S. D.

X n°1

Paris le 21 mai 1890

La réunion dont je vous ai parlé dans ma dernière correspondance a eu lieu samedi, salle Lepreux, place aux Gueldres à Saint-Denis.

Environ quarante anarchistes et quelques femmes, tous de Saint-Denis ou des localités voisines.

La séance, sans bureau constitué suivant l’usage, s’ouvre sur un discours du compagnons Poret de Saint-Ouen.

Faisant la comparaison du voleur qui vole le bourgeois et de celui qui exploite le premier, il en fait l’apologie dans des termes violents. Selon lui cet homme a droit à tous les égards, s’il en est réduit à la misère et qu’il ne peut plus manger même en travaillant ; donc son vol est excusable et même nécessaire.

Il attaque ensuite les politiciens socialistes qui une fois au pouvoir ne vaudront pas mieux que la bourgeoisie elle-même.

Passant ensuite à l’examen des moyens d’action qui deviendront nécessaires dans un temps peut-être peu éloigné, il recommande aux compagnons présents d’étudier les forts voisins de Saint-Denis, place très importante pour les révolutionnaires, de se rendre un compte exact du fonctionnement des lignes de chemin de fer, les canaux, leurs écluses et les moyens de les diviser, pour le moment venu, n’avoir plus qu’à marcher. Pour cela, ajoute-t-il, il faut travailler ferme et sans relâche.

En terminant, il recommande de bien se méfier de tout individu qui voudrait acquérir une prépondérance quelconque dans le groupe dont il fait partie, celui-là est un traître ou un ambitieux, puis pour conclure, il fait un chaleureux appel à l’union des anarchistes pour le jour prochain où tous les sacrifices seront demandés.

Decamps prend ensuite la parole et s’occupe des grèves de Roubaix.

Il attaque Chivrier et Lachize qui ont prêché la concorde et l’apaisement de la grève.

Sans leur intervention, cela marchait à merveille et aurait pris des proportions qui eussent servi la cause des anarchistes. De même dans le Gard.

Afin d’éviter les dénonciations, il ne sera plus question dans les réunions familiales, de discussions importantes intéressant les anarchistes.

Bondeville, revenant encore sur Pierret, le traître de mouchard, lit quelques lettres de lui et propose de le lyncher à première occasion.

La réunion se termine par des conversations sans intérêt, des chants révolutionnaires et la quête de rigueur.

X n°1 S. D.

Archives de la Préfecture de police Ba 76

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