La Chambre syndicale des travailleurs réunis se trouvait 62 rue du Travers

Département du Gard

Sous-préfecture d’Alais

Alais le 16 juillet 1887

Monsieur le préfet,

J’ai l’honneur de vous faire connaître par des dépêches télégraphiques le 14 juillet au soir et hier 15 juillet à mon retour de Bessèges, que des atteintes à l’ordre public ont été commises à Bessèges dans l’après-midi du 14 juillet.

Je m’empresse de compléter les renseignements que je vous ai communiqués en vous transmettant des rapports qui me sont adressés par M. le maire de Bessèges, par M. le commissaire de police de cette ville et par la gendarmerie.

A la première nouvelle des faits, je me suis rendu à Bessèges en compagnie de M ; le procureur de la république. Ce magistrat après s’être enquis de renseignements n’a pas estimé devoir exercer des poursuites judiciaires.

Quelques jours avant le 14 juillet dans un entretien que j’avais eu avec M. le maire de Bessèges, j’avais rappelé à ce magistrat de précédentes instructions se rapportant aux cas de déploiement possible du drapeau rouge. Le lendemain du même jour j’avais transmis à M. le maire de Bessèges des instructions écrites que vous aviez bien voulu m’adresser en vue des mêmes éventualités.

La manifestation qui a eu lieu dans l’après-midi du 14 juillet à Bessèges a été décidée par des membres de la chambre syndicale le jour même où ils l’ont faite.

M. le maire de Bessèges dans la lettre que je vous transmets se plaint de ce que des chansons injurieuses et révolutionnaires soient chantées à Bessèges. M. le procureur de la république a déclaré à ce sujet que des poursuites motivées par des faits de cette nature ne pouvaient être exercées qu’à la demande de la partie lésée, renouvelée à l’audience. Je vous ai transmis en vous priant de vouloir bien le viser pour exécution immédiate, un arrêté de M. le maire de Bessèges interdisant les chansons provoquant au désordre.

J’ai donné ordre à M. le lieutenant de gendarmerie et à M. le commissaire de police de Bessèges d’exercer une surveillance constante.

Je leur ai notamment recommandé de relever avec la plus grande exactitude toutes les infractions à la loi qui devront être déférées à l’autorité judiciaire.

M. le maire de Bessèges demande que des mesures énergiques soient prises en vue d’arrêter un mouvement anarchiste qui finirait par prendre des proportions dangereuses. Il sollicite la dissolution de la chambre syndicale. M. le maire déclare que si cette mesure n’est pas prise, la municipalité de Bessèges se considérant comme impuissante à assurer l’ordre public, serait dans l’obligation de résigner ses fonctions.

Il y a un an quand les statuts de la chambre syndicale de Bessèges m’ont été transmis par M. le maire de Bessèges, après m’être procuré des renseignements sur la composition de cette chambre, j’ai signalé à toute l’attention de M. le procureur de la république les infractions à la loi du 21 mars 1884 qui me paraissaient avoir été commises. En même temps dans un rapport que j’avais l’honneur de vous adresser le 30 juin 1886, j’exprimais l’avis qu’au préalable de poursuites judiciaires, dans le but d’éviter des difficultés pouvant résulter d’une situation ouvrière très pénible, des démarches fussent faites auprès des organisateurs de l’association afin de les renseigner, de les avertir, d’obtenir d’eux s’il était possible par la voie amiable ou officieuse, la régularisation de la situation.

Depuis cette époque une démarche a été faite par M. le juge de paix de Bessèges. Elle a échoué. D’autre part le caractère et l’esprit de la chambre syndicale dont les membres subissent l’influence d’un certain nombre de perturbateurs révolutionnaires, se sont nettement manifestés dans certaines circonstances. Des désordres n’ont été évités à Bessèges que par des mesures préventives de précaution prises par l’administration.

La chambre syndicale de Bessèges n’a pas hésité à proclamer ses sentiments révolutionnaires en prenant pour emblème le drapeau rouge. Une quarantaine de ses membres ont tenté de promener cet emblème dans les rues de la ville.

Les manifestants ont dû être dispersés par des agents de police qui ont fait disparaître le drapeau rouge.

J’estime qu’aujourd’hui après ces manifestations publiques, il y a lieu dans le but de garantir l’ordre à Bessèges et de rassurer par le haut appui de la loi l’opinion publique justement émue dans cette ville, de poursuivre judiciairement à fin de dissolution, la chambre syndicale des travailleurs réunis, comme étant une association illégalement constituée et révolutionnaire.

J’ajoute que M. le maire, directeur des forges de Bessèges, déclare que dans les circonstances actuelles le fait de poursuites qui seraient exercées contre la chambre syndicale ne lui paraîtrait pas de nature à pouvoir provoquer un nouveau mouvement gréviste.

Le sous-préfet.

Source : Archives départementales du Gard 1 M 791