La Fédération américaine de l’Association internationale des travailleurs était une alliance de groupes anarchistes et socialistes-révolutionnaires américains fondée lors d’un congrès tenu à Pittsburgh, en Pennsylvanie, du 12 au 14 octobre 1883.

Elle tirait son nom de l’Association internationale des travailleurs établie à Londres en 1881 à laquelle la Fédération américaine n’avait en fait jamais adhéré.

Le congrès fondateur avait réuni 40 délégués représentant des groupes de villes industrielles réparties à travers l’Est et le Midwest, qui avaient approuvé à l’unanimité le document reproduit ici. La paternité de la « Proclamation de Pittsburgh » a été attribuée à Johann Most.

Le but du Congrès de Pittsburgh, qui débuta le 14 octobre 1883, était de rassembler en une seule organisation les agitateurs radicaux de tout le pays. Des délégués de vingt-six villes étaient présents, parmi les cinq de Chicago se trouvaient Albert Parsons et August Spies. La figure dominante du Congrès était Johann Most, récemment arrivé d’Europe. La plupart ont été les principaux auteurs du manifeste produit par la conférence.

Camarades!

Dans la Déclaration d’Indépendance des États-Unis, nous lisons : « Lorsque, dans une longue suite d’abus et d’usurpations, poursuivant invariablement le même but, il manifeste le dessein de les soumettre au despotisme absolu, c’est leur droit, c’est leur devoir de rejeter ce gouvernement et fournir de nouveaux gardes pour sa sécurité future.

Le moment n’est-il pas venu d’écouter les conseils de Thomas Jefferson, le véritable fondateur de la République américaine ? Le gouvernement n’est-il pas devenu une oppression ?

Et notre gouvernement est-il autre chose qu’une conspiration des classes dirigeantes contre le peuple – contre vous ?

Camarades! Écoutez ce que nous avons à dire. Lisez notre manifeste [cette Proclamation], écrit dans votre intérêt et pour le bien-être de vos femmes et de vos enfants et pour le bien de l’humanité et du progrès.

Notre société actuelle est fondée sur l’exploitation de la classe sans propriété par les possédants. Cette exploitation est telle que les possédants (les capitalistes) achètent la force de travail des sans-propriété, corps et âme, pour le simple prix de l’existence (salaires) et s’approprient, c’est-à-dire volent la quantité de nouvelles valeurs (produits). ) qui dépasse le prix, par lequel les salaires sont censés représenter les nécessités au lieu des gains du salarié.

Comme les classes non possédantes sont obligées par leur pauvreté d’offrir en vente aux possédants leur force de travail, et que notre production actuelle à grande échelle impose un développement technique avec une immense rapidité, de sorte que par l’application d’un nombre toujours décroissant de moyens de production. la force de travail humaine, une quantité toujours croissante de produits est créée ; de même, l’offre de main-d’œuvre augmente constamment, tandis que la demande diminue. C’est la raison pour laquelle les ouvriers rivalisent de plus en plus intensément pour se vendre, faisant baisser leurs salaires, ou du moins en moyenne, sans jamais les élever au-dessus de la marge nécessaire pour maintenir intacte leur capacité de travail.

Tandis que, par ce processus, les sans-propriétés sont entièrement empêchés d’entrer dans les rangs des possédants, même par les efforts les plus acharnés, les possédants, au moyen d’un pillage toujours croissant de la classe ouvrière, s’enrichissent de jour en jour, sans en de toute façon étant eux-mêmes productifs.

Si de temps en temps des membres de la classe sans propriété deviennent riches, ce n’est pas grâce à leur propre travail mais grâce à des opportunités sur lesquelles ils doivent spéculer et absorber le produit du travail des autres.

Avec l’accumulation de richesses individuelles, l’avidité et le pouvoir des possédants augmentent. Ils utilisent tous les moyens pour rivaliser entre eux pour le pillage du peuple. Dans cette lutte, les moins possédants (la classe moyenne) sont généralement vaincus, tandis que les grands capitalistes, par excellence, augmentent énormément leur richesse, concentrent entre leurs mains des branches entières de la production ainsi que du commerce et des communications et se transforment en monopoles. L’augmentation de la production, accompagnée de la diminution simultanée du revenu moyen de la masse laborieuse du peuple, conduit à des crises dites « commerciales » et « commerciales », lorsque la misère des salariés est poussée à l’extrême.

A titre d’illustration : le dernier recensement des États-Unis montre qu’après déduction du coût des matières premières, des intérêts, des loyers, des risques, etc., la classe possédante a absorbé — c’est-à-dire volé — plus des cinq huitièmes de tous les produits, laissant à peine les trois huitièmes aux producteurs. La classe possédante, représentant à peine un dixième de notre population, et malgré son luxe et son extravagance, incapable de consommer ses énormes « profits », et les producteurs, incapables de consommer plus que ce qu’ils reçoivent – ​​les trois huitièmes – donc – des « surproductions » doivent nécessairement avoir lieu. Les terribles conséquences des paniques sont bien connues.

L’éradication croissante des forces de travail du processus productif augmente chaque année le pourcentage de la population sans propriété, qui devient paupérisée et poussée au « crime », au vagabondage, à la prostitution, au suicide, à la famine et à la dépravation générale. Ce système est injuste, insensé et meurtrier. Il est donc nécessaire de le détruire totalement par tous les moyens et avec la plus grande énergie de la part de tous ceux qui en souffrent et qui ne veulent pas être rendus coupables de son existence par leur inactivité.

Agitation à des fins d’organisation; organisation à des fins de rébellion. Dans ces quelques mots sont marqués les chemins que doivent emprunter les ouvriers s’ils veulent se débarrasser de leurs chaînes ; comme la situation économique est la même dans tous les pays de ce qu’on appelle la « civilisation » ; comme les gouvernements de toutes les monarchies et républiques travaillent main dans la main pour s’opposer à tous les mouvements de la partie pensante des ouvriers ; de même qu’en fin de compte, la victoire dans le combat décisif des prolétaires contre leurs oppresseurs ne peut être obtenue que par la lutte simultanée dans toute la ligne de la société bourgeoise (capitaliste), de même la fraternité internationale des peuples telle qu’elle s’exprime dans l’Association internationale des travailleurs. se présente comme une nécessité évidente.

Le véritable ordre devrait prendre sa place. Cela ne peut être réalisé que lorsque tous les instruments de travail, le sol et les autres locaux de production, en bref, le capital produit par le travail, deviennent sociétaux. C’est seulement par ce présupposé que toute possibilité de spoliation future de l’homme par l’homme est détruite. Ce n’est que grâce à un capital commun et indivis que tous pourront jouir pleinement des fruits du labeur commun. Ce n’est que par l’impossibilité d’accumuler un capital personnel (privé) que l’on peut contraindre au travail quiconque a besoin de vivre.

Cet ordre de choses permet à la production de se régler selon la demande du peuple tout entier, de telle sorte que personne n’ait besoin de travailler plus de quelques heures par jour, et que tous puissent néanmoins satisfaire leurs besoins. Le temps et l’occasion sont ainsi donnés pour ouvrir au peuple la civilisation la plus élevée possible ; les privilèges d’une intelligence supérieure tombent avec les privilèges d’une naissance supérieure. À la réalisation d’un tel système, les organisations politiques des classes capitalistes — qu’il s’agisse de monarchies ou de républiques — constituent des barrières. Ces structures politiques (États), entièrement aux mains des possédants, n’ont d’autre but que de maintenir le désordre actuel de l’exploitation.

Toutes les lois sont dirigées contre les travailleurs. Dans la mesure où le contraire semble être le cas, elles [les lois] servent d’une part à aveugler le travailleur, d’autre part elles sont simplement éludées. Même l’école n’a pour but que de fournir aux descendants des riches les qualités nécessaires pour maintenir leur domination de classe. Les enfants des pauvres reçoivent à peine une formation élémentaire formelle, et celle-ci est également principalement dirigée vers les branches qui tendent à produire des préjugés, de l’arrogance et de la servilité ; bref, manque de sens. L’Église cherche finalement à rendre la masse complètement idiote et à lui faire renoncer au paradis sur Terre en promettant un Ciel fictif. La presse capitaliste, en revanche, s’occupe de la confusion des esprits dans la vie publique. Toutes ces institutions, loin de contribuer à l’éducation des masses, ont pour objectif de maintenir le peuple dans l’ignorance. Ils sont tous à la solde et sous le contrôle direct des classes capitalistes. Les travailleurs ne peuvent donc espérer aucune aide d’aucun parti capitaliste dans leur lutte contre le système existant. Ils doivent parvenir à leur propre libération par leurs propres efforts. Comme autrefois une classe privilégiée n’a jamais renoncé à sa tyrannie, on ne peut pas non plus s’attendre à ce que les capitalistes de notre époque abandonnent leur pouvoir sans y être contraints.

Si jamais un doute avait pu se poser sur ce point, il aurait dû être dissipé depuis longtemps par les brutalités que la bourgeoisie de tous les pays — en Amérique comme en Europe — commet constamment, aussi souvent que le prolétariat, où qu’il soit, s’efforce énergiquement d’améliorer sa situation. condition. Il devient donc évident que la lutte du prolétariat contre la bourgeoisie doit avoir un caractère révolutionnaire violent.

Nous pourrions montrer par de nombreuses illustrations que toutes les tentatives dans le passé pour réformer ce système monstrueux par des moyens pacifiques, tels que le scrutin, ont été vaines, et que tous les efforts de ce type à l’avenir devront nécessairement l’être, pour les raisons suivantes :

Les institutions politiques de notre époque sont les agents de la classe possédante ; leur mission est de maintenir les privilèges de leurs maîtres ; toute réforme en votre faveur réduirait ces privilèges. Ils n’y consentiront pas et ne pourront pas y consentir, car cela serait suicidaire pour eux-mêmes.

Qu’ils ne renonceront pas volontairement à leurs privilèges, nous le savons ; qu’ils ne nous feront aucune concession, nous le savons également. Puisque nous devons alors compter sur la bonté de nos maîtres pour toute réparation que nous avons, et sachant qu’on ne peut attendre d’eux aucun bien, il ne nous reste qu’un seul recours : LA FORCE ! Nos ancêtres nous ont non seulement dit que la force contre les despotes est justifiable parce qu’elle est le seul moyen, mais ils ont eux-mêmes donné l’exemple immémorial.

Par la force, nos ancêtres se sont libérés de l’oppression politique, par la force leurs enfants devront se libérer de l’esclavage économique. « C’est donc votre droit, c’est votre devoir, dit Jefferson, d’armer !

Ce que nous obtiendrons donc clairement et simplement :

Premièrement : la destruction de la domination de classe existante, par tous les moyens, c’est-à-dire par une action énergique, implacable, révolutionnaire et internationale.

Deuxièmement : Établir une société libre basée sur des moyens de production coopératifs.

Troisièmement : Libre échange de produits équivalents par et entre les organisations productives, sans commerce ni recherche de profit.

Quatrièmement : Organisation de l’éducation sur une base laïque, scientifique et égale pour les deux sexes.

Cinquièmement : Des droits égaux pour tous sans distinction de sexe ou de race.

Sixièmement : Régulation de toutes les affaires publiques par des contrats libres entre les communes autonomes (indépendantes) et les associations, reposant sur une base fédéraliste.

Celui qui est d’accord avec cet idéal, qu’il attrape nos mains fraternellement tendues !

Les prolétaires de tous les pays se détachent !

Chers collègues, tout ce dont nous avons besoin pour atteindre ce grand but, c’est d’ORGANISATION et d’UNITÉ !

Il n’existe désormais aucun grand obstacle à cette unité. L’œuvre d’éducation pacifique et la conspiration révolutionnaire peuvent et doivent se dérouler en parallèle.

L’heure est à la solidarité. Rejoignez nos rangs ! Que le tambour batte avec défi le roulement de la bataille : « Ouvriers de tous les pays, unissez-vous ! Vous n’avez rien à perdre à part vos chaînes, vous avez un monde à gagner !

Tremblez les oppresseurs du monde ! Non loin de votre vision aveugle, les lumières écarlates et sable du JOUR DU JUGEMENT se lèvent !

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Amérique

Les socialistes des Etats-Unis ont célébré le congrès annoncé, à Pittsbourg. La plupart y avaient envoyé leurs délégués ; malgré les distances énormes qui rendent très difficile l’envoi d’un homme pour les poches des pauvres ouvriers, ceux-ci ont trouvé en s’unissant entre plusieurs groupes, où les circonstances le permettaient, le moyen de se faire représenter. A ce congrès, tous les courants du socialisme étaient représentés : les « social-démocrates » adhérant à la « lutte » électorale, les socialistes révolutionnaires, enfin les anarchistes. Aussi le résultat nous semble-t-il, quoiqu’on en dise, bien problématique.

Un plan d’organisation que nous reproduisons d’après la Freiheit, a été accepté.

1 ’ L’organisation consiste dans des groupes fédérés qui s’obligent aux principes développés dans la proclamation à publier.

2° Cinq personnes ont le droit de faire un groupe.

3° Chaque groupe est complètement autonome et agit d’après son propre avis dans sa propagande et son action, selon la localité, pourvu que cette propagande et cette action ne soient pas contraires aux principes de l’organisation.

4′ Il est recommandé à chaque groupe de s’appeler suivant sa localité.

5° Quand il y a plusieurs groupes dans une localité, on leur recommande dans le but d’une action commune d’élire un comité général sans lui donner un pouvoir exécutif.

6° II sera constitué un bureau d’informations, qui se composera de secrétaires des différentes langues, destiné à servir d’intermédiaire entre les groupes du pays et de l’étranger.

7° Les groupes qui veulent adhérera la Fédération doivent se présenter auprès du bureau d’information en donnant le nombre de leurs membres et une recommandation d’un groupe voisin, ils devront envoyer au moins tous les trimestres un compte-rendu de leur situation.

8° Pour la convocation d’un congrès général il faut le consentement de la majorité des groupes.

9°A toutes les dépenses du Bureau d’informations on fera face par des cotisations volontaires des différents groupes.

La résolution suivante est encore proposée :

1° Toute désunion et division parmi les socialistes de tous les pays ne servent qu’aux adversaires communs, puissants et infâmes.

2° Les social-démocrates d’Allemagne ont déclaré souvent qu’ils ne pouvaient et ne voudraient se mêler dans les affaires des socialistes (les Etats-Unis de l’Amérique du Nord et qu ils ont agis jusqu’ici strictement selon leurs déclarations, et considérant que ;

3° Chaque socialiste convaincu doit être éclairé, et l’est sur le fait, (pie la grande révolution sociale ne peut être menée au but par la voie du parlementarisme, de la péroraison et des phrases, mais définitivement par la force :

Le congrès déclare :

1° Il est du devoir et de la tâche de tous les socialistes des Etats-Unis d’Amérique de se serrer plus étroitement les uns contre les autres, d’éviter la lutte des partis et de faire face à l’ennemi commun (le capitalisme), car la lutte sociale demande une armée grande, décidée, convaincue et connaissant le but des ouvriers exercés dans le socialisme.

2° Nous n’avons point à nous mêler des querelles des partis ou des querelles personnelles des socialistes des autres pays (surtout des compagnons de l’Allemagne) et la division sur la tactique entre deux fractions de compagnons ; allemands doit nous être indifférente.

3’ Chaque agitateur socialiste doué et fidèle à sa conviction, qui veut honnêtement et sincèrement ce qu’il dit, nous le saluerons comme agitateur de notre cause commune.

Cette résolution est acceptée avec deux amendements ; l’un proposé par Most, demandant que l’on mette des socialistes de tous les pays dans tous les passages où la proposition parle spécialement des socialistes de l’Allemagne ; l’autre ajoutant:

« Nous bannissons de notre milieu quiconque aura été, depuis qu’il est membre de notre organisation, en relations avec l’un des partis capitalistes ou avec leur presse dans le but de filouterie politique ».

Ensuite le congrès accepte à l’unanimité, avec des applaudissements enthousiastes, un manifeste qui doit être répandu en langue anglaise, par 100.000 exemplaires, en langue allemande, par 50,000 exemplaires, et en langue française par 10.000. Nous regrettons que le format de notre journal ne nous permette pas de le reproduire, afin que nos lecteurs puissent juger par eux-mêmes des principes de cette organisation.

Pour le Bureau d’organisation, Chicago est désigné à l’unanimité.

Nous avons la conviction que des luttes intestines ne tarderont pas à éclater dans cette nouvelle organisation composée des éléments les plus hétérogènes et avec des statuts et des déclarations prêtant à des équivoques sans fin. Malgré toutes les expériences déjà faites, les gens , — et parmi eux ceux de la trempe d’un Most — essayent toujours à nouveau l’union impossible de « toutes les forces révolutionnaires ». Travail de Sysiphe. La lutte entre l’Autoritarisme et l’Anti-Autoritarisme doit être vidée et elle le sera. Les deux parties peuvent combattre l’ennemi commun, le Capitalisme, ensemble, mais elles ne pourront jamais former un parti, sans renoncer l’un ou l’autre, et peut-être tous les deux, à leurs principes — négation les uns des autres. Quand donc cette vérité sera-t-elle comprise par tous ?

Le Révolté 24 novembre 1883

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