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                                             Au prénom du père


Fortuné Henry fils. Album Bertillon septembre 1894. CIRA de Lausanne.

Si Fortuné HENRY, fils a bien un modèle, c’est son père, dont il reprend le pseudonyme Fortuné mais alors que son père a inversé nom et prénom dans sa vie politique, le fils devient  Fortuné , et défend publiquement l’honneur de son père décédé, lorsque celui-ci est mis en cause.

Le vie de Fortuné Henry est donc profondément marquée par l’itinéraire politique de son père, à tel point que l’on peut presque la résumer par ce raccourci : au prénom du père.

Du fouriérisme de Henri FORTUNE à l’anarchisme de Fortuné, devenu animateur d’une colonie libertaire, on peut retrouver plus d’un point commun, l’évolution politique d’une génération.

Ce pseudonyme familial « Fortuné » sera inscrit, dans le dossier commun aux deux frères Henry, Fortuné et Émile, que la Préfecture de police confond, au début de leur activité politique anarchiste, mais rapidement le doute est levé, l’un s’orientant vers la voie de ce que l’on appelle pas encore terrorisme mais propagande par le fait et l’autre vers la propagande par la parole, sans jamais participer au moindre attentat.

Fortuné HENRY père, dit Henri FORTUNE



Portrait par Félix Vallotton paru dans La Revue Blanche, 1897

HENRY Fortuné, nait à Nîmes (Gard) le 20 juillet 1821. Il se marie le 16 février 1867 à Paris, avec Rose CAUBET (1842-1923). Ils ont quatre enfants : Marie Constance Gabrielle (1867-?), Jean Charles « Fortuné » (1869-1931), Joseph Félix « Émile » (1872-1894), Jules, Paul, Emmanuel (1879-1934).

Sa sœur, la marquise de Chamborant, ancienne domestique de son mari, possède une propriété à Saint Laurent d’Aigouzet (Gard). Elle habite à Passy (Seine). Il a un frère Eucher Henry,  ex-officier du génie et ingénieur au Pérou, décédé vers 1877.

« Installé à Paris dès 1846, Fortuné se lie avec le fouriériste audois Jean Journet qui devient son père spirituel. Il collabore à l’Almanach phalanstérien et au quotidien La Démocratie pacifique dirigé par Victor Considerant.

Il collabore également à l’Almanach des opprimés dirigé par le socialiste Hippolyte Magen et à la Revue de l’éducation nouvelle, journal des mères et des enfants dirigée par le fouriériste Jules Delbruck.

Sa production littéraire est essentiellement composée de poèmes dans lesquels Fortuné exprime ses convictions philosophiques, sociales et politiques. Pour Victor Considerant il écrit des poèmes mystiques imprégnés par la cosmologie fouriériste. Pour Jules Delbruck il écrit des rondes et chansons pour enfant. Il met la valeur fouriériste de l’attraction au service d’une pédagogie nouvelle : c’est un partisan d’une « pédagogie attractive » par les jeux et l’image. Ces rondes et chansons écrites sur des airs connus sont destinées à s’instruire, mais surtout à s’imprégner d’une morale. Le travail des ouvriers et paysans, la fraternité et la patrie y sont valorisés. La misère sociale, l’esclavage, les superstitions et la guerre y sont dénoncés. L’exigence morale et l’intérêt portés à l’éducation par Fortuné préfigurent les préoccupations des Communards. Ces publications permettent de situer Fortuné politiquement : il est alors républicain, socialiste utopique et fouriériste, sans doute franc-maçon mais ne semble pas encore révolutionnaire.» (1)
En 1846, il publie « Les civilisateurs », satire, diffusée par des librairies fouriéristes.
« Fortuné combat cependant sur les barricades en 1848. Considéré comme un opposant à Napoléon III, il est interné politique à la Prison Sainte-Pélagie après le Coup d’État du 2 décembre 1851. On perd ensuite sa trace. » (1)

De 1848 à 1855, il collabore à la revue L’Éducation nouvelle où il écrit des rondes et chansonnettes enfantines.

« Fortuné s’installe en 1859 à Carcassonne, ville natale de son ami Jean Journet. » (1)

Il y édite Le Panurge. Journal de ceci et de cela, ni politique, ni littéraire, paraissant et disparaissant à volonté, dont il est le rédacteur-gérant et qui parait chaque semaine du 25 novembre 1860 (n°1) au n° 57 (1er janvier 1862).

Le 15 juin 1861, le tribunal de Carcassonne lui inflige 100 francs d’amende et 50 francs de dommages et intérêts pour injures publiques envers le directeur du théâtre.

Dans son audience du 13 décembre 1861, le tribunal correctionnel de Carcassonne condamne Fortuné Henry, rédacteur-gérant du Panurge à 300 fr. d’amende et aux dépens, en vertu des dispositions de la loi du 25 mars 1822, pour avoir, dans ses numéros des 22 et 29 septembre, tourné en ridicule la religion catholique. Le ministère public  fait appel.

La cour impériale de Montpellier, le 6 janvier 1862, le déclare coupable d’avoir tourné en dérision la religion catholique, dans un article intitulé Un pélerinage, publié dans deux numéros, portant la date du 22 et 29 septembre 1861, commençant ainsi : « Beati pauperes spiritu. O bonne ville de Limoux… » et finissant par ceux-ci : Signe d’un tempérament rageur », il est condamné à trois mois de prison et à 300 francs d’amende.

Après avoir purgé sa peine de prison, il quitte Carcassonne pour Paris.

Le journal reparait à Paris le 12 novembre 1862 avec à nouveau le n° 57 et sous le titre de Panurge illustré.

Les ennuis judiciaires se poursuivent.

Le 30 janvier 1863, Fortuné Henry, gérant du Panurge, et Kugelmann, imprimeur, sont traduits devant le tribunal de la Seine, sous la prévention d’outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs pour avoir publié dans le numéro du 12 novembre 1862, un article en vers intitulé les Calembredaines de l’Amour, commençant par ces mots : « C’est notre histoire a tous… », et finissant par ceux ci : « Il n’avait pas monté la gamme Belzébuth », lequel ne présente, selon le tribunal, que le tableau d’une scène de débauche sous une allusion transparente et dans des termes qui ne permettent aucun doute sur l’intention de l’auteur. Cet article contenant essentiellement « un outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs »; Kugelmann s’est rendu sciemment complice de ce délit en imprimant le journal; ne pouvant arguer d’ignorance, puisqu’il a reconnu lui-même « qu’il a trouvé l’article un peu fort » et ne s’est décidé à l’imprimer que parce que Henry l’a déjà publié à Carcassonne le 14 avril 1861. Henry est condamné à un mois d’emprisonnement et à 50 fr. d’amende; Kugelmann à 50 fr. d’amende.

Renonçant à sa carrière de publiciste, il s’installe à Brévannes (Seine et Oise) en face du château, il y exerce le métier de tireur de sable.

Pendant la guerre de 1870, sa maison étant située dans le bois dévasté par les prussiens, il décide de partir habiter chez la tante de sa femme, Mme Michalet, 23 rue du Faubourg Saint-Denis et devient négociant, maroquinier et cordonnier.

« En 1867, Victoire Tinayre fonda la  » Société des Équitables de Paris « , coopérative de consommation dont les réunions se tenaient chez le président, le cordonnier fouriériste Fortuné Henry qui habitait rue des Vieilles-Haudriettes. Mme Tinayre, qui appartenait à la commission de contrôle, fit  » adhérer l’association à l’Internationale et à la Fédération des Sociétés ouvrières. » (2)

« Son militantisme politique lui vaut un nouveau séjour à la Prison Sainte-Pélagie. » (1)

« Après la proclamation de la IIIe République en 1870, Fortuné est délégué au Comité central républicain des Vingt arrondissements. C’est là qu’il rencontre le docteur Goupil qui devient son ami le plus fidèle. En tant que délégué de son arrondissement Fortuné est l’un des signataires de l’affiche rouge du 6 janvier 1871 appelant à la création de la Commune de Paris. Le 3 mars il est élu au Comité central de la Garde nationale. » (1)

Il fut élu le 26 mars 1871, aux premières élections de la Commune, pour le 10e arrondissement avec 11.334 voix sur 16765.

« Au début, bien qu’étant l’un des fondateurs du mouvement communal, Fortuné n’est pas un extrémiste. Il demande la reprise des négociations avec Versailles et participe, le 29 avril, à la manifestation des Francs maçons demandant une trêve. » (1)

Quoique rattaché à la Commission des subsistances, il s’occupe activement des affaires militaires.

Vers la fin de l’insurrection, il occupe l’Hôtel de ville et dirige avec Pindy les mouvements militaires. Il suit régulièrement les séances de la Commune et prend part aux votes : le 28 avril, il vote pour la création d’un Comité de salut public.

« Le 16 mai il participe à la destruction de la colonne Vendôme sur les ruines de laquelle il prononce un discours vengeur contre Versailles. Le lendemain il vote pour la mise en exécution du décret des otages. » (1)

Pendant la Commune, Raoul Rigault le surnomme « Le bénisseur » à cause de sa voix doucereuse.

Après la défaite de la Commune, et la prise de la barricade de la porte Saint-Denis qui se trouve près de chez lui, où on le voit ceint de son écharpe rouge, il réussit à s’échapper et se réfugie en Espagne, la police le croyant longtemps à Londres ou dans le Gard où elle le cherche en vain. Sa femme ainsi que ses enfants le rejoignent peu après.

Il est condamné par contumace le 26 mai 1871, à la peine de mort par le 3e conseil de guerre pour complicité d’arrestations et de séquestrations illégales suivies d’une détention ayant duré plus d’un mois, de complicité d’assassinat commis sur les personnes des otages et de complicité de destruction de monument publics et de propriété particulière.

Le 13 juillet 1871, une perquisition est effectuée par la police chez Mme Michalet mais on y trouve seulement son uniforme de garde national.

Ayant interverti nom et prénom, la police est trompée un moment et les services judiciaires du Conseil de guerre ont délivré un mandat d’amener au nom de Fortuné. Ce n’est que le 18 avril 1873, qu’un nouveau mandat est établi.

« Pour faire vivre sa famille il travaille comme employé puis directeur d’une mine et une usine de mercure à Bayarque près d’Almería. La famille connaît un moment l’aisance » (1)

D’après le journal le XIXe Siècle : « Fortuné Henry se réfugia en Espagne où il dirigea l’exploitation de sept mines d’or, de six mines d’argent et d’une mine de charbon, à Bayarque, près de Carthagène. En procédant à l’extraction du minerai, on découvrit des filons de mercure, les seuls qui aient été exploités en Espagne par l’industrie privée.

Lorsque survinrent les événements de Carthagène et de Murcie, Fortuné Henry se trouva au nombre des révolutionnaires poursuivis pour avoir pris part au mouvement. C’est alors que ses biens furent confisqués par le gouvernement espagnol. »

Amnistié, il rentre en France le 14 août 1880, accompagné de sa femme et de ses enfants, pour se rendre à Brévannes.

Lors d’une réunion électorale pour les législatives en mai 1881, son nom est proposé en remplacement d’Emile Girardin mais finalement il n’est fut pas retenu.

Cette même année, est réédité en un volume « Les chants de l’enfance. Rondes et chansonnettes enfantines sur des airs connus (Rondes et chansonnettes pour petits garçons) » qui ont été publiés dans l’Éducation nouvelle. Cela se fait-il avec son accord ? La mention selon laquelle on peut se procurer des exemplaires chez l’auteur, 14 rue Elzévir, tend à le prouver (quoique cette adresse ne figure sur aucun autre document). Y a-il un désaccord sur la question des droits d’auteurs ? En tous cas Fortuné, avant sa mort engage une procédure judiciaire contre l’éditeur.

« Malade et sans revenu, il est heureusement aidé par son ami le docteur Goupil qui le soigne et l’emploie comme secrétaire. Fortuné meurt le 28 mai 1882 dans son domicile parisien d’une congestion cérébrale due aux vapeurs de mercures qu’il avait respirées dans son usine. » (1)

Il est enterré civilement le 30 mai 1882. Quatre vingt personnes suivent le cortège qui se rend au cimetière d’Ivry. Benoit Malon assiste à la cérémonie.
Sa veuve reprend le contentieux qui oppose Fortuné Henry à son éditeur et le 17 mars 1883, le tribunal correctionnel donne raison à ce dernier, considérant qu’il ne s’agit que d’une réimpression d’un ouvrage collectif ne nécessitant pas l’autorisation de l’auteur.

Le 29 juillet 1894, sa dépouille est transférée au cimetière de Limeil-Brévannes, en présence de Jules Henry, l’un de ses fils.

(1) Gauthier Langlois, «Fortuné Henry», Wikipedia.

(2) Dictionnaire biographique le Maitron

Sources :

Archives de la préfecture de police Ba 926 (dossier Fortuné Henry père) — Dossier généalogique de Gauthier Langlois  — Jurisprudence générale du royaume en matière civile, commerciale et criminelle : ou Journal des audiences de la Cour de cassation et des Cours royales par M. Dalloz et par M. Tournemine 1885 — Revue bibliographique : moniteur de l’imprimerie et de la librairie françaises : journal des publications nouvelles, 31 janvier 1862 — Histoire de la troisième république… par Paul de Cassagnac 1876 — Journal des débats 20 décembre 1861et 31 janvier 1863 — Le XIXe Siècle 3 juin 1892 —Le Radical 17 février 1894.

Œuvres de Fortuné Henry (1)

– Les civilisateurs, Paris, Librairie universelle, 1846

– Deuxième Guizotide, satire, Paris, Librairie universelle, 1846

– Armée d’Italie. Journée de Montebello, Carcassonne, impr. de L. Pomiès, 1859

– Si j’étais blanche lune, Legouix, 1862. Poésie publiée sous le pseudonyme Henry de Bèze et mise en musique par Paul Lacombe

– Les Chants de ma prison, Toulouse, M. Gimet, 1862

-Les Chants de l’enfance, rondes et chansonnettes enfantines, Paris, H.-E. Martin, 1881

(1) Gauthier Langlois, «Fortuné Henry», Wikipedia.

Documents :


Henry FORTUNE publia ses chansons enfantines dans cette revue. Publicité parue dans La Presse du 12 décembre 1849. Gallica.

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Panurge dont Fortuné Henry était le rédacteur en chef et le gérant. Gallica

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Affiche de la Commune, signée par Henri FORTUNE. Document BDIC

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Affiche de la Commune, signée par Henri FORTUNE. Document BDIC

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Édition ayant donné lieu au procès du 17 mars 1883

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Lucien Félix Henry

Lucien Félix Henry dit le « colonel Henry » est souvent confondu avec Fortuné Henry père. Sa photo figure dans le dossier de la Préfecture de police de Paris de Fortuné Henry père,  avec ces mentions au dos : « Lucien Félix Henry, 14e légion et non pas Fortuné, à reclasser« .

Merci à Gauthier Langlois de nous l’avoir signalé.

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