Copie d’une note adressée à l’ambassade par le Département Fédéral de Justice et Police, le 7 août 1894
Monsieur l’Ambassadeur,
En réponse à la communication que vous avez bien voulu nous faire tenir en date du 24 juillet au sujet du cas du nihiliste Théodore Schestakow, j’ai l’honneur de vous donner les renseignements suivants :
Schestakow avait d’abord régulièrement établi son séjour à Genève où il étudiait à l’Université. A l’échéance de son permis de séjour, il ne le fit pas renouveler, ses papiers de légitimation n’étant probablement plus valables.
C’est ce qui fit prendre contre lui, en application de la loi sur la police des étrangers, un arrêté d’expulsion le 13 octobre 1893.
Cependant, comme il ne s’était pas montré à Genève nihiliste militant et qu’on ignorait qu’il fut expulsé de France, il fût toléré jusqu’à la fin de l’année universitaire et sur sa déclaration qu’il quittait définitivement le canton, l’arrêté d’expulsion fût rapporté comme sans objet.
Schestakow a donc quitté librement Genève et n’a été conduit nulle part.
Quant au mode de procéder en général en matière d’expulsion, nous nous efforçons de ne renvoyer à la frontière d’un Etat que ses propres ressortissants.
Mais cette règle ne peut pas être absolue et les circonstances imposent certaines exceptions. Il en est évidemment ainsi lorsque l’expulsé n’appartient à aucun Etat limitrophe ; il peut en être de même lorsque l’expulsé n’est pas arrêté, mais seulement invité à quitter le territoire ; dans ce cas il peut se diriger librement vers la frontière qu’il choisit.
D’autres eceptions peuvent encore s’imposer.
Dans ces conditions, nous pensons qu’il est bon que les états puissent opérer rapidement et librement suivant les circonstances et se réservent pour cela les mains libres.
En revanche nous croyons qu’il serait très utile en vue de la surveillance continue des anarchistes que des relations plus étroites et plus suivies s’établissent entre les polices des frontières. Nous pensons que c’est par la communication régulière que se feraient réciproquement les organes de police à la frontière sur les allées et venues, les intentions connues ou présumée des anarchistes, de leur connaissance, que ces dangereux individus essentiellement mobiles et voyageurs, pourraient être utilement suivis et poursuivis.
Nous venons d’adresser dans ce sens une invitation aux gouvernements des cantons frontière et nous pensons que leurs organes de police trouveront bon accueil auprès de leurs voisins auxquels ils seraient appelés à s’adresser.
Le chef du Département fédéral de Justice et Police.
Ruffy
Archives nationales 19940500/59
Lire le dossier : Collaboration des polices française, suisse et italienne dans la surveillance des anarchistes en 1894.