Saison 3 : Fortuné Henry, le syndicaliste CGT, fondateur du journal Le Cubilot. Lire l’ensemble des épisodes.
Vingt cinquième épisode. Le lancement de la Mère Peinard. Les déconvenues de Fortuné dans l’appareil de la CGT.

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Fortuné Henry. Album Bertillon septembre 1894. CIRA de Lausanne.

Le 12 septembre 1908, paraît le premier numéro de La Mère Peinard. Reflecs hebdomadaire d’une lavandière. Le journal comporte 8 pages. Fortuné Henry en est le rédacteur principal, la rédaction et l’administration du journal sont chez lui au Parc Saint-Maur. Charles Favier qui avait été à partir d’ août 1896 le gérant du journal La Sociale (Paris, 76 numéros du 12 mai 1895 au 18 octobre 1896)1 animé par Emile Pouget. Ce titre fut remplacé par une nouvelle série du Père Peinard à partir d’octobre 1896 dont C. Favier fut également le gérant. Le contenu de la Mère Peinard est principalement antimilitariste et syndicaliste. Le journal est marqué par les événements de Draveil, l’incarcération des dirigeants de la CGT et le congrès de Marseille. On retrouve la rubriques du Cubilot, « Coups de boutoir » devenue « Coups de battoir ». Le style et le vocabulaire employé (l’argot) sont par contre celui du Père Peinard. Cela ne plaît pas aux Temps Nouveaux2, hebdomadaire anarchiste concurrent : « Vient de paraître, La Mère Peinard, hebdomadaire. Parc Saint-Maur (Seine). Nous aimerions à souhaiter, sans restriction, la bienvenue à tout nouvel organe de propagande.

Loin de croire qu’un nouveau journal soit un concurrent, nous estimons, que c’est un moyen d’activer la propagande lorsqu’il trouve son public.

Seulement, faire de la propagande, c’est élever les esprits, c’est purifier le goût, et nous ne croyons pas que le style de La Mère Peinard rentre dans ce cadre. »

Cliquer ici pour lire le journal en entier.

C’est sous l’inspiration de Pouget, détenu à la prison de Corbeil que la Mère Peinard est crée. Malato, qui devait assurer la publication du journal n’ayant pu le faire, c’est Fortuné qui s’en charge.

Les fonds nécessaires à la publication sont fournis par Pouget, sinon en totalité, du moins en partie.

Pouget pense être acquitté et pense qu’il pourrait être éliminé du premier rang de la CGT, au congrès de Marseille. Il souhaite donc avoir à sa disposition un hebdomadaire, où sous couvert d’anonymat, il pourrait agir contre ses adversaires réformistes ou révolutionnaires, plus modérés que lui.3

Mais depuis l’apparition de la Mère Peinard, Merrheim redouble d’activité contre Fortuné. Il fait tout ce qu’il peut pour le discréditer dans l’esprit des militants. Toutefois Merrheim est contrarié dans sa besogne par Albert Lévy, hostile au nouveau bureau confédéral, dont Merrheim cherche à être l’animateur.

Mais Fortuné très adroit sent la manœuvre contre lui, puisqu’il n’est pas adhérent à un syndicat de la CGT. Il se fait inscrire au syndicat des employés, dont Lévy est le dirigent et espère ainsi se faire déléguer au comité confédéral. Il n’y a pas en ce moment de mandat disponible, mais Fortuné pense obtenir celui de délégué de l’Union des syndicats des Ardennes, actuellement détenu par Merrheim.4

Le 24 septembre 1908, une note de la Préfecture de police sur La Mère Peinard précise : « Ce journal ne paraîtra pas longtemps. Déjà, cette semaine, ses principaux collaborateurs n’ont pas envoyé de copie.

Fortuné Henry enrage et attribue cela à l’influence de certains militants, comme Merrheim. De plus, Fortuné comptait sur ce journal pour vivre. Il a des dettes criardes. Il doit 800 francs à Collongy, de Nancy, qui les réclame instamment ; 600 francs à Taffet qui les exige. On commence à faire courir le bruit qu’il n’a pas quitté Aiglemont sans le sou, mais qu’il ne veut pas payer.

A noter la campagne de sous-entendus de Merrheim et consorts dans les milieux syndicaux. Toutefois, l’énergie de F. Henry est telle qu’il remontera certainement le courant. »5

Le n°2 de la Mère Peinard paraît le 19 septembre 1908.

Après le congrès de Marseille de la CGT qui s’est déroulé du 5 au 12 octobre 1908, Lévy, le trésorier confédéral, auquel la commission de contrôle a voté des félicitations enthousiastes, va se reposer un mois, avec sa femme, chez Fortuné, au Parc-Saint-Maur.

Lévy facilite l’entrée de Fortuné dans les organisations de la CGT : depuis le 14 octobre, F. Henry appartient au syndicat des correcteurs. Cette entrée dans ce syndicat peut paraître étonnante, puisqu’il est franc-maçon et entre dans le même syndicat que Janvion qui mène une campagne anti-maçonnique.

Mais selon un rapport de la Préfecture de police6 : « Fortuné n’attend que le compte-rendu du Convent7 pour sortir de la F :. M :.8 en claquant les portes. Il s’appuiera sur ce qui aura été dit sur l’antimilitarisme. Il est probable que l’entrée de F. Henry au comité confédéral aura lieu dès la première séance, sans doute. Janvion qui possède trois mandats de Bourses du travail, en cédera un (La Rochelle) à F. Henry.

On peut prévoir que, si de telles relations s’établissent entre les deux hommes, Janvion sera documenté pour ses campagnes à venir contre la F :. M :. »

Finalement les dirigeants confédéraux de la CGT sont libérés et Fortuné ne semble pas si heureux de cette victoire qui d’une certaine façon contrecarre son ambition de grimper dans les échelons du syndicat. Il compare cette affaire au procès des Trente9 et montre « le sauve qui peut » général des dirigeants accusés qui « se dégagent des pauvres bougres qui ont fait de l’action à leur instigation. »10

Le 24 octobre 1908, paraît le n°7 et dernier de la Mère Peinard. Il semble que pour Pouget cet hebdomadaire n’avait plus de véritable intérêt avec sa sortie de prison. Il ne reprit pas son poste de secrétaire de La Voix du peuple, mais travailla activement à son projet de quotidien, La Révolution.

La Mère Peinard avait vécu. Au Parc-Saint-Maur, Charles Favier, le gérant de la Mère Peinard est surpris que le journal n’ait pas plus de succès, il reproche amèrement aux compagnons de n’avoir pas goûté cette littérature qu’il trouve supérieure.11

Au mois de novembre 1908, Salives, ancien typographe de la colonie d’Aiglemont, est soldat à la 4e compagnie du 137e à Fontenay-le-Comte. Ayant obtenu une permission de 48 heures, il demande à Fortuné Henry, s’il peut passer au Parc-Saint-Maur. Craignant qu’il n’en profite pour déserter, Fortuné refuse. Son attitude est sévèrement jugée dans le milieu libertaire.12

Le 30 novembre 1908, l’imprimerie du Parc-Saint-Maur a des difficultés financières. Une avance de fonds devait être faite par un F :. M :.  des Ardennes, M. Rossignol, mais celui-ci, sans doute informé par des adversaires de Fortuné, ne donne pas suite à sa promesse. Sans le sou et furieux, Fortuné pense partir dans les Ardennes, avec l’intention de casser la figure aux colons d’Aiglemont qu’il soupçonne de l’avoir dénigré.13

Louis Collongy, typographe à qui Fortuné devait de l’argent, tout juste sorti de prison pour injure à magistrat, rejoint Fortuné à Saint-Maur. Au départ il ne pense pas y rester, puis au début décembre, il change d’avis et décide d’aider Fortuné à exploiter l’imprimerie. Leur situation est précaire. Ils ont du travail, provenant de tout ce qui échappe à l’imprimerie de la CGT, mais ils manquent de fonds pour acheter du papier et des fournitures.14

Grâce à la sympathie inspirée par Collongy dans les milieux syndicaux et à l’entregent de Fortuné, toujours Franc-maçon , le travail finit par arriver et les deux associés espèrent bientôt lancer un journal de propagande anarchiste à tendance syndicaliste.15

1 Bianco : presse anarchiste https://bianco.ficedl.info/article1994.html

2 Les Temps nouveaux 3 octobre 1908

3 Archives nationales F7 15968. Rapport 14 septembre 1908

4 Archives de la Préfecture de police Ba 1602 . Rapport 16 septembre 1908

5 Archives nationales F7 15968. Rapport 24 septembre 1908

6 Archives de la Préfecture de police Ba 1602 . Rapport 15 octobre 1908

7 Assemblée de francs maçons

8 Sigle employé pour désigner la Franc-maçonnerie

9 Procès des anarchistes en 1894, accusés d’association de malfaiteurs.

10 Archives nationales F7 15968 et Archives de la Préfecture de police Ba 1602. Rapport 2 novembre 1908

11 Archives nationales F7 15968. Rapport 7 décembre 1908

12 Archives nationales F7 15968. Rapport 3 novembre 1908

13 Archives nationales F7 15968. Rapport 30 novembre 1908

14 Archives de la Préfecture de police Ba 1602. Rapport 14 décembre 1908

15 Archives nationales F7 12723 . Rapport 22 décembre 1908

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