicale. Il fut appelé pour accomplir son service militaire mais déserta peu après, le 5 décembre 1873. Il s’enfuit en Suisse et continua à travailler comme serrurier à Berne et à Genève.

C’est à Berne qu’il entre en contact avec les cercles bakouninistes au sein de la Socialdemokratische Verein Bern, aux côtés d’un compatriote allemand, Emil Werner. Il rejoint la Fédération jurassienne et, avec August Reinsdorf et Emil Werner, dirige l’Arbeiter-Zeitung (Nouvelles ouvrières) du 15 juillet 1876 au 13 octobre 1877 avec 33 numéros. Le journal a été financé par Natalie Landsberg. La plupart des articles ont été rédigés par Paul Brousse puis traduits en allemand. Comme le note David Stafford : « L’Arbeiter-Zeitung est en fait apparu simultanément avec une nouvelle phase du mouvement anarchiste, caractérisée par un engagement envers l’anarcho-communisme et une propagande par le fait ».

Rinke fut l’un de ceux qui signèrent ce qui a été décrit comme le premier programme anarchiste allemand le 2 octobre 1875. En mai 1877, lui, Werner et Kropotkine fondèrent l’Anarchistisch Kommunistische Partei Deutscher Sprache (Parti communiste anarchiste germanophone). Les statuts du groupe indiquaient que son objectif était d’unir les différents éléments des peuples germanophones qui reconnaissaient les principes anarchistes-communistes et qui étaient associés à l’Association internationale des travailleurs. Sa durée de vie n’était pas très longue. Après la manifestation du « Drapeau rouge » du 18 mars 1877, Rinke fut expulsé de Berne, avec Werner et Paul Brousse. Le drapeau rouge avait été interdit en Suisse comme emblème de la révolution suite à la Commune de Paris.

Cela a porté un coup dur à l’Arbeiter-Zeitung. Son dernier numéro annonçait que d’autres journaux émergeraient pour prendre sa place.

Au cours de l’été 1877, Rinke et Werner quittèrent la Suisse à pied et marchèrent jusqu’à Verviers en Belgique pour y assister au Congrès anarchiste international. De là, Rinke et Werner ainsi que neuf autres personnes se sont rendus à Gand pour assister au Congrès socialiste universel du 9 au 16 septembre. Le Congrès a souligné les différences entre les positions anarchistes et sociales-démocrates.

De Gand, Rinke retourna en Allemagne sous le nom d’Otto Rau. Il a déménagé de Munich à Cologne . C’est là qu’il fut condamné à une peine de prison en 1878-1879, bien que l’on ne sache pas exactement pourquoi et pour quelle durée. Cela faisait partie de la tentative d’établir des groupes anarchistes dans toute l’Allemagne.
Entre 1879 et 1880, Rinke s’établit à Paris, se déplaçant en Allemagne et en dehors et travaillant au développement du réseau anarchiste clandestin. À l’automne 1880, il fut arrêté à Mannheim, mais il opérait toujours sous le nom de Rau et fut relâché peu de temps après. Il revient à Paris où il rencontre Josef Peukert, né en Bohême du Nord. Ils sont devenus des amis pour la vie et des personnalités marquantes au sein d’une aile du communisme anarchiste allemand au cours des années à venir.

En 1881, Rinke passa la majeure partie de son temps à Paris, avec seulement de courtes incursions en Allemagne et en Suisse. Ici, il fait la connaissance de l’anarchiste allemand Balthasar Grün.

En décembre 1881, Rinke et Werner publièrent le premier numéro de Der Rebell, Organ Anarchisten Deutscher Sprache In Geneva. Celui-ci a été introduit clandestinement en Allemagne, bien que de nombreux exemplaires aient été saisis par la police par la poste.

En mars 1882, Rinke et Grün entreprirent une tournée de propagande en Allemagne. Cependant, ils furent bientôt arrêtés à Darmstadt. Grün s’est suicidé dans la prison de Hanau en septembre de la même année. Rinke a purgé une peine pour désertion à la prison d’Ulm puis a été libéré.

Rinke se rend ensuite à Londres en octobre 1883. Le deuxième numéro de Der Rebell paraît en octobre 1883, suivi des troisième et quatrième en novembre et décembre de la même année. Rinke a imprimé Der Rebell dans son appartement londonien avec le soutien du Suisse Moritz Schulze et du Tchèque E. Mily, tous deux compositeurs. Peukert assumait la plupart des tâches éditoriales. Il se proclame l’organe de tous les anarchistes germanophones. Au total, 17 numéros parurent, le dernier parut en octobre 1886.

Avec Peukert, Rinke créa en novembre 1886 le journal Die Autonomie en opposition au Freiheit (Liberté) de Johann Most. Il était bien mieux écrit que Der Rebell et contenait beaucoup plus d’informations sur le mouvement. À Londres, il rencontre l’anarchiste écossais-allemand John Henry Mackay et l’accompagne lors de voyages dans l’East End de Londres. Il incarne le personnage d’Otto Trupp dans le roman de Mackay Les Anarchistes écrit en 1891.

La vie à Londres pour Rinke était très difficile. Il n’avait pas de travail stable et devait subvenir aux besoins d’une femme et de deux jeunes enfants. Cependant, entre 1888 et 1890, il trouva un emploi stable et sa situation était meilleure. Rinke a pu concevoir des opérations réussies pour la contrebande de Die Autonomie en Allemagne. Un signe de son succès a été le fait que le président de la police de Berlin, Von Richtofen, a écrit que la police avait réussi à confisquer quelques exemplaires du journal et qu’elle n’était pas non plus en mesure d’arrêter quiconque pour l’avoir introduit clandestinement dans le pays. Cependant, la police britannique traquait désormais les anarchistes et il était gravement harcelé. Fuyant les persécutions, Rinke quitta Londres pour les États-Unis en 1890, vivant d’abord à Elizabeth, dans le New Jersey. Aux États-Unis, il rejoint les Autonomen Gruppen Amerikas (Groupes autonomes d’Amérique), éditant leurs journaux communistes anarchistes Der Anarchist de 1889 à 1885 à New York, avec Peukert et Claus Timmermann, et Der Kämpfer (Le Combattant) à Saint-Louis en 1889. 1896 qui ne comportait que quatre numéros. Rinke avait déménagé à Saint-Louis où il travaillait comme contremaître dans une usine produisant des moteurs électriques. Il meurt en 1899 à l’âge de 46 ans, « s’étouffant avec un morceau de viande qu’il mangeait à la hâte pour se rendre à une réunion anarchiste » (Carlsen).

La réputation de Rinke a beaucoup souffert pendant la guerre civile au vitriol – le Bruderkreig – qui a gravement endommagé le mouvement anarchiste germanophone. Victor Dave l’a accusé d’avoir persuadé Grün de se suicider pour se sauver, et d’être impliqué dans le « meurtre d’une bouteille de champagne » et le vol d’une riche Française dans lesquels Grün semble avoir été impliqué. Mais les dossiers de la police ne le confirment pas. Grün s’est suicidé par remords, après s’être effondré lors d’un interrogatoire et avoir révélé la véritable identité de Rinke. Johann Most reparla plus tard de cette question, au plus fort du Bruderkreig. Max Nettlau, semble-t-il plus par ouï-dire qu’autre chose, semble avoir été d’accord avec Dave et Most, faisant référence au visage de Janus de Rinke. Kropotkine, en revanche, a toujours eu la plus haute estime pour Rinke. Otto Rinke avait consacré toute sa courte vie d’adulte à la cause de l’anarchisme mais a finalement été laissé de côté et discrédité.

Nick Heath

Sources:

Carlson, Andrew R. Anarchisme en Allemagne, Vol 1.
Stafford, David. De l’anarchisme au réformisme
Mackay, John Henry. Les anarchistes.

Trduction automatique d’un article en anglais : https://libcom.org/article/rinke-erich-otto-aka-rau-rinkius-big-otto-1853-1899