Extrait de l’état signalétique des anarchistes expulsés de France. N°5 Juillet 1894.

Préfecture de la Haute-Savoie

Cabinet du préfet

Direction de la Sûreté générale

Cabinet du directeur

Annecy le 26 septembre 1894

Monsieur le ministre,

Je crois devoir vous informer que le Département de Justice et Police fédéral, à Berne, vient de demander au Département de Justice et Police à Genève, par l’intermédiaire du procureur général de la Confédération, des renseignements au sujet de l’expulsion de France des anarchistes Steiger (Jacques-Eugène) et Steigmeier (Jean-Adam), qui figurent sur l’état signalétique des anarchistes étrangers expulsés de France, juillet 1894, n°56 et 57.

Le procureur général demande notamment si ces deux individus ont déjà séjourné en France et ce qui a pu motiver leur expulsion.

Le Département de Justice et Police de Genève n’a pu que répondre qu’il n’était pas à sa connaissance que les nommés Steiger et Steigmeier fussent allés en France ces temps derniers et qu’il ne pouvait fournir aucun renseignement sur leur expulsion.

A cette occasion, les autorités suisses ont cru devoir critiquer assez vivement le mode de procéder actuel qui consiste à faire figurer sur les états signalétiques des anarchistes étrangers expulsés de France, ceux d’entre eux ne résidant pas en France.

« Nous reconnaissons, disent-elles, le droit à tout pays d’expulser de son territoire tout étranger dont la présence peut être considérée comme un danger pour la sécurité publique, mais il n’en est pas de même pour ceux qui ne résident pas en France et qui ne s’y rendront peut-être jamais. Il eût été plus rationnel de faire figurer sur un état à part ceux de cette dernière catégorie, état dont la police aurait eu seule communication en vue de l’arrestation et de l’expulsion de ces individus, dans le cas de découverte en France. Le système actuel, s’il se généralise, donnera certainement lieu à des réclamations et à des conflits qui obligeront la police suisse à refuser à l’avenir tout renseignement à la police française. »

Il est certain qu’en ce qui concerne la question anarchiste, la Suisse sachant qu’elle n’a rien à craindre chez elle, se désintéresse absolument de ce qui peut se passer à l’étranger, et que ce n’est qu’à contre cœur qu’elle a pris jusqu’à présent quelques mesures de rigueur.

On ne doit voir toutefois dans cette affaire qu’une question de mots dont la susceptibilité suisse s’est émue « A expulse » au lieu de « expulsés »

J’ai cru devoir appeler votre attention sur ce point, monsieur le ministre, en vous signalant l’intérêt qu’il y aurait à ne pas faire figurer sur l’état des anarchistes étrangers expulsés de France ceux d’entre eux qui ne résident pas en France et auxquels l’arrêté n’a pas été notifié.

Ces derniers pourraient, en effet, figurer sur un autre état dont la police française seule aurait communication.

Dans le cas contraire, il importerait de supprimer dès à présent la communication aux gouvernements étrangers, ainsi qu’aux diverses polices des états signalétiques actuellement publiés et qui leur sont remis au fur et à mesure de leur publication par les ambassades et consulats de France.

En conservant à cette publication un caractère confidentiel on évitera ainsi des réclamations et des conflits qui n’auraient d’autre résultat que d’amener la police suisse à refuser certains renseignements à la police française.

Le préfet de la Haute-Savoie

Archives nationales 19940500/59

Lire le dossier : Collaboration des polices française, suisse et italienne dans la surveillance des anarchistes en 1894.