D’après un article du Journal, Emile Violard et Paton seraient deux des quatre auteurs de l’attentat contre la statue de Thiers, cela confirmant les propos de Spilleux à propos de la participation de Violard : «  il dit que sans l’indiscrétion de Violard, la statue de Thiers aurait sauté en morceaux, il est représenté assis et entre les jambes, il y a un moyen de placer une cartouche de dynamite. »

M. Andrieux et les anarchistes

… J’ai connu, à une époque déjà ancienne, deux des auteurs de ce premier attentat anarchiste : Paton et Emile Violard. Tous deux habitaient le « quartier Latin », et fréquentaient à la fois les cafés du Boul’Mich et les salles de rédaction. Paton, étudiant en médecine, a disparu ; quant à Émile Violard, il existe, et le hasard m’a fait le rencontrer depuis : marié, bon bourgeois, excellent père de famille, il paraît songer à toute autre chose qu’à commettre des attentats anarchistes. Chose curieuse, et qui serait bien inquiétante si l’on ne savait pertinemment que le farouche compagnon d’antan s’est amendé, Violard vendait, à l’époque où je l’ai rencontré, des tuyaux de canalisation souterraine et autres. Ses magasins étaient établis à Alger sous la place du Gouvernement. En sorte qu’il eût pu, avec un peu de bonne volonté, faire sauter l’Hôtel de Ville, les beaux hôtels du boulevard de la République et, au besoin, le palais du gouverneur et la mosquée.

Entre temps, Violard écrivait dans les journaux des articles souvent très drôles, parfois satiriques et violents. car le compagnon avait bien encore quelques haines qui se révélaient, de préférence à l’heure verte.

Très bon camarade, il réunissait, le dimanche, en été, ses amis d’Alger à Aïn-Taya, petite plage délicieuse où il avait loué, pour la saison, la maison du curé (!).

Un jour, – je ne sais pas si le brave abbé Junca n’assistait pas à notre conversation, — Violard nous raconta en riant l’histoire de la bombe du père Thiers, comme il l’appelait irrévérencieusement.

Il avoua que, le jour du lancement, on avait un peu bu.

« Nous étions quatre, disait-il, et dans les séances préliminaires, on avait hésité sur le choix de l’endroit où la bombe serait lancée. L’un de nous, un de ceux qui payaient le plus facilement à boire et faisaient les motions les plus terribles, proposait le Palais-Bourbon. On se rabattit néanmoins sur la statue de Thiers et l’on partit un matin après avoir fortement bu toute la nuit. Vous savez comment nous avons été pincés et cela ne m’étonne pas; car sur les quatre il y en avait bien trois qui étaient des mouchards, même, en y réfléchissant, je me suis demandé depuis, bien souvent, si nous n’en étions pas tous les quatre. »

Le bon abbé se tenait les côtes; moi-même, malgré la gravité de la confidence, j’avais peine à ne pas rire. Il est vrai qu’à cette époque, Ravachol n’avait pas encore inauguré la série des véritables attentats anarchistes, et que nous considérions plutôt celui-là comme une simple fumisterie d’étudiants.

Je sais fort bien que l’ami Violard n’a jamais, ni de prés ni de loin, appartenu à la police ; mais, au risque de recevoir demain les témoins de M. Andrieux, je dois avouer que, depuis lors, moi aussi j’ai cru aux agents provocateurs !

BOULLAND.

Le Journal 15 mars 1894

Lire le dossier : Contre enquête sur le cas de Serraux-Spilleux accusé d’être un agent du préfet de police Louis Andrieux