Cour d’appel de Nancy

Parquet du procureur générale

Direction des affaires criminelles

1er bureau

Nancy le 24 mai 1893

Monsieur le garde des sceaux,

J’ai l’honneur, pour faire suite à mon rapport du 16 décembre dernier, de vous rendre compte que la procédure criminelle suivie à Charleville contre les nommés Roger, Bouillard, Baudot et autres, inculpés de provocation directe au crime de meurtre et d’association de malfaiteurs a dû être close le 9 mai courant par une odonnance de non lieu.

Le 9 décembre dernier, le parquet de Charleville était averti que dans la nuit du 6 au 7 décembre, 20 affiches intitulées Dynamite et Panama avaient été placardées sur les murs de Nouzon. Mon substitut qui avait requis une information pour provocation au meurtre, apprit dès le début de cette information qu’il existait à Nouzon un groupe anarchiste Les Déshérités qui remplaçait l’ancien groupe des Sans patrie de Charleville. Il ouvrit alors une information pour association de malfaiteurs et se transporta à Nouzon pour opérer régulièrement toutes perquisitions utiles.

Le 11 décembre, il se transporta de nouveau à Nouzon avec M. le juge d’instruction. Des perquistions infructueuses ont été opérées chez 7 inculpés : Bouillard Jules, Bouillard Gustave, Michaux, Malicet, Thomas, Copine et Simon. Les interrogatoires et les dépositions de divers témoins permirent cependant de constater que le groupe des Déshérités avait bien existé, mais que depuis des mois il avait cessé de se réunir malgré les convocations faites chaque semaine par le journal Le Père Peinard.

En ce qui concerne les affiches, la culpabilité de Roger Emile parut un moment établie. En effet, le facteur Collet avait déclaré que le 5 ou le 6 décembre, il avait déposé chez cet anarchiste, secrétaire du groupe, un paquet roulé de la grosseur du bras, de 0, 30 m de longueur, enveloppé d’une large bande blanche laissant paraître aux deux extrémités des marges rouges de la couleur des affiches.

Mais ce renseignement ne pouvait à lui seul établir que c’était Roger qui avait placardé ces affiches sur les murs de Nouzon.

Le 21 décembre suivant, des affiches identiques étaient placardées à Charleville. Les soupçons se portèrent sur un nommé Baudot Prosper, mais cette piste fut abandonnée, faute de preuves suffisantes.

Enfin dans la nuit du 25 au 26 février dernier, 115 affiches anarchistes étaient placardées à Nouzon et à Gespunsart.

Malgré les recherches les plus actives de la gendarmerie et de l’instruction, il n’a pas été possible de découvrir les auteurs de ces affichages. C’est pourquoi les magistrats de Charleville ont cru devoir clore provisoirement cette information, sauf à la reprendre ultérieurement dans le cas où les groupes de Nouzon et de Charleville fomenteraient de nouveaux désordres. Je veillerai à qu’une active surveillance soit exercée, comme par le passé par mon substitut de Charleville sur les menées anarchistes dans cet arrondissement.

Le procureur général.

Archives nationales BB18/6453

Lire le dossier : Les anarchistes dans les Ardennes