Le suicide de Casabianca annoncé dans le numéro de la Révolution sociale, en même temps que la fuite de Serraux, ont-ils un lien ? Serraux connaissait Casabianca, puisque le 12 juillet 1881, il déjeunait avec lui.

Or la Révolution sociale allait publier un dossier sur des possibles malversations financières évoquées par les documents ci-dessous. L’annonce du suicide de Casabianca toucha-t-elle Serraux, au point que dégouté du milieu anarchistes, il prit la fuite, pour ne pas assumer ce que le journal allait publier et dont Casabianca avait peut-être eu l’écho ? Voici les éléments de l’affaire dans l’affaire :

« Au moment de mettre sous presse, nous apprenons que le sieur Casabianca, allant en Corse, vient de se brûler la cervelle à Marseille, où il s’était arrêté pour prendre des renseignements sur certains anarchistes de paris, ayant habité cette ville.

En présence de cette mort inattendue, nous faisons taire nos justes ressentiments. Nous ne somme spas de ceux qui s’acharnent sur un cadavre, aussi la colère fait-elle place en nous à la pitié ; nous supprimons donc tous les documents ayant trait à ce citoyen et qui devaient paraître dans notre numéro d’aujourd’hui.

Nos adversaires d’un instant peuvent maintenant se rendre compte de la valeur que pouvaient avoir les diffamations que le sieur Casabianca répandait à plaisir contre nous.

La délation est une arme dont il est toujours dangereux de se servir, la preuve vient d’en être fournie. Elle est presque toujours le fait de gens intéressés à désunir ou bien de ceux que leur dévouement exalte et qui voient de la meilleure foi du monde des ennemis partout.

Que de victimes cette immonde n’a-t-elle pas faite ? Le nombre des immolés est trop grand pour que nous nous complaisions à les citer ; nous nous bornerons à dire qu’elle s’est toujours attachée après les amis du peuple les plus sincères, les plus dévoués et presque toujours les plus éprouvés.

La disparition et peut-être la mort du compagnon Serraux – tout jusqu’à présent nous porte à croire à la vérité de cette dernière supposition – l’acte de justice que le compagnon Casabianca vient de s’infliger, tout cela, nous l’espérons, calme l’effervescence des esprits et fera réfléchir tout le monde. Amis et ennemis, s’ils ne se tendent les mains, comprendront qu’il y a mieux à faire que de s’injurier.

L’ennemi, plus puissant par nos dissentions, est là, debout et menaçant plus que jamais, il a soif de notre sang, et frappant sans relâche les adversaires de la Révolution égalitaire.

La rédaction. »

La Révolution sociale 11 septembre 1881

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Agent *

Londres 15 juillet 1881

Le Congrès de Londres est ouvert depuis hier à midi.

Il tient ses séances dans Cardinton Street Hamstead Road, à un endroit appelé The Fitzroy Arms.

Jusqu’à ce moment les délégués sont au nombre de 35. Plusieurs sont encore attendus, notamment Emile Gautier dont l’arrivée était annoncée pour aujourd’hui, mais qui n’est pas encore ici, Louise Michel qui doit débarquer dimanche et Cafiero.

Ce dernier est retenu en Suisse par la question d’argent mais son ami Kropotkine dit qu’il viendra d’un moment à l’autre, parce que Casabianca a promis de fournir les fonds nécessaires aux délégués nécessiteux.

Kropotkine représente au congrès le journal Le Révolté.

Bien qu’hier on ait tenu séance depuis midi jusqu’à minuit, aujourd’hui de 10h à 3 heures, rien d’important n’a encore été fait.

Toute la journée d’hier a été consacrée à des questions d’ordre intérieur.

1° Nomination d’une commission de quatre membres pour vérifier les mandats. Ont été élus : Kropotkine, Fournier, délégué de 49 fédérations espagnoles, Merlino, délégué pour le Centre de l’Italie et Neve, du journal la Freiheit.

Les pouvoirs vérifiés, des numéros ont été donnés aux délégués. Ce n’est plus un tel qui demande la parole, c’est le numéro 10, 15, 17, etc.. ;

2° Il a été décidé, malgré une forte opposition, que les délégués porteurs de mandats en règle seraient seuls admis aux séances et que, contrairement à une note émanant de la commission d’organisation du congrès, aucune personnalité, quelle qu’elle fût, non dûment nantie d’un mandat d’un groupe organisé ne pourrait pénétrer dans la salle.

3° Les délégués Serraux de la Révolution sociale et Chauvière de Bruxelles, demandent que le congrès décide si les débats pourront être publiés pendant la durée des séances.

Malgré Kropotkine qui demandait avec Nathan-Ganz, délégué du Mexique, que la publicité la plus étendue fût donnée dès maintenant à la discussion, le congrès a décidé que rien ne serait communiqué aux journaux pendant la durée des séances.

Dès que le congrès sera fini, la Révolution sociale et le Révolté en donneront un compte-rendu officiel.

A 6 heures, les membres du meeting se sont séparés pour aller dîner. A 8 heures, la séance a été reprise par la lecture des rapports des délégués.

Cette lecture ne s’est terminée qu’aujourd’hui.

A la séance d’hier soir elle a été troublée par un incident d’une certaine gravité.

Vers 10 heures 1/2, deux délégués arrivés de Paris dans l’après-midi font leur entrée dans la salle . Ce sont les citoyens Bouisson et Guy, le premier se disant délégué du groupe de Perpignan et de Paris et le second délégué de Béziers.

La commission de vérification se réunit. Un italien, le citoyen Roncastti (?), représentant le groupe de Marseille porte sur Bouisson certaines accusations au sujet du rôle qu’il aurait joué il y a un an au Congrès régional de cette ville. Malatesta prie Bouisson de s’expliquer. On lui demande s’il est vrai qu’il ait accepté par l’intermédiaire du député Bouchet, un emploi aux Coupons commerciaux.

Il répond que se trouvant sans travail, il a été en effet employé à raison de 150 francs par mois dans cette administration financière pendant six semaines et que depuis il est comptable à la Banque des Batignolles à 250 francs, mais que jamais il n’a eu recourt à M. Bauchet. Il donne des explications qui amènent le congrès à l’accepter comme délégué à la majorité de 11 voix contre 9.

Archives de la Préfecture de police Ba 30

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Zacharie

Paris le 16 juillet 1881

Mercredi soir, il n’est parti comme délégué au Congrès de Londres que Bouisson et jeudi la nommée Victorine Rouchy.

Je vous avais parlé de sommes prêtées par le trésorier de l’Alliance Anarchiste et Maria avait dit qu’un ami avancerait l’argent qui manquerait, cet « ami » c’est Casabianca, mais le jour du départ du délégué de l’Alliance et d’autres compagnons devant aller à Londres soit individuellement, soit pour représenter des groupes, Casabianca a déclaré qu’il n’avait pas les fonds qu’il attendait et qu’il lui était impossible de tenir sa parole.

La stupéfaction a été complète chez ceux qui croyaient partir : Maria, Victorine Rouchy, Raoux et Bouisson.

Ce dernier n’avait sur lui que juste l’argent nécessaire pour s’en aller à Londres.

Victorine Rouchy a dit que si elle avait 40 francs, elle partirait et s’imposerait tous les sacrifices possibles afin que Paris fut mieux représenté.

Le compagnon Wilhems et Georges Kratzeisen ont promis de trouver cet argent et le Cercle du 11e dans sa séance de mercredi a chargé deux compagnons Gérard et Georges Kratzeisen d’aller demander à Tomachot s’il pouvait l’avancer.

Il leur a été répondu affirmativement et une souscription parmi les anarchistes du 11e a produit 11, 50 francs, ce qui a fait un total de 51, 50 francs.

C’est avec cette somme que Victorine Rouchy est partie jeudi soir.

Hénon lui a remis l’adresse du secrétaire du comité des réfugiés où elle put trouver asile à son arrivée : Victor Richard, 67 Charlotte Street Fitz Roy Square.

Malatesta, qu’elle doit aller visiter, demeure Léopolda 9 Smilk Street, Northampton Square E.C.

Bouisson a écrit une lettre pour être communiquée à l’Alliance. Il réclame énergiquement des fonds. Voici son adresse à Londres : 6 Rose Street Soho Square.

A la séance d’hier soir de l’Alliance anarchiste, on a discuté sur les moyens de faire rentrer les fonds prêtés par le trésorier.

Une collecte faite immédiatement produit 9, 40 francs.

Crié et Durand ont été délégués pour aller trouver le trésorier et sommer Maria et Jeallot de rembourser ce qu’ils doivent.

Durant la séance Georges Kratzeisen et Delhomme ont eu une altercation et arrivés sur la place de la République, ils se sont battus.

Il n’y aurait pas eu de suites graves si un ami de Delhomme amnistié comme lui, ne s’était précipité sur Georges et celui-ci pour se défendre s’est servi d’un coup de poing en fer qui a ensanglanté la tête de son adversaire.

Les coups ont été donnés avec une telle force qu’il a cassé un anneau de son coup de poing, mais de son côté, il a reçu à la jambe gauche sur le tibia un violent coup de pied ; en voulant les séparer et leur faire entendre raison, Tomachot a été maltraité aussi par l’ami de Delhomme.

Archives de la Préfecture de police Ba 30

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7 septembre 1881 à Marseille, décès de Jean, Alfred Casabianca, à 11 heures du soir, cours Belzunce, âgé de 40 ans, né à Ajaccio (Corse), de passage à Marseille, déclaration faite par deux gardiens de la Paix.

État civil de Marseille. Archives des Bouches-du-Rhône.

Lire le dossier : Contre enquête sur le cas de Serraux-Spilleux accusé d’être un agent du préfet de police Louis Andrieux