Une bombe fut déposée sous un bénitier situé à l’intérieur de l’église Saint-Nizier

Une bombe explosible

Lyon, 26 décembre.

Avant hier, à onze heures et demie du soir, au moment de la messe de minuit, une main criminelle plaçait, sous un bénitier situé à l’intérieur de l’église Saint-Nizier, près de la porte gauche d’entrée, une bombe explosible, sans attirer l’attention de personne.

Quelques secondes plus tard, un des gardiens de la paix de service, voyant à terre comme une lueur phosphores cente qui serpentait, s’approcha et vit une bombe dont la mèche, longue préalablement de 50 à 60 centimètres, était brûlée presque entièrement; il s’empara vivement de l’engin, sortit de l’église et le trempa dans un ruisseau fort heureusement plein d’eau en cet endroit. Une fois éteinte, la bombe fut portée au poste des gardiens de la paix de l’Hôtel-de-Ville et mise en lieu sûr.

Hier matin, elle a été transportée chez M. Ferrand, expert-chimiste, qui l’a analysée immédiatement. Cet engin, de forme ovoïde, était de la grosseur d’une poire ; il était forte ment entouré de ficelles à l’extérieur, lesquelles enlevées, laissèrent voir un morceau d’étoffe noire, recouvrant des débris de vieux fers et de fonte. L’intérieur était composé d’une vessie où se trouvaient des matières explosibles, chlorate de potasse et poudre ordinaire, reliées par une mèche.

Bref, cette bombe ressemble presque de tous points à celles placées il y a plusieurs années à la mairie de la Croix-Rousse.

On frémit en songeant à ce qui aurait pu se passer au milieu de la foule rassemblée dans l’église Saint-Nizier, si l’explosion se fût produite.

Le moindre de tous eût été, sans aucun doute, une épouvantable panique, dont les malfaiteurs, toujours à l’affût la nuit de Noël, auraient profité, pour piller et dévaliser les gens.

De très graves soupçons pèsent sur différents individus suspects, que l’on a vus rôder à partir de dix heures et demie du soir autour et à l’intérieur de l’église Saint-Nizier.

Courrier de Saône et Loire 27 décembre 1886

Bombe de l’église St Nizier

Lyon, 28 décembre.

Le jour commence à se faire sur l’odieux attentat de la nuit de Noël, dans l’église Saint-Nizier. Parmi les individus suspects aperçus à la porte de l’église, près du bénitier, où avait été placée la bombe, on avait remarqué un nomme Robin, guimpier à la Croix-Rousse. La police, connaissant les antécédents anarchistes de cet individu, a fait lundi, à son domicile, une perquisition, qui a amené la découverte de flacons et de substances chimiques, complètement étrangères à son métier.

A la suite de cette perquisition, Robin, qui n’a pu justifier de l’emploi de son temps pendant la nuit de l’attentat, a été arrête.

Robin est président de la chambre syndicale des ouvriers guimpiers, et l’un des anarchistes les plus militants de Lyon. Le parti anarchiste, à Lyon, est divisé en deux camps, et on prétend que le centre influent s’est réfugié en ce moment à Vienne, ce qui expliquerait les nombreux incendies qui ont éclaté depuis quelque temps dans cette ville.

D’après les bruits qui circulent, et que nous donnons sous réserve, la fraction anarchiste lyonnaise, dont Robin ferait partie, voudrait une action immédiate et porter un grand coup.

Courrier de Saône et Loire 30 décembre 1886

Les anarchistes
Il paraît que la tentative criminelle de l’église Saint-Nizier serait l’œuvre du parti anarchiste. Voici, en effet, ce que nous lisons dans le Salut public :
Une perquisition a été faite chez un jeune ouvrier, nommé Robin, président de la chambre syndicale de sa corporation.
Lorsque les agents se présentèrent à son domicile, Robin était assis avec sa femme et un de ses amis, près du poêle. On lui montra le mandat de perquisition. A cette vue, il se troubla, mais il ne fit aucune opposition à la visite des agents.
On trouva ouvert sur la commode un livre de chimie, dont on s’empara ; puis un paquet de bouts de ficelles offrant beaucoup d’analogie avec celle qui serrait la bombe de Saint-Nizier. Cette dernière, en effet, était formée de fragments de 50 à 60 centimètres de longueur, joints entre eux par des nœuds.
De plus, il résulte des investigations de M. l’expert Ferrand que les linges qui entouraient l’engin étaient imprégnés d’huile lourde de pétrole et avaient servi à nettoyer des machines.
Or, c’est le cas, pour les guimpiers, d’où une présomption contre l’inculpé Robin.
M. Ferrand a constaté, en outre, que l’auteur de la tentative avait prisses précautions pour ne pas être atteint par l’explosion. Il avait enduit sa mèche d’un composé chimique destiné à s’enflammer spontanément à l’air. Heureusement, le phosphore qui entrait dans cette préparation n’était pas suffisamment concentré, et la mèche a dégagé des odeurs suspectes, au lieu de déterminer l’inflammation delà mèche, ce qui n’enlève rien à l’acte de courage de l’agent, qui, au risque d’avoir le ventre ouvert par l’explosion, s’est hâté de gagner la rue et de noyer l’engin meurtrier.
On a saisi également plusieurs flacons renfermant des substances qu’on a été étonné de trouver dans le domicile d’un ouvrier comme Robin.
Ces substances ont été déposées chez M. Ferrand, pour être soumises à une analyse.
A la suite de cette perquisition et d’un interrogatoire sommaire, dans lequel Robin n’a pu justifier de l’emploi de son temps pendant la nuit de Noël, ce dernier a été mis en état d’arrestation.
En résumé, il semble résulter des premiers renseignements de l’enquête que l’on se trouve en présence d’un attentat anarchiste.
Si l’on en croit certains racontars, le lendemain même de l’attentat, une réunion d’anarchistes a eu lieu à Vienne et, dans cette réunion l’un des meneurs les plus ardents se serait écrié ; « Nous avons manqué notre coup hier ; mais, patience, nous réussirons mieux une autre fois… »

L’Univers 30 décembre 1886

Lyon, le 2 janvier.
Robin, l’auteur présumé de la tentative de l’église Saint-Nizier, a été remis en liberté. La chambre syndicale des guimpiers de Lyon a adressé une protestation « contre les manœuvres de certains journaux de Lyon.»

L’Univers 4 janvier 1887

Ne pouvant croire à tant de sauvagerie, nous avions attribué à une odieuse fumisterie l’affichage à Grenoble de menaces de mort contre Mgr Fava et la tentative d’explosion qui a eu lieu à la cathédrale.
De nouveaux renseignements publiés par le Temps nous révèlent que tout cela n’était que trop sérieux. On écrit de Grenoble à ce journal :
Grenoble, 15 janvier, 9 h.20.
Depuis quelques jours, des placards menaçants écrits à l’encre rouge étaient apposés sur divers points de la ville, et sur tous, on lisait des menaces de mort contre l’évêque Fava. Un flacon contenant une matière explosible avait été placé sur une des fenêtres de l’évêché.
Une circonstance inattendue a permis hier à la police de découvrir l’auteur de ces placards. Elle avait arrêté un nommé Lucien Morelle, âgé de 22 ans, pour vol de timbres-poste; et, en faisant une perquisition au domicile de ce malfaiteur, elle a trouvé des placards conformes à ceux que nous venons d’indiquer, et surtout des lettres d’anarchistes lyonnais établissant les relations étroites qui existent entre Morelle et les auteurs de l’attentat de l’église Saint-Nizier.
Voici quelques extraits de ces lettres* :
Lyon, 27 octobre.
Décidément, nous n’avons pas de chance. Le coup des curés vient de manquer. Sauzet a mal fait les amorces. Tu as dû le lire sur les journaux : c’est à recommencer. L’église Saint-Nizier doit tomber ; elle tombera.
Nous avons reçu les bombes et les quatre obus de l’artilleur Guérin, il a pu les prendre. Cette fois, gare à eux ! nous ne les manquerons pas.
Sois tranquille ! si les coups de la Croix-Rousse et de Saint-Pothin ont manqué, ceux que nous allons faire ne manqueront pas leur but.
Chabrier ne m’a pas écouté. Je lui avais dit de mettre la bombe à Saint-Nizier, dans un endroit sombre, il l’a mise sur un bénitier, trop en vue des regards. Enfin, nous allons voir cette fois. Une des bombes pèse au moins 3 kilos ; elle est d’une force à faire sauter trois maisons.
Celle-là, je la garde pour le bon jour.
Signé : VITTRE
Genève, 27 décembre.
La bombe des curés a manqué son coup.
Vittré a mal fait l’amorce. Tu choisis bien tes hommes. On verra bientôt que nous travaillons toujours pour la vengeance. Vive la révolution et l’anarchie !
Je pense que tu as brûlé mes lettres. On ne sait pas ce qui peut arriver.
Guérin m’a dit que Chautemps a pu fournir les bombes.
Signé- : SAUZET
Enfin une autre lettre de Vittré, datée de Lyon, dit :
Je suis allé chercher les engins à la gare. J’ai, pris la fausse barbe et ils sont maintenant en sûreté. La caisse de picrate et de glycérine est chez Chantemps. Nous avons deux bombés de prêtes. Nous attendons l’occasion.
Je compte donner des nouvelles aux commissaires de la sûreté.
Au palais, nous placerons la bombe dans le corridor de la rue Saint-Jean.
Ces lettres et d’autres papiers compromettants saisis chez Morelle, ainsi qu’un paquet de matières explosibles et un poignard, ont été remis au parquet, qui poursuit son instruction. Un délégué spécial de Lyon est venu à Grenoble pour prendre connaissance de tous ces documents, parmi
lesquels il faut encore citer des lettres écrites en caractères hiéroglyphiques.
L’anarchiste Morelle est un jeune homme mince, petit, à l’air doux, qui se dit garçon coiffeur, mais qui en réalité n’exerce aucune profession. Il a habité Genève de 1882 à 1886 et a été condamné en France à un an de prison pour vol simulé. Il est né à Marcigny (Saône-et-Loire), et habitait Grenoble depuis cinq mois.

L’Univers 17 janvier 1887

*Il semble bien que Morelle qui fut qualifié de mythomane lors de son procès pour viol avec violence, ait écrit à lui-même ces lettres : lire Entre peine et thérapie. Le cas Lucien Morelle, le violeur d’enfant de Genève