Cabinet du préfet de la Loire

Direction de la Sûreté générale

Mouvement anarchiste

Saint-Étienne le 25 octobre 1882

Monsieur le ministre de l’intérieur,

J’ai eu l’honneur de vous informer, par mon télégramme de ce jour, que M. le sous-préfet de Roanne venait de me faire connaître qu’un marchand de cette ville aurait trouvé dans la journée d’hier, sur la voie publique et sous une enveloppe ne portant aucune adresse, l’exemplaire ci-joint d’un manifeste révolutionnaire conçu dans les termes les plus violents.

M. le sous-préfet ajoute que l’on affirme, sans pourtant que le fait soit parfaitement établi, que 200 ou 300 exemplaires auraient été jetés, ainsi enveloppés, sur les diverses routes aboutissant aux usines de Roanne et aux abords de celles-ci. Le commissaire de police déclare qu’aucun de ses agents n’a vu ce manifeste dans les mains des ouvriers.

Informé aussi que ces manifestes auraient été déposés dans quelques cabarets de Perreux, chef lieu du canton situé à quelques kilomètres de Roanne, M. le sous-préfet prescrivit à la gendarmerie de procéder ce jour à une enquête.

Il est résulté de cette enquête que, dans la soirée du dimanche 22 octobre, quatre individus inconnus à Perreux mais qu’on suppose habiter Roanne, ont laissé chez un aubergiste du bourg trois ou quatre placards semblables à celui qui est annexé au présent rapport, et aussi deux numéros du Droit social des 2 avril et 25 juin 1882.

Des recherches sont faites pour arriver à découvrir ces quatre distributeurs. J’aurai soin, M. le ministre, de vous tenir au courant de la suite donnée à cette affaire, qui a été déférée à M. le procureur de la république.

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Cabinet du Sous-préfet de Roanne le 24 octobre 1882

Monsieur le préfet

Les investigations de la police n’ont pas abouti à la découverte des individus signalés dans mon rapport du 20 courant.

Aujourd’hui M. Fontaine me remet le manifeste inclus qu’un marchand de Roanne aurait trouvé sous enveloppe, sans adresse sur la voie publique. On affirme, mais le fait n’est rien moins qu’établi, que deux ou trois cents de ces documents auraient été jetés, ainsi enveloppés, sur les diverses routes aboutissant aux usines et aux abords de celle-ci. M. le commissaire de police a vainement interrogé ses agents ; il lui a été répondu qu’aucun manifeste n’avait été vu dans les mains des ouvriers.

Diverses personnes auraient raconté au marché aujourd’hui que dimanche et hier des inconnus auraient déposé ces mêmes papiers dans quelques cabarets de Perreux. Dès que j’ai été informé de cette rumeur, j’ai prescrit à la gendarmerie de faire une enquête et de m’informer aujourd’hui même du résultat. J’attends le retour des gendarmes pour clore cette lettre et vous transmettre les indications qu’ils m’auront apportées.

La ville est d’aspect tranquille, mais la double explosion de Lyon à singulièrement impressionné la population laborieuse de Roanne. J’entends dire à des Républicains très sincères, et je crois de mon devoir de vous le répéter, que République devant être synonyme de sécurité, le gouvernement doit déployer la plus grande énergie dans la répression des actes de banditisme qui émeuvent le pays. Je m’emploie à rassurer les esprits et, rappelant les mesures prises pour rétablir l’ordre dans les contrées où quelques agitateurs ont cherché à les troubler, je montre quel souci de la paix publique et de la sûreté de chacun anime le gouvernement.

Rien d’ailleurs, en ce qui concerne Roanne ne laisse pressentir la moindre perturbation.

Le sous-préfet.

Je reçois à l’instant de la gendarmerie la réponse relative à Perreux : dans la soirée de dimanche quatre individus inconnus, mais qu’on suppose habiter Roanne, ont laissé chez un aubergiste-boulanger au bourg, trois ou quatre placards semblables à celui ci-joint et aussi deux numéros du Droit social.

Archives départementales de la Loire 1 M 527

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