Né le 14 juillet 1901 à Alfortville (Val-de-Marne), décédé le 3 novembre 1926, dessinateur, publiciste, anarchiste d’Alfortville et Paris .
A 16 ans, André Bellanger fit une fugue et ses parents eurent recours à la Préfecture de police pour le retrouver.
Dès ce moment, il fit partie du groupe anarchiste Ni dieu, ni maître qui par la suite prit le nom de Fédération des jeunesses anarchistes.
Pendant la guerre André Bellanger avait participé aux activités du groupe par la chanson La Gerbe animé notamment par Loréal et Péache.
Du 17 août 1918 au 10 mai 1919, il travailla comme aide-monteur aux Ets Lefevre et cie – Aéroplanes Voisin, 38 boulevard Gambette à Issy-les-Moilineaux.
André Bellanger qui résidait 43 rue Labbé, avec son beau-frère Gilbert Lemaire, militant anarchiste lui aussi, était en 1919 militant du groupe d’Alforville de la Fédération des jeunesses anarchistes.
Il avait été arrêté le 8 juillet 1919, rue Ramponneau, pour avoir injurié des gardiens de la paix qui procédaient à son interpellation.
Le 26 octobre 1919, paraissait dans le Libertaire l’annonce suivante : « Les jeunes camarades de la région qui veulent faire partie d’un groupe d’éducation sociale éclectique voudront bien écrire a André Bellanger, 43, rue Labbé, a Alfortville.
La Fédération des Jeunesses Anarchistes, informait dans le Libertaire du 30 novembre 1919, qu’il avait été constitué dans la région parisienne, plusieurs groupes. Les jeunes désireux de faire partie de ces groupes, étaient priés d’envoyer leur adhésion (nom et adresse) à un certain nombre de camarades, dont André Bellanger.
Jusqu’en 1920, il fréquentait les réunions de ce groupe qui se réunissait 49 rue de Bretagne et 36 rue Henri Chevreau.
Il avait participé à la reconstitution du groupe La Gerbe dont Léon Louis fut nommé secrétaire, le 20 janvier 1920.
Le 27 janvier 1920, Bellanger participait à la réunion de la Gerbe, 34 rue Henri Chevreau où il était convenu que la pièce « Le déserteur » serait jouée immédiatement après la fête du Libertaire. Bellanger récita des vers en fin de réunion.
Le 24 janvier 1920, il était condamné par la 11e chambre correctionnelle du tribunal de Paris à 6 mois de prison et 100 francs d’amende pour provocation de militaires à la désobéissance.
Début avril 1920 il avait été arrêté et emprisonné à la Santé. Dans le Libertaire du 6 juin 1920, il signait une tribune de 20 détenus politiques demandant que ce statut soit accordé aux ouvrières et ouvriers arrêtés avant et depuis le 1er mai pour faits de grèves, entraves à la liberté du travail, discours, cris, collage d’affiches, distribution de tracts, rébellion et outrages aux agents de la force publique au cours de manifestations.
Le 27 mars 1920, il était de nouveau arrêté sur un mandat d’amener de M. Warrain, juge d’instruction du tribunal de la Seine, l’inculpant de provocation au vol, au crime et au pillage, adressée à des militaires.
Bellanger était inscrit à la Faculté de droit de Paris. Appartenant à la classe 1921, il avait demandé et obtenu un sursis d’incorporation en qualité d’étudiant. Il renonça à son sursis le 3 novembre 1921. Le 7 novembre, il avait été affecté au 81e régiment d’artillerie lourde, le 8 du même mois, il était réformé.
A partir du 23 novembre 1922, il habitait en garni 312 rue Saint-Jacques à Paris, avec sa compagne Germaine, Louise Deguisme, femme de chambre.
Le 29 janvier 1923, il demeurait 318 rue Saint-Jacques à Paris, 5e arrondissement et adressait une lettre au directeur de la Sûreté générale, pour obtenir un emploi dans la brigade chargée de la surveillance des anarchistes : « J’ai déjà fréquenté ces milieux, je pense donc pouvoir être utile à votre service de renseignements. »
SOURCES :
Archives nationales 20010216/170 (La Gerbe) — Archives de la Préfecture de police 211W1 — Notice dans le Dictionnaire des militants anarchistes — Archives du Val-de-Marne, tables des successions et absences, Maison-Alfort.
Audience du 11 octobre 1893. LA BANDE RENARD. — LE PILLAGE DE LHOTEL DE PANISSE-PASSIS. — VOLS QUALIFIÉS.
On n’a pas oublié les circonstances véritablement stupéfiantes dans lesquelles, au mois de janvier dernier, fut mis au pillage l’hôtel de M. le marquis de Panisse-Passis. Répudiant les errements de leurs congénères, plusieurs cambrioleurs vinrent tout simplement sonner à la porte, se donnèrent, en exhibant des pièces à en-têtes officiels, comme des agents de la force publique chargés de l’exécution d’un mandat de justice. M. le préfet de police lui-même était figuré parmi un récidiviste quelconque, qui surveillait « l’opération». Les concierges furent solidement garrottés, bâillonnés, et durent assister aux exploits des malfaiteurs, qui, le plus tranquillement du monde, se retirèrent en emportant dans une voiture les objets de prix dont ils avaient, tout à leur aise, fait le choix.
Les voici aujourd’hui en Cour d’assises, tout au moins quelques-uns d’entre eux, et avec eux les receleurs qui les ont aidés à faire disparaître le produit de leurs vols.
M. l’avocat général Bonin occupe le siège du ministère public.
Voici les noms des accusés ; 1° Renard (Alfred-Pierre-Joseph), dit Jean Morel, dit Arthur Barbier, dit Butet, dit Amédée, dit Deschamps, dit Bellanger, né le 25 avril 1846, à Filain (Haute-Saône), bookmarker, demeurant à Paris. Défenseur, me Deschamps ;
2° Tajan (Bertrand-Rugène), dit Alleaume, dit Prillard, dit Anatole, né le 30 mars 1840, courtier, demeurant à Paris. Défenseur Me Léon ;
3° Jably (Paul), dit Gros-Paul, dit Paul-le-Cocher, né à Paris, le 14 juillet 1862, cocher, demeurant à Paris. Défenseur me Du Bousquet ;
4° Fraise (Pierre-Claude), né à Lyon le 24 février 1856, bijoutier, demeurant à Paris-Malakoff. Défenseur, Me HENRI ROBERT ;
5° Femme Fraise, née Julie-Emilie Guyonnet, née le 13 septembre 1862 à Neury (Nièvre), bijoutière, demeurant avec son mari. Défenseur,Me Henri ROBERT ;
6° Clusel (Charles-Louis), né à Toulouse le 13 janvier 1864, chemisier, demeurant à Paris. défenseur, Me Ludovic Raynaud ;
7° Dubreuil (Jean), né le 31 octobre 1859 à Batignolles (Seine), artiste dramatique, demeurant à Paris. Défenseur, Me Penthes ;
8° Nicolle (Paul-Eugène), né à Paris le 4 décembre 1865, garçon boucher, demeurant à Paris. Défenseur, Me HENRI ROBERT ;
9° Latrompette (Auguste) dit Ferré, né le 18 mars 1843 à Louvemont (Meuse), se disant commissionnaire en marchandises, demeurant à Paris. Défenseur, Me Silvy.
Ces neuf accusés ont, en outre du pillage de l’hôtel Panisse-Passis, à répondre de plusieurs autres vols qualifiés.
Voici comment l’acte d’accusation, lu par M. le greffier Wilmès, expose les faits :
Le marquis de Panisse Passis occupe un hôtel sis avenue Marceau, 24. Au commencement de l’hiver dernier, il quitta Paris, laissant l’hôtel à la garde des concierges, les époux Quézel. Le 27 janvier, entre cinq heures et cinq heures un quart du soir, on sonna à la porte cochère et quatre individus entrèrent.L’un d’eux, qui portait la rosette d’officier de la Légion d’honneur, exhiba un imprimé sur lequel on lisait : « Au nom de la loi » et déclara qu’il venait arrêter le marquis de Pavisse, inculpé d’avoir reçu de la Compagnie de Panama un chèque de 200,000 francs et son concierge endosseur du chèque. Il ajouta qu’il allait procéder à une perquisition et se fit conduire dans le cabinet de M. Panisse; deux de ses compagnons le suivirent, tandis que le quatrième ainsi qu’un cinquième individu, entré dans l’hôtel un peu après les autres, restaient dans la loge pour garder la dame Quézel.
Dans le cabinet de travail, le faux commissaire de police, assisté d’un de ses acolytes, qui jouait le rôle de secrétaire, fit subir un interrogatoire au concierge, après quoi il le fit garder dans une salle voisine. Il fit ensuite monter la dame Quézel, qui fut interrogée à son tour, et enfermée dans une autre pièce, après qu’on lui eût attaché les mains avec une courroie. Pendant que les deux époux étaient gardés à vue par des malfaiteurs, un autre s’était revêtu du tablier et coiffé de la calotte de Quézel, et était descendu dans la loge pour répondre aux personnes qui pouvaient se présenter.
De sept heures à minuit, les trois autres malfaiteurs procédèrent au pillage de l’hôtel. Dans le cabinet de travail ils forcèrent un secrétaire et y prirent un carnet de chèques avec une cinquantaine de récépissés de valeurs; ils désencadrèrent et enlevèrent les tableaux anciens d’un grand prix, et s’emparèrent d’une collection d’autographes précieuse. Dans la chambre de Mme de Panisse, ile forcèrent un placard intérieurement garni de fer, et y trouvèrent la clé d’une armoire renfermant un coffre-fort et des bijoux; ils mirent deux heures à forcer le coffre-fort, et s’emparèrent d’une quantité considérable d’argenterie, de bijoux et de titres au porteur. En même temps, le faux commissaire de police visitait tout l’hôtel, il apporta de la cave plusieurs bouteilles de vin qu’il distribua à ses complices.
Au deuxième étage, il prit une grande quantité de linge ; au rez-de-chaussée, il désencadra et enleva d’autres tableaux de maîtres hollandais. Enfin, dans la loge, il prit, de concert avec le faux concierge, une petite somme d’argent, une montre, quelques bijoux, six cuillères en argent et des papiers.
Tous les objets volés furent placés dans deux malles qui furent chargées sur une voiture qu’un des voleurs était allé chercher vers dix heures.
Vers minuit, la voiture repartit avec son chargement. Un des malfaiteurs, que ses complices désignaient comme étant le préfet de police, plaça dans la chambre de M. de Panisse deux chaises dos à dos, y fit asseoir les époux Quézel, attacha les jambes du mari avec une corde, et le faux commissaire de police leur annonça qu’on viendrait les prendre une heure après pour les conduire en prison.
Au bout d’un certain temps, les époux Quézel, n’entendant plus aucun bruit, réussirent à se dégager de leurs liens et firent leur déclaration à des agents qui passaient devant l’hôtel ; il était alors deux heures du matin.
Les premières recherches établirent qu’un des principaux auteurs de ce vol audacieux devait être un un individu désigné tantôt sous le nom d’Alleaume, tantôt sous celui de « Vieil Anatole », et qui n’était autre que l’accusé Tajan. Tajan, voleur de profession, avait passé une partie de son existence en prison. A la maison centrale de Clairvaux, il s’était lié avec un des accusés, Dubreuil, et depuis sa libération il était entré en relations avec un ancien horloger, l’accusé Fraise.
Le 4 février, Tajan fut arrêté dans sa chambre, 2, rue des Petits-Carreaux, avec Dubreuil. Ou trouva chez lui des bijoux et des draps volés à l’hôtel de Pavisse, ainsi qu’une malle contenant des coupons de soie soustraits le 2 février au préjudice d’un sieur David. Le même jour, ou arrêtait les époux Fraise, chez lesquels on trouvait de l’argenterie et des bijoux volés à l’hôtel Panisse, ainsi que des lingots obtenus par la fonte de couverts d’argent ayant la même provenance.
Tajan fit des aveux complets en ce qui le concernait, mais refusa de nommer ses complices. Il déclara que deux inconnus qu’il désigna sous le nom de Julot et Amédée, lui avaient donné rendez-vous le 27 janvier près du palais de l’Industrie ; il y avait trouvé, avec Julot et Amédée, un troisième individu. Tous quatre s’étalent rendus avenue Marceau; Amédée et Julot étaient entrés les premiers dans l’hôtel Panisse : lui-même et l’inconnu y avaient pénétré un instant après ; c’est lui qui avait été chargé de garder la loge.
Vers dix heures, Amédée était allé chercher une voiture, puis Tajau avait éclairé ses complices tandis qu’ils descendaient et chargeaient les objets volés ; il était parti avec l’inconnu vers minuit et demi ; Amédée et Julot avaient quitté l’hôtel un instant avant avec la voiture.
Le lendemain, sa part du butin lui avait été apportée par Julot; il avait fait venir Fraise chez lui le 1er février, et lui avait remis la plus grande partie de l’argenterie et des bijoux formant son lot, en le chargeant de les fondre; il n’avait conservé que quelques objets sans valeur intrinsèque, dont il espérait se défaire direntament.
Le 2 février, Fraise fit fondre la plus grande partie de l’argenterie et des bijoux dans un creuset, et obtint des culots d’un alliage d’or et d’argent. Il envoya sa femme porter l’un d’eux chez un essayeur, le sieur Boé, qui fit observer que, sous cette forme, l’essai était difficile. La femme Fraise acheta alors une lingotière, dans laquelle son mari coula les culots; puis elle alla vendre un des lingots à un sieur Desprat, qui le paya 130 francs. Elle porta chez un bijoutier, pour les faire monter, cinq brillants détachés d’une bague volée chez M. de Panisse.
Fraise avoue qu’il connaissait la provenance de l’argenterie et des bijoux qu’il a reçus de Tajan. La femme Fraise proteste de son innocence. Sa mauvaise foi est d’autant mieux établie qu’elle a donné une fausse adresse chez l’essayeur Boé, et qu’elle a affecté à son usage personnel trois cuillères volées à l’hôtel Panisse.
Tajan avait confié à l’un de ses co-prévenus qu’un des auteurs du vol était un individu connu sous le sobriquet de Gros Paul.
Ce sobriquet s’appliquait à l’accusé Jably : depuis le vol ils avaient été vus plusieurs fois ensemble; le 3 février Tajan avait aidé Jably à descendre de chez lui et à mettre dans une voiture une malle, un tableau enveloppé et une valise.
Jably avait disparu pendant trois jours. Le 6 février, il s’était présenté chez un sieur Wellig, son beau-père, demeurant à Clichy, et avait déposé chez lui sa valise, et le même jour il disparaissait de nouveau. Le sieur Wellig se décida à ouvrir la valise; elle contenait une grande quantité de bijoux et d’argenterie volés chez M. de Panisse, ainsi que des creusets et des limes dont ont s’était servi pour effacer les armoiries des couverts. D’autre part, on reçut l’avis d’Angleterre qu’un des auteurs du vol était le frère d’un individu connu à Londres sous le sobriquet de Charlot. C’était l’accusé Renard, chef et receleur d’une association de malfaiteurs ayant des ramifications à l’étranger.
Jalby et Renard furent arrêtés le 25 février. Tous deux protestèrent de leur innocence, et Jably soutint, contre toute vraisemblance, qu’il ignorait ce que contenait la valise qu’il avait déposée chez le sieur Wellig, valise qui lui aurait été remise par Tajan. La dame Quézel témoigne d’une grande ressemblance entre lui et celui des malfaiteurs qui avait joué le rôle de préfet de police.
Jalby, il est vrai, ne portait que les favoris lors de sa confrontation, tandis que le faux préfet de police portait la barbe entière, mais il a été contraint d’avouer qu’il avait porté toute sa barbe jusqu’au 8 février.
Quant à Renard, il fut reconnu de la façon la plus formelle pour celui des voleurs qui s’était présenté comme commissaire de police.
A son domicile, rue Blomet, 40, on découvrit tout un attirail de cambrioleur et un outil des plus ingénieux destiné à forcer les coffres-forts.
Au surplus, Jably et Renard sont bien les deux complices désignés par Tajan sous le nom d’Amédée et Julot.
Un sieur Charpentier, qui, en février, a aidé Renard à emménager rue Blomet, 40, avec Jably, a déclaré qu’à cette époque Renard n’appelait Jably que « Julot », et une veuve Barbier a fait connaître que, pendant un séjour qu’il a fait à Londres, Renard lui a écrit des lettres qu’il signait toujours « Amédée ».
Enfin, le 16 mars, on découvrit un logement loué par Renard, rue Lafontaine, véritable magasin dans lequel il avaitentassé une innombrable quantité d’objets volés. On y trouva, notamment, cinq des tableaux, une partie considérable de l’argenterie, une partie des bijoux et du linge, et la collection d’autographes provenant du pillage de l’hôtel de Panisse.
On y saisit en même temps des imprimés à en-tête de la préfecture de police, des mandats d’amener typographies semblables à celui que Renard avait exhibé au concierge Quézel, des cartes de visite au nom d’un juge d’instruction, de fonctionnaires de la préfecture de police et d’agents de la sûreté, tout un outillage de cambrioleur, un flacon de chloroforme, des menottes anglaises, des sacs de voyage, sacoches, et un porte-monnaie contenant 1,700 francs en or.
Renard se décida alors à avouer sa participation au pillage de l’hôtel de Panisse, mais en refusant de nommer ses complices.
Il parait certain que cinq malfaiteurs ont pris part à cette audacieuse entreprise. Des soupçons graves se sont portés sur deux autres individus sans qu’il ait été possible cependant d’établir d’une façon certaine leur culpabilité.
Doué d’autant de sang-froid que d’audace, Renard est certainement le chef d’un association de malfaiteurs organisée d’une manière exceptionnelle et disposant d’une réserve importante de fonds. Pour échapper aux poursuites, il s’était créé de nombreux domiciles dans divers quartiers : c’est ainsi qu’on le trouve dans le quartier Necker, rue Blomet, n° 40, sous le nom de Morel ; dans le quartier des Ternes, avenue Wagram, n° 81, sous le nom de Barbier ; dans le quartier d’Auteuil, rue Lafontaine, n° 116, sous le nom de Butet; dans le quartier Notre-Dame des-Champs, rue de la Barouillère, n° 8, sous le nom de Deschamps.
Les membres de l’association paraissent résider à Paris, à Londres et à Bruxelles. Renard a déjà subi deux condamnations à trois ans et cinq ans d’emprisonnement.
Plusieurs autres vols ont été relevés à la charge des accusés.
La dame Bouze habite, avec une domestique, une maison précédée d’un jardin, au numéro 316 de l’avenue de Paris, à Rueil.
Le 30 novembre, alors qu’elle était absente depuis deux jours, Renard, accompagné de deux autres individus, se présenta à la grille vers sept heures et demie du soir, exhiba à la domestique une enveloppe portant les mots imprimés « Service de la police, clos par nécessité », et lui déclara qu’il était envoyé par le parquet de Versailles pour arrêter les malfaiteurs qui devaient dévaliser la maison cette nuit même.
Il parcourut la maison avec ses complices, et après avoir attaché le chien de la dame Bouzé, il déclara à la domestique que, la soupçonnant de connivence avec les voleurs, il était obligé de l’arrêter. Un de ses complices, qu’il appelait le Brigadier Rossignol, lia les mains de la jeune fille et la garda à vue. Renard et son autre complice dévalisèrent la maison, puis les trois malfaiteurs, après avoir enfermé la domestique à clé, s’éloignèrent dans la voiture qui les avait amenés. Ils emportaient une somme de 20,000 francs, des bijoux, un nécessaire de toilette et un coupon de soie.
Une partie des objets volés, notamment le nécessaire, ont été retrouvés rue de Lafontaine, dans la chambre de Renard, qui reconnaît être l’un des auteurs du vol, mais qui refuse de faire connaître ses deux complices. Ces derniers paraissent être Jably et Tajan, sans cependant qu’il soit possible d’affirmer d’une manière positive leur culpabilité.
Dans la nuit du 27 au 28 août 1892, Mme Dinah Félix, qui habite au troisième étage, rue Basse-du-Rempart, numéro 66, fut réveillée vers deux heures du matin par une subite clarté et par le bruit que faisait la porte de sa chambre en se refermant. Elle entendit dans son appartement un bruit de pas, de meubles remués, et de tiroirs ouverts.
Dès que le jour parut, elle appela au secours, et constata que la porte de l’appartement avait été ouverte à l’aide de pesées, et que la chaîne de sûreté avait été brisée ; deux meubles avaient été fracturés, et on y avait pris divers bijoux et une centaine de francs. On avait soustrait l’argenterie dans le buffet, et, dans un placard, on s’était emparé d’un sac de voyage. Avant de pénétrer dans la maison et pour assurer leur retraite, les malfaiteurs avaient dévissé, de l’extérieur, la gâche de la porte de la rue.
On a retrouvé chez Renard, rue Lafontaine, le sac de voyage, un grand nombre de pièces d’argenterie et divers autres objets provenant de ce vol. Renard prétend avoir acheté ces objets aux auteurs du vol, mais n’y avoir pas pris une part directe.
Dans la nuit du 8 au 9 septembre 1892, des malfaiteurs ont ouvert à l’aide d’effraction la porte d’entrée d’une maison sise, rue d’Alsace, 16, à Saint-Quentin, et appartenant aux époux Comont, alors absents. Plusieurs meubles ont été forcés et on s’est emparé d’une certaine quantité d’argenterie et de bijoux.
Un porte-crayons en argent, un tour de broche en or et plusieurs clefs de montres provenant de ce vol ont été saisis, rue Lafontaine, chez Renard, qui soutient les avoir achetés à un inconnu.
Le 17 septembre, vers six heures et demie du matin, on constata que la porte de la maison habitée à Laon par M. Doulouard, juge au Tribunal, avait été ouverte avec effraction pendant la nuit. A l’intérieur, une armoire à glace avait été forcée et on avait soustrait de l’argenterie et des bijoux de prix.
On a trouvé chez Renard, rue Lafontaine, 12 cuillères en vermeil, un carnet en ivoire, un mouchoir et un mouvement de montre provenant de ce vol. L’accusé prétend aussi avoir acheté ces objets à un inconnu.
L’amiral Lafont, qui demeure à Paris, 26, rue Chaptel, était absent depuis plusieurs mois de son domicile lorsque, dans la nuit du 29 au 30 septembre 1892, vers une heure et demie, des malfaiteurs s’introduisirent chez lui, à l’aide de fausses clefs, fracturèrent trois secrétaires et une armoire à glace et s’emparèrent de bijoux, d’argenterie, décorations, monnaies étrangères, linge, dentelles, diplômes et objets divers représentant une valeur d’environ 10,000 fr.
La plupart de ces objets ont été saisis chez Renard, rue Lafontaine. Comme pour les objets provenant des autres vols, il prétend les avoir achetés à un inconnu.
M. Gerber habite, passage Dallery, 13, un pavillon situé au fond d’une cour. Dans la nuit du 1er au 2 janvier 1893, pendant son absence, on a pénétré chez lui par un soupirail, forcé les portes de trois chambres et emporté un coffre-fort contenant 1,150 fr. environ en billets de banque, 400 fr. en or, 2 obligations du Crédit foncier, 2 montres et d’autres bijoux, un revolver et des papiers.
Les deux obligations du Crédit foncier ont été retrouvées chez Renard, qui les aurait achetées à des inconnus.
Le sieur David, représentant de commerce, occupe, passage Violet, 5, un bureau situé au troisième étage et qu’il quitte chaque soir. Le 2 février dernier, il sortit comme d’habitude à six heures du soir, après avoir fermé la porte à double tour.
Le lendemain matin, il constata la disparition de 12 pièces de soieries et coupons de velours d’une valeur de 2,900 francs. Les malfaiteurs s’étaient introduits dans son bureau au moyen de fausses clefs, car la porte n’offrait aucune trace d’effraction, et ils avaient dû descendre les ballots par une fenêtre donnant sur le passage Violet.
Or le bureau du sieur David ne prend jour que sur la cour, mais à côté s’en trouve un autre, dont les fenêtres donnent sur le passage, et qui était loué, sous le nom de Ferré, à un repris de justice dont le véritable nom est Latrompette.
Le 2 février, cet individu est resté dans son bureau jusqu’à sept heures, après le départ de tous les autres locataires. Depuis, on ne l’a pas revu. C’est manifestement avec sa complicité que les auteurs du vol ont transporté les pièces d’étoffe volées dans son bureau pour les descendre dans le passage.
Neuf des pièces de soie ont été retrouvées le 4 février dans une malle au domicile de Tajan. Dubreuil, arrêté en même temps que celui-ci, avait dans la poche de son paletot un coupon de satin de quatre mètres, provenant du même vol.
Nicolle a été arrêté en même temps que ses coaccusés, au moment où il sortait de chez Tajan. On a trouvé sur lui, outre une pince-monseigneur et des fausses-clefs, des échantillons de soie prélevés sur les pièces que renfermait la malle.
Cette malle appartient à un nommé Legrand qui logeait rue de la Jonquière avec l’accusé Clusel. Le lendemain du vol commis passage Violet, ce dernier conduisit Tajan et Dubreuil dans une chambre louée par Legrand, rue Polonceau, et contenant 2 malles ; Tajan et Dubreuil transportèrent une de ces malles au domicile de Tajan; celle qui a été trouvée remplie de soieries volées.
Clusel prétend avoir rencontré le 3 février Dubreuil et un inconnu se disant soudeur : Dubreuil lui aurait demandé de l’aider à déposer quelque part un paquet enveloppé dans une pièce d’étoffe noire. Clusel aurait alors conduit rue Polonceau, 47, Dubreuil et son compagnon qui auraient mis les marchandises dans une malle que Dubreuil et Tajan seraient venus chercher plus tard.
D’autre part Tajan et Dubreuil soutiennent que les soieries volées ont été déposées dans la malle par Clusel et que c’est sur sa demande qu’ils ont transporté cette malle rue des Petits-Carreaux.
Tout démontre la culpabilité de Clusel. Au nommé Legrand qui lui réclamait sa malle, il a répondu qu’il la lui rendrait bientôt, mais qu’il en avait besoin pour mettre de la soie qu’on l’avait chargé de vendre. Quand les agents se sont présentés chez lui, il a jeté par la fenêtre un paquet caché sous son lit; il avait, peu avant, brûlé des étoffes dans la cheminée, il a découché la nuit où a été commis le vol, et ne peut fournir d’explication à cet égard.
Quant à Nicolle, pour justifier la possession des échantillons trouvés sur lui, il se borne à alléguer qu’il les a reçus d’un inconnu, en même temps que la pince monseigneur et les fausses-clefs.
Un dixième accusé, Parise, assisté de Me Lavallée, est inculpé d’avoir recélé des titres volés par Renard, dans les circonstances suivantes :
Le 27 janvier 1893, l’hôtel du marquis de Panisse-Passis était mis au pillage par une bande de malfaiteurs parmi lesquels figurait Renard. Parmi les valeurs soustraites se trouvaient notamment deux obligations première série de la Compagnie des chemins de fer du nord de l’Espagne. Le 16 mars 1893, opposition avait été mise sur ces titres. Le 26 avril, la Compagnie avisait le marquis de Panisse-Passis que le coupon n° 46, à échéance d’avril, du titre n° 490,479 venait d’être présenté à l’encaissement par la Société générale.
En remontant de négociation en négociation, on sut que le titre avait été acquis le 18 février 1893, en même temps que l’obligation 490,480 par un sieur Maneux, chanteur, lequel l’avait acheté à un individu ayant dit s’appeler de la Playnière, demeurer à Vilaines (Seine-et-Oise) et avoir ses bureaux 175, Faubourg-Poissonnière. A ces deux adresses le nom de la Playnière était inconnu ; mais l’auteur de ces fausses indications n’était autre que l’accusé Parise. Tout d’abord, il refusa de faire connaître la provenance des deux titres, puis il reconnut qu’ils lui avaient été envoyés de Londres par Charles Renard, dont le frère, Pierre-Alfred, est l’auteur principal du vol commis le 27 janvier;
L’instruction établit d’ailleurs que Pierre-Alfred Renard et Parise avaient entre eux d’anciennes et fréquentes relations; elle démontre également, par la reconstitution de fragments de lettres trouvées dans le poêle de Parise, et par une expertise en écritures, que Parise était en correspondance avec Charles Renard, qui signait ces lettres du nom de Dupuis. Il est certain, dans ces conditions, que les titres soustraits avenue Marceau ont été expédiés à Londres par Alfred Renard à son frères Charles, et que ce dernier, ne trouvant pas à s’en défaire en Angleterre d’une façon avantageuse, en a fait la réexpédition à Parise.
Celui-ci allègue sa bonne foi; mais sa complicité est prouvée par le soin qu’il a pris, le 18 février,de négocier les titres en donnant un faux nom et deux fausses adresses.
Un second fait est relevé à la charge de Parise, qui est affilié depuis longtemps à des malfaiteurs de toutes catégories. Le 2 juin dernier, un sieur Way faisait arrêter les nommés Van Soolen et Coulon, qui lui offraient en vente une obligation de la Ville de Paris 1876, n° 248722, frappée d’opposition.
Van Soolen et Coulon tenaient cette valeur d’une dame Bellando qui, elle-même, l’avait reçue de Parise; ici encore, ce dernier prétend avoir été de bonne foi ; il a dit la tenir d’un nommé Laferté, indiquant même un domicile où cet individu est inconnu.
En réalité, l’obligation n° 248722 fait partie des titres volés à l’aide d’effraction, en novembre 1886, 34, rue de la Montagne-Sainte-Geneviève, au préjudice d’un sieur Delesmillières, par des malfaiteurs qui n’ont pas été découverts. Cette circonstance était évidemment connue de Parise, car il avait recommandé à la demoiselle Bellando de ne point négocier ce titre.
Parise a déjà été condamné pour escroquerie et complicité de vol. Charles Renard a subi sept condamnations, dont deux pour vol.
Sur la table des pièces à conviction, s’entasse une quantité d’objets volés.
Sur le réquisitoire de M. l’avocat général Bonin, deux jurés supplémentaires sont adjoints au jury.
Après avoir fait procéder à l’appel des témoins, et les avoir fait retirer hors la salle d’audience, M. le président fait distribuer à MM. les jurés un tableau expliquant et classant les différents chefs d’accusation.
Puis, M. le président explique à MM. les jurés qu’aucun des accusés n’a fait d’aveux, ni dénoncé aucun complice; que, d’autre part, tous ont cherché à dissimuler leur identité et leur état civil.
M. le président ajoute qu’il va, tout d’abord, chercher à établir l’identité de chaque accusé.
Il commence par l’accusé Renard, qui répond en souriant à ses questions, et semble tout heureux d’avoir enfin l’occasion de montrer publiquement en quelle estime il se tient lui-même.
D. Renard, levez-vous. Vous avez déjà subi deux condamnations, que vous reconnaissez. Mais il y a un autre Renard, du prénom d’Adolphe, qui n’a jamais été retrouvé, qui a été condamné comme déserteur. Vous prétendez que cet Adolphe, ce n’est pas vous ?
R. Non, monsieur, c’est l’un de mes frères, qui est au Canada.
D. Eh bien ! vous ne nous dites pas la vérité. Votre véritable prénom n’est pas Alfred, mais bien Adolphe. Rue Nollet, 104, vous avez habité sous le nom de Bellanger; or, Adolphe Renard a été, jadis, arrêté, sous le nom de Bellanger, rue Championnet. Vous voyez donc bien qu’Adolphe Renard, c’est vous ?
R. Mon frère Adolphe a été vainement recherché par la police; si elle ne l’a pas retrouvé, c’est qu’elle est mal organisée.
D. Oh ! votre bande, à vous, était parfaitement organisée ! Mais enfin, heureusement pour la société, la police a su mettre la main sur vous. Il y a, à Paris, une dame Thorel, qui est votre cousine et qui a affirmé qu’il n’y a jamais eu que deux frères Renard; que c’est vous qui avez été marin, et qu’Adolphe Renard, c’est vous. C’est vous qui, comme menuisier, avez travaillé dans la maison Pleyel. Vous nous avez dit que si cent témoins vous reconnaissaient, vous leur diriez qu’ils se trompent ? Aussi, n’avons-nous pas voulu en faire venir ; mais vous vous souvenez qu’en notre présence, dernièrement, plusieurs personnes vous ont reconnu, en précisant les circonstances particulières dans lesquelles elles vous avaient connu et fréquenté ?
R. Oui. je sais ; mais, que voulez-vous? ils se trompent; ce sont des indicateurs de la police ! Ils ont de l’aplomb !
D. Ce n’est pas de leur côté que se trouve l’aplomb. Tenez, voici, extraites d’une procédure suivie contre Adolphe Renard, des pièces signées « A. Renard ». Or, cette signature est identique avec la signature « A. Renard », qui figure sur les pièces de la procédure suivie, en 1882, contre Alfred Renard. Monsieur l’audiencier veuillez passer ces pièces à MM. les jurés, après les avoir représentées à l’accusé.
Renard. — Que voulez-vous ? Deux frères peuvent avoir la même écriture et la même signature! Il n’y a vraiment rien d’extraordinaire à cela!
D. Messieurs les jurés apprécieront; ils ont les pièces sous les yeux.
Voici encore un autre fait. Une personne a fait un testament en faveur d’Adolphe et de Charles Renard, c’est-à-dire de votre frère et de vous. S’il y avait eu un troisième frère, Alfred, elle lui eût aussi fait part de ses largesses ? —
R. Oh ! la succession était si peu importante : quelques centaines de francs !
D. Oui, mais Adolphe a été à Spa, avec cet argent, et votre ancien camarade d’atelier, dont j’ai déjà parlé, a précisément dit qu’il savait d’après vous, que vous aviez à ce moment été à Spa? — R. Il dit ce qu’il veut.
D. Ce qui parait certain, c’est que si vous niez votre identité avec Adolphe Renard, vous avez intérêt à dissimuler ce que vous avez fait à l’époque dont je parle. Tenez, voici qui va faire cesser toute hésitation. C’est à la suite du décès de votre grand-mère maternelle, une déclaration relative des droits de succession; les enfants de Victor Renard, c’est-à-dire de votre père, sont au nombre de deux.
R. C’est qu’on en a oublié un !
D. Du tout; cette déclaration est faite par vos plus proches parents, qui n’avaient aucun intérêt à ne pas nommer votre second frère, s’il avait jamais existé… Enfin, voici une dernière pièce. Si vous vous appelez Alfred Renard, vous êtes mort depuis 1846 ; voici votre acte de décès. (Hilarité.) — R. Mais je suis vivant et bien vivant ! Cet acte de décès a peut-être été dressé par erreur! (Nouvelle hilarité.)
D. Tenez, Renard, je crains, pour vous, que vous ne perdiez votre réputation d’habileté ! — R. Et les lettres que j’ai reçues à la Conciergerie ?
D. J’allais en parler ! Messieurs les jurés, dès que Renard a su que le président des assises se préoccupait de savoir si Adolphe Renard existait réellement, il a eu recours à un stratagème enfantin : il s’est fait écrire par son frère, qui est en Angleterre, qui est un souteneur et un repris de justice, que son frère Adolphe lui disait le bonjour, et était bien portant au Canada ! C’est pour moi la démonstration certaine de votre identité.
R. Mais je n’ai pas cessé d’être au secret, et je n’ai pu correspondre avec mon frère de Londres !
D. Oh ! nous savons que, malgré la surveillance rigoureuse exercée sur les détenus, ils ne réussissent que trop souvent à correspondre avec leurs complices restés libres ! Mais j’allais oublier, Renard, un détail intéressant. Parise, vous connaissez les deux Renard, ou même les trois?
Parise. — Non, je ne connais que monsieur.
D. Bien. Comment donc se fait-il qu’en 1876 , Adolphe Renard ait déclaré à un juge d’instruction qu’il était en rapport avec Parise ?
Parise. — Je ne sais pas, je n’ai jamais connu Adolphe Renard.
D. Plusieurs autres pièces de la procédure saisie contre Adolphe Renard, signées de celui-ci, établissent ses relations avec Parise. Comment expliquez-vous cela, Renard ?
Renard. — Je ne m’en occupe pas ; ce n’est pas mon affaire.
M. le président, à ce moment, fait entendre deux témoins, qui déposent sur l’identité de Renard.
M. Wallon, inspecteur du service de sûreté, a recueilli les déclarations de plusieurs personnes qui ont connu Renard, et affirment qu’il s’appelle « Adolphe, Claude » et non « Alfred-Pierre », comme il le prétend.
M. Saumade, fabricant de chaussures, déclare connaître Renard depuis quarante ans ; Renard a été marié pendant trente ans ; M. Saumade l’a retrouvé à son retour du service. Il le reconnaît de la manière la plus positive et ajoute que, d’après lui, Renard doit être l’auteur d’un vol jadis commis au préjudice des parents de M. Saumade.
Renard. — Le témoin se trompe, il a sans doute été incité par la police ! Cela se fait tous les jours !
Le témoin. — Comment pourrais-je me tromper! Tout ce que je sais de votre famille, je ne le sais que par vous ! Je vous connais depuis quarante ans. Quel âge a votre frère?
Renard. — Trente-cinq ou trente-six ans ! le témoin. — Vous voyez bien ! Je n’ai jamais pu le connaître votre frère. Mais vous, je vous reconnais parfaitement ; voyons, tu me connais bien !
Renard. — Pardon, monsieur, je ne vous ai pas permis de me tutoyer! (Hilarité).
Le témoin. — Il y a pourtant longtemps que nous nous tutoyons, malheureusement pour moi.
M. le président. — Renard, on a saisi chez vous du chloroforme, des menottes, d’autres objets encore dont se servent rarement les cambrioleurs. Or, coïncidence bizarre, Adolphe Renard se servait, lui aussi, de chloroforme, de menottes, etc.
Renard. — Je n’en sais rien.
D. Messieurs les jurés apprécieront. Nous allons aborder les faits du procès. A Rueil, vous vous présentez chez une dame Baugé, vous disant envoyé par le parquet de Versailles pour arrêter les voleurs qui devaient venir, dans la nuit, dévaliser la maison ; il n’y avait là que le domestique, et vous étiez accompagné de deux acolytes. Vous dévisagez la domestique, et vous lui dites : « Mais ne seriez-vous pas la complice des voleurs? » Et, vous adressant à l’un de vos complices, vous lui dites : « Brigadier Rossignol, assurez-vous de cette femme! » (Hilarité). Le faux Rossignol ligote cette malheureuse fille, et vous dévalisez tranquillement l’hôtel. Vous partez, laissant la bonne toujours attachée, et cela, dites-vous, dans son intérêt, afin qu’elle ne pût être soupçonnée comme étant la complice des voleurs.
Renard. — Oh ! elle a facilement pu se détacher, rien qu’avec ses dents !
D. On ignore quels étaient vos complices; on a soupçonné Tajan, mais on n’a rien pu recueillir de certain à cet égard ?
Tajan. —Non, je n’y étais pas.
D. On croit cependant vous avoir reconnu ; on a relevé diverses circonstances qui sont bien singulières ; ainsi l’un des complices de Renard avait un crêpe à son chapeau, et vous, au moment de votre arrestation, vous aviez un crêpe à votre chapeau?
Tajan. — Je porte le deuil presque tout le temps. (Hilarité.)
D. Mais de qui êtes-vous en deuil en ce moment ?
R. Peuh ! j’ai nne famille très nombreuse, et je suis presque toujours en deuil.
D. Ce qui est certain, dès à présent, c’est que vous connaissez Renard et que vous avez avec lui de fréquents rapports. On a volé, chez Mme Baugé, vingt mille francs en billets de banque et en espèces ; or, au moment de votre arrestation, on a saisi sur vous 3,000 francs. Cet argent ne proviendrait-il pas de ce vol?
Tajan. — Voyons, monsieur le président, si j’en avais été de ce vol, commis à trois, je n’aurais pas été assez simple pour me contenter de trois mille francs. (Hilarité) .
D. Oh! MM. les jurés verront, au cours des débats, que vous faites partie d’une association de malfaiteurs des mieux organisée, ayant une caisse commune, où l’on versait le produit des vols.
La jeune bonne de Mme Baugé vient raconter les diverses circonstances du vol.
L’accusé Renard, s’adressant au témoin : — Mademoiselle, n’est-ce pas que nous avons agi avec politesse? (Hilarité).
Madame baugé évalue à 50,000 fr. le préjudice qui lui a été causé.
L’accusé Renard (avec bonhomie). — Oh ! madame, vous exagérez; les bijoux ne valaient pas grand’chose : il y avait à peine cent carats de diamants ?
M. Quaniska, artiste peintre, conseiller municipal de Rueil, a rencontré la veille du vol la voiture qui a emmené les voleurs, affirme reconnaître l’accusé Tajan, qui avait alors un chapeau avec un crêpe.
Me Léon, défenseur de Tajan. — La veille du vol ! mais cela n’a pas le moindre intérêt !
D. Pardon, monsieur le président, cela a un grand intérêt; Tajan venait évidemment, la veille, reconnaître la maison et ses abords.
Tajan. — Jamais je n’ai été à Rueil !
M. le président rappelle à MM. les jurés dans quelles conditions a été commis, rue Basse-du-Rempart, le vol au préjudice de Mme Dinah Félix.
Renard nie être l’auteur principal du vol, mais reconnaît avoir acheté à l’inconnu qui a commis ce vol, les objets en provenant.
Il fait une déclaration identique, en ce qui concerne le vol commis, à Saint-Quentin, au préjudice de M. Comont, et il ajoute, à ce propos, cette simple observation : « Oui, j’ai acheté ces objets, monsieur le président; mais que voulez-vous ? Je n’étais pas toujours maître de refuser des acquisitions aux personnes qui venaient chez moi; cela les aurait froissées ! »
Rien de spécial à noter, quant au vol commis au préjudice de M. Dieulouard, juge honoraire au Tribunal civil de Laon, dont la maison a été entièrement dévalisée.
Laissant de côté le vol commis au préjudice de M. le marquis de Panisse-Passis, M. le président passe rapidement sur les deux derniers vols dont Renard est complice par recel, ceux commis chez M. l’amiral Lafont et chez M. Gerber.
Puis M. le président passe au vol commis au préjudice de M. David, et dans lequel sont inculpés les accusés Tajan, Clusel, Dubreuil, Nicolle et L ATROMPETTE.
M. le président. — M. David, représentant de commerce, a son bureau passage Violet. Latrompette, sous le faux nom de Ferré, et se disant commissionnaire en marchandises, avait loué, dans la même maison, un local. Au mois de février, on dévalise le bureau de M. David, dont la fenêtre donne sur la cour de la maison, et les malfaiteurs ont transporté les objets volés en passant parle bureau de Latrompette. Peu de temps après, Latrompette déménage, et on ne retrouve sa trace qu’à la veille de l’audience. Eh bien! Latrompette, qu’avezvous à dire ?
R. Mais j’ai à dire que je suis innocent.
D. Pourquoi avez-vous quitté furtivement le passage Violet ?
R. Mais, je suis parti très ostensiblement près de deux mois après.
D. Pourquoi avez-vous pris le faux nom de Ferré ?
R. parce que les personnes pour le compte des quelles je travaillais l’avaient exigé. Mais la preuve que je ne me suis jamais caché, c’est que, postérieurement au vol chez David, j’ai été convoqué par le commissaire de police pour recevoir une communication du Parquet, et j’ai signé une déclaration constatant que j’avais reçu cette communication. Mais le concierge de la maison vous le dira.
D. Nous verrons bien, quand la concierge viendra déposer, si cela est exact. Mais pourquoi, en quittant le passage Violet, avez-vous dit que vous alliez habiter Saint-Denis, alors que vos meubles ont été portés rue de Flandre ?
R. Parce que la maison que j’avais louée à Saint-Denis avait besoin de réparations.
D. Sous quel nom avez-vous fait cette location?
R. Sous le nom de Latrompette.
D. C’est cela. Vous changez continuellement de nom !
R. Mais je ne change pas de nom! Je vous ai déjà dit que si j’avais pris le nom de Latrompette, c’était parce que la Compagnie d’Outre-Mer pour laquelle je travaillais, l’avait exigé.
D. Cette Société existe-t-elle toujours ?
R. Je crois que oui.
D. Où est son siège.
R. Rue Saint-Marc, mais le directeur a disparu, car j’ai moi-même déposé une plainte contre lui.
D. M. l’avocat général fera vérifier ce fait. En résumé, vous êtes inculpé d’avoir favorisé la perpétuation du crime, si même vous n’y avez pas participé directement.
R. Je suis innocent.
L’accusé Tajan, chez lequel la malle renfermant les soieries volées au préjudice de M. David a été saisie, explique que le vol a été commis par « un individu » qu’il refuse de nommer, et auquel il a rendu le service de recevoir cette malle. « Mais, ajoute-t-il, je ne connais aucun des autres co-accusés, sauf Dubreuil, que j’ai connu dans l’adversité.»
D. « Dans l’adversité », messieurs les jurés, cela signifie la maison centrale de Clairvaux!
Tajan. — Enfin, je dois le dire, cela me peine de voir d’honnêtes gens accusés à tort. Moi, j’y ai trempé dans le vol, c’est vrai ; mais celui qui l’a commis, il s’est évincé (sic) : dame, il a eu raison, n’est-ce pas ?
D. Comment s’appelle-t-il ?
R. Il s’appelle Jules.
D. Jules ? Mais il a un autre nom !
R. Oh ! je ne le sais pas.
D. Vous le connaissez depuis longtemps ?
R. Depuis son enfance.
D. Vous le tutoyez ?
R. Oui, monsieur.
D. Et vous ne savez pas son nom ? C’est bien extraordinaire ! Ainsi, vous niez être l’auteur, mais vous reconnaissez être le complice de ce vol ?
R. Oui,monsieur.
D. Et vous, Dubreuil, vous êtes intimement lié avec Tajan?
R. Oui, monsieur.
D. Comme lui, vous êtes un repris de justice, et vous êtes relégable. C’est chez lui que vous avez été arrêté, porteur de l’un des coupons de soie volés. Quelles explications avez-vous à fournir ?
R. C’est un individu que je ne connais pas, et que j’ai rencontré par hasard, qui m’avait prié de lui garder ce coupon de soie quelques instants — j’ai été chez Tajan, et c’est par hasard que la sûreté est arrivée à ce moment-là.
D. C’est un hasard bien malencontreux pour vous ! Ce qui ne l’est pas moins, c’est que vous ayiez découché la nuit du vol, votre concierge l’affirme.
R. Non, c’est inexact.
Quant à l’accusé Nicolle, il a été arrêté au moment où il sortait de chez Tajan. Il était porteur d’échantillons des coupons de soie volés. Il explique que ces échantillons lui ont été remis par «l’inconnu » qui a remis à Dubreuil le coupon saisi sur celui-ci.
Il ne connaît ni le nom ni les prénoms de ce mystérieux marchand de soieries. Enfin, il affirme qu’il ignorait absolument que les soieries dont il avait les échantillons sur lui fussent volées et se trouvassent chez Tajan. Quant à sa visite chez celui-ci, qu’il prétend ne point connaître, il l’explique par « un simple mouvement de curiosité ».
D. Tout cela est invraisemblable, d’autant plus que vous avez déjà subi une condamnation à treize moise prison. Et puis, comment donc se fait-il que vous ayez accompagné Tajan et Jalby chez le bijoutier auquel ceux-ci ont essayé de vendre les bijoux provenant du vol Panisse-Passis?
Nicolle. — Je ne savais pas qu’ils allaient vendre des bijoux.
Tajan. — Tous ces gens-là n’y sont pour rien. Moi, oui, je suis coupable ; mais eux, ils sont innocents. jamais je ne les avais vus. Seulement, pour embrouiller le jury, on fait une salade pour tâcher de faire condamner tout le monde.
Enfin, l’accusé Clusel a procuré la malle qui a servi au transport de la soie volée. Il affirme l’avoir fait le plus innocemment du monde, et ignorer l’usage auquel cette malle était destinée.
Né le 3 novembre 1859 au Havre (Seine-Inférieure) ; ajusteur, ouvrier chaudronnier, épicier ; militant anarchiste du Havre.
Le 25 mars 1886, avait lieu une réunion de 2400 à 2500 ouvriers sans travail au Cercle Franklin. A l’issue de la réunion, une pétition reprenant les vœux émis par l’assemblée fut remise au maire du Havre par une commission comprenant Glasser. Le 6 février 1887, une nouvelle réunion des ouvriers sans travail se déroulait salle Mabille, rue Hélène. Une centaine de personnes y assistaient. Glasser, après une courte introduction donna la parole à Tortelier. Fin avril 1892, comme plusieurs autres militants, il fut l’objet d’une arrestation préventivement à la manifestation du 1er mai. La perquisition eut lieu chez lui, 58 rue du Grand Croissant. Il était alors épicier. En décembre 1893, il demeurait 43 rue Frédéric Bellanger. Le 1er janvier 1894, lors des rafles ayant suivi l’attentat de Vaillant à la Chambre des députés, il fut l’objet comme onze militants anarchistes du Havre, d’une perquisition où la police avait saisi journaux et brochures anarchistes mais également des balles et de la poudre dans deux boites, ainsi que de la poudre blanche suspecte dans un flacon. André Glasser vivait en concubinage.
SOURCES : Arch. Dép. Seine-Maritime 4 M 2696 — Arc. Nat. BB18/6449 F7/12507 F7/12508 — L’anarchisme organisé. 135 ans de présence anarchiste au Havre.