Joseph Tortelier

Samedi soir, a eu lieu a Guise (Aisne), une grande conférence publique et contradictoire. 600 personnes environ y assistaient. Le premier, le compagnon Devertus a traité de l’impuissance des partis qui ne peuvent défendre efficacement les intérêts de la classe ouvrière ni donner aucune satisfaction à ses revendications.

La Révolution seule pourra, changer le sort des travailleurs, dit-il, mais a une condition, c’est qu’ils en garderont les bénéfices et qu’ils éviteront de remettre leur souveraineté, entre n’importe quelles mains, il faut qu’à tout prix les travailleurs refusent de se laisser forger de nouvelles chaînes.

Les applaudissements de l’auditoire prouvent au compagnon Devertus qu’il a touché juste.

Cela ne fait pas le compte du citoyen Rouannet, qui, de farouche collectiviste révolutionnaire qu’il était autrefois, a lâché le drapeau rouge pour le drapeau tricolore et est devenu un défenseur acharné et intéressé des panacées de M. Godin. Il fut probablement envoyé par son patron.

L’assemblée manifeste son impatience, et l’interpelle assez violemment. Après plusieurs tentatives infructueuses, il est obligé de se retirer, ainsi que le citoyen Duplaquet, employé de M. Godin, sous les huées et les sifflets et soutenus par les seuls applaudissements du commissaire de police.

Le compagnon Devertus ramène la discussion sur son véritable terrain, le communisme libertaire, (Anarchie.) Puis la séance est levée au milieu, des acclamations enthousiastes et des cris de Vive la Révolution sociale ! Vive l’anarchie !

Le lendemain, une nouvelle réunion était tenue à Saint-Quentin, dans la salle du Cirque organisée par les Libertaires et les Enfants de Babeuf.

Mille à douze cents personnes y assistaient.
Le premier, dans un discours seulement interrompu par les applaudissements, le compagnon Tortelier traite de la nécessité d’une Révolution. Dans un langage clair et précis, il développe longuement ses idées.

Le compagnon Devertus fait ensuite le procès du parlementarisme, expose ses idées sur le communisme anarchiste et attaque les théories collectivistes ; il quitte la tribune au milieu des bravos de toute la salle.

Pendant le discours du citoyen Devertus un incident se produit. Comme il disait que plutôt de s’entre tuer, les peuples feraient bien de commencer par se débarrasser de leurs gouvernants, un assistant lui cri : qu’on ferait mieux de commencer par lui. Aussitôt une bagarre se produit.

Deux commissaires présents tirent leurs écharpes, l’un monte à la tribune et dit qu’au nom de la loi il lève la séance. Toute la salle est debout et proteste.

Les compagnons Devertus et Tortelier lui font remarquer qu’il outrepasse son droit, et les commissaires, effrayés de la tournure que prennent les choses, disent aux assistants de se rasseoir, et qu’ils ne lèvent plus la séance.

Le citoyen Devertus termine son discours, dont la fin est acclamée par toute la salle.

Enfin la séance est levée aux cris de : Vive la Révolution ! Vive l’anarchie ! On chante la Carmagnole, et la foule se disperse tranquillement, sans autres incidents.

J. B.

Le Cri du peuple 27 avril 1887