1er interrogatoire de Chevry par le juge d’instruction d’Angers le 23 décembre 1893

Je me nomme Chevry Anatole, âgé de 34 ans, agent d’affaires, demeurant à Angers [illisible] de l’Industrie, 33, rue de Paris 33, né à Buxière-les-Clefmont (Haute-Marne) , le 20 novembre 1859, fils de [illisible] et de Clémence Mustel ; célibatire, lettré.

J’ai tiré au sort à … n°… de la classe 1879.

J’ai été condamné.

Q. Vous êtes inculpé d’avoir par un des moyens énoncés dans l’article 23 fe la loi du 16 juillet, contrevenu aux dispositions de ladite loi ? Vous avez notamment été arrêté au moment où vous vous disposiez à afficher un placard faisant l’apologie du crime par Vaillant ?

R. Je nie formellement avoir eu l’intention d’afficher ce placard.

J’en avais reçu 18 par la poste et j’ai représenté les 18 à la police quand elle les a saisi sur moi.

J’avais l’intention de m’en débarrasser.

Q. Il résulte des renseignements qui ont été fournis, que vous avez dû apposer d’autres affiches que celles là sur les mûrs de la ville ?

R. Je n’ai jamais eu que celles là, je n’ai donc pas pu en afficher d’autres.

Je désire qu’on fasse une enquête sur ce point ; car je suis certain qu’on ne trouvera certainement pas d’autres affiches sur les murs.

Lecture faite, l’inculpé signe avec nous et le greffier.

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2e interrogatoire de Chevry par le juge d’instruction d’Angers le 26 décembre 1893

Je me nomme Chevry Anatole, déjà interrogé.

Q. Il résulte des renseignements que nous ont été fournis pas la police, que vos déclarations du 23 courant, sont exactes et qu’aucun placard que ceux qui ont été saisi sur vous, n’a été apposé sur les murs d’Angers. Mais il résulte aussi des nouveaux renseignements qui nous ont été fournis qu’à l’auberge du sieur Hériché, 46 rue de Paris, vous avez lu ce placard dans une réunion anarchiste, ce qui constituerait une infraction à la loi de 1881, puisque ce café est considéré comme un lieu public ?

R. Je l’ai reçu de Londres ; il y avait trois ou quatre timbres jaunes dessus et évidemment on me les a adressés parce que l’année dernière mon nom était sur tous les journaux.

Si j’en reçois de nouveau, je les apporterai à la justice, car je ne veux pas être condamné pour un fait comme cela.

Il est vrai que nous avons eu une réunion dans un hangar loué par Hériché à Philippe ; mais depuis, il n’y en a jamais eu ; d’ailleurs, Hériché ne veut plus qu’on parle politique dans son débit.

Du reste, je ne veux plus m’en occuper de ces questions là, je ne vais plus chez Moru, rue Bauduin, avec lequel je suis fâché.

Dernièrement, il y avait une réunion aux Ponts de Clé, à laquelle je n’ai pas voulu assister.

Je termine et affirme que je n’ai montré ce placard à personne.

Je n’ai pas assisté non plus à la réunion qui a eu lieu au Cirque.

Lecture faite, l’inculpé signe avec nous et le greffier.

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3e interrogatoire de Chevry par le juge d’instruction d’Angers le 29 décembre 1893

Je me nomme Chevry Anatole, déjà interrogé.

Q. Il résulte des renseignements nouvellement recueillis sur votre compte, que le jour même où vous êtes partis pour porter les affiches « Les dynamitards aux panamitards » et les apposer sur les murs d’Angers, vous auriez, vous et Philippe, tenu des propos très compromettants.

Vous auriez dit, notamment : « qu’il y avait une bombe toute prête et qu’elle serait jetée sur des fabriques de la ville »

Ces propos constitueraient une entente dans le but de préparer un crime contre les propriétés ?

R. Je connais la nouvelle loi, je sais qu’elle défend de parler de ces choses là.

Pour parler de bombe, il faudrait connaître les éléments chimiques qui servent à les fabriquer et je ne les connais pas.

Ce propos n’a jamais été tenu non plus par Philippe, avec lequel je n’ai passé que quelques minutes ce soir-là et chez lui ; nous avons bu un verre ensemble et je suis parti.

Je nie formellement avoir tenu ou aussi entendu tous ces propos là.

Q. Pourquoi avez-vous demandé au sieur Dubois, cordonnier à Angers de venir vous accompagner pour poser les affiches qui vous ont fait arrêter ?

R. Je connais Dubois, parce que c’est lui qui fait mes chaussures.

Je l’avais fait demander pour poser des clous à mes souliers.

Je reconnais que je lui avais parlé des affiches et que je ne voulais pas les poser tout seul.

Lecture faite, l’inculpé signe avec nous et le greffier.

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4e interrogatoire de Chevry par le juge d’instruction d’Angers le 4 janvier 1894

Je me nomme Chevry Anatole, déjà interrogé.

Je persiste à nier avoir jamais tenu aucun propos relatif à une bombe qui devait être mise à l’usine Bessonneau, ni avoir entendu non plus aucun propos de cette notion.

Je n’ai jamais formé de complot, ni d’entente avec aucun anarchiste dans un but illicite. Je ne voyais absolument que pour transmettre des lettres concernant son héritage.

Je n’entretiens aucune correspondance avec des personnes anarchistes en dehors d’Angers. Je n’attends aucune lettre d’eux, ni d’Angers, ni d’ailleurs.

Lecture faite, l’inculpé signe avec nous et le greffier.

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5e interrogatoire de Chevry par le juge d’instruction d’Angers le 9 janvier 1894

Je me nomme Chevry Anatole, déjà interrogé.

Nous présentons à l’inculpé une lettre portant le timbre de la poste de Falaise à Caen du 7 janvier 1894 et la suscription « Monsieur Chevry, écrivain, rue de Paris 48 à Angersé.

Et nous lui demandonc si cette lettre porte bien son adresse. Après l’avoir examinée, l’inculpé répond :

R. Elle doit même être adressée par Mme veuve Fallin de Sassy par [illisible] (Calvados).

Nous ouvrons cette lettre en présence de l’inculpé.

La lettre est datée de Sassy, canton de Morteau-Couliboeuf. Cabinet du juge de Paix de ce canton.

Elle commence par ces mots : « Monsieur, seriez vous assez obligeant »… et finit signée « Laurent ».
C’est une demande de renseignements accompagnée de trois timbres poste de 15 centimes.

Nous en donnons connaissance à l’inculpé et nous saisissons la lettre ainsi que l’enveloppe après les avoir signées (Ne variatur). Nous soumettons les timbre à l’inculpé.

Lecture faite, l’inculpé signe avec nous et le greffier.

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6e interrogatoire de Chevry par le juge d’instruction d’Angers le 30 janvier 1894

Je me nomme Chevry Anatole, déjà interrogé.

Nous présentons à l’inculpé une lettre saisie à la poste, portant suscription

« Monsieur Chevry, 48 rue de Paris Angers »

Nous ouvrons cette lettre après l’avoir présentée à l’inculpé qui reconnaît qu’elle est bien à son adresse.

Cette lettre n’ayant aucun rapport avec l’affaire à raison de laquelle le nommé Chevry est inculpé, nous la lui remettons.

Lecture faite, l’inculpé signe avec nous et le greffier.

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7e interrogatoire de Chevry par le juge d’instruction d’Angers le 7 mars 1894

Je me nomme Chevry Anatole, déjà interrogé.

Je persiste dans les déclarations que j’ai déjà faites dans les interrogatoires que j’ai déjà subis.

Quand je suis parti portant dans ma poche les placards »Les dynamiteurs contre les panamiteurs », je sortais de chez Philippe, mais je n’y avait passé que quelques instants.

J’avais bien dans ma poche le placard mais je ne lui ai pas montré.

Le placard m’étais arrivé directement de l’étranger, il y avait sur la bande 4 ou 5 timbres jaunes.

Q. Pour quelle raison vous avait-on adressé ces placards, plutôt qu’à d’autres personnes ?

R. Parce qu’on avait vu mon nom sur les journaux, à propos de l’attentat de la place (?)

Lecture faite, l’inculpé signe avec nous et le greffier.

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8e interrogatoire de Chevry par le juge d’instruction d’Angers le 14 mars 1894

Je me nomme Chevry Anatole, déjà interrogé.

Q. Lorsque vous êtes arrivé à Angers en 1888, vous avez été précédemment déclaré en état de faillite à Paris ?

R. C’est en 1885 et non en 1888 que je suis arrivé à Angers. Auparavant, j’avais habité à Orléans pendant 6 mois, à Luzarche en Seine et Oise.

J’étais voyageur de commerce et je n’ai jamais eu connaissance d’avoir été déclaré en état de faillite.

Mon père est instituteur à Essoy-les-Ponts, canton de Chateau-Villain (Haute-Marne).

Q. En effet, il existe au dossier une lettre que votre votre père a écrite le 15 février dernier.

Depuis que vous habitez Angers, vous avez subi de nombreuses condamnations à 3 mois et 1 jour, pour vols en 1892.

R. Je n’avais point commis de vol pour lequel j’ai été condamné. On me poursuivait comme complice d’un vol de poissons commis par un sieur Malzic qui lui est un voleur de profession, tandis que moi je ne suis pas voleur.

Vous avez également été l’objet d’une instruction très longue pour une explosion qui a eu lieu au poste de police de la place ? Au mois d’avril 1892 et bien que vous ayez bénéficié d’une ordonnance de non lieu, il y avait contre vous les charges les plus graves, non pas d’avoir déposé vous-même l’engin, mais de l’avoir fait déposer ?

R. J’étais en prison depuis la veille. Ce n’est donc pas moi qui ai porté cet engin au poste de police et j’affirme que ne me suis jamais occupé de cette affaire là.

Q. Que signifie la lettre que vous avez écrite étant à la maison d’arrêt à votre tante ?

R. Cette lettre était écrite à la veuve Ledu, chez Philippe qui la lui aurait remise.

Je sais bien que si j’avais écrit directement à la veuve Ledu, ma maîtresse, le gardien chef n’aurait pas laissé ma lettre, et c’est pour cela que j’avais employé ce subterfuge.

Lecture faite, l’inculpé signe avec nous et le greffier.

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Notice

Chevry Anatole, Nicolas, Valéry, âgé de 34 ans, célibataire, né à Buxière-les-Clefmont (Haute-Marne) le 20 novembre 1859, habite Angers depuis 1888, anarchiste militant, exerçant la profession d’agent d’affaires.

Cet un individu, ivrogne et tapageur, a toujours vécu en concubinage depuis son arrivée ici, d’abord avec une fille de la campagne ayant quelques économies qu’il a dépensées, puis avec une femme Chabin qui, sur ses conseils avait abandonné son mari, ensuite avec une femme Savary et enfin en dernier lieu avec la nommée Artel, veuve Ledu, qui est encore avec lui, rue Franklin, passage Rochetière.

Chevry qui a déjà subi plusieurs condamnations n’a jamais fréquenté que la mauvaise société et depuis près de trois ans, il a eu des relations suivies avec tous les anarchistes d’Angers et de Trélazé, notamment avec Mercier, Meunier, Philippe, Moru, Maillard, Bernard, Jodelais, Ménard, etc… Il a été fortement soupçonné d’être l’instigateur de l’explosion du poste de police du 2e arrondissement dans la nuit du 4 au 5 avril 1892.

Angers le 12 mars 1894

Le commissaire central

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Cour d’appel de Dijon

Extrait du casier du tribunal de Chaumont (Haute-Marne)

Chevry Nicolas, Valéry, Anatole

8 janvier 1884 Paris déclaré en faillite

30 octobre 1890 Angers (Cour) abus de confiance 1 mois prison, tribunal Saumur

1er mai 1891 Angers (Cour) coups et blessures 6 jours

7 janvier 1892 Angers (Cour) dénonciation calomnieuse 2 mois 50 fr. Tribunal d’Angers

1er avril 1892 Angers (tribunal) outrages 6 jours

11 août 1892 Angers (Cour) vol 3 mois 1 jour. Tribunal d’Angers

2 juin 1893 Angers tribunal outrages 15 jours

12 août 1893 Angers tribunal outrage et violences 2 mois

Source : 2 U 2-143 Archives départementales du Maine et Loire

Lire le dossier : Les anarchistes à Angers : premières victimes des lois scélérates