Londres le 20 avril 1883

Voici les détails touchant le fait Samarine, précédemment signalé :

Dès son arrivée à Londres, Samarine (alias Müller) se mit à remuer ciel et terre, tant parmi les russes que parmi les anarchistes qui composent la section française.

La semaine passée, il fut délégué par cette dernière, avec Demartys, pour aller chez chaque membre réclamer les cotisations arriérées.

Or, il s’est trouvé que la plupart de ceux qui avaient payé à Hoffmann, le trésorier de la section, tout ou partie de ce qu’ils devaient n’étaient nullement inscrits comme tels sur les livres du caissier.

De là, grand mécontentement contre Hoffmann et échange de paroles acerbes entre ce dernier et les commissaires délégués. Dans la chaleur de la discussion, Hoffmann se serait oublié au point de faire allusion à une affaire de complot dans laquelle Samarine se trouve mêlé.

De quel complot s’agissait-il ? Hoffmann avait dit : « Vous citoyen Müller, vous déployez beaucoup de zèle vis à vis des autres, mais si l’on se mettait à fouiller un peu votre passé, le rôle que vous prétendez avoir joué dans les complots nihilistes serait singulièrement amoindri…

– Que se passe-t-il donc avec Hoffmann ? Demandait-on hier soir à Samarine…

– Hoffmann est accusé par la section allemande de malversation dans l’affaire Mertens. De plus, il a touché nombre de cotisations de notre groupe qu’il n’a pas inscrites. Je lui en ai parlé comme commissaire délégué, il s’est emporté au lieu de chercher à se disculper, il a même essayé de me salir.

Si Hoffmann n’était pas un faux frère, il ne m’accuserait pas de faire plus de bruit que de besogne. Je n’ai pas besoin de crier par dessus les toits les choses qui se préparent mais j’ai bien le droit quand je suis avec mes amis de leur parler des affaires passées.

C’est un tort que quelque fois, j’en ai bien eu la preuve à Paris d’où le Préfet de police m’a expulsé, mais je crois que c’est notre devoir à tous de rendre compte des tentatives que nous pouvons faire pour la cause de la révolution.

Oui, je me flatte d’être un membre actif du parti nihiliste et je ne désespère pas d’être bientôt à même d’en donner une preuve éclatante à tous les Hoffmann du parti anarchiste…

– Comptez vous donc quitter l’Angleterre ?

– Oui, il fait trop de braillards à Londres. J’aime mieux Saint-Pétersbourg et même Moscou. Il y a bien du danger d’y résider, mais j’ai un excellent moyen de me préserver… Vous ne supposez pas que je vous confierai mon secret…

Archives de la Préfecture de police Ba 435

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