Photo anthropométrique Alphonse Bertillon. Collection Gilman. Métropolitan museum of art. New-York.

Gustave Mathieu, l’anarchiste bien connu, est depuis quelques jours à la prison des Grands Chapeaux.

Le jeune compagnon est né à Guise le 26 février 1866, il a donc par conséquent 27 ans. Complètement imberbe, on lui donnerait à peine 20 ans.

Mathieu comparaîtra aujourd’hui, vendredi, devant ta deuxième chambre de la Cour, appelant d’un jugement du tribunal de Vervins, en date du 25 octobre dernier, le condamnant à quatre mois de prison pour violences, voies de fait et outrages aux agents de la force publique.

Voici les laits pour lesquels Mathieu a été traduit devant le tribunal de Vervins :

M. le maréchal des logis de gendarmerie Mauroy, d’Hirson, appelé à perquisitionner chez un sieur Abaret, habitant Saint-Michel, inculpé de vol, trouva chez ce dernier, l’anarchiste Gustave Mathieu qui à l’époque se faisait appeler Dumont.

Les gendarmes d’Hirson, accompagnée de M. Hourlier, conseiller général et maire de Saint-Michel, d’un adjoint et de deux gardes, entrèrent dans la maison du sieur Albaret. Celui-ci, Mathieu dit Dumont et un troisième individu qui se trouvaient dans la maison, furent immédiatement mis en état d’arrestation.

Ces trois individus furent gardés à vue. Gustave Mathieu fut confié à la garde du gendarme Révolte pendant que l’on procédait à une inspection dans le domicile suspect.

Au cours dé l’opération, Mathieu s’élança tout à coup sur le gendarmé qui le surveillait et le saisissant par le cou, il le secoua fortement, essayant de le renverser.

Malheureusement pour lui, Mathieu avait affaire à fin solide gaillard. Une lutte très vive s’engagea entre les deux hommes au cours de laquelle Mathieu parvenant à saisir un pistolet chargé qu’il avait dans sa poche, il essaya de faire feu sur son adversaire.

Le gendarme réussit â saisir le pistolet et à se rendre mettre de l’anarchiste.

Fouillé aussitôt, Mathieu fut trouvé en possession de dix cartouches, d’un couteau de boucher et d’une fausse barbe.

C’est à la suite de cette scène que Mathieu préféra des outrages envers les gendarmes.

A l’audience du tribunal de Vervins. Mathieu a nié avoir proféré ces outrages.

Le tribunal l’a condamné, comme nous le disons plus haut, à quatre mois de prison.

En entendant la condamnation, Mathieu a annoncé, le sourire aux lèvres, qu’il allait interjeter appel de ce jugement.

Disons maintenant deux mots des antécédents du jeune anarchiste : Arrêté à St Michel dans les circonstances que l’on sait, Mathieu avait été renvoyé devant la Cour d’Assises de l’Aisne pour y répondre d’une accusation de vol. Déclaré non coupable par le jury, il fut acquitté le 9 août dernier.

Auparavant, il avait été condamné à Saint-Ouen, à un mois de prison pour rébellion envers la police, au sortir d’une réunion publique; puis condamné par défaut par le Tribunal de la Seine, à cinq ans d’emprisonnement et cinq ans d’interdiction de séjour pour complicité de vol. Mathieu ayant fait opposition à ce jugement, le Tribunal de la Seine réduisit sa peine à un an de prison.

La salle d’audience sera bondée de curieux avides de voir cet anarchiste dont on parle depuis longtemps.

Le Progrès de la Somme 24 novembre 1893

L’anarchiste Gustave Mathieu DEVANT LA COUR D’APPEL

L’anarchiste Gustave Mathieu a été extrait de la prison des Grands Chapeaux à midi. Il était escorté de trois gendarmes. Peu de monde sur son trajet de la prison au Palais de Justice.

Gustave Mathieu était vêtu d’un complet noir en chevrote ; il portait sur les épaules une pèlerine noire en drap et était coiffé d’un chapeau gris.

A midi précis, l’inculpé était introduit dans la salle. En attendant l’ouverture de l’audience, nous avons pu nous entretenir avec lui pendant quelques instants.

Mathieu nous a dit qu’il était au courant des attentats anarchistes de Barcelone et de Marseille. « Ce sont là, a-t-il ajouté, de simples essais ».

— Vous avez connu Ravachol ?

— Oh ! parfaitement ; il m’a été présenté par Chaumartin avec qui j’étais intimement lié. A l’époque je fréquentais Simon dit Biscuit, condamné en môme temps que Ravachol, aux travaux forcés à perpétuité. Quoiqu’en disent les bourgeois, Ravachol était un très honnête homme.

—. Pourquoi êtes vous anarchiste?

— Parce que la bourgeoisie commet des des actes ignobles contre l’humanité; parce que je souffre, parce que je ne trouve pas de travail, parce que j’ai été chassé de toutes les maisons où j’ai travaillé, parce que, parce que…

Nous bous arrêtons là, ne voulant pas suivre le compagnon anarchiste dans le récit qu’il nous a fait de sa vie aventureuse.

A midi un quart l’audience est ouverte. M. de Vaulx d’Achy préside. M. Corentin Guyho, avocat général, occupe le siège du ministère public.

M. le conseiller Labouret fait le rapport de l’affaire. Nous en avons donné les détails hier, aussi, ne croyons-nous pas nécessaire d’y revenir. Ce rapport établit qu’au moment de son arrestation, Mathieu était porteur d’un pistolet Lefaucheux à deux coups, d’un paquet de cartouches, d’un flacon d’ammoniaque, d’une fausse barbe, d’un couteau de boucher et d’un paquet de poivre.

Mathieu père, ouvrier au Familistère de Guise, a déclaré que son fils était intelligent, mais qu’il avait été entraîné dans sa jeunesse par des individus professant des idées révolutionnaires.

L’inculpé quitta Guise, sa ville natale, en 1890 et alla à Paris où il se mêla au monde des anarchistes. A la suite d’une condamnation à un mois de prison prononcée contre lui par le tribunal correctionnel, et sous le coup de poursuites pour complicité de vol, il quitta Paris et se réfugia à Londres.

Plus tard, il fut recherché dans cette ville par la police de sûreté comme pouvant avoir pris part aux explosions de Paris. A Londres, il se donna comme l’ami intime de Ravachol et se mêla aux anarchistes.

En décembre 1892, il vint habiter Bruxelles où il lia connaissance avec l’anarchiste Placide Schouppe, évadé de la Guyane. Enfin, traqué par la polies, il quitta la Belgique le 25 mars et arriva à Saint-Michel où il fut arrêté.

Arrivons à l’interrogatoire qui a été très court. Mathieu s’est borné à nier les actes de rébellion et injures envers les gendarmes de Saint Michel. Il a déclaré que les gardes de Saint-Michel l’avaient littéralement assommé, et qu’il n’avait jamais eu la pensée de se servir de son pistolet contre le gendarme Révolte.

D. Vous prétendez que la déclaration des gendarmes est inexacte ?

R. Oui, monsieur.

D. Vous réclamez votre acquittement ?

R. Oh, non !

D. Reconnaissez vous avoir traité les gendarmes de brigands et de canailles ?

R. Non, monsieur. J’ai traité ceux qui m’ont frappé, c’est-à-dire dire les gardes.

D. Avez-vous d’autres explications à donner ?

R. Que voulez-vous que je vous dise ? Je ne puis m’avouer coupable de faits que je n’ai pas commis.

L’avocat général. M. Corentin Guyho prend ensuite la parole et commence par déclarer qu’il fait appel à minima dans cette affaire. Après avoir donné lecture d’un article du Libéral de l’Aisne. rendant compte de l’arrestation de Mathieu. Il rappelle ensuite les antécédents de l’inculpé et ajoute que le tribunal de Vervins a été trop indulgent.

Mathieu a commis le délit de rébellion avec armes et non de rébellion sans armes. L’inculpé est donc passible de la peine portée à l’article 212 du code pénal.

Le délit de rébellion est un acte de résistance avec violence. Or, Mathieu était armé d’un pistolet dont il a essayé de se servir. Le délit est donc bien établi, il faut appliquer l’article 212 § Ier, même ai l’on veut accorder, comme l’on fait les juges de Vervins, les deux tiers d’indulgence.

Me Debeauvais présente en quelques mots 1a défense de Mathieu.

M. Corentin Guyho réplique et dans un vigoureux réquisitoire, prend la défense des gendarmes qui toujours font leur devoir. Dans cette affaire, le devoir des magistrats est d’appliquer la loi toute entière. Il ne faut pas qu’on puisse dire que les juges ont fait preuve de faiblesse. « Nous sommes ici les factionnaires de la loi ».

La Cour se retire pour délibérer. Mathieu profite de la suspension d’audience pour faire un cours d’anarchie. La prison, dit il, lui est assez agréable, il s’y habitue. Grâce à des subsides, il se nourrit bien, mais il ne renonce pas à ses idées. Anarchiste il est, anarchiste il restera.

Le citoyen Follet qui se trouve dans l’auditoire, converse avec Mathieu qu’il tutoie. Ils échangent divers signes, puis la Cour rentre.

M. le président de Vaulx d’Achy donne lecture d’un arrêt par lequel la peine de quatre mois de prison est élevée à six mois.

Mathieu sort escorté de trois gendarmes. A la porte du Palais, Follet et quelques autres compagnons lui serrent affectueusement la main.

Le Progrès de la Somme 25 novembre 1893

Source : Archives nationales BB18 6450

Lire le dossier : Les anarchistes de l’Aisne