Citoyens,

Depuis la suppression de la Commune de Paris en 1871 et l’assassinat de 35.000 de ses plus héroïques défenseurs, la réaction a régné d’une manière triomphante en France. Dix années se sont écoulées depuis cette terrible défaite des travailleurs, défaite qui n’a pas sa pareille dans l’histoire. Cependant les capitalistes sont loin d’être rassurés. Tout au contraire, ils éprouvent une réelle frayeur à voir monter le socialisme.

Aussi voit-on les persécutions s’accroître et les jugements tomber dru sur la tête des révolutionnaires. De ce côté, le nombre des défenseurs de la vérité et de la justice augmente chaque jour.

Les despotes (aussi bien républicains que monarchistes des soi-disant pays civilisés sont prêts à envoyer à l’échafaud ou en bannissement tous ceux qui, mieux informés que leurs frères en misère, essayent de trouver un remède aux injustices et à l’inégalité existant dans la société actuelle. Pendant plusieurs siècles les classes dirigeantes (aristocrates et capitalistes) ont exploité les travailleurs.

Les gouvernants de n’importe quel parti ne sont que les instruments de ces classes, et sous les différents déguisements : de juges, d’hommes de police, de prêtres et de bourreaux, ils usent leurs forces et leur énergie pour conserver aux exploiteurs leurs privilèges et leurs monopoles, noyant dans le sang toutes les justes réclamations du travailleur.

L’État actuel de la société surpasse en brutalité les époques précédentes. Journellement l’on rencontre des ouvriers dénués du plus strict nécessaire, et l’on en voit également mourir prématurément par suite de privation, tout à côté de membres de cette société, membres ne produisant rien et vivant dans le luxe et le superflu. Dans chaque pays, une petite partie de la population après une vie de plaisir, de paresse et souvent de débauches, se voit décerner des honneurs, des titres et tout cela au préjudice de ceux qui meurent en prison ou dans un asile, ayant avant cette triste fin traîné une vie de travail et de sacrifices.

Possédons-nous au moins la liberté d’exprimer nos pensées ?

Existe-t-il une liberté d’opinion ?

Certainement que non ! En Russie, comme en Allemagne, on emprisonne pour avoir écrit ou défendu une seule brochure révolutionnaire. En France, les socialistes – comme à Lyon – sont condamnés simplement pour leurs opinions anarchistes ; et en Angleterre, les éditeurs du journal Freihet sont emprisonnés pour avoir exprimé leur opinion dans cette feuille. Les libre-penseurs subissent actuellement une peine corporelle pour la même raison. En Irlande la liberté de parole et de la presse est entièrement supprimée.

Pouvons-nous attendre à voir cet état de choses se modifier, par l’effet de nos sollicitations ?

Devons-nous au contraire n’y point compter ? Ou souhaitons-nous une société nouvelle établie sur d’autres bases, une société dans laquelle chacun produirait selon ses capacités et consommerait suivant ses besoins, une société où la justice serait égale pour tous et où régnerait la liberté ? Si ce nouvel état social est désiré par vous, il devra être conquis par la classe ouvrière seule et pour elle seule. Les classes dirigeantes ne céderont jamais volontairement leurs privilèges, et les capitalistes (classe la plus égoïste) emploieront toute leur puissance à défendre leurs monopoles, monopoles conquis par le vol et l’exploitation des précédentes générations. Les discours les plus éloquents des hommes politiques et des membres du parlement (s’entend de ceux envoyés par les ouvriers) doivent toujours être considérés comme des préludes à la trahison. Ces discours, du reste, sont toujours les mêmes : nouveaux privilèges pour les riches, nouvelles charges pour les pauvres.

L’expérience a cependant dissipé les illusions de ceux qui ont autrefois ajouté foi dans les promesses des gouvernements, de ceux qui ont cru à l’égalité des lois ; aujourd’hui les yeux de de ceux là sont ouverts à la lumière : ils ne croient plus à la parole de ces faux avocats (conservateurs, libéraux, républicains) qui demandent lorsqu’ils sont en danger l’appui du peuple, peuple qu’ils trahissent quand ils sont au pouvoir. L’histoire n’est qu’un long récit du martyr des peuples, et l’on peut dire que c’est sur les cadavres des prolétaires que s’est établie la tyrannie des rois et de tous les gouvernements.

Mais l’heure approche où les déshérités régleront leurs comptes avec ceux qui ont si longtemps vécu de leur sueur et de leur sang. L’abus que la classe bourgeoise fait de sa puissance, la misère que cette classe a causé, tout cela a formé dans le cœur des travailleurs une haine qui, bientôt, dirigera ses efforts contre elle.

Les premiers signes de l’écroulement des bases sur lesquelles repose la société actuelle, sont déjà perceptibles.

Des persécutions et des condamnations sauvages ont atteint les révolutionnaires. Ces révolutionnaires on les voit : pendus en Russie et en Irlande ; bannis en Autriche et en Italie ; emprisonnés en France et en Allemagne ; on les voit enfin traqués partout comme des bêtes sauvages.

Les défenseurs de la liberté et de la justice soutiennent un combat inégal, c’est vrai, mais leur but est sublime !

En combattant pour la liberté, ils vengent non seulement le martyr des ouvriers du temps actuel, mais aussi les souffrances des précédentes générations.

Pour triompher dans cette lutte du travail contre le capital, l’union de tous est nécessaire.

Il faut nous unir et raffermir encore les liens de solidarité fraternelle qui nous unissent.

Nous devons continuer l’œuvre de l’Association Internationale des ouvriers.

Pour cela, camarades, nous nous retournons encore une fois vers vous pour vous adresser un appel suprême :

Travailleurs de tous les pays, unissez-vous et renversez l’état actuel de la société, pour établir sur ses ruines une société nouvelle, ayant pour bases : l’égalité, la liberté et la justice !

Le manifeste ci-dessus a été adopté par les sociétés suivantes :

Club International : Poland Street, 15, W

  • Section anglaise : Lord et Plant
  • Section française : Robin et Muller
  • Section hollandaise : De Greef et Van Heerde
  • Section slave : W. Tchaykowsky et Skestopal
  • Section polonaise : Steinbard et Sosnovsky
  • Club allemand, Staphen Mews, Rathbone Place : Trunk et Keynarzi
  • Communards français : Moreau et Varlet
  • Section italienne : Demartys et Soleri
  • Labour Emancipation Ligue : Hudson et Simpson
  • Club radical de Stratford : Miller et McGregor
  • Club socialiste d’Homerton : Lane et Price
  • Club patriotique : Fuller et G. G. Smith
  • Fédération démocratique : J.F. Murray et D. Butler
  • Manhood suffrage league : C. Murray
  • Chelsea labour association : H. W. Rowland et E. Dyke

Archives de la Préfecture de police Ba 435

Lire le dossier : L’Internationale noire