Commissariat spécial près la préfecture du Rhône

Réunion publique du 27 novembre 1881, organisée au profit des grévistes de Villefranche, par la fédération des chambres syndicales lyonnaises et la chambre syndicale de la teinture.

Rapport sur la réunion publique organisée par la fédération des chambres syndicales lyonnaises, la société de prévoyance et la chambre syndicale de la teinturerie lyonnaise, tenue le dimanche 27 novembre 1881, salle de l’Alcazar, rue de Sèze, 34.

La séance a été ouverte à 2 heures du soir. Environ 450 personnes assistaient à cette réunion dont l’ordre du jour portait :

Question des salaires ;

De l’évolution sociale ;

Questions diverses concernant les corporations.

Le bureau d’ordre a été ainsi constitué :

Président Gambon, ancien représentant du peuple.

Secrétaire Traby

Assesseurs, Guillot et Morel.

Contrairement à l’affiche, aucune société musicale n’a prêté son concours et cette réunion a fait complètement un four…

Desgranges qui devait parler sur la question des salaires cède la parole au citoyen Bernard, chef des révolutionnaires lyonnais, qui commence encore ses attaques contre la société et le gouvernement et dit que s’il a préconisé l’emploi de la force, c’était pour répondre à l’emploi de la force par les patrons. Il répète qu’on aurait dû en pendre quelques uns, les ouvriers ayant autant de droit pour se protéger que les patrons qui se faisaient défendre par les gendarmes.

Le but des travailleurs dans une grève, doit être la diminution du travail, l’augmentation de salaire n’est que secondaire ; il se félicite de la grève qui est un puissant moyen d’agitation ; il éreinte le citoyen Guyot, député, qu’il traite d’individu, combat les candidatures ouvrières et dit que tous les gouvernements ont besoin d’une armée de fonctionnaires, de propre-à-rien pour les soutenir. Si le gouvernement ne veut laisser faire la révolution pacifiquement, ils la feront violemment, mais la révolution ne peut réussir que si l’on emploie la force. Il faut dit-il, en terminant, que la sang du peuple coule une dernière fois et dire au bourgeois : tu rentreras avec nous au banquet de la vie ou bien tu crèveras.

Le citoyen Godet ou Gaudet demande à Bernard pourquoi il est venu prendre la parole à la réunion alors qu’il avait été décidé hier soir qu’il n’y viendrait pas ; il lui reproche de prendre la parole aujourd’hui, alors qu’hier à la réunion organisée par la fédération révolutionnaire il a gardé le silence ; celui-ci répond que c’est comme délégué des serruriers et surtout pour profiter de la question de la grève, pour agiter les esprits et créer des relations entre les révolutionnaires lyonnais et caladois* qu’il prend la parole, et dit qu’il n’y a pas d’antagonisme entre les fédérations ouvrière et révolutionnaire…

Dumonceau, délégué de la chambre syndicale des serruriers apporte 47 francs pour les grévistes et déclare que la fédération ouvrière n’a rien de commun avec la fédération révolutionnaire…

Il n’y a pas eu d’incident à la sortie vu le nombre restreint des personnes présentes. Bernard et d’autres membres du parti révolutionnaire avaient quitté la salle bien avant la clôture de la séance qui n’a offert, en réalité, aucun intérêt sérieux et qui a servi à démontrer, au contraire, l’antagonisme qui existe entre les diverses organisations ouvrières.

Lyon le 27 novembre 1881.

Le commissaire spécial.

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Ville de Lyon

Commissariat de police du quartier St Pothin

n° 2616

4e division, 1er bureau

La réunion publique organisée par la fédération des chambres syndicales lyonnaises, la Société de prévoyance et la chambre syndicale de la teinturerie lyonnaise, a eu lieu aujourd’hui 27 novembre 1881 dans la salle de l’Alcazar, rue de Sèze, n°34

La séance est ouverte à deux heures de relevée quand le citoyen Gambon (ex-membre de la Commune) qui est acclamé président d’ordre, ayant pour secrétaire les citoyens Trablit et pour assesseurs Guillet et Morel.

Environ 600 personnes des deux sexes sont présentes à la réunion…

Desgranges, secrétaire de la commission de la grève s’excuse de ne pouvoir traiter la question sociale et déclare céder son tour de parole au citoyen Bernard.

Bernard dit : « Je tiens à m’expliquer sur le sens de quelques paroles que j’ai prononcées dans une précédente réunion, où j’ai dit qu’il fallait faire peur aux patrons ; qu’à l’occasion des coups portés à une femme lors des manifestations de la grève de Villefranche, on aurait eu le droit, en présence d’un fait aussi brutal que celui qui s’est produit, de répondre sur le champ par la pendaison d’un patron et par ce moyen prouver qu’on oppose la force à la force.

La grève n’est pas un moyen d’émancipation pour arriver à la révolution sociale, c’est seulement une idée, un acheminement vers le but auquel nous tendons tous. C’est un moyen d’agitation que nous employons pour le triomphe de notre cause. Il attaque en passant M. Guyot, député, qui n’a rien trouvé à dire pour protester contre l’attitude de la gendarmerie dans les affaires de Villefranche. Si vous voulez faire la révolution sociale, vous ne pourrez atteindre le but que par l’emploi de la force, parce que la bourgeoisie ne cédera rien. Il faut entretenir dans l’esprit du peuple l’idée de la violence pour arriver au triomphe du principe révolutionnaire. Il faut que la sang du peuple coule une dernière fois pour arriver à notre but. Le parti révolutionnaire lyonnais profitera de tous les moyens possibles pour faire de l’agitation. Il saisit l’occasion de la grève pour faire (mot illisible) cette réunion en vue de grossir les groupes par de nouveaux adhérents au socialisme révolutionnaire…

Lyon le 28 novembre 1881

Le commissaire de police.

Source : Archives départementales du Rhône 10 M 339

*habitants de Villefranche