Causes diverses. Hier est venue devant la cour d’assises du Rhône l’affaire de l’Etendard révolutionnaire, journal socialiste lyonnais, poursuivi dans la personne de son gérant, le sieur Bonthoux, pour provocation au pillage, à l’incendie et à l’assassinat, provocation non suivie d’effet.
Bonthoux a accepté la responsabilité pleine et entière des articles incriminés, et, après le réquisitoire de M. l’avocat général Talion, il a lui même présenté sa défense, qui n’a été qu’un long exposé des doctrines et des revendications socialistes.
« Les jurés, a t-il dit en terminant, ont devant eux un criminel dangereux la classe ouvrière que je représente et qu’il faut museler à tout prix! Je ne demande pas mon acquittement; je ne le puis. Mais les jurés me refuseront-ils le bénéfice des circonstances atténuantes? Il me faut quelques mois de prison. »
Reconnu coupable par le jury, qui n’a pas admis de circonstances atténuantes, Bonthoux a été condamné par la cour à treize mois de prison et 2,000 fr. d’amende.
M. Bonthoux, gérant de L’Etendard révolutionnaire, a comparu de nouveau, hier soir, devant la cour d’assises, en compagnie de M. Crestin, rédacteur au même journal.
lis ont été condamnés chacun à deux ans de prison et 100 fr. d’amende.
M. Crestin, qui a pris grossièrement à partie l’avocat général, a été, en outre, condamné à un an et un jour de prison pour outrages envers un magistrat dans l’exercice de ses fonctions.

Le Temps 18 août 1882 Gallica

Nous avons annoncé avant-hier le résultat de la poursuite dirigée contre MM. Bonthoux, gérant de l’Etendard révolutionnaire, organe socialiste de Lyon, et Crestin, rédacteur de ce journal, qui ont comparu devant la cour d’assises du Rhône, à l’audience du 16 août, sous la prévention de vente d’écrits séditieux. Cet écrit était intitulé Mort aux voleurs, et signé Le groupe parisien de propagande anarchiste. Il contenait, aux termes de l’accusation, des provocations au vol, au pillage, à l’incendie et à la guerre civile, et avait été distribué dans une réunion publique organisée, à la Croix-Rousse, avec le concours de Louise Michel.
On sait qu’en vertu du verdict du jury, affirmatif sans circonstances atténuantes, Bonthoux et Crestin ont été condamnés chacun à deux ans de prison et cent francs d’amende. On sait, en outre, qu’à la suite d’un incident au cours duquel Crestin a pris à partie violemment M. l’avocat général Talion, qui occupait le siège du ministère public, la cour a condamné le rédacteur de l’Etendard révolutionnaire à un an et un jour de prison pour outrages à un magistrat dans l’exercice de ses fonctions.
Les journaux de Lyon contiennent aujourd’hui sur cet incident des détails qu’il nous paraît intéressant de faire connaître.
Il s’est produit au moment où M. l’avocat général, après avoir reconnu les antécédents de Bonthoux, examinait ceux de Crestin. Les rapports de police, disait l’organe du ministère public, constatent que Crestin s’est bien conduit jusqu’en 1874.
Mais, d’après eux, en 1876, il est tombé au dernier degré de l’abjection il se serait fait le souteneur d’une fille publique, nommée Claudine, avec laquelle il habitait rue Boileau, 228.
Crestin, en entendant ces mots, se lève brusquement et interpellant l’avocat général « C’est insensé », répète-t-il à plusieurs reprises, bien que le président lui intime l’ordre de se taire. Puis, montrant le poing à M. Talion, il ajoute «Vous Venez de prononcer votre arrêt de mort, monsieur l’avocat général. Je ne m’en émeus pas, » répond ce dernier, avec le plus grand calme. M. le président donne immédiatement aux gendarmes l’ordre de s’emparer de Crestin et de le conduire hors de la salle. Mais Crestin résiste, et ce n’est qu’à grand peine qu’il est « enlevé ». Pendant cette lutte, un groupe de socialistes qui fait partie de l’auditoire encourage l’accusé à la résistance en lui criant « Mais défends-toi donc contre ces brigands » Un de ceux qui se font le plus remarquer par leur exaltation est arrêté par un agent de la sûreté en bourgeois et conduit au dépôt.
M. l’avocat général requiert contre Crestin l’application de l’article 223 du Code pénal. Mais la cour, avant de statuer, suspend l’audience pour permettre à l’accusé de se calmer.
A la reprise, qui a lieu au bout de vingt minutes, Crestin est ramené, et le président l’invite à fournir quelques explications. Il avoue avoir eu des relations avec la fille Claudine; mais il ne savait pas qu’elle fût inscrite sur les registres de la police des mœurs. Quand il l’a appris, il a fait son possible pour la faire rayer. Puis, après la mort de l’enfant né de leurs relations, il s’est séparé d’elle.
« Si M. l’avocat général, ajoute-t-il, s’est adressé personnellement à moi, je retire mes paroles; mais s’il a voulu s’attaquer au parti socialiste et insinuer qu’il y a des souteneurs dans son sein, je maintiens ce que j’ai dit. »
Sur la demande de M. l’avocat général Tallon, le président, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, mande à la barre M. Morin, commissaire de police à la sûreté, qui, au milieu des protestations de Crestin, confirme les renseignements contenus dans son rapport. Après l’avoir entendu, la cour déclare clos l’incident et se retire pour délibérer.
Dix minutes après, elle rentre dans la salle d’audience et prononce l’arrêt de condamnation mentionné plus haut.

Le Temps 20 août 1882 Gallica