Photo anthropométrique Alphonse Bertillon. Collection Gilman. Métropolitan museum of art. New-York
Né le 6 octobre 1864 à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) ; mort le 2 octobre 1943 à Lagny (Oise) ; mécanicien, plombier ; anarchiste parisien.
Le 7 février 1891, Henri Dumont se mariait à Paris (XIVe arr.), avec Blanche Geneviève Fusil, brodeuse. Il demeurait 83 rue Pernety. Henri Dumont avait été condamné quatre fois pour vol. Les agents des brigades de recherches, sous les ordres de leur chef, M. Fédée procédaient le 8 mars 1894, à l’arrestation de 7 anarchistes dont Henri Dumont. Il demeurait rue Saint-Jacques, son logement était perquisitionné. Le numéro de son domicile variait selon les sources. Sur une liste des individus arrêtés le 8 mars 1894, son adresse était 240 rue Saint-Jacques. Henri Dumont figurait sur l’état récapitulatif des anarchistes au 31 décembre 1894. Il demeurait 340 rue Saint-Jacques. Sur l’état au 31 décembre 1896, il était indiqué 344 rue Saint-Jacques en avril 1896. Début août 1900, Dumont qui habitait rue des Lyonnais, rencontrait un gardien de la paix, qui le regardait, il s’approcha de lui et lui dit :
— Tu n’es qu’une sale tante, mets toi en bourgeois et je te fais séance tenante ton affaire. L’agent pour toute réponse l’arrêtait. Le 25 septembre 1900, il comparaissait devant la huitième chambre correctionnelle, sous l’inculpation d’outrage à agent. La Revue des tribunaux relatait le procès : « Dumont. —Mais je ne nie aucunement être anarchiste. Je suis anarchiste parce que mes conceptions philosophiques, me portent à l’être ! Je suis un anarchiste, mais non un malfaiteur. Le président. — Anarchiste et malfaiteur ne sont pas nécessairement synonymes. Il peut y avoir d’honnêtes gens parmi les anarchistes… Vous, vous avez déjà été condamné pour vol. Dumont. — Je ne le nie pas. Le président. — Questionné au sujet de vos condamnations, vous n’avez pas dit la vérité. Ça rentre peut-être dans vos conceptions philosophiques. J’ai lu quelque part, que les anarchistes ne disaient pas la vérité aux bourgeois » En ce qui concernait le délit d’outrage à agent qui lui était imputé, Henri Dumont protestait avec énergie de sa complète innocence et demandait à faire citer des témoins pour démontrer qu’il n’avait pas proféré les paroles pour lesquelles il était poursuivi, mais il était condamné à dix jours de prison. En 1901, il était porté disparu. Son dossier à la Préfecture de police portait le n°278.782. Henri Dumont ne doit pas être confondu avec Dumont (Lucien ? Adolphe), dossier 200.986 qui demeurait à Saint-Denis, ni avec Dumont Gaston, Jean, Narcisse qui habitait 16 rue de l’Echaude, dont le dossier portait le n°316.056.
SOURCES : Archives de la Préfecture de police Ba 78, 1500 — Les anarchistes contre la république de Vivien Bouhey. Annexe 56 : les anarchistes de la Seine — Archives de Paris. Etat civil — Le Temps, Le Petit journal, le Figaro 9 mars 1894 — Le Matin 25 septembre 1900 — La Presse 25 septembre 1900 — Le Radical 26 septembre 1900 — Le Droit 26 septembre 1900 — La Revue des tribunaux 4 oct 1900 — Arbre généalogique de Jean-Claude Marcel DUMONT sur Généanet.
Né le 22 août 1862 à Grouches-Luchuel (Somme). Typographe. Anarchiste parisien.
DR Dumont fréquenta l’école à Amiens, il habita à Bruxelles pendant 7 ans où il apprit le métier de typographe, puis il vint à Amiens où il travailla dans l’imprimerie Goblet, rue des Trois Cailloux. Il fit son service militaire à Arras et fut condamné le 10 juillet 1885, par le conseil de guerre de Lille à 5 ans de réclusion et 5 ans d’interdiction de séjour pour vol au préjudice d’un militaire à l’aide d’une fausse clé. Il déserta et se réfugia à Bruxelles. Mais réduit au dénuement le plus complet, il se constitua prisonnier. Le 22 juillet 1885, il fut condamné à 3 ans de travaux publics, peine confondue avec la précédente . Il subit sa détention à la maison centrale de Melun. Par arrêté du 2 septembre 1889, Dumont fut libéré conditionnellement, il se rendit à Paris où il demeura chez ses parents 28 rue Croix Nivert. Il ne trouva pas d’emploi fixe et se trouvait à la charge de ses parents. Pendant deux mois il travailla, avec son père, après la fermeture de l’Exposition, à l’emballage des produits exposés par l’Algérie. Cabot vint le trouver à la Chambre syndicale et lui proposé un emploi de typographie. Il n’était occupé à l’imprimerie clandestine de Cabot que depuis une dizaine de jours avant son arrestation. Le 26 avril 1890, Merlino et Petraroja furent arrêté par la police à Versailles alors qu’il distribuaient des manifestes anarchistes antimilitaristes « Aux soldats ». Il fut démontré que les manifestes avaient été imprimés à Paris 11e, chez Gabriel Cabot qui fut arrêté à son tour avec ses deux typographes, Dumont et Vinchon. Dumont fut envoyé au Dépôt le 28 avril 1890, puis incarcéré à Mazas. Le même jour, il était interrogé par le le juge d’instruction, il reconnut avoir travaillé à la composition du manifeste Soldats !, rédigé, selon lui par Merlino et par Stojanov, un jeune étudiant en médecine d’origine bulgare qui étaient venus participer au tirage de l’affiche. Il reconnu aussi avoir fait complètement la composition de l’affiche 1er mai. Le 26 avril, Stojanov lui avait dit : « Je vais te donner quelques exemplaires de Soldats ! Tu les distribueras à des militaires. Il m’en a remis un paquet de 150 à 200 que j’ai encore chez moi. Je les ai pris sans avoir l’intention de les distribuer, mais je n’ai pas osé refuser, parce que j’ai craint qu’un refus ne me fit perdre mon travail ». Il expliqua également que Paul Reclus venait tous les deux ou trois jours à l’imprimerie pour amener la copie du journal La Révolte et qu’il s’y faisait adresser du courrier au nom de « Monsieur Paul Reclus, imprimeur, 33 rue des Trois Bornes ». En composant d’autres affiches, il remarqua la mention « Imprimerie anarchiste Londres » et Cabot lui expliqua que cette mention était mise en vue du cas où les distributeurs se feraient arrêter. Le juge d’instruction Atthalin délivra une commission rogatoire le 28 avril pour perquisitionner à son domicile 28 rue Croix Nivert. Le 29 avril, la police y découvrit les 430 manifestes intitulés Soldats ! cachés dans un placard à gauche de la cheminée. Dumont fut mis en liberté provisoire le 7 mai 1890. Le 18 juillet 1890, la cour d’assises de la Seine le condamnait à quatre mois de prison pour excitation à l’insubordination militaire. Ses co-accusés étaient soit en fuite ou avaient fait défaut.
SOURCES : Le XIXe Siècle 1er septembre 1890 — Arch. de Paris D.2U8 262 et 263.
Les anarchistes, et en particulier la propagande par le fait, occupaient le devant de la scène politique mondiale à la fin du XIXe siècle. Le recours à la violence politique dans le moule anarchiste a attiré l’attention du public des Amériques jusqu’en Europe et au-delà. Le lien entre une véritable lutte de pouvoir et la valeur symbolique des actes de propagande par l’action, tel que théorisé par des personnalités telles que Luigi Galleani et Errico Malatesta, a certainement séduit de nombreux révolutionnaires de l’époque, en particulier dans des sociétés en mutation, profondément ancrées dans en proie à la dissolution, comme dans le cas de l’empire ottoman.
L’expérience ottomane, l’un des chapitres les plus fascinants de l’histoire anarchiste de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, a été relativement peu étudiée par les chercheurs. Ceci est surprenant non seulement en raison de la grande quantité de documents facilement disponibles dans les collections d’archives, mais aussi en raison de la présence ottomane significative sur la scène centrale de la politique européenne à l’époque. Malgré le soi-disant et très critiqué « paradigme du déclin », les dynamiques sociales, politiques et économiques ottomanes étaient constamment visibles dans les centres animés de l’activité anarchiste comme l’Italie, la France et la Russie.
Un véritable flot d’anarchistes, depuis les personnages totalement inconnus du mouvement jusqu’à ses « dirigeants » les plus étudiés, afflua dans l’empire, certains parvenant même à y rester pour de longues périodes, avec l’intention de s’établir sur les terres de la Sublime Porte. Par conséquent, le niveau d’activité anarchiste dans les pays ottomans était certainement comparable à celui de l’Europe, où le nombre réel d’anarchistes signifiait peu lorsqu’on le considérait dans le contexte de l’ impact de leurs actions. Mais on peut se demander s’il est correct de supposer que l’anarchisme et les anarchistes représentaient une « menace » totalement étrangère et importée pour l’empire ottoman, ou s’il y avait des « autochtones », et dans leur rapport avec la santé de l’État et de la société ottomans, jusqu’à présent des éléments plus significatifs attirés par le mouvement. Parmi ces éléments, les plus visibles étaient les nombreux Arméniens, Grecs, Levantins et autres minorités attirés par l’anarchisme de la même manière que d’autres le pensaient et le vivaient, ou s’agissait-il d’une expression temporaire de dissidence, traduite de manière plus appropriée par l’un des nationalismes naissants. de la région ?
Dans les deux cas, la réponse de l’appareil d’État ottoman était uniformément prévisible : maintenir les étrangers à l’écart, les internes au sol, et coopérer avec les monarchies et républiques occidentales également en difficulté pour « sauver l’humanité de la menace ». La menace bien sûr, proche du « spectre » de Marx, était l’anarchisme, et les Ottomans étaient rarement aléatoires ou aléatoires dans leurs efforts dirigés contre lui. C’est à ce stade que se révèle à quel point l’État ottoman était devenu une structure bureaucratique moderne et centralisée ; Certes, les efforts de l’État ottoman contre les anarchistes n’étaient pas inférieurs à ce qui, selon les normes du milieu du XXe siècle, constituait des mesures relativement chaotiques, mais néanmoins finalement efficaces, prises par ses homologues européens. [2]
La transformation de l’État ottoman tardif et les changements sociaux correspondants, ou déterminants, de l’époque ont été bien documentés et sont représentés par un corpus de travaux scientifiques stables et bien établis. [3] Kemal Karpat retrace avec lucidité la dualité entre un appareil d’État en évolution rapide et le chaudron bouillonnant de la formation de classe aux XVIIIe et XIXe siècles. La transformation de l’appareil d’État est relativement plus simple à suivre grâce à de nombreuses évolutions comme le Tanzimat de 1839 ou l’Islahat Fermani de 1856, ainsi qu’à la mise en place d’une infrastructure de contrôle permettant (l’introduction d’un système postal moderne en 1834, le télégraphe en 1855). –64, et réseau ferroviaire, 1866), bien qu’on ne puisse pas en dire autant de l’émergence des classes moyennes et ouvrières parmi les minorités, et suivie un demi-siècle plus tard, au sein de la population musulmane ; un domaine qui offre et exige à la fois plus de défis et de subtilités. Cette discussion sur la théorie de la formation des classes deviendra très pertinente lorsque l’on traitera des approches marxistes de l’existence du socialisme ou de l’anarchisme dans la société ottomane dans les pages suivantes, complétant et expliquant en partie la recherche de cette étude, qui révèle les sources primaires utilisées. pour la première fois dans toute étude historique de l’anarchisme, sur la réponse de l’État aux anarchistes. [4]
En étroite adéquation avec les expériences de la plupart des États européens en matière d’anarchisme et d’anarchistes, l’un des aspects les plus pertinents et révélateurs de l’appareil d’État ottoman tardif est la force de police. Suivre le développement de l’appareil coercitif national de l’État offre des informations précieuses non seulement pour comprendre la formation de l’État moderne, mais aussi, indirectement, sur les divers « indésirables » qu’il ciblait. Allant de la direction de la police (Zabtiye Müşiriyeti) à l’utilisation de la gendarmerie (Jandarma Daire-i Merkeziyesi), en passant par le corps diplomatique, en passant par de nombreux informateurs rémunérés faisant partie d’un réseau flou, d’une efficacité erratique mais résolument anti-anarchiste, le L’État ottoman a alloué des ressources et du personnel considérables pour assurer sa sécurité, avec des résultats mitigés. [5]
En décrivant un cadre conceptuel pour l’étude des anarchistes et de l’anarchisme dans l’empire ottoman, un projet scientifique particulier mérite attention et invite à une longue discussion ; même si elle a été publiée il y a plus de dix ans, Socialisme et nationalisme dans l’Empire ottoman [6] reste la seule étude de cette ampleur et de ce type. Le livre est le fruit d’une collaboration entre divers spécialistes de l’histoire politique ottomane tardive qui ont abordé certaines questions fondamentales concernant les mouvements politiques « socialistes » dans l’empire, chacun écrivant à partir d’une niche et d’une perspective spécifiques. Le chapitre sur les Arméniens est écrit par Anahide Ter Minassian, le chapitre sur les Grecs par Noutsos, le chapitre bulgare par Yalimov, etc. Cette division fondamentale du travail entre les collaborateurs a produit une plate-forme intéressante, bien qu’éclectique, sur laquelle comparer les notes entre les domaines. qui ne se parlent pas très souvent malgré le fait évident qu’ils partagent tous la tapisserie ottomane tardive comme origine. [7]
Le livre mentionne à peine les anarchistes et l’anarchisme dans l’empire ottoman, mais les défis conceptuels liés au socialisme et aux socialistes, à de très rares exceptions près, sont pratiquement les mêmes ; ainsi, la discussion conceptuelle de cette étude répondra également aux thèmes de ce livre.
Le premier problème qui exige une résolution découle de la confusion géopolitique, ou « spatiale ». Sommes-nous en train de penser à un « socialisme/anarchisme ottoman » ou est-il plus utile de diviser le champ selon les États-nations qui ont émergé du cadavre de l’empire ? [8] Les deux choix ont des conséquences ; par exemple, identifier les mouvements politiques grecs ou arméniens au sein de l’empire sous une étiquette « ottomane » grossièrement construite menace de subsumer et d’homogénéiser avec force la grande complexité de chaque mouvement ainsi que les différences significatives entre eux, laissant au chercheur un outil conceptuel pratiquement inutile. .
À l’autre extrémité du spectre conceptuel, l’organisation du champ à travers les frontières des États-nations offre par définition très peu de flexibilité, de profondeur ou de perspective plus large, avant même d’aborder les problèmes associés à la séparation de l’histoire de ces mouvements des récits officiels de construction de la nation. . Comment pouvons-nous vraiment comprendre, et encore moins engager et analyser pleinement, un « anarchisme arménien » ou un « socialisme grec » si ces termes consistent simplement en une chronologie d’événements et de personnes menant au résultat final inévitable de l’indépendance et de la construction de la nation ? Un problème téléologique similaire existe également pour la première approche : présentée comme des mouvements politiques « à la fin de l’empire », le drame et la complexité de cette conception effacent presque toutes les subtilités, ou les éléments natifs et uniques de ces mouvements.
Compte tenu de ces perspectives théoriques plutôt sombres, il devrait être évident à ce stade qu’une panacée apaisante n’est pas disponible (Zürcher et Tunçay ne proposent pas une telle solution, et leur projet est incapable d’aller bien au-delà de l’État-nation ou de l’ethnicité en tant que système organisationnel). élément de base); cependant, il pourrait sembler que dans la construction des pierres angulaires conceptuelles de ce domaine, la simple conscience de cet ensemble initial de problèmes constitue un pas en avant concret.
Je propose une approche alternative à cette dualité stérile, issue de l’expérience des anarchistes dans la région. Ce n’est pas une coïncidence si Tunçay et Zürcher ont produit un livre présentant des fissures sur le plan des ethnies au sein de l’empire plutôt que sur une approche thématique ou systémique. La plupart des documents disponibles suggèrent que le socialisme ainsi que l’anarchisme étaient bien plus visibles et tangibles parmi les « minorités » que parmi les différentes populations musulmanes de l’empire. Cependant, on se demande comment un mouvement politique parmi les minorités pourrait rester uniquement et exclusivement dans ce domaine alors que les mêmes communautés interagissent avec la société dans son ensemble à de nombreux niveaux. N’y avait-il vraiment pas d’influences politiques socialistes ou anarchistes viables, d’intellectuels ou même de mouvements parmi les couches de la population non définies comme minorités ?
Si les influences « étrangères » sous la forme du nationalisme et du positivisme ont été si facilement accueillies et adoptées avec succès par l’intelligentsia ainsi que par l’élite dirigeante au cours des dernières décennies d’un empire qui était si clairement et organiquement lié au contexte européen, pourquoi devrait-on L’enquête sur l’histoire des mouvements politiques de gauche se limiterait-elle en grande partie aux minorités ? La question nous ramène à la question des sources. Il est vrai que les intellectuels de gauche et tous les mouvements naissants ont été largement dominés par la mise en œuvre beaucoup plus populaire du ou des nationalismes, trouvant parfois du terrain dans des fusions éphémères de ces idéologies, et les (nombreuses) sources reflètent cette observation. Le même argument est cependant parfaitement valable, à des degrés divers, pour toute société européenne ou coloniale et n’apporte pas de réponse concluante pour le cas ottoman. Pour le démontrer, on peut facilement affirmer que l’anarchisme italien a laissé bien moins de sources que le nationalisme ou le fascisme italiens ; ce fait n’est certainement pas une indication de l’importance relative réelle de ces mouvements dans leur contexte.
Une étude sur l’anarchisme dans l’empire ottoman devrait-elle ignorer une figure comme l’intellectuel individualiste-anarchiste éclectique Baha Tevfik parce qu’il n’appartenait pas à une minorité, ou parce qu’il représentait une infime minorité au sein de la population « musulmane » ? [9] Tevfik et la poignée d’autres comme lui sont encore plus soigneusement ignorés que les anarchistes parmi les minorités dans les récits d’histoire politique de la fin de l’empire ottoman. Cette observation en elle-même présente les germes d’une vision alternative qui peut sortir de l’impasse entre les deux conceptions également inutiles évoquées ci-dessus ; après tout, pourquoi devons-nous utiliser l’une de ces deux approches apparemment opposées (« socialisme ottoman » versus « socialisme grec/géorgien/juif/serbe/arménien/bulgare/arabe ») alors qu’elles partagent un élément théorique et pratique substantiel en visant finalement divers objectifs étatiques ?
La véritable division conceptuelle dans l’image ottomane tardive ne se situe donc pas nécessairement entre le paradigme bien étudié du centre contre la périphérie, ou entre les mouvements qui œuvrent soit à la réforme de l’État ottoman existant, soit à l’établissement de nouveaux États nationaux, mais entre les attitudes des mouvements à l’égard du concept d’État lui-même.
Alors que la plupart des chercheurs caractérisent volontiers la fin de la période ottomane comme une période de flux, pleine de potentiel pour la création de nouvelles nations, de nouvelles entités politiques, de nouvelles sociétés, dans une omission flagrante, pratiquement aucun ne considère la présence, la promesse, le travail et l’impact anarchiste sur cette image. [dix]
Les préconceptions politiquement orientées planent également au-dessus de la dernière question théorique majeure qui doit être abordée pour une étude historique des anarchistes dans l’empire ottoman : la formation de classe et sa pertinence pour la formation de mouvements politiques.
L’approche marxiste classique et prévisible (pour être honnête, cette approche a vu le jour malgré Marx lui-même, qui mettait en garde contre l’application de modèles de changement social basés sur l’Europe occidentale aux sociétés non occidentales), également évidente dans la compilation de Tunçay et Zürcher, formule que le développement La formation d’une « vraie » bourgeoisie et d’une « vraie » classe ouvrière dans l’empire ottoman ne s’est pas produite parmi la(les) population(s) musulmane(s), comme cela s’est produit pour/au sein des minorités ; en fait, c’est le principal pilier de la limitation auto-imposée selon laquelle aucune influence socialiste ou anarchiste concrète ne pourrait exister en dehors du monde – qui a dû être presque surnaturellement isolé, pour correspondre à cette image – des minorités. De plus, la dépendance de cette formulation à une séquence d’événements, à savoir la création d’une bourgeoisie et d’une classe ouvrière, suivie par la formation d’idéologies bourgeoises et de mouvements politiques qui dominent la vie politique jusqu’à ce que la classe ouvrière atteigne une conscience de classe et leur oppose la sienne, et inévitablement réussie, la révolution a été fortement critiquée par divers marxistes et non-marxistes pendant environ un siècle ; curieusement, cette vision désuète de la formation de classe et de sa relation avec les mouvements politiques semble toujours bien vivante dans l’étude de l’État et de la société ottomans tardifs. Aussi tentant et facile qu’il soit de réfuter des formulations aussi rigides, je soulignerai quelques éléments strictement nécessaires afin de ne pas répéter des décennies de travaux théoriques depuis Weber et Popper jusqu’à l’École de Francfort, les études subalternes, les théoriciens de la dépendance et post-structuralistes. [11]
Dans la pratique, il existe des similitudes très intéressantes entre les expériences russes, espagnoles, italiennes et ottomanes concernant les structures de classe et les mouvements politiques au XIXe siècle : à l’exception de l’Italie du Nord, elles représentent toutes des sociétés relativement sous-industrialisées et majoritairement agraires qui ont engendré un certain nombre de mouvements révolutionnaires (nationalistes, socialistes, anarchistes ou une combinaison de ces principales avenues idéologiques) ne sont pas fondés sur la classe ouvrière comme on l’attendrait pour les deux derniers, mais sur l’intelligentsia et la paysannerie. Partout, à l’exception du cas ottoman, l’anarchisme a trouvé un terrain extrêmement fertile et a été représenté par un nombre important de personnes pour faire une différence visible, bien que souvent tragique. [12] Dans tous les cas, y compris dans l’expérience ottomane, les anarchistes provenaient d’un large éventail de personnes, y compris les populations ouvrières rurales, les classes ouvrières urbaines, les familles marchandes déracinées dans les régions déchirées par la guerre (notamment les Balkans dans le cas ottoman), la petite-bourgeoisie, l’intelligentsia et même quelques aristocrates.
Il reste troublant de savoir pourquoi un chercheur devrait insister sur un modèle théorique restrictif qui est si complètement déjoué par l’existence d’un si grand nombre d’exemples. Cependant, même si l’on acceptait l’approche marxiste classique de la formation de classe ottomane et ses réflexions sur la lutte politique, la focalisation sur les seules minorités, basée sur l’affirmation non prouvée selon laquelle les musulmans n’ont pas produit leurs homologues de classe « assez rapidement », reste irrésolue. Il convient de noter que je n’utilise pas l’idée d’une réplique exacte en termes de classe lorsqu’il s’agit de comparer musulmans et minorités, alors que Zürcher et ses collaborateurs recherchent certainement de telles catégories [13] : Une concentration sur les communautés non musulmanes était inévitable dans ce contexte, étant donné le développement beaucoup plus lent d’une classe ouvrière industrielle parmi les musulmans. [14]
En d’autres termes, l’une des principales questions de discorde ici est de savoir si les « lois du changement social » sont gravées dans le marbre : pour avoir des mouvements révolutionnaires modernes, une société doit absolument produire une classe ouvrière industrielle développée, à l’occidentale. . [15] Feroz Ahmad, dans la même étude, précise ce que devraient inclure les « conditions nécessaires pour recevoir le socialisme » :
l’existence d’une classe ouvrière et de syndicats ;
La nature formelle de telles approches a été clairement mise en évidence. Ce qui rend cet exemple particulier intéressant est le voile idéologique jeté sur les chercheurs qui ne voient pas une classe ouvrière non chrétienne dans l’empire ottoman. Les mineurs de Zonguldak, par exemple, découvriraient probablement leur inexistence de manière assez amusante. La légèreté mise à part, la question de savoir si les mineurs de Zonguldak constituaient une « classe en soi » ou une « classe pour elle-même » donne lieu à des spéculations sans fin, mais en fin de compte, peu d’informations utiles. [17]
Une dernière question concernant les possibilités théoriques d’approcher l’empire ottoman, la classe ouvrière et le socialisme ou l’anarchisme est le rôle de l’État, non seulement au sens politique, mais en tant qu’acteur économique important. Alors que la présence des investissements étrangers dans l’industrie ottomane a augmenté régulièrement et, dans de nombreux cas, a remplacé l’État au tournant du siècle, dans de nombreux cas, comme à Zonguldak, les travailleurs ont traité avec l’État en tant qu’employeur pendant une période considérable. C’est l’une des raisons pour lesquelles les priorités anarchistes et la théorie du pouvoir semblent aussi pertinentes aujourd’hui qu’elles l’étaient à la fin du XIXe et au début du XXe siècle : la plupart des socialistes de l’époque proposaient une vision de la lutte des classes basée sur les travailleurs comme challengers du pouvoir. la structure existante et la bourgeoisie avec le capital et la propriété des moyens de production. Il n’est pas surprenant que cette vision se soit heurtée à des problèmes dans le cas ottoman, où l’État était un acteur économique important. L’approche anarchiste (sans qu’il existe une version homogène, cohérente ou unique) aurait cependant beaucoup de sens, même pour les déterministes économiques : positionner l’État dans ses nombreuses tentacules et incarnations comme un acteur majeur du pouvoir, et donc Le principal obstacle à la liberté politique et économique dans le paysage ottoman offrait une rubrique explicative de base à partir de laquelle des analyses plus sophistiquées pouvaient être produites.
Cependant, tout comme il n’existe pas de discours ou d’idéologie monolithique appelé anarchisme, il est également essentiel de se rappeler que ce processus théorique est autant un reflet qu’un déterminant de la réalité matérielle de l’époque. Alors, qui étaient ces anarchistes dans l’empire ottoman ? D’où viennent-ils, où se sont-ils établis et où sont-ils allés lorsque leur programme n’a pas fonctionné ? Un examen approfondi des différents aspects de la surveillance des anarchistes par l’État ottoman et des informations qu’elle contient apporte quelques réponses et quelques nouvelles questions.
Analyse de la répartition des anarchistes signalés dans le cadre de la surveillance de l’État ottoman
Les sources des noms, des descriptions et des antécédents des anarchistes de l’empire ottoman étaient variées. La plupart provenaient des voies diplomatiques et des activités de la police, mais il y avait aussi des informateurs indépendants, des marchands étrangers, des capitaines de navires, des fonctionnaires de banque, divers bureaucrates, directeurs d’hôtels et bien d’autres sources mineures. Une étude de ces rapports révèle des tendances intéressantes : le graphique ci-dessous montre la répartition des anarchistes selon l’origine nationale/ethnique.
Figure 1 : Répartition des anarchistes en fonction de leurs antécédents dans les rapports de surveillance ottomans
La période couverte par mon échantillonnage aléatoire de rapports mentionnant les anarchistes, 1850 à 1917, est également la période idéale pour rechercher des anarchistes car elle correspond au premier « âge d’or » de l’anarchisme dans le monde. Avant d’analyser ces données, il convient de discuter de leur nature et de leurs limites. [18]
Premièrement, le niveau d’exactitude et de détail de ces rapports est inégal ; Par exemple, un rapport de police décrit un anarchiste autrichien par son nom, son lieu de naissance (Düsseldorf), son âge (30 ans), sa date de naissance (9 février 1880), sa profession (maçon de pierre), sa taille (moyenne), ses cheveux (châtains), bouche et nez (petits, pointus), langues parlées (allemand, italien) et « particularités » (dents manquantes, cicatrice laissée par une balle sur un genou), tandis qu’un autre rapport (diplomatique) ne mentionne la même personne que par son faux nom ou épithète, et le laisse là. Il n’a pas toujours été possible de faire correspondre et corréler ces détails dans les sources.
Deuxièmement, le niveau de connaissances et/ou de concentration parmi les personnes qui ont créé ces sources est également inégal ; certains d’entre eux font preuve d’une compréhension approfondie des nuances idéologiques, corrigeant d’autres rapports qui cataloguent à tort certains militants sous surveillance comme des « socialistes » plutôt que des « anarchistes » ou vice versa. En même temps, il existe un certain nombre de rapports dans lesquels le terme « anarchiste » est clairement utilisé comme une étiquette passe-partout pour identifier une poignée d’anarchistes authentiques ainsi que des étrangers, des « fauteurs de troubles », des vagabonds ou des criminels et d’autres personnes politiquement. groupes actifs tels que les socialistes. En d’autres termes, même si j’ai passé beaucoup de temps à affiner les résultats, il n’y a aucun moyen de savoir exactement combien de personnes mentionnées dans ces rapports étaient de véritables anarchistes.
Troisièmement, les catégorisations nationales/ethniques dans cette répartition sont arbitraires à la fois en raison de l’ambiguïté ou des erreurs dans les sources et de la nature de l’empire lui-même. Par exemple, alors qu’il n’y a que trois « anarchistes juifs » mentionnés comme tels dans ces rapports, un rapport mentionne, parmi toutes les personnes, Emma Goldman (qui était soupçonnée par les autorités ottomanes et autrichiennes de tentative d’infiltration des terres ottomanes) comme une « Anarchiste allemand.
Les mises en garde susmentionnées peuvent être considérées comme universelles dans l’étude des anarchistes pour toute collection d’archives. J’ai fait des observations et des analyses similaires concernant le matériel des archives de l’État italien (ACS). La quatrième mise en garde distingue le cas ottoman : le chercheur dans ce domaine doit être très conscient de l’ intention derrière ces sources. Même si les États-nations européens de la fin du XIXe et du début du XXe siècle étaient certainement loin d’être des entités homogènes et unifiées comme voudraient nous le faire croire leurs récits nationalistes, aucun d’entre eux ne se compare favorablement aux terres ottomanes en termes de nombre d’ethnies, de religions, de cultures et d’appartenances. les différences de statut, ou le rapport de ces éléments dans une société aussi hétérogène. Pour illustrer ce point, l’Italie n’avait pas sa version de plusieurs millions d’Arméniens ou de Grecs, pour ne citer que deux éléments significatifs de la société ottomane. Les États-Unis étaient certainement comparables aux Ottomans en termes d’hétérogénéité, grâce à une immigration massive, mais aucun des deux appareils d’État n’a eu à répondre à de forts mouvements de libération nationale déguisés en (ou fusionnés avec) le socialisme et l’anarchisme. Ce ne sont pas des différences minimes et sans conséquence. Leur impact est clairement visible dans les efforts variés de l’État ottoman.
Les arguments en faveur de l’exceptionnalisme peuvent créer autant de problèmes qu’ils en résolvent (on pense à l’exceptionnalisme américain), mais la réalité de ces différences est inéluctable. Toutes ces observations signifient en fin de compte que l’État ottoman a répondu à un ensemble de priorités sensiblement différentes lorsqu’il a dirigé ses ressources contre les anarchistes. [19] Même si l’idéologie elle-même était certainement considérée comme une menace pour l’existence et le bien-être de l’État ottoman, son association et sa diffusion parmi certains éléments de la société ottomane en faisaient un explosif particulièrement puissant aux yeux de l’élite dirigeante. et la bureaucratie. Il est bien connu qu’il existait à Salonique une communauté juive politiquement active et influente ; Où donc est passé le déluge de rapports représentant cette communauté ? [20] Il existe certes quelques rapports directement liés à eux, ainsi qu’un petit nombre de références et d’indices, mais comparé au nombre écrasant d’Arméniens, suivi de loin par un nombre encore important d’Italiens et de Bulgares, la communauté juive semble ont beaucoup moins suscité les foudres de la Sublime Porte. [21]
Après avoir discuté de la nature et des limites des sources, l’étape suivante consiste à analyser ce que révèle la répartition des anarchistes dans les rapports ottomans :
L’aspect immédiatement évident de cette distribution est la prédominance des reportages sur les anarchistes arméniens ; sept rapports sur dix se concentrent sur les Arméniens. Directement ou indirectement, les idées anarchistes ont certainement influencé de nombreux Arméniens politiquement actifs à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, mais cette disparité des chiffres en faveur des Arméniens par rapport à tout autre groupe indique des motivations liées à des questions allant au-delà du nombre ou des activités des Arméniens. les anarchistes seuls. En d’autres termes, la combinaison des identités « arménienne » et « anarchiste » a gêné les autorités ottomanes plus que toute autre présence anarchiste.
Les raisons de cette attention spécialisée ne sont pas difficiles à comprendre : l’oppression étatique et les soulèvements arméniens aux résultats désastreux étaient devenus une réalité de la seconde moitié du XIXe siècle dans les pays ottomans, notamment en Asie Mineure. Le génocide de 1915-1916 perpétré par les dirigeants d’Union et Progrès s’est avéré n’être que la fin tragique d’une lutte vieille de plusieurs décennies. Ainsi, l’accent mis sur l’Arménien dans « Anarchiste arménien » était probablement la raison de ce nombre gonflé de rapports, même si les anarchistes arméniens « méritaient » certainement une partie de l’attention à travers leurs activités telles que la prise de contrôle de la Banque Ottomane à Constantinople en 1896, dirigée par des membres de l’association. de la Fédération révolutionnaire arménienne (FRA, également connue sous le nom de Dashnaksutyun), sans parler de la tentative d’assassinat d’Abdülhamid II.
Peut-être plus inattendu que la présence arménienne dans le tableau, les musulmans et les Italiens constituent un pourcentage considérable du total des rapports. La catégorie « musulmans/turcs » est beaucoup plus difficile à travailler que celle des Italiens. Non seulement les rapports ne mentionnent pas les « Turcs » (ils énumèrent les « fauteurs de troubles anarchistes musulmans » dans les listes de noms anarchistes), mais les noms eux-mêmes n’indiquent pas toujours clairement l’identité ethnique ou nationale. Bien entendu, tout cela était prévisible étant donné que l’idée du « Turc » en tant qu’unité nationale spécifique et cohésive au sein de l’empire ottoman en était à peine à ses balbutiements à la fin du XIXe siècle. Malgré son histoire ultérieure, durant cette période, une « nation turque » n’existait tout simplement pas et devait être fabriquée par l’intelligentsia. Des personnalités telles que Ziya Gokalp (issu d’une famille kurde de Diyarbakir), Yusuf Akgura (d’une famille de Tatars de Kazan), Tekin Alp (à l’origine Marcel Samuel Raphael Cohen, de la communauté juive de Salonique) ont expérimenté des idées telles que le panturkisme, et a exercé une influence considérable sur les fondateurs du Comité Union et Progrès, sans parler des fondateurs de la République turque. [22]
L’étiquette « musulman » ne doit pas non plus rester incontestée. Même si l’appareil administratif ottoman a sciemment utilisé cette catégorie pour décrire un vaste éventail de communautés dispersées à travers l’empire, son utilité dans l’analyse de la politique ottomane tardive est minime. Il n’y a aucun moyen de déterminer de quel genre de personnes on parle lorsqu’un groupe est étiqueté « musulman ». Il est vrai que le terme a été utilisé au sens large, et pas nécessairement comme une catégorie étroite et strictement religieuse, mais même dans un sens religieux, il ne dit pas grand-chose. Quand inclut-il ou exclut-il les Alévites, par exemple ? Toujours dans un sens religieux, c’est un oxymore, mais peut-être pas impossible, de penser à un « anarchiste musulman », car les deux idées s’opposent à chaque intersection majeure imaginable de la pensée et de la foi. Même lorsque l’on prend en considération la multitude constamment changeante de définitions de l’anarchisme ou de l’islam, sans parler des mécanismes uniques et obscurs qui leur permettent de coexister pour/au sein du même individu, il reste plus qu’une trace d’absurde dans la comparaison des « anarchistes musulmans ». » aux anarchistes arméniens, italiens ou bulgares par opposition aux « anarchistes chrétiens », terme tout aussi ambivalent et inutile. [23]
En plus de la difficulté terminologique, cette catégorie musulman/turc est problématique dans le sens où la plupart des anarchistes n’étaient signalés que sous forme de noms dans les listes. Comparé aux Arméniens, aux Italiens ou à tout autre groupe, ce groupe a très rarement fait l’objet de rapports détaillés. Néanmoins, la présence même d’un tel groupe comme deuxième plus nombreux parmi les rapports sur les anarchistes en dit long sur la réponse de Zürcher, Ahmad et d’autres chercheurs qui attendent patiemment les formules de classe « correctes » pour leurs scénarios.
Expliquer la forte présence italienne parmi les anarchistes signalés est une tâche relativement simple. Le paysage sociopolitique ottoman a attiré de nombreux activistes politiques d’Italie, y compris un certain nombre d’anarchistes de haut niveau, allant des premières figures comme Amilcare Cipriani qui avait combattu aux côtés de Garibaldi et s’est impliqué dans les combats contre les Ottomans en Crète, à l’un des le « père » de la propagande par l’action, Errico Malatesta, qui a beaucoup voyagé dans les terres ottomanes. [24]
En fin de compte, expliquer les anarchistes italiens dans l’empire ottoman par la seule présence de « célébrités » ne suffira pas. Outre des personnalités connues, de nombreux anarchistes ont voyagé et parfois s’établir en terres ottomanes, de Tunis à Smyrne (Izmir). Qu’est-ce qui les a attirés vers un pays qui a généré de multiples visions de l’orientalisme en Occident, un pays qui était censé être si étranger, si sans rapport avec l’expérience européenne ? Premièrement, bien entendu, le système politique ottoman n’était ni étranger ni sans rapport avec la société et la politique européennes. Elle était en fait perçue comme un terrain fertile pour de nouveaux et jeunes mouvements anarchistes, avec ses minorités politiquement actives et bien connectées ainsi que les masses agraires mécontentes qui intéresseraient immédiatement un anarchiste comme Malatesta.
Plus important encore, il existait déjà des communautés d’immigrants italiens bien établies sur les terres ottomanes. Alors que bon nombre des premiers immigrants étaient d’origine marchande, le XIXe siècle a vu l’afflux d’artisans et d’ouvriers italiens. Leur présence était principalement limitée aux centres commerciaux et aux villes portuaires, mais beaucoup d’entre eux étaient devenus des éléments permanents de la société ottomane tardive, se mariant parfois avec des chrétiens autochtones ainsi qu’avec d’autres immigrants d’Europe occidentale. Le flux d’idées d’Italie vers ces communautés était rapide et direct, et leurs liens facilitaient le passage de personnalités marquantes autant que celui de tout travailleur s’identifiant comme anarchiste. [25]
Le dernier élément, et peut-être le plus important, expliquant la forte présence italienne parmi les anarchistes ottomans, leur persécution et leur poursuite constantes en Italie, n’a fait qu’empirer à mesure que les attentats devenaient plus meurtriers et que l’opinion publique, combinée à l’efficacité croissante de la police, rendait la vie très difficile aux anarchistes ottomans. anarchistes dans leur pays. Au moins autant de voyages des anarchistes italiens vers d’autres pays étaient déterminés par ces conditions que pour organiser des communautés d’immigrés et créer des réseaux avec des anarchistes d’origines différentes. Le seul avantage éphémère mais significatif d’éviter les persécutions en allant vers l’Est plutôt que vers l’Ouest était la réponse initiale relativement tardive et laxiste des autorités ottomanes, par rapport à leurs homologues françaises ou allemandes. Cette situation va évoluer progressivement à partir des années 1890 et devenir très visible dans les années 1900. La proximité de l’Italie en plusieurs points avec les frontières ottomanes en faisait également une destination relativement facile : que ce soit depuis Trieste, Brindisi ou Palerme, le passage par voie maritime ne prenait pas plus de quelques jours. Les archives ottomanes regorgent de renseignements arrivant d’Italie, de France, d’Autriche et même de Grande-Bretagne, concernant le départ d’anarchistes connus à bord de navires ou de trains à destination des ports et postes frontières ottomans. [26]
Les Ottomans ont essayé de comprendre la popularité de l’anarchisme parmi les Italiens. Les documents du ministère des Affaires étrangères accordent beaucoup d’espace à la recherche des causes profondes du « mal anarchiste ». Un document décrit comment l’Italie a été une terre divisée entre des cités-États concurrentes depuis l’époque médiévale, citant Machiavel sur l’idée selon laquelle « la fin justifie les moyens », et concluant en observant que « ainsi, la plupart des plus grands crimes du début de l’histoire ». siècle ont été commis par des Italiens. Le rapport comprend une description détaillée de la scène politique italienne, identifiant les socialistes, les républicains et les anarchistes comme les principales causes du « mal ». L’auteur anonyme du rapport pensait que les socialistes et les républicains en Italie n’étaient que « les tentacules du véritable mal qu’est l’anarchisme », et qu’aucun d’eux n’avait d’avenir brillant car ils seraient tous consumés par la « menace anarchiste ». Preuve de la complicité socialiste et républicaine, l’auteur note leur manque de soutien à la législation anti-anarchiste et observe que « depuis l’Antiquité, les organisations secrètes ont prospéré en Italie » ; il n’était pas étonnant que leurs homologues modernes soient désormais si populaires. Le rapport a même critiqué le roi précédent pour avoir été trop indulgent envers les anarchistes et avoir laissé le gouvernement du pays au parlement, tout en exprimant son approbation de la détermination et de la force du nouveau roi à faire taire l’opposition politique.
Ironiquement, le « nouveau roi », qui avait tant impressionné l’auteur du rapport, était Umberto Ier, fut assassiné plus tard dans un acte de vengeance contre le massacre de Bava-Beccaris à Milan en 1898, qu’il avait applaudi. Le rapport mettait également en garde contre la communauté italienne immigrée aux États-Unis, citant Paterson, dans le New Jersey, comme un lieu particulièrement important pour les « fauteurs de troubles », où ils avaient carte blanche pour publier et agiter à leur guise. La solution proposée impliquait une sélection minutieuse du personnel consulaire le long de la côte italienne et : « puisque ces anarchistes se considèrent au-delà de la loi et attaquent les gens comme des animaux sauvages, le recours à la violence contre eux est légitime ». [27]
Les trois principaux groupes ethniques (Arméniens, Musulmans/Turcs, Italiens) de l’enquête constituent 85 pour cent de tous les anarchistes signalés au cours de la période 1850-1917. Cependant, ce pourcentage peut être trompeur en raison de la grande variété de personnes qui se sont retrouvées dans ces rapports. En plus de ces groupes, les documents mentionnent plus de vingt identités ethniques/nationales, dont des Russes, des Bulgares, des Espagnols, des Catalans, des Iraniens, des Grecs, des Français, des Allemands, des Juifs (l’origine nationale n’est pas toujours claire), des Néerlandais, des Belges, des Polonais, des Autrichiens. , des Roumains, des Irlandais, des Macédoniens, des Hongrois, des Anglais et même un Luxembourgeois. [28]
La dernière véritable surprise de cette enquête est peut-être le faible nombre d’anarchistes grecs mentionnés. Bien que l’histoire des débuts de l’anarchisme grec reste une zone grise, nous savons que d’importants premiers anarchistes tels qu’Emanouil Dadaoglou (sans surprise, originaire de Smyrne et un contact étroit de Cipriani et d’Argyriadis) et Plotinos Rodokanatis étaient actifs dans l’organisation et la publication, comme ainsi que des anarchistes ultérieurs à Patras (la situation géographique de la ville, sa proximité avec l’Italie et la force d’un premier mouvement anarchiste ici ne sont probablement pas une coïncidence). [29]
Une explication possible du nombre relativement faible d’anarchistes grecs dans les rapports ottomans réside dans la perspective d’une « évaluation de la menace » ottomane : les Arméniens n’avaient pas encore réussi à créer un État-nation à partir des terres de l’empire, ils constituaient donc une menace permanente. . Les Bulgares se trouvaient dans une situation similaire jusqu’à ce qu’ils obtiennent leur indépendance à la fin du XIXe siècle, et les Italiens, bien qu’ils ne soient pas en position et manquaient de la motivation ou du nombre nécessaire pour lancer un mouvement similaire au sein de l’empire, représentaient une puissance économiquement influente. élément actif et politiquement significatif de la société ottomane. Une augmentation du nombre ou de l’influence des anarchistes parmi eux pourrait infliger des dégâts considérables dans tous ces domaines, sans parler de la menace de « contamination » des locaux et d’autres minorités grâce aux communautés polyglottes qu’ils formaient. L’attention inébranlable de la Sublime Porte sur les anarchistes musulmans/turcs présumés, malgré leur petit nombre et leur influence mineure, est une excellente indication d’une telle « contamination ». Un mouvement anarchiste « autochtone » puissant serait certainement considéré comme une menace grave pour la souveraineté ottomane.
En revanche, l’indépendance grecque avait été obtenue un demi-siècle plus tôt : 1821-1829 pour la guerre d’indépendance et 1832 pour le Traité de Constantinople pour la reconnaissance officielle de la Grèce en tant qu’État-nation indépendant par l’empire ottoman. On peut affirmer que l’anarchisme grec ne représentait aucune nouvelle menace séparatiste pour la souveraineté ottomane. Le problème de cet argument est la lutte continue des peuples de langue grecque dans les terres restantes de l’empire, avec un certain degré de succès (le conflit mentionné précédemment en Crète me vient à l’esprit). Même si l’on disqualifie les territoires ottomans limitrophes ou proches du nouvel État grec, il y avait encore plus d’un million de locuteurs grecs répartis dans tout l’empire, juste derrière la population arménienne parmi les minorités.
L’argument de « l’évaluation de la menace », si séduisant dans les cas arménien, bulgare, italien ou musulman/turc, s’effondre donc dans le cas grec, à une exception possible : nous disposons de dossiers d’anarchistes de langue grecque opérant en Grèce, indépendamment de leur origine. leur terre de naissance, mais nous disposons d’informations très limitées sur leurs activités anarchistes dans les autres territoires de l’empire. Bien qu’il ne s’agisse que d’une spéculation qui attend encore la découverte de nouvelles sources primaires, il est possible qu’une fois l’ État grec créé, la plupart des efforts des anarchistes de langue grecque à travers l’empire aient été dirigés avant tout vers l’influence des événements à l’intérieur et de la structure. de cet état ; les origines ottomanes des premières figures marquantes de l’anarchisme grec semblent soutenir cette spéculation.
L’anarchie dans l’Empire : un aperçu
L’aperçu historiographique et l’étude des matériaux primaires terminés, la prochaine étape dans la compréhension des anarchistes et de l’anarchisme dans l’empire ottoman consiste à examiner les contre-mesures prises par les Ottomans, ainsi que la production intellectuelle anarchiste parallèlement à leurs activités. En d’autres termes, il est temps de discuter de la bataille complexe entre les anarchistes et leurs homologues gouvernementaux, telle qu’elle se déroule sur les terres ottomanes.
La dynamique la plus visible, mais pas nécessairement la plus significative, de la présence anarchiste à la fin du XIXe siècle est la violence. Il ne s’agissait pas simplement de violence en tant que telle, ou de toute forme générique de violence politique, mais de propagande par les actes. Les assassinats très médiatisés de rois, de reines, de présidents et d’autres chefs d’État ont couvert la presse quotidienne et dominé les débats politiques dans toute l’Europe. La situation n’était pas sensiblement différente dans l’empire ottoman ; Même lorsque les actions elles-mêmes n’ont pas eu lieu sur les terres ottomanes, l’appareil d’État ainsi que la presse ont étudié ces actions de manière intensive et, dans le cas du premier, ont volontairement coopéré pour capturer les individus responsables. Divers groupes politiquement actifs au sein de l’empire en ont également pris note ; le résultat fut une période de violence très visible, mais quelque peu symbolique dans les territoires ottomans, qui manquait le plus souvent d’un agenda politique détaillé et ciblé. Ce serait cependant une erreur d’assimiler catégoriquement l’expérience anarchiste dans l’empire ottoman à la violence et au chaos ; le fait que les anarchistes et leurs actions représentaient bien plus que ces aspects les plus visibles est aussi vrai dans le cas ottoman que dans le reste du monde.
En 1901, l’Universita Popolare Libera (UPL), reflétant une influence et des principes anarchistes évidents, ouvrit ses portes aux étudiants, un exemple important d’activité anarchiste non-violente sur les terres ottomanes, en l’occurrence l’Égypte. [30] En 1901, l’activisme politique fondé sur la conscience ouvrière n’était certainement pas une nouvelle révélation sur la scène égyptienne ; Comme l’ont souligné des chercheurs tels que John Chalcraft, Joel Beinin et Zachary Lockman, la fin du XIXe siècle a vu l’émergence d’une nouvelle classe ouvrière qui a rapidement commencé à travailler à l’amélioration de sa situation difficile en expérimentant un mélange volatile de nationalisme et de construction de la nation. comme le socialisme dans une moindre mesure. Il est intéressant de noter que l’UPL ne reposait pas exclusivement sur le mouvement ouvrier ou la classe ouvrière, mais trouvait également un soutien dans les classes moyennes et supérieures, y compris, sans surprise, de nombreux Italiens ainsi que des citoyens grecs et français. [31]
Malheureusement, la création et le fonctionnement d’une université ont attiré beaucoup moins l’attention du public que la tentative d’assassinat d’un chef d’État. La tentative d’assassinat en question était le résultat de la tristement célèbre collaboration entre l’anarchiste belge Edward Jorris et les membres arméniens de l’ARF dirigés par Kristofor Mikaelyan ; ils avaient observé attentivement la routine du vendredi d’Abdülhamid, y compris un voyage à la mosquée de Yıldız, et avaient placé une bombe à retardement, appelée « Machine Infernale », dans sa voiture en attendant le voyage de retour. Malheureusement pour les anarchistes, cette bombe a explosé dans la voiture d’Abdülhamid quelques instants avant qu’il n’y arrive, le sultan étant retardé de manière atypique par une conversation avec le Şeyhülislam Celalettin Efendi à l’extérieur de la mosquée. L’explosion massive a tué 26 personnes, dont Mikaelyan, en a blessé 58, a écrasé 17 voitures et tué 20 chevaux dans le quartier. [32]
Les anarchistes n’étaient pas le seul groupe à recourir à la violence politique au sein de l’empire. Divers mouvements de libération nationale se sont certainement mêlés à la violence, parfois à grande échelle. Les activités de l’IMRO (Organisation révolutionnaire interne macédonienne) et de ses nombreux prédécesseurs ainsi que de futurs fragments viennent à l’esprit, mais aucun d’entre eux n’était représentatif de la propagande par ses actes. [33] Tous ces mouvements visaient en fin de compte à établir de nouveaux États-nations d’homogénéité variable, tandis que les anarchistes tentaient de détruire non seulement l’État ottoman, mais aussi tout successeur régional. Le fait qu’ils ne réussiraient pas dans ce programme n’était pas établi dans l’opinion publique ni reflété dans l’attitude de l’État ottoman à l’époque, et la plupart de ces anarchistes n’étaient pas non plus nihilistes dans leur approche de la propagande par les faits. Plus ou moins les mêmes personnes qui ont fondé une université en Égypte étaient tout aussi susceptibles de faire exploser Adbulhamid ; une dualité révélatrice, mais pas nécessairement paradoxale, qui ne reçoit pas l’attention qu’elle mérite.
Vagabonds et aventuriers ? Profil d’un anarchiste en terres ottomanes
Si l’éventail de l’activité anarchiste dans l’empire était si riche et si étendu, il est tout à fait raisonnable d’attendre la même chose des anarchistes eux-mêmes ; non seulement ils avaient des origines variées, mais leurs « aventures » individuelles au sein et autour de l’empire, glanées dans les rapports ottomans, laissent une impression durable. Parmi les nombreux rapports, nous trouvons un exemple fascinant et représentatif de l’anarchiste des terres ottomanes, un certain Hasan bin Abdullah. Le rapport du ministère des Affaires étrangères, daté de 1903, d’un niveau de détail moyen parmi d’autres rapports similaires, affirme qu’un homme d’environ 22 ans, blond et mince, s’est rendu à Zanzibar depuis Ipsara, pour ensuite revenir en Égypte, et d’Égypte, au Pirée. Il a été interrogé et ses antécédents ont fait l’objet d’une enquête au Pirée, alors qu’il était en route vers Smyrne, et les informations recueillies sur l’homme révèlent un niveau de détail fascinant. Apparemment, ce « Hasan Abdullah » [34] s’appelait à l’origine Cesare Camilieri (« Sezar Kamilyeri »), fils d’Antonio Camilieri (« Anton Kamilyeri »), d’une « famille célèbre » ; il est né à Rome, a déménagé à Londres à l’âge de huit ans et était titulaire d’un passeport britannique au moment de sa rencontre avec les autorités portuaires ottomanes. Son long voyage de Londres à Smyrne impliquait de servir comme garçon de cabine sur un navire britannique. Il a quitté le navire au Cap, où il a étudié dans une école militaire jusqu’à l’obtention de son diplôme, date à laquelle il est parti pour la colonie portugaise de Lorenzo Marquez pour travailler dans une usine de briques appartenant à son frère « Paoli ».
À peu près à la même époque, ses parents moururent sur l’île de Malte, où ils s’étaient installés définitivement. Après avoir vécu quatre ans avec son frère dans la colonie africaine portugaise, Camilieri repart et travaille comme serviteur personnel auprès de divers marchands, se déplaçant d’un endroit à l’autre, pour refaire surface à Zanzibar, avec 120 pièces d’or en poche. À Zanzibar, Camilieri aurait rencontré une « fille arabe », serait tombé amoureux d’elle et se serait converti à l’islam, prenant le nom de Hasan bin Abdullah. Il a rapidement manqué de fonds à Zanzibar, mais a impressionné plusieurs employeurs par sa bonne maîtrise de l’anglais, de l’italien, du français, de l’espagnol et du portugais. Il a quitté Zanzibar (et probablement la jeune fille) et a réussi à s’installer d’abord à Aden, puis à Port-Saïd, où il a obtenu un emploi dans la police locale en tant qu’informateur/agent de police. Comme on pouvait s’y attendre, Camilieri a trouvé insuffisant le salaire dérisoire de la police, sans parler du désagrément du traitement peu souhaitable que lui infligeaient ses compatriotes en raison de sa conversion religieuse, et a décidé de déménager une fois de plus, en prenant cette fois l’ Ismailiye, un navire à passagers du Khédivat, à destination de Smyrne via le Pirée.
Apparemment inquiet de ne pas être autorisé à atterrir à Smyrne, il a contacté le consulat ottoman du Pirée, où on lui a dit que ses « documents de conversion » à l’islam devraient être suffisants et qu’il ne devait pas s’inquiéter de se voir refuser l’entrée ou d’être renvoyé. expulsé du port de Smyrne. À ce stade, Camilieri a déclaré sa volonté de vivre sur les terres ottomanes et de devenir un sujet ottoman, informant le consulat que son frère et un ami italien s’étaient convertis à l’islam à Zanzibar, prenant respectivement les noms de Mehmed Said et Suleyman Salih, après quoi son frère était resté à Zanzibar, tandis que son ami s’était rendu en Égypte.
Toutes ces informations ont servi de toile de fond à la question qui importait le plus aux fonctionnaires consulaires : Camilieri était-il un anarchiste ? Il a nié être anarchiste, mais le fonctionnaire consulaire a utilement noté dans son rapport que, comparée à un récent télégramme codé du Baş Kitabet Dairesi, cette information était suspecte. Un informateur nommé Halil Abdulhay de Crète a eu une conversation en français avec Camilieri pendant son voyage, où il a donné la plupart des informations trouvées dans le rapport, avec l’avertissement que Camilieri était un anarchiste et qu’il ne fallait pas lui faire confiance. Un autre télégramme, envoyé cette fois par l’ambassadeur ottoman à Athènes, adressé au Mabeyn-i Humayun Baş Kitabeti, appelait à une extrême prudence dans les relations avec Camilieri, soupçonné d’être impliqué dans un récent assassinat. Simultanément, le ministère de l’Intérieur a envoyé un télégramme au siège administratif régional d’Aydin (qui avait juridiction sur Smyrne), les mettant en garde contre « Hasan Abdullah », un Italien qui avait un passeport britannique, et ordonnant à Aydin de l’appréhender à la première occasion. . Cette vague de communications au sujet de Camilieri (y compris de nombreux télégrammes et rapports non abordés ici) aboutit à l’implication d’au moins neuf bureaux ottomans et de plus de deux douzaines d’individus en trois mois et demi au cours de l’été 1903. Les rouages de la bureaucratie ottomane n’étaient ni très rouillés ni inefficaces lorsqu’il s’agissait d’un sujet important.
L’affaire Camilieri, ou Hasan bin Abdullah, disparaît des archives officielles après un rapport de Smyrne, indiquant qu’il y a été arrêté par la police locale et envoyé à Istanbul pour un interrogatoire plus approfondi. La toute dernière mention de Camilieri dans un rapport se trouve dans le rapport de police de Smyrne ; il semble qu’il était en route pour Istanbul, accompagné d’un homme nommé Hasan Husnu, mais ni Camilieri ni cet homme ne se sont présentés à Istanbul ou dans toute autre destination, disparaissant mystérieusement, après quoi une nouvelle enquête a été ouverte par les autorités ottomanes.
L’affaire n’était certainement pas terminée. L’assassinat mentionné dans le rapport de l’ambassadeur n’est autre que l’assassinat, le 29 juillet à Monza, du roi d’Italie Umberto Ier, en 1900, par Gaetano Bresci, un tisserand italo-américain qui était l’un des fondateurs originaux de l’influent magazine anarchiste La Questione Sociale, en 1900. Paterson, NJ Camilieri était soupçonné d’être l’un de ses complices qui avait quitté l’Italie, retrouvé à Zanzibar et en Égypte pendant près de trois ans, et ressemblait apparemment étrangement au visage blond et mince observé par les autorités ottomanes. [35]
À ce stade, il devrait être évident que les renseignements ottomans sur Camilieri, bien que détaillés, contenaient un certain nombre d’incohérences et de zones grises. Nous ne savons pas précisément quelles parties de l’information ont été fournies par Camilieri lui-même (ni le pourcentage de vérité dans ces récits), et le mystère de sa possible implication dans l’assassinat en tant que partisan de Bresci reste voilé à ce jour. Nous gardons cependant une idée de la profondeur de l’implication ottomane et des ressources investies dans la chasse anarchiste mondiale. Les agences de renseignement italiennes, portugaises et britanniques ont soutenu l’enquête ottomane sur un seul individu, peut-être sans importance. On peut à peine imaginer l’émotion provoquée par le passage d’un personnage extrêmement connu comme Malatesta à travers les terres ottomanes. Nous avons également une bonne idée de la nature éphémère de nombreux anarchistes de l’empire. Cependant, malgré les efforts de l’État ottoman et de ses partenaires européens, traverser les frontières n’était pas un défi aussi important qu’il pourrait paraître dans ces rapports, car presque tous les anarchistes originaires de l’intérieur ou de l’extérieur des terres ottomanes ont traversé à de nombreuses reprises les frontières poreuses de l’Empire ottoman. [36]
L’appareil d’État ottoman répond au « mal anarchiste » [37]
Si les anarchistes eux-mêmes affichent des profils hauts en couleur et des expériences aventureuses sur les terres ottomanes, la réponse multiforme et multidimensionnelle des autorités ottomanes vient compléter ce tableau. La question de la sécurité des frontières n’était qu’une des préoccupations des bureaucrates, mais elle constitue un point de départ utile.
Les autorités ottomanes étaient tout sauf aveugles aux risques de sécurité posés par l’absence de contrôle d’accès adéquat aux frontières et aux ports. Un exemple est fourni par le rapport frustré d’un inspecteur du ministère de la Justice nommé Reşat, de Salonique :
Des sources sûres m’ont informé qu’un certain nombre d’anarchistes… sont arrivés à Salonique, attendant l’occasion de partir pour la capitale… J’ai remarqué que de tels événements ne m’avaient pas été signalés auparavant parce que les télégraphistes d’ici sont du mil arménien… L’incompétence du chef de la police ici, ainsi que l’ignorance du commandant de la gendarmerie ont permis à ces anarchistes d’entrer à Salonique sans aucune entrave.Il est clair qu’en raison de l’âge avancé du vali [gouverneur] de Salonique, ses pouvoirs sont devenus limités, et il sera impossible de découvrir le mal qui sommeille en ces (anarchistes) sans une enquête particulière plus approfondie.[38]
L’hypothèse selon laquelle les télégraphistes arméniens étaient responsables de l’obstruction des efforts d’enquête sur les anarchistes est intéressante, même si elle n’est pas étayée dans le reste du document. Le rapport se concentre toutefois sur le leadership bureaucratique plutôt que sur les facteurs externes ; ce rapport, parmi de nombreux autres rapports d’inspecteurs contemporains, montre une tendance dans la pensée ottomane sur « comment traiter » les anarchistes. Même s’ils étaient perçus comme une menace grave et néfaste pour les fondements de la société ottomane, et sur ce point tous les rapports de toutes sources sont unanimes, sous réserve d’une surveillance et d’un maintien de l’ordre stricts et ciblés, la plupart des officiers ottomans pensaient que les anarchistes pouvaient être contrôlés. , sinon entièrement supprimé. Ainsi, tout « succès » des anarchistes dans les pays ottomans n’était perçu que comme un échec bureaucratique interne ; un problème mécanique, à résoudre en changeant quelques engrenages et rouages, plutôt qu’une potentielle révolution sociale en devenir. Cette attitude fonctionnaliste des bureaucrates ottomans est paradoxale, étant donné l’importance qu’ils accordent tous à l’anarchisme en tant que menace fondamentale.
Aussi banales et problématiques que soient les analogies organiques, une méthode attrayante pour expliquer l’ambiance omniprésente dans ces rapports est basée sur l’analogie de l’empire en tant qu’être humain, et des anarchistes en tant que formes d’un virus mortel qui tente pénétrer et tuer l’organisme; vue en ces termes, l’attitude mécaniste adoptée par les bureaucrates ottomans envers l’anarchisme, malgré l’apparent paradoxe mentionné ci-dessus, commence à avoir plus de sens. [39]
Cependant, en présence de nombreux rapports critiquant sévèrement des bureaucrates incompétents, on pourrait avoir une impression partiellement correcte, mais fondamentalement problématique, de la bureaucratie ottomane de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, comme un monstre maladroit, inefficace et aveugle dirigé par des bouffons incompétents ; une relique malade et corrompue, incapable de relever les défis des idéologies relativement nouvelles qui « envahissent » l’empire. En termes d’efficacité ou de corruption, presque tout ce que j’ai vu dans les archives de l’État italien correspond à la situation ottomane, et pourtant, les deux bureaucraties ont finalement réussi à restreindre les anarchistes et leurs ambitions à un niveau comparable à n’importe quel appareil d’État de l’époque. De toute évidence, ils ont dû faire certaines choses « correctement » pour résister à la marée haute de l’anarchisme dans son âge d’or.
Les informateurs ont permis à la bureaucratie ottomane de maintenir un niveau de surveillance détaillé, parfois intime, sur les anarchistes de nombreuses nations, ethnies, destinations et réseaux protecteurs de partisans. Ces informateurs n’étaient pas simplement des agents impériaux rémunérés qui parcouraient le monde à la recherche d’anarchistes ; En plus d’agents plus professionnels et directement contrôlés, les Ottomans utilisaient une immense variété de personnes comme informateurs. La liste des « gens ordinaires » qui ont autrefois travaillé comme informateurs comprend, sans s’y limiter, les employés d’hôtels, les équipages de navires à passagers, les restaurateurs et les employés des postes. [40]
Le niveau de surveillance le plus impressionnant et peut-être la source d’informateurs à long terme la plus utile en dehors des terres ottomanes provenait des gouvernements et des bureaucraties étrangers ; un rapport typique d’une de ces sources identifie un certain M. Henry Elias (ou « Henry Ilyas Bey »), troisième commis à l’ambassade britannique à Paris. Les diplomates ottomans à Londres étaient très satisfaits du fait que M. Elias, qui avait pris contact avec les autorités ottomanes, leur ait fourni des informations. Dans un cas particulier, il a aidé les bureaucrates ottomans à retrouver un criminel recherché, Firari Mahmud Aga, qui se déplaçait constamment à travers l’Europe pour éviter d’être détecté et extradé. N’étant pas anarchiste à l’origine (bien que nous sachions peu de choses sur ses crimes sous la juridiction ottomane), Mahmud Aga a noué des contacts avec plusieurs anarchistes « animés de mauvaises intentions » alors qu’il se trouvait à Londres et en Suisse. Toutes ces informations provenaient de M. Elias, qui a également averti les autorités ottomanes à Londres que Mahmud Aga était sur le point de retourner en Grande-Bretagne, et leur a suggéré de contacter les autorités britanniques pour procéder à son arrestation et à son transfert à l’ambassade ottomane. L’auteur ottoman rapportant tous ces événements de Londres à Constantinople, dans le plus pur style ottoman, a également jugé nécessaire de réprimander M. Elias pour avoir contourné ses officiers supérieurs et manqué de respect à l’ambassadeur britannique à Paris, tout en spéculant sur lui comme étant un homme jeune, ambitieux et intelligent dont « la volonté et l’enthousiasme au service du padişah ont été notés ». [41]
La peur des anarchistes mène à des initiatives internationales
Les opérations ottomanes de collecte de renseignements contre les anarchistes ne se limitaient pas au recrutement d’employés du gouvernement étranger ou d’informateurs aléatoires. Au-delà des agents travaillant directement pour la Sublime Porte, le niveau de coopération internationale entre les États européens (y compris l’État ottoman), dont la plupart étaient en guerre les uns contre les autres à un moment ou à un autre, est surprenant. Il semble que les hostilités entre la France et la Prusse, ou entre les Ottomans et la Russie, aient eu peu d’effet corrosif sur la capacité de leurs forces de police à coopérer et même à coordonner leurs efforts contre les anarchistes. La présence forte et continue d’une telle coopération entre États dans une période d’incertitude et de changement est un signe formidable de l’importance que chaque État accorde aux anarchistes dans sa liste de menaces prioritaires. En d’autres termes, les anarchistes étaient suffisamment importants pour que ces États mettent de côté les autres menaces à leur sécurité, y compris parfois même la guerre. [42]
La preuve la plus solide de la priorisation de l’anarchisme par les États vient d’une conférence obscure et peu étudiée tenue à Rome, en 1898. Un coup d’œil à cette conférence révèle que, sans équivoque, les anarchistes étaient directement responsables de la naissance de l’Organisation internationale de police. l’Interpol. Le nom de la conférence était, comme on pouvait s’y attendre, Conférence internationale anti-anarchiste, et les participants venaient de toute l’Europe : 21 pays, représentés par 54 délégués, parmi lesquels des diplomates, des bureaucrates et des chefs de police nationale et municipale. [43]
Dès le début, la conférence a éprouvé des difficultés à atteindre autre chose qu’un ensemble d’objectifs généraux et unifiés. Chaque fois que les détails opérationnels quotidiens et les mesures à adopter étaient portés à l’attention de la conférence, les délégués prononçaient de longs et fastidieux discours dans lesquels ils cherchaient à réprimer leurs rivaux politiques et à renforcer leur réputation contre le « travail » de concentration sur les anarchistes. . Les rapports des délégués ottomans sur la conférence ont montré des chaînes interminables de déclarations répétitives et une attitude fascinante mais éprouvante d’accords sournois et de trahison politique donnant le ton à la conférence. Même le New York Times, rapportant à distance par l’intermédiaire de nombreux journalistes mandatés, a alerté ses lecteurs de l’importance et de l’orientation troublée de la conférence : [44]
On s’attendait à ce que les anarchistes, qui sont non seulement les ennemis naturels des monarchies en particulier mais aussi les ennemis de la société en général, soient traités selon un plan large et général qui serait tout aussi acceptable pour les républiques que pour les monarchies.L’influence morale, voire éducative, d’un tel projet ne fait aucun doute.[45]
Malheureusement, poursuit l’ éditorial du Times , la conférence avait adopté un ton exclusif et promonarchie, s’aliénant les délégués britanniques et suisses. En réalité, les choses n’étaient pas si simples ; les conflits et les manœuvres lors de la conférence étaient beaucoup plus sophistiqués et superposés, et même les délégués britanniques exclus ont continué leur séjour et leur influence à travers des réunions bilatérales avec d’autres délégués pendant toute la durée de la conférence.
La propagande par l’acte redéfinie : criminels, terroristes ou les deux ?
Mais l’observation la plus significative que l’on puisse tirer de cette conférence n’a peut-être rien à voir avec les querelles et les querelles politiques, ni même avec la naissance du premier cadre juridique, encore moins avec l’idée d’une organisation policière internationale, avec l’adoption généralisée de techniques modernes d’enquête : c’est en premier lieu la principale raison des désaccords. Une fois éliminées toutes les couches d’accords politiques obscurs, une seule question apparaît comme la source des problèmes qui ont tourmenté la conférence. Si la propagande anarchiste était définie comme un acte de violence politique, trouver un terrain d’entente et des mesures communes serait presque impossible, étant donné les climats politiques très différents des pays participants.
Si la violence était politique, une définition commune de l’anarchisme ou une définition ou un plan commun de contre-mesures devrait inclure les Ottomans et les Russes ainsi que la Grande-Bretagne ou la Suisse, avec toutes les grandes différences qui existent entre eux. De toute évidence, cela n’était pas possible. La solution tentée est donc venue d’un choix de discours : au lieu d’aligner la violence anarchiste sur la violence politique en général, les délégués ont commencé à en parler et à écrire en termes criminels courants. Si l’anarchisme n’était pas politique, mais simplement criminel, simplement « maléfique » (les responsables ottomans furent les premiers à adopter cette approche avec enthousiasme), il pourrait en effet y avoir un terrain d’entente pour le combattre, à la satisfaction de tous les participants. Le principal problème de cette approche, du point de vue gouvernemental, serait la difficulté de concilier le concept d’activité criminelle commune avec le terrorisme, un terme couramment utilisé pour désigner la propagande par le fait, même s’il n’est pas toujours exact. Si le terrorisme est politique par définition, alors la propagande par les actes ne peut pas être l’apanage de simples criminels. Il a fallu près d’un siècle aux gouvernements pour démêler les pièges conceptuels illustrés par ce paradoxe, mais dans un sens, ils y sont parvenus. [46]
Un tel discours ne ferait que « résoudre » le problème de la définition des anarchistes et de leurs actions vis-à-vis de la loi et de ses agences d’application, mais en ce qui concerne la fourniture d’un appareil de contrôle politique efficace et ciblé, il était quelque peu hors de propos ; dans le cas ottoman, la structure juridique existante concernant le droit pénal, ainsi que les institutions et le personnel impliqués, étaient inadéquats pour s’attaquer immédiatement aux causes sociales de la propagation de l’anarchisme, même si, avec le temps, ils se révélaient efficaces contre des anarchistes individuels.
L’anarchisme ottoman a-t-il existé ?
« Ben bu yeni çağın içinde anarşizmi görüyorum…insanlık and sonunda anarşizme ulaşacak ve orada bireyselliğin butün bağımsızlığını, mais azametini duyumsayacaktır. »[47]
– Baha Tevfik,Felsefe-i Ferd
« Je vois l’anarchisme dans cette nouvelle ère… L’humanité atteindra enfin l’anarchisme et y trouvera la liberté totale et la magnificence de l’individu. »
– Baha Tevfik,Philosophie de l’individu
À ce stade, il devrait être clair que les minorités de l’empire ottoman ont produit une profusion de personnes attirées par l’anarchisme ; Une grande partie de leur production intellectuelle a cependant été publiée en Europe, abordant des préoccupations universelles plutôt que des questions spécifiquement ottomanes. Curieusement, parmi tous les anarchistes ottomans qui ont connu la colère de la Sublime Porte, parmi tous les personnages célèbres qui ont fait carrière en Europe après avoir fui l’empire, l’individu qui incarnait l’une des voix les plus authentiques et les plus marquantes de l’anarchisme dans les terres ottomanes était de la catégorie « musulman/turc » dont j’évoquais plus haut, un personnage qui est sorti relativement indemne de l’attention des autorités : Baha Tevfik.
Baha Tevfik était une figure essentielle des Lumières ottomanes du XIXe siècle, avec une production éclectique mais unique qui incluait et mêlait des concepts et des questions tels que la rationalité, la moralité, le matérialisme, le déclin de l’empire, l’individualisme et l’anarchisme.
Né à Smyrne dans les années 1880, Tevfik a été influencé dans son développement en tant qu’intellectuel par des personnalités telles qu’Immanuel Kant, Friedrich Nietzsche et Ludwig Buchner. Son chemin vers l’anarchisme suit une trajectoire indirecte, parfois presque accidentelle. Tevfik a étudié le socialisme d’assez près et est à juste titre considéré comme l’un des mentors des premiers dirigeants du mouvement socialiste dans l’empire. Il est toutefois intéressant de noter qu’il n’a jamais soutenu le socialisme et qu’il pensait en fait que c’était « le contraire de l’anarchisme, un mouvement conçu pour faire passer les besoins de la communauté avant les besoins de l’individu ».
La forte tendance individualiste de Tevfik amène certains de ses historiens à croire qu’il était un libéral, ou peut-être un libertaire, mais dans ses propres écrits, il identifie avec lucidité l’anarchisme comme son idéal pour l’avenir de la société ottomane. Cet alignement avec l’anarchisme n’est pas non plus une coïncidence ni déconnecté du reste de la pensée de Tevfik. Dans ses nombreux articles, on peut le voir attaquer le concept de mariage, le qualifiant de « geste vide » et faisant fortement allusion au désespoir de la monogamie, tout en attaquant les « aspirants européens » et les panturkistes/turanistes pour ne pas comprendre ou consciemment dénaturer le caractère autochtone et « national ». [48]
En fin de compte, Tevfik se situe à l’extrémité intellectuelle et relativement pacifique du spectre anarchiste de la scène ottomane. Pour répondre à la question posée dans le titre de cette section, tant que le terme peut être décrit de manière vague et ouverte, il y avait un anarchisme ottoman ; il était composé d’une grande variété de personnes de classes sociales et d’origines ethniques, d’influences et de styles différents. Il ne s’agissait certainement pas d’une idéologie cohérente et monolithique. De l’action directe et des publications énergiques des anarchistes gréco-ottomans et italo-ottomans, à la propagande violente et meurtrière par les actes des Arméniens, en passant par l’élitisme intellectuel de Baha Tevfik, l’anarchisme ottoman reflétait l’éclectisme, la richesse, la spontanéité et finalement la Le caractère « difficile à cerner » de l’anarchisme se retrouve partout, d’Istanbul et du Caire à Paris, de Rome à Paterson et Buenos Aires. Même si les différences régionales étaient et sont toujours présentes, la manière de comprendre la renaissance de l’anarchisme dans les mêmes endroits et sa grande popularité à notre époque souligne fortement cette histoire commune.
Conclusion
Aux yeux de leurs amis et de leurs ennemis, les anarchistes ont joué un rôle important dans la définition de la fin du XIXe et du début du XXe siècle sur les terres ottomanes. Si la conception d’Antonio Gramsci de la culture hégémonique a jamais eu une quelconque valeur, c’est bien dans cette tapisserie ottomane tardive : la culture hégémonique dans ce cas n’était pas la culture de la bourgeoisie ottomane, quelle que soit la manière dont on la définit, mais la culture des « bâtisseurs de nation », » les différents mouvements de libération nationale, notamment le Comité pour l’Union et le Progrès, qui ont ouvert la voie à l’établissement brutal d’États-nations dans les Balkans et au Proche-Orient.
La plupart de ces États, malgré leur existence relativement brève, affichaient abondamment certains des pires éléments de l’extrémisme nationaliste ainsi que des tendances génocidaires dans une structure politique instable. Les anciennes terres ottomanes des Balkans et du Proche-Orient restent parmi les sociétés les plus inquiétantes, les plus inextricablement tragiques et les plus violemment conflictuelles de notre monde. Les anarchistes, dans leur théorie et leur pratique chaotiques et souvent incohérentes, ont néanmoins défié ces bâtisseurs de nations de toutes couleurs à un niveau fondamental et paradigmatique. La liberté devait être obtenue en démolissant le système politique ottoman, mais sans le remplacer par de nombreux autres nouveaux appareils d’oppression. On ne peut s’empêcher de penser que leur point de vue, même à travers leurs avertissements désastreux, parfois violents, sur le monde en évolution dans lequel ils vivaient, a considérablement mieux résisté à l’épreuve du temps que de nombreuses idéologies contemporaines. Peut-être que les « méchants anarchistes » qui ont si profondément troublé les autorités ottomanes n’étaient pas la maladie, mais une dose symbolique, désespérément insuffisante, de la nature de la construction d’une nation qui a réussi d’une manière ou d’une autre à survivre à l’ère dominante du nationalisme. Aujourd’hui, les anarchistes font un retour en nombre sans précédent dans les mêmes pays qu’ils étaient autrefois perçus comme infestés ; Même si leurs méthodes de violence ont changé, leur approche de la violence ou leur rôle de messagers porteurs de mauvaises nouvelles d’expériences sociales et politiques ratées n’ont pas changé.
Si Gramsci avait souri d’une expérience telle que l’Universita Popolare Libera, symbolisant son idée de l’éducation comme outil pour défier la culture hégémonique en produisant une éducation alternative, Michail Bakunin, Luigi Galleani ou Errico Malatesta auraient gravement hoché la tête devant le rôle des anarchistes. La violence a consisté à défier ouvertement un environnement hostile en attirant l’attention sur la nature oppressive de l’ancien État ottoman. Bien plus important encore, la possibilité d’un changement, accompagnée de l’ attente de Tevfik Fikret du bruit inquiétant des explosions de bombes. C’est à ce moment-là que le terrorisme et la propagande par le fait se séparent, malgré ce que les appareils d’État répètent à leur public depuis plus d’un siècle. Le monopole de la coercition et de la violence de masse est resté dans l’ensemble entre les mains des bâtisseurs de nations et de leurs États dans cette région au cours des XIXe et XXe siècles, comme c’est le cas aujourd’hui, et ils ont fait un usage généreux et horrible de ce monopole. Néanmoins, les mêmes bâtisseurs de la nation craignaient autrefois sincèrement le potentiel symbolique des anarchistes humbles mais imprévisibles et de leurs petites sphères noires imprévisibles.
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Vizetelly, Ernest Alfred. Les anarchistes : leur foi et leur bilan, y compris un aperçu des personnages royaux et autres qui ont été assassinés . Londres : John Lane, 1911.
Reconnaissance
Cet article n’existerait pas sans Donald Quataert. Je suis reconnaissant pour ses conseils et son amitié au fil des années. En tant que mentor et ami, il a inspiré mon implication dans l’histoire ottomane et restera une influence majeure dans mon travail pour les années à venir. Je voudrais également remercier David S. Powers pour ses idées et son aide à la rédaction de cet article.
[1] Tevfik Fikret, l’éloquent poète, journaliste et intellectuel d’Istanbul de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, a écrit le poème incluant ce fragment après l’échec de la tentative d’assassinat d’Abdülhamid II par l’anarchiste belge Edward Jorris et les membres arméniens de l’ARF, dirigés par Kristofor Mikaelyan. . Fikret était véritablement déçu par l’échec de la tentative dirigée contre le sultan qu’il détestait, et espérait une autre tentative réussie.
[2] Un mot sur l’emploi du terme « Levantin » : je n’utilise pas ce terme dans sa définition large, qui désignerait le « peuple du Levant » ; il est plutôt utilisé dans un sens plus étroit, incluant les « minorités » établies, et pour la plupart mais pas entièrement marchandes, italiennes, françaises, britanniques, hollandaises, etc., dans les villes portuaires de l’empire. Ces peuples n’étaient pas les minorités « autochtones » officiellement reconnues de l’empire, comme les Grecs ou les Arméniens, mais formaient une minorité par leur présence étendue dans la région, devenant un élément socio-économique important dans l’empire à partir de la fin du XVIIe siècle. et culminant entre le XVIIIe et le XIXe siècle. À la fin du XIXe siècle, bon nombre des arrivés les plus « récents » vivaient sur les terres ottomanes depuis trois générations, tandis que les familles les plus anciennes pouvaient retracer leurs débuts bien plus loin. Les études sur ces Levantins présentent un trou noir curieux et flagrant dans le sens où ils sont rarement traités comme des éléments inhérents et « autochtones » de la société urbaine ottomane tardive, et sont généralement réduits à des catégorisations mal conçues d’« étrangers » ou à de simples chiffres dans la société ottomane. l’histoire économique de l’empire, où ils ont certes laissé une marque indélébile. Leur impact social et culturel en tant que peuple des terres ottomanes, par rapport aux étrangers temporaires, reste un domaine relativement inexploré, malgré la présence d’une poignée de représentations romancées et stéréotypées dans des domaines autres que l’histoire. Une exception notable à ce sujet est Philip Mansel, Levant : Splendor and Catastrophe on the Mediterranean (Yale University Press, 2012).
[3] En fait, la transformation de l’État ottoman ou l’émergence d’un « État moderne » dans cette géographie comparable aux États européens ou asiatiques dans un contexte similaire peut être retracée plus loin, comme le souligne et l’argumente avec force, dans Abou-El- Haj, Rifa’at Ali, Formation de l’État moderne — L’Empire ottoman : du XVIe au XVIIIe siècle, 2e édition (Syracuse, New York : Syracuse University Press), 2005.
[4] Il existe une longue liste de publications sur la question de la transformation de l’État et de la société ottomans tardifs. L’article de Karpat est ancien, mais toujours pertinent, et constitue un texte principal solide sur le sujet. Kemal Karpat, « La transformation de l’État ottoman, 1789-1908 », International Journal of Middle East Studies 3, no. 3 (juillet 1972) : 243-281 ; D’autres études significatives plus récentes incluent : Fatma Müge Göçek, « Segmentation ethnique, éducation occidentale et résultats politiques : société ottomane du dix-neuvième siècle », Poetics Today 14, no. 3, Processus culturels dans les sociétés musulmanes et arabes : période moderne I (automne 1993) : 507-538 ; Selim Deringil, « L’invention de la tradition comme image publique à la fin de l’Empire ottoman, 1808 à 1908 », Études comparatives sur la société et l’histoire 35, non. 1 (janvier 1993) : 3-29 ; Selim Deringil, Les domaines bien protégés : idéologie et légitimation du pouvoir dans l’Empire ottoman, 1876-1909 (Londres : IB Tauris), 1999 ; Selim Deringil, « Structures de légitimité dans l’État ottoman : le règne d’Abdülhamid II (1876-1909) », International Journal of Middle East Studies 23, no. 3 (août 1991) : 345-359.
[5] Bien entendu, l’État ottoman lui-même était un « État européen » selon de nombreuses définitions ; la terminologie ici est simplement par souci de commodité, remplaçant des alternatives de longue haleine telles que « États de l’Europe du Nord, de l’Ouest et du Sud », etc. ; Glen W. Swanson, « The Ottoman Police », Journal of Contemporary History, 7, n° 1/2 (janvier-avril 1972) ; Nadir Ozbek, « La police à la campagne : les gendarmes de l’Empire ottoman de la fin du XIXe siècle (1876-1908) », International Journal of Middle East Studies 40, 47-67 (2008) ; Ali Sönmez, « Zaptiye Teşkilatının Kuruluşu ve Gelişimi (1846-1879) » (thèse de doctorat, Université d’Ankara, 2005).
[6] Mete Tunçay et Erik Jan Zürcher, éd., Socialism and Nationalism in the Ottoman Empire, 1876-1923 (New York : Palgrave-MacMillan, 1994).
[7] Ce qui constitue un « mouvement socialiste » et ce qui doit être laissé de côté est un débat continu dans ce domaine plutôt restreint. Mon approche de ce sujet est inclusive ; tout mouvement s’identifiant comme tel est éligible, et les mouvements qui ne « correspondent » pas au moule ou qui utilisent une terminologie obscure doivent être inspectés au cas par cas, et non par rapport à un ensemble universel de définitions. En fin de compte, il ne s’agit pas d’un débat particulièrement fructueux ou inspirant, et son importance pour la compréhension de la politique et de la société ottomanes tardives est loin d’être marginale.
[8] Le choix des termes concernant le « cadavre de l’empire » est certes lié à des analogies organiques, une partie très critiquée et inhérente au paradigme du déclin. Même si je suis d’accord avec les observations sur les échecs du paradigme du déclin et de sa terminologie organique, la tentation stylistique s’est avérée ici insurmontable.
[9] L’utilisation presque inconsciente de termes et de concepts impériaux ottomans qui avaient été utilisés pour la catégorisation sociale présente un problème dans tout le domaine ; Je ne trouve pas ces catégorisations utiles au-delà des identifications immédiates et superficielles qu’elles sont réellement ; d’où les guillemets.
[10] Il y a à peine une poignée d’exceptions, illustrées par Anahide Ter Minassian avec son travail sur les anarchistes arméniens, comme Alexander Atabekian, mais cette déclaration est l’expression de la terrible réalité du domaine en ce moment.
[11] Le débat sur la formation des classes et sa pertinence pour le changement politique dure depuis plus d’un siècle, et même une bibliographie extrêmement résumée et mutilée ne doit être considérée que comme colossale. En outre, les quatre dernières décennies ont vu émerger de nouveaux paradigmes sous la forme de la théorie de la dépendance, des études subalternes, de la déconstruction poststructuraliste, etc. qui, entre autres, ont tous insisté sur les innombrables pièges liés à l’utilisation de concepts et d’outils d’analyse structurelle pour les sociétés d’Europe occidentale. (même s’il n’existe aucun accord sur la question de savoir si les mêmes concepts sont valables en premier lieu pour les sociétés d’Europe occidentale) comme lignes directrices universelles.
[12] La guerre civile espagnole de 1936-1939, les nombreuses rébellions manquées menées par Malatesta et Bakounine en Italie, la destruction du mouvement makhnoviste au lendemain de 1917 en Russie viennent immédiatement à l’esprit, parmi une longue liste d’événements similaires.
[13] Une approche populaire, bien que légèrement évasion, de la question de classe ottomane consiste à utiliser la terminologie wébérienne impliquant les groupes de statut ; un large éventail d’universitaires, de Metin Heper en sciences politiques à Engin Akarlı en histoire, ont utilisé cette approche. Parmi de nombreux exemples de cette approche, citons Engin Akarlı, « Les problèmes des pressions externes, des luttes de pouvoir et des déficits budgétaires dans la politique ottomane sous Abdülhamid II (1876-1909) : origines et solutions ». (Ph.D. Diss., Université de Princeton, 1976) ; Metin Heper, « Centre et périphérie dans l’Empire ottoman (avec une référence particulière au dix-neuvième siècle) », dans International Political Science Review /Revue internationale de science politique, 1, Studies in Systems Transformation (1980) : 81-105.
[15] Bien entendu, l’utilisation d’une terminologie pseudo-scientifique impliquant les « lois du changement » est intentionnelle, car elle représente de manière adéquate ce récit marxiste particulier.
[16] Tunçay et Zürcher, 14. Italiques de l’auteur.
[17] L’ouvrage faisant autorité sur le sujet des mineurs de Zonguldak est Donald Quataert, Miners and the State in the Ottoman Empire: The Zonguldak Coalfield, 1822–1920 (International Studies in Social History) (New York : Berghahn Books, 2006).
Même si le marxisme offre certainement des manières productives de penser la classe ouvrière, l’histoire du travail ne peut pas être simplement une dimension de l’histoire du socialisme ; cette formulation inversée pourrait encore être possible, si elle n’est pas pertinente pour nos objectifs. Pour une discussion stimulante sur cette question ainsi que sur le rôle de l’État dans l’étude des travailleurs dans l’empire ottoman, une compilation indispensable (en particulier l’introduction et la conclusion) est celle de Donald Quataert et Eric J. Zürcher (éd.), Workers and the Working Classe dans l’Empire ottoman et la République turque, 1839-1950 (New York : IBTauris 1995).
[18] 612 rapports ont été utilisés pour cette étude, mentionnant l’anarchisme et les anarchistes. J’en ai échantillonné 400 dans le but de collecter les nombres représentatifs affichés dans le graphique. J’ai utilisé environ la moitié de ces documents pour des recherches plus approfondies, car beaucoup d’entre eux ne contenaient que quelques phrases ou des copies éditées d’autres. 400 sur 612 représente un taux d’échantillonnage de 65 pour cent qui devrait être totalement exempt de tout écart statistique significatif. Les chiffres représentent des individus et les répétitions de noms ou les rapports en double ont été filtrés.
[19] Il existe une exception européenne notable qui est très comparable à celle des Ottomans dans ses priorités et ses problèmes, sous la forme de l’empire des Habsbourg.
[20] Bien que les militants politiques juifs de Salonique retiennent le plus l’attention, ils n’étaient en aucun cas les seuls Juifs de l’Empire ottoman à devenir politiquement actifs. Abraham Frumkin, né à Jérusalem, a vécu à Constantinople en tant qu’anarchiste bien connu (ainsi qu’à Londres, New York et Paris) et a publié de la littérature anarchiste dans les années 1890.
[21] Avraam Benaroya, “A Note on the Socialist Federation of Saloniki,” Jewish Social Studies 11, no. 1 (January 1949): 69–72; Paul Dumont, “Une organisation socialiste ottomane: la Federation ouvriere de Salonique (1908–1912),” Etudes Balkaniqu- es, no.1 (Sofia, 1975): 76–88; George Haupt, “Introduzione alla storia della Federazione Operaia Socialista di Salonicco,” Movimento Operaio e Socialista 18 (January-March 1972), 99–112.
If one considers Zionism a nation-building project, by the time of its rise to prominence, the Ottomans had a lot more on their plate to worry about, as the very survival of the Ottoman state was at stake. During the nineteenth century, the main sources of Zionism remained outside the empire, unlike the Armenian or Bulgarian cases.
[22] Çağlar Keyder, “A History and Geography of Turkish Nationalism,” in Citizenship and the Nation-State in Greece and Turkey, ed. F. Birtek and T. Dragonas (New York: Routledge, 2005).
[23] It should be noted that this kind of fusion is not impossible; one example is Tolstoy, the great Russian writer and anarchist who spent considerable effort in reconciling anarchism and Christianity. Nonetheless, attempts such as these remain historically highly exceptional, and not without an extensive list of reasons.
[24] Further reading: Pier Carlo Masini, Storia degli Anarchici Italiani nell’Epoca degli Attentati, (Milano: Rizzoli Editore 1981); Nunzio Pernicone, Italian Anarchism, 1864–1892 (Princeton, NJ: Princeton University Press 1993). For Cipriani’s recollections on Crete, Almanach de la question sociale et de la libre pensée: revue annuelle du socialisme international, published by Paul Argyriades (Paris, 1891–1903).
[25] The history of nineteenth century Italian immigrants with non-western (other than European, North and South American) destinations is still an understudied field. There are a number of local, non-academic and romanticized studies of the subject, but when it comes to a major historian in the field, we are still left empty handed. A good example of the focus of current scholarship on Italian migration is Italy’s Many Diasporas by Donna Gabaccia. Gabaccia sets out to produce a comprehensive picture of Italian migration patterns, but the study falters where non-western destinations are concerned. Gabaccia is without a doubt a major scholar of Italian migration, and the study is one of the most recent in the field; and yet, the numerous Italian communities in the Ottoman empire do not even deserve any mention, including the handful of references and hints to “Asia” as a destination. Had the author of this study not been part of the Levantine Italian community in Izmir (or Smir- ne -ita., Smyrna, in the former Ottoman lands), he would discount the existence of such communities as hallucinations altogether after scanning the bulk of the body of scholarship on Italian migration; Donna Gabaccia, Italy’s Many Diasporas (Seattle: University of Washington Press, 2000).
[26] The story of Hasan bin Abdullah, as documented in detail in the following pages, provides an excellent example of the composition and nature of such records.
[27] Başbakanlık Osmanlı Arşivleri, Yıldız Perakende Evrakı Hariciye Nezareti Maruzatı (hereafter referred to as BOA. Y.PRK. HR), 30/36 (29 Z 1318 / 19 April 1901).
[28] The list is representative of the actual numbers in reports, in descending order.
[29] James Sotros, The Greek Speaking Anarchist and Revolutionary Movement (1830–1940) — Writings for a History (n.p: No Gods-No Masters, 2004); G. Kordatos, The History of the Greek Workers Movement (Athens: Mpoukomanis Publications 1972); Paul Pomonis ed., The Early Days of Greek Anarchism: ‘The Democratic Club of Patras’ & ‘Social Radicalism in Greece’ (n.: Kate Sharpley Library 2004).
[30] Of course, at the time, Egypt’s political status as an “Ottoman province” was merely nominal; it would not become officially separated from the empire until 1914. Nonetheless, the anarchist presence and activities in Egypt are certainly part of a larger regional, “Ottoman” experience. Scholars who discount the existence of an Ottoman working class, in addition to the problems I have outlined earlier, are also making the mistake of treating Egypt as an extraneous, distant land with no real claim to being “Ottoman.”
[31] For a thorough discussion of the labor movement in Egypt during this period, Joel Beinin and Zachary Lockman, Workers on the Nile: Nationalism, Communism, Islam, and the Egyptian Working Class, 1882–1954 (Princeton, NJ: Princeton University Press, 1987); John Chalcraft, “The Coal-Heavers of Port Sa’id: State Building and Worker Protest, 1869–1914,” International Labour and Working Class History 60 (2001):110–124; John Chalcraft, The Striking Cabbies of Cairo and Other Stories: Crafts and Guilds in Egypt, 1863–1914 (Albany: State University of New York Press 2004); John Chalcraft “Popular Protest, the Market and the State in Nineteenth and Early Twentieth Century Egypt,” in Subalterns and Social Protest: History from Below in the Middle East and North Africa, ed. S. Cronin (New York: Routledge, 2007): 69–90. A good discussion on the meaning(s) of socialism as Ishtirakiyyah can be found at Mourad Magdi Wahba, “The Meaning of Ishtirakiy- yah: Arab Perceptions of Socialism in the Nineteenth Century,” Alif: Journal of Comparative Poetics, no.10, Marxism and the Critical Discourse,(1990): 42–55. An in-depth work on the UPL, also the source of most of the information on this subject in the text is Anthony Gorman, “Anarchists in Education: The Free Popular University in Egypt, (1901),” Middle Eastern Studies 41, no. 3 (2005): 303–320.
[32] Sources from the time cited various numbers of killed and wounded. The suppressed Ottoman newspapers did not produce details about the event in the immediate aftermath. The Guardian reported “death of 24 persons, while there were 57 wounded and 55 horses injured.” The New York Times reported “a few persons were killed or injured.” The Guardian, “The Sultan’s Escape” (July 24, 1905): 7; The New York Times, “Bomb Misses Sultan; 40 Persons Killed,” (July 22, 1905); The American Monthly Review of Reviews, vol. 32, (1905): 280.
[33] An interesting personal account of this period involving the IMRO/VMRO is Albert Sonnichsen, Confessions of a Macedonian Bandit: A Californian in the Balkan Wars (n.: Narrative Press, 2004).
[34] The reports show differences in his name(s); the text reflects this variation.
[35] BOA. Yıldız Müfettişlikler ve Komiserlikler Tahrirati (Y.PRK.MK), 20/150, (5 R 1323 / 10 May 1905).
[36] BOA. Yıldız Perakende Evrakı Umum Vilayetler Tahrirati (Y.PRK.UM) 69/98 (24 Ra 1322/8 June 1904); BOA. Yıldız Kamil Paşa Evrakı (Y.EE.KP) 25/2498 (26 C 1323/ 28 August 1905);BOA. Yıldız Perakende Evrakı Zaptiye Nezareti Maruza- ti (Y.PRK.ZB), 28/31 (6 Ra 1319 / 17 December 1901); BOA. Yıldız Yaveran ve Maiyet-i Seniyye Erkan-i Harbiye Dairesi, (Y.PRK.MYD), 23/61 (1318 / 1901).
[38] BOA. Yıldız Perakende Evrakı Adliye ve Mezahib Nezareti Maruzatı (Y.PRK.AZN) 21/28 (24 R 1318/21 August 1901).
[39] BOA. Yıldız Kamil Paşa Evrakı, (Y.EE.KP), 8/794, (1314 / 1897.); BOA. Yıldız Esas Evrakı, (Y.EE), 84/122, (1298 / 1881); BOA. Yıldız Sadaret Hususî Maruzat Evrakı, (Y.A.HUS), 383/123, (7 T 1298 / 19 October 1882); BOA. Yıldız Perakende Evrakı Askerî Maruzat, (Y.PRK.ASK), 244/24, (25 M 1325 / 10 March 1907).
[40] Ottoman reports are very uneven in revealing details about this type of informant; in some cases we learn their names, location, age, citizenship, marital status, level of reliability, etc. while in others merely a name and occupation is given without further information.
BOA. Yıldız Perakende Evrakı Hariciye Nezareti Maruzâtı,, (Y.PRK.HR), 27/2 (8 Z 1316 / 20 March 1899); BOA. Yıldız Mutenevvi Maruzat Evrakı (Y.MTV), 165/221, (26 Ra 1315 / 18 February 1898); BOA. iradeler Hususî, (i.HUS), 50/1314/ Ca-28 (17 Ca 1314 / 23 November 1896);BOA. Sadaret Mühimme Kalemi Evrakı (A.MKT.MHM) 544/17 (10 S 1316 / 30 June 1898); BOA. Zabtiyye, (ZB), 616/112 (25 M 1324 / 21 March 1906); BOA. Yıldız Perakende Evrakı Hariciye Nezareti Maruzâtı (Y.PRK.HR), 27/24, (10 Z1316 / 21 April 1899).
[41] BOA. Yıldız Esas Evrakı (Y.EE) 15/65 (26 Ş 1320/28 November 1902).
It is worth noting that the Ottoman officer in London who penned this report is not admonishing Elias directly, but rather to his own superiors in Constantinople; whether this is because of a sense of propriety or a subtle hint in questioning from an Ottoman viewpoint of usefulness the long-term reliability of a man who has once deceived his superiors in the British embassy already, remains unclear. There is also the considerable probability that he was aware of the chances of British intelligence intercepting his message, and thus perhaps was attempting to cover his position in recruiting the employee of a foreign government to the service of the Ottoman state by showing disapproval of such behavior on the part of Elias for “volunteering” information.
[42] This statement is certainly valid until 1914; the beginning of World War I changed the priorities of these states, to put it mildly.
[43] Richard Bach Jensen, “The International Anti-Anarchist Conference of 1898 and the Origins of Interpol,” Journal of Contemporary History 16, no.2 (April, 198): 323–347. Also on the subject, including the St. Petersburg protocols, Mathieu Def- lem, “International Police Cooperation —History of,” in The Encyclopedia of Criminology, ed. Richard A. Wright and J. Mitchell Miller (New York: Routledge, 2005): 795–798.
[44] There are numerous reports from Ottoman delegates at this conference. Some of the more interesting and informative examples can be found at:BOA. Yıldız Sadaret Hususî Maruzat Evrakı (Y.A.HUS) 389/123 (26 Ca 1316/12 October 1898); the Rome conference of 1898 had a further legacy in the second Anti-anarchist conference in 1904, this time in St. Petersburg. This conference actually yielded well-formulated written protocols (“Secret Protocol for the International War on Anarchism”) signed by all the participants. For an example of Ottoman reports on the St.Petersburg conference, BOA, Emniyet-i Umumi- ye Mudiriyeti Evrak Odasi Belgeleri (DH.EUM.VRK) 9/62 (14 March 1904).
[45]The New York Times, December 18, Wednesday, 1898, 18. Italics from original text.
[46] Jensen argues a very similar point in his study, but cuts it rather short. The importance of reducing propaganda by the deed anarchism to common criminal activity is a momentous one, nothing less than a paradigm-shift in how modern governments learned to respond to this threat. This paradigm is still very much alive today, with discursive elements such as “terrorism” being used indiscriminately (or, rather precisely and knowingly) for any kind of violence directed against states, regardless of the nature of the targets or the involvement of civilians.
[48] Mehmet Ö. Alkan, “Baha Tevfik ve İştirak’teki İmzasız Yazıları,” Tarih ve Toplum 83 (1990): 7; “Baha Tevik’in Siyasal Düşünüşü,” in Sosyalizm ve Toplumsal Mucadeleler Ansiklopedisi (Istanbul: Iletişim Yayınları, 1989), 1814–1815; Aclan Sayılgan, Türkiye’de Sol Hareketler, 1871–1972 (Istanbul: Hareket Yayinlari, 1972); Fürüzan Hüsrev Tökin, Türkiye’de Siyasi Partiler ve Siyasi Düşüncenin Gelişmesi, 1839–1965 (Istanbul: Elif Yayinlari, 1965); Mete Tunçay, Türkiye’de Sol Akimlar, 1908–1925 (Istanbul: Iletişim Yayınları, 2009); The two primary sources used for this section are: Baha Tevfik, Felsefe-i Ferd; Baba Tevfik, Nietsche: Hayati ve Felsefesi (Istanbul: Karşı Kıyı Yayınları 2001).
Le 19 janvier 1880 a eu lieu Aux Tanneurs, Grand’Place, une séance de la Ligue anarchiste sous la présidence de Steens. Sont présents : Debuyger, J. Claeskens, Spilleux, Hertschap, D. Voglet, Rogue, Verrycken, E. Govaerts, Fremineur, Delsante et Thiry. Ordre du jour : « Publication du journal Le Drapeau rouge ».
La parole est donnée à Verrycken, secrétaire correspondant, qui donne lecture de trois lettres.
1° C’est Brousse qui demande à conserver sa liste une quinzaine de jours, afin de recueillir des souscriptions dans les clubs de Londres.
2° Verviers souhaite la bienvenue au journal et envoie 4,50 fr., montant d’un abonnement.
3° Dacosta écrit d’Italie qu’il se propose d’envoyer beaucoup d’articles. Il se charge de vendre une quantité d’exemplaires.
Steens. Lorsque quelqu’un de nous sera invité à l’étranger à un meeting ou à une conférence, il pourra se charger de vendre le journal dans la localité.
Verrycken. Mlle Dumont veut bien se charger de traduire en français les journaux allemands, russes et portugais. Steens traduira ceux d’Espagne, d’Italie et de Hollande; E. Govaerts ceux d’Angleterre. L’existence du journal est donc assurée.
Spillieux est d’un avis contraire. Au mois de février nous aurons en caisse environ 100 francs, ce qui équivaut à la publication de deux numéros. Si, comme je le prévois, on ne recueille pas d’abonnements, on fera des dettes. A ce moment je vous déclare que je donne ma démission. Le seul moyen d’assurer la vie à notre journal est d’imposer à chacun des membres de la ligue une cotisation de 50 centimes par membre et par semaine. A ceci viendront s’ajouter la vente du journal, les souscriptions permanentes, les abonnements, etc. (comme dans Le Cri du Peuple) et nous pourrons avec toutes ces ressources publier un numéro par mois.
Verrycken, Delsant, Debuyger, Govaerts, Claeskens se sont entendus avec Brismée. Celui-ci fournira les mille premiers exemplaires moyennant 42,50 fr. Le second mille ne coûtera plus que 18 fr. Les articles lui seront remis le mercredi soir au plutard pour être publiés le vendredi vers 3 ou 4 heures de l’après-midi. Le journal paraîtra le 1er février. L’éditeur entend bien qu’il y aura une signature responsable.
NOTES
Les délégués pour le congrès sont : pour Anvers : Coenen et Goodschalck; pour Gand: Anzeel, Vanbeever et Verbauwen; pour Bruxelles : Seconde, Massin et Van Cauwenberg; du Vreyheydsbond : Bartholomeus, Bertrand, Depaepe, Duvergé, Chauvière et Stuyck; pour Molenbeek : Dewit, Bosiers et G. Goodschalck. Le congrès aura lieu dans la salle du Cygne. Ce congrès aura probablement lieu le ier février prochain et aura pour ordre du jour : le suffrage universel.
Photo anthropométrique Alphonse Bertillon. Collection Gilman. Métropolitan museum of art. New-York
Né le 30 novembre 1864 à Paris (IVe arr.) ; mort le 12 septembre 1953 à Plaisir(Yvelines) ; ciseleur ; anarchiste parisien.
Le 9 août 1890, Pierre Fabre se mariait à la mairie du IIIe arrondissement de Paris avec Elisa Guyet, plumassière. Il était domicilié chez sa mère 17 rue Chanvinesse.
Le 19 février 1893, il participait à une soirée familiale, organisée par les anarchistes, 124 rue Oberkampf, salle Dumont.
Le 4 juillet 1893, vers 17h 30, des anarchistes, parmi lesquels se trouvaient Chauvière, Gorges Renard, Brunck, Maurice Fabre, au cours de la manifestation étudiante du boulevard Saint-Michel et place Saint-Germain, contribuaient à renverser nombre de véhicules pour construire des barricades. Ils se rendaient sur la proposition de Brunet, chez l’armurier rue de Rennes, pour le dévaliser.
Le 20 juillet 1893, l’indicateur Z. 10 notait que Fabre qui travaillait avec Loiselier, 13 rue Dussoubs, avait un atelier 25 rue de l’Orillon où il travaillait avec le « Petit Louis »
Le 15 mars 1894, son domicile 1 rue Nys était perquisitionné. Il était arrêté, interrogée par M. Fédée, officier de Paix à la Préfecture de police et conduit au Dépôt. Sa notice individuelle était envoyée au juge d’instruction le 3 avril. Il était libéré le 21 avril.
Son dossier à la Préfecture de police portait le n°328.148.
Le 31 décembre 1896, Pierre Fabre était inscrit sur la liste récapitulative des anarchistes, son adresse était au 12 rue Grenier Saint-Lazare (avril 1895). En 1911, il était noté disparu.
SOURCES : Archives de la Préfecture de police Ba 1500 — Les anarchistes contre la république de Vivien Bouhey. Annexe 56 : les anarchistes de la Seine — Archives de Paris. État civil — Le Peuple français 16 mars 1894.
Photo anthropométrique Alphonse Bertillon. Collection Gilman. Métropolitan museum of art. New-York
Né le 25 janvier 1851 à Lyon (Rhône), mort à Paris le 24 avril 1896, dessinateur, architecte, conférencier, gérant du Père Peinard.
Louis Durey s’était engagé à 19 ans dans un bataillon de francs-tireurs. Il avait été blessé en allant ramasser son capitaine gravement blessé qu’on avait caché dans un bois. En 1871, il était venu avec les pompiers volontaires, pour éteindre les premiers incendies de la Commune. En arrivant, il avait rencontré un parent qui avait pris une part active à l’insurrection, il s’était promené avec lui et quatre ans plus tard, il était arrêté et fut condamné, le 25 novembre 1874, à 4 ans de prison par la cour d’assises de la Seine mais selon la Préfecture de police cette condamnation résultait d’un détournement d’argent au préjudice de son patron.
Le 15 janvier 1882, plus de 200 personnes avaient répondu à l’appel de la Fédération socialiste ouvrière de la Côte d’Or. Louis Durey engagea les chambres syndicales à se fédérer entre elles. Dans le journal la Tenaille du 10 novembre 1882, il fit paraître, pour le Groupe d’études sociales de Dijon, un communiqué de solidarité avec les militants arrêtés lors des troubles de Montceau les Mines (Saône et Loire), réclamant leur mise en liberté immédiate.
Le 26 novembre 1882, il participa avec sa mère, comme assesseurs à une conférence privée de la Fraternité Société d’ouvriers réunis, Monod y était également présent.
Durey fut condamné le 6 avril 1883 à Dijon à 15 jours de prison et 50 francs d’amende pour s’être fait inscrire sur les listes électorales, alors qu’il était déchu de ses droits politiques à la suite de sa condamnation encourue à Paris.
En février 1887, Durey demeurait 10 rue Quentin, avec sa mère, il se trouvait sans occupation. Il était fréquemment absent de 6 ou 8 jours, sans que l’on en connaisse le motif.
Durey qui résidait 3 boulevard Sévigné, chez sa mère à Dijon, aurait fait partie du groupe anarchiste « Les Résolus ».
Il serait venu à Paris vers le 14 juillet 1889.
A l’occasion du procès devant la cour d’assises de la Loire des complices de Ravachol, Sébastien Faure fit une tournée de conférences dans la région. Il se développa alors un débat sur la question du « droit au vol et à l’assassinat ». Les anarchistes locaux, emmenés par Dumas, soutenaient ce droit, sans la moindre distance, Sébastien Faure, lui, soulignait les effets néfastes du crime de l’ermite de Chambles pour les anarchistes, Louis Durey prenait une position intermédiaire.
Il avait remplacé Sébastien Faure, malade, à la conférence du 24 novembre 1891 au Prado de Saint-Etienne : « Sous le régime bourgeois dans lequel nous vivons, alors que les lois assurent la sécurité de la propriété individuelle qui n’est autre chose que le vol légalisé, il est impossible de ne pas reconnaître que le malheureux qui, poussé par le besoin et pénétré de cette vérité que tout n’est pas à quelques-uns, mais bien à tous, dérobe ce qui est nécessaire à son existence et à celle de ses enfants, ne commet aucun acte répréhensible. Il ne fait que reprendre par la force une partie de ce qu’on lui a arraché par la force. Et dans ce cas, entre celui qui vole et celui qui tend la main, toutes les sympathies anarchistes vont au voleur qui est énergique, tout son mépris au mendiant. »
Concernant l’assassinat, le compagnon Paul François, déclara que ses amis et lui, sans préconiser les actes de cette nature, étaient toujours portés à penser « qu’ils ont dans l’esprit de celui qui les commet, une cause utile au triomphe des idées anarchistes ». Dans ces conditions, il s’abstenait de juger.
Le 30 novembre 1891, Durey était à Roanne, à une réunion publique organisée par la Chambre syndicale des tisseurs à la Bourse du travail. Paul Lafargue député du Nord prononça un discours, interrompu par de violentes exclamations d’anarchistes. A un moment François Durey ayant escaladé la tribune, voulut prendre la parole. Un tapage indescriptible s’ensuivit. Le tumulte se termina par l’expulsion des interrupteurs, avec force coups de poing. Mais Paul François s’efforça de regagner la tribune, au milieu d’applaudissements émanants des compagnons disséminés dans la salle et d’une bordée de sifflets. Il fut de nouveau expulsé.
Le 24 décembre 1891, Sébastien Faure tenait une réunion publique salle Rivoire. Durey assistait à cette réunion où selon un rapport de police, « il était la coqueluche d’une dizaine de femmes ou filles anarchistes amenées par la concubine du compagnon Poyet et par le compagnon Dumont. »
Le 3 janvier 1892, la Jeunesse anarchiste tenait une réunion au café Marcelllin, Durey y assistait, il fut décidé de faire un timbre au nom du « Groupe anarchiste de la Jeunesse de Lyon ».
Le 11 janvier Durey participa à une réunion à laquelle assistaientt Sébastien Faure et des militants lyonnais. L’objectif était l’organisation d’un groupe spécial destiné à former des orateurs. Dans ce but, ils s’exerçaient entre eux de façon à s’habituer à prendre la parole en public et surtout à faire la contradiction avec les orateurs du parti socialiste.
Durey signa des affichettes appelant à un congrès régional anarchiste le 17 janvier 1892 à 9h du matin, salle des Folies-Gauloises suivi en soirée d’une fête familiale petite salle de la brasserie Corompt, 33 cours Gambetta.
Le congrès régional avait réuni 100 compagnons venus de St Etienne, St Chamond, Teerenoire, Chambon, Vienne, Villefranche, l’Arbresle, Mâcon et Dijon.
Paul François pris le premier la parole sur la manifestation du 1er mai, pour essayer de détourner les anarchistes d’y prendre part, parce qu’elle était organisée par les socialistes.
Lors de la soiré familiale, il se tenait à l’entrée et il était chargé de percevoir le droit d’entrée de 30 centimes.
Le 23 janvier 1892, Durey confia à ses compagnons qu’il avait l’intention d’entreprendre un jeune plus ou moins prolongé comme jadis Succi et Merlatti (qui s’exhibaient en jeûnant de 30 à 50 jours, pour gagner de l’argent). Il ferait paraître dans les journaux une note invitant les parieurs à se présenter, l’argent ainsi gagné serait affecté à la propagande. Mais il ne semble pas que ce projet ai abouti.
Le 26 janvier, le groupe de la Jeunesse antipatriote tenait une réunion au café Marcellin, pour prendre les dernières mesures au sujet de la manifestation projetée à St Genis Laval, à l’occasion du tirage au sort du jeune Odin, Durey et Fortuné étaient présents. Le 27, les jeunes compagnons passèrent à l’action, les frères Condom tenaient le drapeau rouge.
Desgranges, cordonnier à Villefranche écrit à Durey et Ramé, pour les inviter à venir prendre la parole dans une réunion organisée le 29 janvier soir même, salle des Conférences, par le groupe de la Libre Pensée. Durey accepte par télégramme.
Le 6 février Paul François et Fortuné Henry tenaient une conférence à la salle du Théâtre de Givors. Les deux conférenciers étaient logés depuis trois jours chez Serindas, ouvrier verrier gréviste. Quatre vingt personnes assistaient à la conférence dont le sujet était « La crise économique et ses conséquences ». Pour eux la propriété individuelle avait fait son temps, il fallait la transformer en propriété sociale. Il fallait aussi supprimer l’autorité et le gouvernement qui n’avaient été établis que pour défendre la propriété bourgeoise : « On parle de liberté, mais tant que l’autorité existera, nous ne serons pas libre, il y aura toujours deux classes de citoyens : les exploités et les exploiteurs ». Le soir eut lieu une deuxième conférence mais 24 personnes seulement y assistaient.
Pour couvrir les frais de la conférence, l’entrée était fixée à 25 centimes mais au vu du petit nombre de spectateurs Fortuné et Duray, à bout de ressources durent faire une quête pour se procurer les moyens nécessaires afin de pouvoir se rendre à Rive de Giers.
Le 17 février 1892, Durey informa les 400 personnes rassemblées salle Rivoire que Sébastien Faure était parti la nuit précédente pour Paris et que ce départ était motivé par la condamnation qui l’avait frappé la veille en cours d’assises (18 mois de prison et 1.000 francs d’amende) dont il avait fait opposition. Durey remplaça donc S. Faure au pied levé sur le sujet prévu : « Le socialalisme chrétien ». « Il est assez bizarre de voir l’église catholique défendre les intérêts de la classe prolétarienne. Elle a eu dix-huit cents ans pour s’en occuper et elle n’a rien fait ; aujourd’hui qu’elle n’a presque plus de prestige, elle prétend venir au secours des ouvriers. Au moyen-âge l’esclavage existait et elle ne l’a pas empêché. Jusqu’en 1789, il y a eu des serfs dans les abbayes et ils étaient aussi malmenés que les serfs seigneuriaux.
Tant que l’église catholique a eu le pouvoir en main, elle ne s’est jamais occupé des travailleurs. Aux forts, elle prêchait la douceur et aux faibles la résignation, leur faisant croire qu’une vie meilleure les attendait dans l’autre monde ». Durey fit savoir que pour le 1er mai, tout comme Sébastien Faure, il n’était pas partisan de la manifestation : « c’est un jour mal choisi ; car le gouvernement a pris toutes ses mesures pour réprimer le moindre mouvement révolutionnaire qui pourrait se produire… La manifestation du 1er mai est suspecte, elle a été votée dans un Congrès par des gens qui sont suspects ».
A propos des attentats de Ravachol à Paris, Durey déclara que « les coups portaient mal, qu’on aurait du viser les personnages de marque, hauts fonctionnaires, etc… ».
Lors de la parution du journal L’Agitateur à Marseille, Durey se chargea de prévenir Sébastien Faure qu’à Paris la vente du journal était négligée. A la même époque Durey envoya 30 francs à Dumas de Saint-Etienne pour faire commencer l’impression d’un manifeste abstentionniste.
Le 3 avril Durey quitta Lyon.
Le 25 avril 1892, Durey se trouvait inclus dans une liste d’anarchistes lyonnais poursuivis pour association de malfaiteurs.
Louis Durey fut à partir du 13 mars 1892 et jusqu’au 24 avril, le gérant du Père Peinard.
Il fut condamné en cette qualité le 28 juillet 1892 à un an d’emprisonnement et 1.000 francs d’amende, par la cour d’assises de la Seine, pour provocation au meurtre, non suivie d’effet à la suite de la publication de deux articles intitulés : « Le 1er mai » et « Les crimes des proprios ». Il accepta toute la responsabilité des articles et déclara qu’il lui était indifférent d’être condamné ou acquitté et qu’il ne cherchait dans sa plaidoirie qu’une seule chose : à faire comprendre aux jurés les beautés de l’anarchie.
Il s’était pourvu en cassation, son pourvoi fut rejeté le 25 août.
Durey fut arrêté à Dijon le 8 septembre 1892 et écroué à la maison d’arrêt.
Le 28 septembre 1892, il écrivit au directeur de la prison afin d’être transféré au quartier des détenus politiques de Sainte-Pélagie à Paris. Le 1er octobre, la Direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice accédait à sa demande.
Le 9 mars 1893, de Sainte Pélagie, il envoya une lettre à Sébastien Faure emprisonné à Clairvaux : « crois bien que tous ici, d’Axa, Habert, Zevaco, Martinet, Pemjean même et ton tout dévoué copain surtout, nous serions heureux d’avoir de tes nouvelles« .
En avril 1893, à Ste Pélagie une épidémie d’influenza frappa plusieurs détenus dont Durey, ils furent atteint de fièvre.
Remis en liberté le 13 mai 1893, ayant purgé plus de la moitié de sa peine, il bénéficia d’une libération conditionnelle. Il demeura 30 rue des Paquerettes à Alfortville chez Léon Goupy géomètre-expert qu’il avait connu à Sainte-Pélagie. Durey était lié à Pol Martinet
Durey fut arrêté le 2 juillet 1894, dans le cadre de la rafle pour association de malfaiteurs.
François Durey mourut le 24 avril 1896 à l’hôpital Saint Antoine à Paris.
SOURCES : Arch. Dép. de la Loire 1 M 528 — Arch. Dép. de l’Aube, 1 M 640 — Archives nationales, F7 12506 — Le Salut public 1er décembre 1891 — Arch. Dép. du Rhône 4 M 311, 312 — Arch. Dép. De la Côte d’Or 20 M 242 — Notes Rolf Dupuy. — Le Petit Parisien 29 juillet 1892 — La Libre Parole 10 novembre 1892, 26 avril 1896 — L’Intransigeant 20 avril 1893 — Gil Blas 3 mai 1893 — La Cocarde 12 mai 1893
Photo anthropométrique Alphonse Bertillon. Collection Gilman. Métropolitan museum of art. New-York
Né le 9 août 1849 à Roquesteron, arrondissement de Grasse (alors dans le Var) ; employé de banque, anarchiste illégaliste, bagnard.
Crespin fut condamné pour coups à Grasse en 1878. Il était valet de chambre et épousa une femme de chambre allemande. Il travailla comme employé de banque à Paris, courtier en vins, garçon de magasin. Il fut ensuite embauché par Manem de Breteauville, directeur de la banque du Sud-Ouest, 26 rue de Feydeau à Paris.
Crespin associé à Manem se trouvait en « affaires » avec des cambrioleurs anarchistes dont probablement Placide Schouppe et Léon Ortiz, pour le vol chez M. Flandrin à Abbeville et pour celui de Piquefleur.
Le vol d’Abbeville avait été commis, semble-t-il, par Placide Schouppe (et peut-être par Ortiz) dans la nuit du 13 au 14 août 1892, chez M. Flandrin, ancien magistrat. Une quantité importante de titres dont 19 obligations ottomanes, quelques-uns nominatifs et un grand nombre au porteur avaient été dérobés, ainsi que des bijoux, de l’argenterie, quelques objets d’art et un brillant valant 500 francs. Le total représentait une somme de 400,000 francs.
Le chef de la police métropolitaine de Londres prévenait le préfet de police que l’un des auteurs du vol avait laissé son adresse chez Mlle Chazeaud, 1 passage du Saumon à Paris. La correspondance saisie par la police à cette adresse fit découvrir une lettre de Manem de Breteauville. Le 23 novembre Manem fut arrêté. Celui-ci avoua qu’il s’était occupé avec l’aide de Crespin, son employé, de la négociation des titres volés. Mais d’après Manem les titres n’auraient pu être négociés et il chargea Crespin de les restituer à l’anarchiste Cesare Cova, par l’intermédiaire de Léon (Ortiz). Cet échange eut lieu a une date non précisée, Crespin rencontra Ortiz, au siège de la Révolte, pour « liquider leurs affaires » sous l’arbitrage de Jean Grave, à son corps défendant, celui-ci ne voulant pas se mêler de l’affaire. Ils sortirent des paquets de valeurs provenant du vol d’Abbeville, parmi lesquelles des ottomanes que Grave aperçut, et se les divisèrent entre eux après bien des contestations, puis s’en allèrent.
La police était persuadée que Placide Schouppe était l’auteur du vol d’Abbeville, Ortiz fut en tout cas complice ou auteur lui-même. Selon Crespin l’auteur du vol était un nommé Henry Dumont, habitant Londres. Mais cherchait-il à égarer la police ? Lors de perquisitions la police saisit des lettres échangées entre Crespin et Manem où il était question d’Henri Dumont, Marocq ( probablement Marocco), Cova et Léon (Ortiz), Crespin y indiquant les précaution qu’il devait prendre pour négocier les titres.
Lors de l’arrestation en Belgique de Placide Schouppe, la police retrouva sur lui une lettre de Crespin signée « André ».
Le 9 juillet 1893, la cour d’assises de la Somme condamna pour recel de titres Crespin à 8 ans de travaux forcés et Manem à 7 ans de réclusion. « Tous deux, directeurs à Paris d’une sorte d’agence interlope pour la négociation en Angleterre des titres dérobés, ont révélé à la justice, après le verdict du jury, que Ortiz, l’un des coupables, lui avait échappé ».
La police vint interroger Grave plus tard, celui-ci répondit qu’il connaissait à peine les intéressés et n’avait aucun souvenir de cette rencontre. A cette époque Manem et Crespin se trouvaient emprisonnés pour l’affaire d’Abbeville. Selon Grave, Crespin aurait été cité comme témoin détenu, lors du procès des Trente (voir Elisée Bastard).
Crespin fit partie du convoi vers le bagne de Guyane avec Chenal, Meyrueis et Foret. Ils débarquèrent tous à l’Ile Royale. Crespin vint seul saluer Clément Duval qui s’y trouvait déjà. Ils furent transportés ensuite à l’Ile Saint Joseph où Crespin ne fréquenta pas les anarchistes. « Il fut ensuite renvoyé à l’Ile Royale, où il tenta une évasion sur un radeau Il échoua, eut une punition de 60 jours de cellule et fut envoyé à Cayenne », écrivait Duval.
Cette évasion du 3 mars 1894 ne dura que trois jours. Elle fut suivie de plusieurs autres : évadé le 25 mars 1896, repris le 29 mars ; évadé le 1er octobre1896, repris le 2 ; évadé le 20 janvier 1897, repris le 30 mars ; évadé le 17 juillet 1898, repris le 18 ; évadé le 24 septembre 1898. Chaque évasion lui valait des peines de cachot.
Cette dernière évasion était-elle la bonne ? Crespin aurait pu semble-t-il continuer ses activités de recel, comme le laisse supposer un dossier de justice : « Recel et négociation de titres de valeur de bourse volés par les nommés Manem, directeur de la Banque du Sud-Ouest à Paris et Crespin, anarchiste, 1895-1898 ».
SOURCES : Le Rappel 17 août 1892 et du 10 juillet 1893, Le Matin 22 mars 1894 (Gallica) — Le Progrès de la Somme 7 et 8 juillet 1893, L’Abbevillois 8 juillet 1893, Arch. dép. de la Somme — Albert Bataille, Causes criminelles et mondaines, 1894 — Moi, Clément Duval, bagnard et anarchiste, présenté par Marianne Enckell, Les éditions ouvrières, 1991 — Note Marianne Enckell — Vivien Bouhey, Les anarchistes contre la République, PPUR — Jean Grave, Quarante ans de propagande anarchiste, Flammarion, p. 433 — ANOM dossier H 3924 et H 1281 — Arch. Nat. BB24 908 5751.
Le nommé Mathieu Gustave-Louis, né le 27 février 1866 à Guise (Aisne), ouvrier peintre, sans domicile, détenu, a été mis en accusation et renvoyé devant la Cour d’assises du département de l’Aisne, séant à Laon, comme prévenu de vol qualifié.
Acte d’accusation.
Dans la nuit du 30 novembre au 1er décembre 1892, un vol d’une somme de 6,428 fr. était commis dans les bureaux de l’Economat du Familistère de Guise : le coffre-fort avait été fracturé après qu’on eût tenté de le scier, et le vol avait dû être commis par deux individus dont le veilleur de nuit avait constaté la présence dans le voisinage de ces bureaux quelques instants avant qu’il ne s’aperçut du vol.
Le 14 février 1893, en arrivant à son travail à 6 heures 1/2 du matin, le comptable de la fonderie Nanquette, à Saint-Michel, s’aperçut que la porte du bureau était entr’ouverte. Le coffre-fort, pesant environ 400 kilog. et placé dans un coin près de la porte d’entrée, avait été transporté au milieu de la pièce et scié à la hauteur des serrures. Tous les tiroirs avaient été ouverts et des papiers épars jonchaient le sol. Ce coffre-fort contenait 2,465 fr. en or et en billets : un pistolet chargé à deux coups, du système dit Lefaucheux, qui se trouvait dans un tiroir situé à la partie inférieure du coffre, avait été également soustrait ainsi que des timbres et divers objets de bureau. Enfin, dans la nuit du 24 au 25 février 1893, un nouveau vol avait été commis à Saint-Michel, à l’orphelinat Savart : après avoir, à l’aide d’une sorte de levier, descellé trois barreaux et fracturé les fenêtres et les contre-vents, des malfaiteurs s’étaient introduits dans le bureau et avaient dérobé une somme d’environ 1600 fr. Ces trois vols, qui dénotent chez leurs auteurs une connaissance approfondie du maniement des métaux, présentent dans leurs procédés d’exécution de grandes analogies et paraissent avoir nécessité la collaboration de deux ou trois personnes. L’on désespérait de découvrir jamais les coupables, lorsqu’un heureux hasard livra à la justice l’auteur ou le co-auteur de l’un au moins de ces vols.
La rumeur publique à Saint-Michel accusait un ouvrier de Sougland, le nommé Albaret, de n’être pas étranger à ces méfaits. Depuis quelque temps, il faisait au comptant des achats de denrées que sa situation pécuniaire lui interdisait auparavant. Ces soupçons furent corroborés par l’enquête à laquelle il fut procédé. Albaret avait reçu du 4 au 6 février 1893, c’est-à-dire quelques jours avant le vol Nanquette, la visite de deux individus se faisant appeler Jason et Joseph Dumont. Ce dernier avait couché deux nuits chez une débitante voisine, la dame Jupin. En outre, la veille du vol commis à l’orphelinat Savart, il lui avait été adressé de Couvin (Belgique), une dépêche signée : « Joseph. »
On n’avait là que de bien vagues indices, lorsque le 25 mars, Albaret reçut de Marienbourg (Belgique), une dépêche signée aussi « Joseph » et ainsi libellée : «Excusez si manqué hier, comptez sur moi ce soir. »
Le même jour, on constatait l’arrivée à Saint-Michel d’un individu porteur d’un sac de voyage en cuir noir et vêtu d une pèlerine. Cet étranger après avoir été rejoint dans la ville par Albaret et un ouvrier mouleur nommé Hennequin, se dirigea avec eux vers la maison d’Albaret, où ils furent bientôt arrêtés par la gendarmerie.
L’étranger déclara se nommer Joseph Dumont et fut confié à la garde du gendarme Révolte qui sortit avec lui pour le séparer de ses compagnons et lui mit une chaîne à l’un des poignets. Tout à coup il le vit fouiller de sa main restée libre dans la poche de son paletot, il le prévint et saisit un pistolet Lefaucheux chargé à deux coups, dont Joseph Dumont tenait déjà la crosse, ce dernier saisit alors le gendarme et le fit rouler à terre. L’arrivée du maréchal dès logis le mit dans l’impossibilité de résister plus longtemps ; se voyant maîtrisé, il adressa aux gendarmes diverses injures, telles que : « Canailles, crapules, brigands. »
Joseph Dumont n’était autre que l’anarchiste Gustave Mathieu, qui s’était enfui de Bruxelles, après l’arrestation de Remy Schouppe. Il est né le 27 février 1866 à Guise, où il a travaillé en qualité d’ouvrier mouleur. Le sac de voyage dont il était porteur, contenait entre autres objets, une fausse barbe et des montres dont il n’a pas voulu indiquer la provenance ; il avait en outre, sur lui, dix cartouches de calibre du pistolet dont il avait voulu faire usage contre le gendarme, et un billet de banque de 100 fr. ; il a reconnu que cette somme ne provenait pas de son travail.
Mathieu prétend que ses voyages à Saint-Michel n’avaient d’autre but que de rendre visite à Albaret et que, s’il est venu chez lui le 25 mars, c’était uniquement pour lui faire ses adieux avant d’aller à Paris où il comptait être plus en sûreté qu’en Belgique. Il est inadmissible qu’un individu comme Mathieu eut été assez imprudent pour venir dans son pays où il se savait surveillé et où il courait bien le risque d’être reconnu par un compatriote, si son voyage n’eut pas eu un but plus important et plus intéressé qu’une visite à un ami. L’emploi du télégraphe prouve combien il tenait à prévenir de son arrivée.
La lettre adressée à Albaret par Mathieu sous la signature « Henri Sason », et dans laquelle il désigne Hennequin par son sobriquet de « Porte-plume », ne laisse aucun doute sur l’intimité des relations existant entre ces trois individus. Toute fois, on n’a pu relever aucune charge contre Albaret et Hennequin. De même, il n’y a pas de traces de la culpabilité de Mathieu en ce qui con cerne le vol Savart et celui du Familistère de Guise.
En ce qui concerne le vol Nanquette, sa culpabilité ne parait pas faire aucun doute ; il est établi, en effet, par les déclarations des divers témoins entendus à Bruxelles, que Mathieu était en relations suivies avec les frères Schouppe, qui sont des mécaniciens consommés, et comme on l’a vu, l’effraction du coffre-fort de l’usine Nanquette témoigne de l’intervention d’une main habile à travailler les métaux. Placide Schouppe habitait Bruxelles sous le nom de « Charles » et y fréquentait Mathieu qui se faisait appeler « Jules ».
La faible distance qui sépare celte ville de Saint-Michel, la connaissance que Mathieu avait du pays, tout permet de conclure qu’ils n’ont pas été étrangers aux trois vols en question. Il résulte de l’enquête à laquelle il a été procédé à Bruxelles que Placide Schouppe a quitté cette ville, le lundi 3 février, pour ne rentrer que le mardi 14, dans la soirée ; à son retour, il était en possession d’une somme importante et a laissé voir de nombreux louis d’or aux personnes avec lesquelles il s’est trouvé après son absence. Il aurait dit à sa logeuse qu’il allait à Saint-Quentin. Mathieu n’a pas été vu davantage à cette date dans le cabaret qu’il fréquentait habituellement, et cette date est précisément celle du vol Nanquette.
Mais il pèse sur Mathieu une charge beaucoup plus grave : le pistolet système Lefaucheux trouvé sur lui lors de son arrestation, a été, à deux reprises différentes, formellement reconnu par M. Heyer, gérant de l’usine, comme étant le pistolet soustrait la nuit du vol dans la partie inférieur du coffre-fort. La présence de taches de rouille sur certaines parties du canon, l’essence et la couleur du bois de la crosse, et enfin les détériorations subies par des vis de l’arme qui avaient été tournées avec un tourne-vis trop grand pour l’encoche, ne laissent, a-t-il affirmé, aucun doute dans son esprit sur l’identité du pistolet. Il lui avait été donné par son beau-frère en 1866 et ce dernier, dans une lettre qui se trouve au dossier, spécifie que la crosse est en noyer. L’accusé prétend avoir acheté ce pistolet à Bruxelles pour la somme de 3 fr. à un marchand de ferrailles qui se tenait disait-il, sur le Vieux-Marché, à un endroit qu’il a précisé, il a en outre donné le signalement de ce marchand.
On a représenté à Bruxelles la photographie de Mathieu et le pistolet à un brocanteur dont le signalement correspond à celui indiqué par lui : cet individu a affirmé n’avoir pas eu de pistolet depuis deux ans, ajoutant qu’en tout cas, il n’en aurait pas vendu un semblable moins de 6 francs. D’autres marchands à qui l’arme et la photographie ont été représentées ne les ont pas davantage reconnus.
Dans ces conditions étant donné qu’un des objets volés a été trouvé en possession de Mathieu, sa culpabilité dans le vol Nanquette parait parfaitement établie.
Il résulte des indications recueillies par la sûreté que Mathieu formait avec les Schouppe et d’autres individus une association de malfaiteurs qui opérait en France et à l’étranger.
Gustave Mathieu qui a travaillé autrefois à Guise, à l’usine Godin, comme ouvrier mouleur, s’est toujours fait remarquer par des idées anarchistes et révolutionnaires ; il a été en 1887, inculpé d’excitation au meurtre et à l’incendie, mais à bénéficié d’une ordonnance de non-lieu.
En 1890, il a été condamné à un mois de prison, pour outrages et rébellion aux agents; enfin le 5 mai 1892, il a été condamné par défaut par le Tribunal de la Seine, à 5 ans d’emprisonnement et à 5 ans d’interdiction de séjour, pour complicité de vol. En conséquence le nommé Mathieu est accusé :
D’avoir à Saint-Michel en février 1893, à l’aide d’escalade et d’effraction dans un édifice, la nuit, de concert avec une ou plusieurs personnes demeurées inconnues, dans une dépendance de maison habitée, soustrait frauduleusement des objets mobiliers, au préjudice d’autrui Crime prévu et puni par les art. 381 § 4, 384, 386 du code pénal.
Journal de Saint-Quentin 10 août 1894
COUR D’ASSISES DE L’AISNE
Présidence de M. Durand, conseiller à la Cour d’appel d’Amiens.
Audience du 9 Août 1893
Affaire Mathieu
L’accusé a une contenance fort aisée, il répond avec une certaine assurance.
Le président retrace rapidement sa vie passée : excellent ouvrier aux fonderies de Guise, Mathieu s’est laissé aller à écouter les doctrines anarchistes, il a quitté Guise pour aller à Paris et devenir un anarchiste militant.
— Ne causons pas de cela, interrompt l’accusé, je ne suis ici que pour répondre à une accusation de vol.
Mathieu a eu des relations avec Ravachol, il a quitté Paris à l’époque de l’explosion du restaurant Véry, il craignait d’être inquiété.
— Non pas, M. le président, réplique Mathieu, j’ai connu, en effet, Ravachol, mais je n’ai pris aucune part aux explosions, une ordonnance de non-lieu de M. Atlhalin, à mon égard, en fait foi.
D. L’accusation relève contre vous une charge bien grave, bien accablante, on a trouvé sur vous le pistolet dérobé à l’usine Nanquette, et reconnu par son propriétaire. R. C’est un pistolet que j’avais acheté à Bruxelles.
D. Si vous êtes le voleur, vous êtes très adroit, vous désignez un marchand qui vous aurait vendu ce pistolet, mais malheureusement aucun des marchands du marché de Bruxelles, et notamment celui qui se rapportait au signalement indiqué par vous, ne vous ont reconnu sur votre photographie, mieux que cela, aucun n’a vendu de pistolet. R. J’ai demandé à être conduit à Bruxelles, pour trouver ce marchand, mais on m’a refusé ce moyen de justification.
Me Desplas, défenseur de l’accusé, dépose des conclusions tendant à remettre l’affaire à une autre session. Il n’est jamais trop tard, dit-il, de faire la lumière, Mathieu retrouverait certainement le vendeur du pistolet, à Bruxelles, et de ce voyage sortira, d’une façon éclatante, la preuve de l’innocence de son client.
M. le procureur de la République demande à la Cour de rejeter les conclusions de la défense.
Après une longue délibération, la Cour se range à l’avis de M. le procureur de la République, et l’audience est reprise.
Après une habile plaidoirie de Me Desplas, du barreau de Paris, le jury rapporte un verdict négatif. En conséquence, l’accusé Mathieu est acquitté.
Nous n’avons pu que mentionner rapidement dans notre dernier numéro l’arrestation du fameux anarchiste que la police cherchait en vain depuis si longtemps et qui parait compromis dans l’affaire des explosions.
Nous empruntons à l’Indépendant de Vervins qui en fait un récit aussi circonstancié qu’animé — c’est du reportage excellent — les détails de cette importante capture. Depuis quelques jours, le premier adjoint de la commune de Saint-Michel, M. Anceau, était informé par la rumeur publique, qu’un nommé Louis Albaret, âgé de 39 ans, mouleur — mais travaillant seulement de temps en temps — originaire de Sèvres (Seine-el-Oise), ayant travaillé à Guise, et n’habitant Saint-Michel que depuis environ un an, se livrait à des dépenses exagérées ; c’est ainsi que dans la maison, où précédemment on n’avait pas le moindre morceau de pain à se mettre sous la dent, figuraient sur la table des plats recherchés, et d’un prix qui était loin d’être en rapport avec la position d’Albaret.
M. Anceau avait essayé de trouver un indice pouvant le mettre sur la trace de l’argent si vite amassé par Albaret ; il n avait pu y parvenir, quand le hasard se mit de la partie.
Samedi, dans l’après-midi, deux gendarmes, le maréchal des logis Moroy et le gendarme Révolte étaient venus à Saint-Michel, procéder à une enquête dans le même but ; mais avant de se livrer à une enquête domiciliaire chez Albaret, ils durent aller aux renseignements et demander au patron qui employait Albaret de façon intermittente quelle somme celui-ci avait touché pour son travail à la dernière paye. Pendant que les gendarmes d’Hirson employaient tout le zèle qu’on leur connaît pour essayer de découvrir un indice certain, la nuit arrivait, et ils devaient continuer leur enquête tort avant dans la soirée.
A 10 heures du soir, M. Anceau adjoint, qui attendait l’arrivée d’un de ses neveux, se trouvait sur le quai de la gare Saint-Michel, causant avec M. Hourlier.
Le train arriva. Le peu de voyageurs qui descendent ordinairement de ce train de nuit furent bientôt sortis de la gare, et M. Anceau — dont le neveu n’était pas arrivé, retourna chez lui, accompagné de M. Hourlier.
Arrivés sur la place Rochefort, ces messieurs, favorisés par un beau clair de lune, aperçurent à peu de distance d’eux un petit groupe d’individus : l’un d’eux fut reconnu pour être Albaret, il était accompagné d’un jeune homme et d’un autre individu qui précisément venait de descendre du train de dix heures et qui avait été vu à la gare par les personnes qui se trouvaient sur le quai.
Ce conciliabule, à une telle heure,fit concevoir des doutes à M. Anceau qui, de concert avec M. Hourlier, se proposa de suivre la petite bande.
Nous devons dire que, en vue d’une perquisition qui devait être opérée ce jour-la par la gendarmerie, les deux gardes de St-Michel avaient été postés près de la maison d’Albaret, pour observer les allées et venues.
Il était près de onze heures quand les trois individus, dont nous avons parlé entrèrent chez Albaret qui demeure dans la rue des Leups ; ils étaient accompagnés de la femme d’Albaret qui était venue à leur rencontre.
Pendant cette petite promenade nocturne, les gendarmes se trouvaient chez le maire de Saint-Michel, attendant son retour ; on vint les chercher, et, accompagnés des personnes déjà citées, les gendarmes se dirigèrent rue des Leups. Chez Albaret un petit festin était préparé, le couvert était mis : on s’apprêtait à faire bombance avant de se concerter probablement pour un nouveau coup à entreprendre, quand soudain on frappa à la porte.
Avant qu’à l’intérieur on ait eu le temps de se reconnaître, les gendarmes, mis au courant de la situation et accompagnés des deux gardes de Saint-Michel, du maire et de son adjoint que le hasard avaient favorisés, entraient dans la maison.
Le maréchal des logis Mauroy, s’adressant à celui qui paraissait le plus effrayé de cette visite inopinée, lui demanda : Qui êtes-vous ?
L’individu répondit : Je m’appelle Joseph Dumont, je suis ici depuis deux jours ; je viens de Saint-Quentin.
Devant la fausseté évidente de cette déclaration, le maréchal-des-logis lui fit mettre immédiatement les menottes, le fit sortir et garder à vue par le gendarme Révolte ; pendant ce temps, on s’emparait d’Albaret et du troisième individu, qui n’était autre qu’Edmond Hennequin, âgé de 27 ans, demeurant à Saint-Michel, à la Bovette.
Joseph Dumont, tenu seulement par une main, en profita pour essayer de faire un coup de force. Il empoigna le gendarme Révolte par le cou et le secouant fortement faillit lui faire perdre l’équilibre.
Le gendarme se contenta de résister et de le maintenir, mais Dumont, s’apercevant qu’il avait affaire à forte partie, porta la main à la poche de son paletot et en tira doucement un pistolet chargé de deux coups.
Le geste avait été vu du gendarme Révolte et au moment où Dumont sortait son pistolet de sa poche, le gendarme, avec un sang-froid, et une présence d’esprit, qui dans les circonstances méritent les plus grands éloges, sauta sur son adversaire, et une lutte acharnée s’engagea.
Les deux hommes roulèrent entrelacés, mais le gendarme parvint à faire lâcher à Dumont, et lui enleva son arme avant que les personnes présentes ne fussent accourues à sou appel.
Sans son sang-froid le gendarme Révolte aurait certainement été la victime de Dumont, et le coquin s’évadait.
Cette lutte a dû être terrible, à en juger par les boutons de la tunique et les épinglettes du gendarme qui ont été trouvées sur le sol.
Dumont, terrassé, s’écria alors : « Vous êtes tous des crapules, vous vous rappellerez de moi, tas de brigands. »
Pendant ces incidents le maréchal des logis, avec le tact et l’habileté qu’on lui connaît, s’emparait des deux autres individus et on dirigea le tout sur la mairie de Saint-Michel, pour les fouiller et procéder à un premier interrogatoire.
Parlons d’abord du pistolet qui a failli jouer un grand rôle dans cette affaire.
Le jeune Camille Boccart, comptable de la fonderie Nanquette, qui, comme bien d’autres personnes avait suivi les péripéties de ces arrestations, suivit le groupe à la mairie, et déclara à la gendarmerie que le pistolet était précisément celui qui se trouvait dans le coffre fort quand ce coffre-fort fut scié, il y a quelques mois. Pour plus de certitude on fit prévenir M. Cheyer, directeur de la fonderie, qui vint corroborer le dire de son employé, et qui affirma que ce pistolet double système Lefaucheux calibre 12 mm lui appartenait réellement, et avait été volé dans son coffre-fort.
La gendarmerie se trouvait donc en présence des voleurs qui, depuis quelque temps, font parler d’eux à Saint-Michel.
On fouilla le petit sac de voyage dont était porteur le soi-disant Dumont ; il contenait :
Deux montres de dames, en or, dont une a remontoir; une montre en nickel, une fausse barbe ; un grand couteau de boucher et un petit couteau suédois ; des brosses à dents ; des brosses à cheveux : des glaces ; des faux-cols ; une casquette de jockey et une paire de pantoufles.
Dans sa poche on a trouvé un paquet de poivre moulu et un porte–monnaie renfermant cent francs en billets de banque et dix francs de monnaie.
Cette lutte acharnée, cet attirail qui n’avait rien d’ordinaire, firent justement supposer aux gendarmes qu’ils se trouvaient en présence d’un individu dont on devait singulièrement se méfier.
Le jour venu ils retournèrent chez Albaret.
On procéda à une perquisition en règle et on découvrit, dans la poche d’un veston, diverses lettres et fragments de lettres qui donnèrent quelques éclaircissements sur la nature des relations entre Albaret, Hennequin et le soi-disant Dumont.
Dans une lettre signée Henri Janson, il est dit: « Tu te trouveras à la gare avec l’ami Pette-Plume. » Pette-Plume est le sobriquet d’Hennequin, le troisième individu arrêté. Albaret, interrogé, déclara que Dumont était descendu à Saint-Michel au train de 10 heures, et qu’il avait été avisé de cette arrivée par un télégramme reçu le matin de Mariembourg (Belgique), lequel était ainsi conçu : « Excusez si manqué hier, comptez sur moi ce soir. Signé : Joseph. »
Albaret dit avoir brûlé ce télégramme.
J’ai connu Joseph, dit-il, en 188S, à Bruxelles, j’ignore ce qu’il fait, mais il m’a dit être peintre et commis-voyageur en quincaillerie. II y a deux mois et demi, il est venu à Saint-Michel et a couché chez Mme Jupin, débitante, rue des Leups; il était accompagné d’un nommé Henri Jason, ciseleur, qui m’a écrit hier, en me disant qu’il viendrait ce soir, mais je n’ai vu personne.
Le soi-disant Dumont, interrogé, prétend être né à Mons et être venu à Saint-Michel dans la dernière quinzaine de janvier, cette déclaration est contredite par Mme Jupin, qui affirme qu’elle a logé cet individu dans la première quinzaine de février.
Or, nos lecteurs savent que le vol de l’Orphelinat a etc commis vers le 11 lévrier et cette contradiction dans la date a une grande importance.
On emmena les prisonniers à la chambre de sûreté d’Hirson, et là, reprenant la déclaration primitive faite par Albaret qui avait dit au gendarme que Dumont avait été condamné à Paris, et n’osait venir en France, le maréchal des logis eut un doute, ne serait-ce pas Gustave Mathieu ?
Il avait précisément sur son bureau le signalement de Gustave Mathieu envoyé dernièrement à toutes les brigades par le ministère de l’intérieur. Or,ce signalement, et les signes particuliers ci-après : cicatrice à la 3e phalange de l’index gauche — un grain de beauté au-dessus de chacun des angles de la bouche — une cicatrice à l’avant du bas de l’oreille droite — correspondaient exactement à ceux de leur prisonnier.
Devant l’évidence, pressé de questions, et se voyant découvert, le prisonnier s’écria aveu un accent de dédain : Oui, c’est bien moi Gustave Mathieu, l’anarchiste dont en parle tant !
Un détail qui corrobore sa déclaration. Quelques Guisards qui habitent Hirson, dès qu’ils connurent la nouvelle de l’arrestation de leur compatriote, se portèrent sur son passage quand on l’emmenait à Vervins, et, l’ayant parfaitement reconnu, ne purent s’empêcher de lui dire : Bonjour Gustave !
Voilà une arrestation que le hasard a favorisée, mais qui, dans la circonstance, fait le plus grand honneur aux gendarmes d’Hirson qui y ont participé.
Espérons qu’on saura, en haut lieu, reconnaître le courage, l’intelligence et l’esprit de décision du maréchal des logis d’Hirson, ainsi que son subordonné Révolte.
Quelques mots maintenant sur Gustave Mathieu, qui n’a visité Saint-Michel que la nuit :
Il y a juste un an que la police recherche Mathieu infructueusement. On avait, en effet, tout d’abord, la conviction que Gustave Mathieu, qui était un ami intime de Ravachol, avait rempli, rue de Clichy, le rôle joué par Simon dit Biscuit boulevard Saint-Germain.
Le jour de l’attentat de la rue de Clichy, Ravachol déclara qu’il « avait un rendez-vous avec lui, et que Mathieu l’attendait place de la Trinité.
Ravachol avait, en outre, affirmé que c’était Mathieu, assisté de Bastard, qui était l’auteur de l’explosion de la caserne Lobau.
Une ordonnance de non-lieu, rendue le 10 avril 1892 par M. Atthalin, démontra que Ravachol avait menti et que l’on s’était trompé. Mais, Mathieu et son frère, tous deux employés de Viard, l’ex-membre du comité central, furent accusés, à la mort de leur patron, par Mme veuve Viard, d’avoir commis des vols à son préjudice. Mathieu était déjà en fuite depuis longtemps quand un mandat d’amener visant spécialement cette affaire fut décerné contre lui.
Il est né à Guise le 20 février 1865. Ouvrier mouleur, il a toujours fréquenté les réunions publiques et professé les théories anarchistes. Il fut notamment poursuivi déjà devant la cour d’assises de l’Aisne à la suite d’une réunion tenue à Saint-Quentin, en 1889. Il était considéré déjà à cette époque comme très dangereux quoi qu’il fût suspect à beaucoup de compagnons qui le croyaient en relations avec la police.
Le jour de l’arrestation de Chaumartin à Saint-Denis, quand M. Atthalin se présenta, 14, rue du Port, dans l’atelier de Chanmartin, Mathieu se trouvait au domicile de l’anarchiste, 12, square Thiers. Ce fut Mme Decamps qui le fit fuir, avant l’arrivée de la police. On retrouva ensuite sa trace à Saint-Denis; sa présence fut signalée, le 30 mars 1892, dans un hôtel meublé du 11e arrondissement, mais les agents arrivèrent trop tard, l’homme avait déguerpi pendant la nuit.
Deux jours après il se trouvait en Belgique, selon le rapport du procureur du Roi à la police française, et depuis lors, il était resté insaisissable. L’arrestation de Mathieu ne saurait reculer le procès de Francis et de Bricou, les anarchistes soupçonnés d’être complices de l’explosion du restaurant Véry. Mathieu n’a jamais été inculpé dans cette affaire.
Le Parquet de Vervins s’est transporté à Saint-Michel par le train d’une heure 1/2 pour commencer une enquête.
Mathieu est à la prison de Vervins.
Journal de Saint-Quentin 30 mars 1893
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Des journaux annoncent l’arrestation de Mathieu disant qu’il a été différentes fois condamné pour vol, insinuant que ce sont des faits semblables qui ont motivé son arrestation.
Pour ce qui est des faits actuels, étant donné que Mathieu était forcé de se cacher, de vivre en paria, nous ignorons ce qu’il peut y avoir de vrai, dans les perfidies des journaux bourgeois. Si Mathieu a eu recours, pour vivre, a des moyens que la société condamne, ce n’est pas à elle à lui reprocher, elle qui l’a traité en outlaw.
Mathieu était un travailleur, énergique et intelligent : mais, parce qu’il était énergique et intelligent, il fut amené à se demander pourquoi les uns étaient condamnés éternellement a la misère et au travail abrutissant, pourquoi d’autres avaient toutes les jouissances sans rien produire. Il devint anarchiste et se dévoua à la propagande des idées.
Comme notre bonne société est organisée pour la défense des repus, il est défendu d’avoir des idées semblables et surtout de les propager, Mathieu fut poursuivi et condamné pour avoir développé ses idées dans des réunions. Les philanthropes du Familistère de Guise où il travaillait, le mirent sur le pavé. Là commencèrent les premières pérégrinations de Mathieu.
Arrivèrent les avènements de l’année dernière. La police voulut le mêler aux attentats de Ravachol. N’ayant pu réussir à l’y impliquer, elle profita de la dénonciation d’une misérable femme, la femme du compagnon Viard qui employait Mathieu. Cette coquine était en faillite, elle profita de la grande amitié que Simon et Mathieu avaient pour son mari, pour les engager à déménager des marchandises et à les soustraire ainsi à l’actif de la faillite.
Dénoncée, elle ne trouva rien de mieux que de les accuser de vol. La police, heureuse d’un prétexte pour saler des anarchistes, accueillit d’emblée sa dénonciation, et quoiqu’il fut prouvé, au procès, que c’était le fils Viard, non moins ignoble dans cette affaire que sa mère — qui avait loué les magasins où avaient été remisées les marchandises, nos deux compagnons furent condamnés comme voleurs! La magistrature aussi ignoble que la police n’avait rien à refuser au pouvoir. Elle se vengeait des transes où l’avait plongée les attentats de Ravachol.
C’est la seule condamnation pour vol qu’ait encourue Mathieu, et les journaux bourgeois, non moins ignobles que la police et la magistrature, mentent sciemment en affirmant le contraire.
Gustave Mathieu, l’anarchiste bien connu, est depuis quelques jours à la prison des Grands Chapeaux.
Le jeune compagnon est né à Guise le 26 février 1866, il a donc par conséquent 27 ans. Complètement imberbe, on lui donnerait à peine 20 ans.
Mathieu comparaîtra aujourd’hui, vendredi, devant ta deuxième chambre de la Cour, appelant d’un jugement du tribunal de Vervins, en date du 25 octobre dernier, le condamnant à quatre mois de prison pour violences, voies de fait et outrages aux agents de la force publique.
Voici les laits pour lesquels Mathieu a été traduit devant le tribunal de Vervins :
M. le maréchal des logis de gendarmerie Mauroy, d’Hirson, appelé à perquisitionner chez un sieur Abaret, habitant Saint-Michel, inculpé de vol, trouva chez ce dernier, l’anarchiste Gustave Mathieu qui à l’époque se faisait appeler Dumont.
Les gendarmes d’Hirson, accompagnée de M. Hourlier, conseiller général et maire de Saint-Michel, d’un adjoint et de deux gardes, entrèrent dans la maison du sieur Albaret. Celui-ci, Mathieu dit Dumont et un troisième individu qui se trouvaient dans la maison, furent immédiatement mis en état d’arrestation.
Ces trois individus furent gardés à vue. Gustave Mathieu fut confié à la garde du gendarme Révolte pendant que l’on procédait à une inspection dans le domicile suspect.
Au cours dé l’opération, Mathieu s’élança tout à coup sur le gendarmé qui le surveillait et le saisissant par le cou, il le secoua fortement, essayant de le renverser.
Malheureusement pour lui, Mathieu avait affaire à fin solide gaillard. Une lutte très vive s’engagea entre les deux hommes au cours de laquelle Mathieu parvenant à saisir un pistolet chargé qu’il avait dans sa poche, il essaya de faire feu sur son adversaire.
Le gendarme réussit â saisir le pistolet et à se rendre mettre de l’anarchiste.
Fouillé aussitôt, Mathieu fut trouvé en possession de dix cartouches, d’un couteau de boucher et d’une fausse barbe.
C’est à la suite de cette scène que Mathieu préféra des outrages envers les gendarmes.
A l’audience du tribunal de Vervins. Mathieu a nié avoir proféré ces outrages.
Le tribunal l’a condamné, comme nous le disons plus haut, à quatre mois de prison.
En entendant la condamnation, Mathieu a annoncé, le sourire aux lèvres, qu’il allait interjeter appel de ce jugement.
Disons maintenant deux mots des antécédents du jeune anarchiste : Arrêté à St Michel dans les circonstances que l’on sait, Mathieu avait été renvoyé devant la Cour d’Assises de l’Aisne pour y répondre d’une accusation de vol. Déclaré non coupable par le jury, il fut acquitté le 9 août dernier.
Auparavant, il avait été condamné à Saint-Ouen, à un mois de prison pour rébellion envers la police, au sortir d’une réunion publique; puis condamné par défaut par le Tribunal de la Seine, à cinq ans d’emprisonnement et cinq ans d’interdiction de séjour pour complicité de vol. Mathieu ayant fait opposition à ce jugement, le Tribunal de la Seine réduisit sa peine à un an de prison.
La salle d’audience sera bondée de curieux avides de voir cet anarchiste dont on parle depuis longtemps.
Le Progrès de la Somme 24 novembre 1893
L’anarchiste Gustave Mathieu DEVANT LA COUR D’APPEL
L’anarchiste Gustave Mathieu a été extrait de la prison des Grands Chapeaux à midi. Il était escorté de trois gendarmes. Peu de monde sur son trajet de la prison au Palais de Justice.
Gustave Mathieu était vêtu d’un complet noir en chevrote ; il portait sur les épaules une pèlerine noire en drap et était coiffé d’un chapeau gris.
A midi précis, l’inculpé était introduit dans la salle. En attendant l’ouverture de l’audience, nous avons pu nous entretenir avec lui pendant quelques instants.
Mathieu nous a dit qu’il était au courant des attentats anarchistes de Barcelone et de Marseille. « Ce sont là, a-t-il ajouté, de simples essais ».
— Vous avez connu Ravachol ?
— Oh ! parfaitement ; il m’a été présenté par Chaumartin avec qui j’étais intimement lié. A l’époque je fréquentais Simon dit Biscuit, condamné en môme temps que Ravachol, aux travaux forcés à perpétuité. Quoiqu’en disent les bourgeois, Ravachol était un très honnête homme.
—. Pourquoi êtes vous anarchiste?
— Parce que la bourgeoisie commet des des actes ignobles contre l’humanité; parce que je souffre, parce que je ne trouve pas de travail, parce que j’ai été chassé de toutes les maisons où j’ai travaillé, parce que, parce que…
Nous bous arrêtons là, ne voulant pas suivre le compagnon anarchiste dans le récit qu’il nous a fait de sa vie aventureuse.
A midi un quart l’audience est ouverte. M. de Vaulx d’Achy préside. M. Corentin Guyho, avocat général, occupe le siège du ministère public.
M. le conseiller Labouret fait le rapport de l’affaire. Nous en avons donné les détails hier, aussi, ne croyons-nous pas nécessaire d’y revenir. Ce rapport établit qu’au moment de son arrestation, Mathieu était porteur d’un pistolet Lefaucheux à deux coups, d’un paquet de cartouches, d’un flacon d’ammoniaque, d’une fausse barbe, d’un couteau de boucher et d’un paquet de poivre.
Mathieu père, ouvrier au Familistère de Guise, a déclaré que son fils était intelligent, mais qu’il avait été entraîné dans sa jeunesse par des individus professant des idées révolutionnaires.
L’inculpé quitta Guise, sa ville natale, en 1890 et alla à Paris où il se mêla au monde des anarchistes. A la suite d’une condamnation à un mois de prison prononcée contre lui par le tribunal correctionnel, et sous le coup de poursuites pour complicité de vol, il quitta Paris et se réfugia à Londres.
Plus tard, il fut recherché dans cette ville par la police de sûreté comme pouvant avoir pris part aux explosions de Paris. A Londres, il se donna comme l’ami intime de Ravachol et se mêla aux anarchistes.
En décembre 1892, il vint habiter Bruxelles où il lia connaissance avec l’anarchiste Placide Schouppe, évadé de la Guyane. Enfin, traqué par la polies, il quitta la Belgique le 25 mars et arriva à Saint-Michel où il fut arrêté.
Arrivons à l’interrogatoire qui a été très court. Mathieu s’est borné à nier les actes de rébellion et injures envers les gendarmes de Saint Michel. Il a déclaré que les gardes de Saint-Michel l’avaient littéralement assommé, et qu’il n’avait jamais eu la pensée de se servir de son pistolet contre le gendarme Révolte.
D. Vous prétendez que la déclaration des gendarmes est inexacte ?
R. Oui, monsieur.
D. Vous réclamez votre acquittement ?
R. Oh, non !
D. Reconnaissez vous avoir traité les gendarmes de brigands et de canailles ?
R. Non, monsieur. J’ai traité ceux qui m’ont frappé, c’est-à-dire dire les gardes.
D. Avez-vous d’autres explications à donner ?
R. Que voulez-vous que je vous dise ? Je ne puis m’avouer coupable de faits que je n’ai pas commis.
L’avocat général. M. Corentin Guyho prend ensuite la parole et commence par déclarer qu’il fait appel à minima dans cette affaire. Après avoir donné lecture d’un article du Libéral de l’Aisne. rendant compte de l’arrestation de Mathieu. Il rappelle ensuite les antécédents de l’inculpé et ajoute que le tribunal de Vervins a été trop indulgent.
Mathieu a commis le délit de rébellion avec armes et non de rébellion sans armes. L’inculpé est donc passible de la peine portée à l’article 212 du code pénal.
Le délit de rébellion est un acte de résistance avec violence. Or, Mathieu était armé d’un pistolet dont il a essayé de se servir. Le délit est donc bien établi, il faut appliquer l’article 212 § Ier, même ai l’on veut accorder, comme l’on fait les juges de Vervins, les deux tiers d’indulgence.
Me Debeauvais présente en quelques mots 1a défense de Mathieu.
M. Corentin Guyho réplique et dans un vigoureux réquisitoire, prend la défense des gendarmes qui toujours font leur devoir. Dans cette affaire, le devoir des magistrats est d’appliquer la loi toute entière. Il ne faut pas qu’on puisse dire que les juges ont fait preuve de faiblesse. « Nous sommes ici les factionnaires de la loi ».
La Cour se retire pour délibérer. Mathieu profite de la suspension d’audience pour faire un cours d’anarchie. La prison, dit il, lui est assez agréable, il s’y habitue. Grâce à des subsides, il se nourrit bien, mais il ne renonce pas à ses idées. Anarchiste il est, anarchiste il restera.
Le citoyen Follet qui se trouve dans l’auditoire, converse avec Mathieu qu’il tutoie. Ils échangent divers signes, puis la Cour rentre.
M. le président de Vaulx d’Achy donne lecture d’un arrêt par lequel la peine de quatre mois de prison est élevée à six mois.
Mathieu sort escorté de trois gendarmes. A la porte du Palais, Follet et quelques autres compagnons lui serrent affectueusement la main.