Ville D’Angers

Commissariat central de police

Interrogatoire de la veuve Ledu concernant le départ de Chevry, anarchiste militant

N°3507

L’an 1894 et le 13 avril.

Nous Etienne Blanc, commissaire central de la ville d’Angers, officier de police judiciaire, auxiliaire de monsieur le procureur de la république.

Informé par le service de la sûreté que le sieur Chevry Anatole, anarchiste militant avait dû quitter la ville d’Angers, lundi dernier, 9 du courant, et que cet individu, pour cacher son départ, n’a certainement pas pris le chemin de fer dans l’une des gares de cette ville, attendu qu’une surveillance de jour et de nuit y est constamment exercée. Avons mandé dans notre cabinet, la nommée Artel Maria, veuve Ledu, âgée de 41 ans, concubine de Chevry, demeurant rue de la Madeleine 53, dans le but de lui demander si elle connaissait l’adresse actuelle de ce dernier et pourquoi il avait quitté Angers, sans en avertir M. le juge d’instruction, contrairement à ce qu’il avait promis à ce magistrat.

La veuve Ledu nous a déclaré ce qui suit :

La semaine dernière, Chevry m’avait déjà déclaré qu’il avait l’intention de quitter Angers, qu’il n’attendait que l’argent qui devait lui être envoyé de son pays, pour partir. Et vendredi 6 du courant, il reçut une lettre de son notaire, l’invitant à lui faire parvenir sa procuration pour régler les affaires de la famille vu que son père est décédé et qu’alors il lui enverrait de l’argent. Chevry expédia une dépêche disant qu’il n’avait pas d’argent pour envoyer une nouvelle lettre et lundi 9 avril, il reçut une nouvelle lettre du notaire, lui faisant connaître qu’il pouvait se rendre chez M. Guillaume, notaire à Angers, où il pourrait donner sa procuration et toucherait le surplus de l’argent qu’il lui envoyait.

Chevry revint de chez le notaire vers 2 heures de l’après-midi et me déclara qu’il allait partir, sans vouloir me dire où il avait l’intention de se rendre, prétendant qu’il ne le savait pas d’ailleurs pas lui-même. Il ajouta, lorsque je serai casé, que j’aurai trouvé du travail, je t’écrirai et tu viendras me rejoindre si tu veux. Depuis ce jour, je ne l’ai pas revu et je n’ai pas reçu de ses nouvelles.

Quelque temps auparavant, il avait manifesté l’intention d’aller à Laval, espérant y trouver du travail, chez un nommé Soulié, agent d’affaires, pour lequel il avait travaillé autrefois.

Je crois réellement que Chevry m’écrira, attendu qu’il n’a absolument rien emporté et qu’il lui reste encore chez moi tous les papiers, ainsi que du linge et d’autres effets. Je puis vous affirmer qu’aussitôt que je recevrai une lettre, je vous en préviendrai, afin que vous puissiez en aviser M. le juge d’instruction, pour lui faire connaître son adresse, ainsi qu’il le désire.

Lecture faite, la susnommée persiste et signe avec nous.

Il résulte des renseignements recueillis auprès de M. Guilbeau, notaire que Chevry aurait touché en son étude, lundi dernier 9 du courant, la somme de 20 fr. 25 ce qui ne lui permettait pas de se rendre dans la Haute-Marne, son pays natal, s’il n’avait pas d’argent, ce qui est d’ailleurs probable.

De tout ce que dessus, avons dressé le présent procès-verbal pour être transmis à M. le juge d’instruction.

Le commissaire central

2 U 2-143 Archives départementales du Maine-et-Loire

Lire le dossier : Les anarchistes à Angers : premières victimes des lois scélérates