Ministère de l’intérieur
Préfecture de Haute-Savoie
Commissaire spécial des chemins de fer
Annemasse le 23 août 1894
Monsieur le Préfet,
J’ai l’honneur de vous faire connaître que je suis rentré ce jour de mon voyage à Milan, Côme, Lugano et Bellinzone, avec l’assurance que je pouvais compter sur le concours des autorités de police de ces différentes villes.
Non seulement les questures de Milan et de Côme me fourniront à l’avenir tous les renseignements que je pourrai demander sur les anarchistes, mais elles me signaleront aussi, au fur et à mesure qu’elles les connaîtrons tous les déplacements ou disparitions d’anarchistes, soit de ces deux provinces, soit même de l’Italie.
D’ici à quelques jours, je recevrai également d’elles, la liste des anarchistes qui séjournent soi dans la province de Côme, soit dans celle de Milan.
A Bellinzone, la direction de police m’enverra également, dès que le travail sera terminé, une notice sur chacun des anarchistes en séjour dans le canton de Tessin. Elle me signalera aussi tout déplacement dont elle aurait connaissance et me communiquera tout les renseignements qui lui parviendront.
A Lugano enfin, le commissaire du gouvernement s’est mis à ma disposition pour me signaler tout ce qui parviendrait à sa connaissance relativement aux anarchistes. Je dois d’ailleurs établir une notice individuelle pour chacun des anarchistes résidant dans cette ville et dont je possède à peu près aujourd’hui l’état civil et le signalement.
J’ai rapporté également de mon voyage quelques photographies d’anarchistes italiens considérés comme dangereux, notamment un deuxième exemplaire de celle de l’avocat Gori.
Samedi prochain, je transmettrai un rapport la situation dans le canton du Tessin, rapport que la fatigue m’empêche d’établir aujourd’hui.
J’ajoute que je suis également entré en relations avec le canton du Valais qui compte un certain nombre d’anarchistes.
Indépendamment de ces relations officielles, le service d’indicateurs continue à fonctionner, mais par suite de la dispersion des groupes qui existaient, de la suppression des réunions, j’ai dû consacrer deux agents à voyager dans les cantons où les groupes se reformeront sans aucun doute d’ici quelques mois.
Je crois devoir, d’autre part, appeler votre attention, Monsieur le Préfet, sur le fait que mes collègues de Bellegarde et de Gex m’ont écrit le 1er, pour me demander une entrevue au sujet d’une entente avec la police suisse, le second pour entrer en relations avec elle et lui demander des renseignements.
En suite des instructions adressées aux cantons par l’autorité fédérale, j’ai demandé moi-même au département de justice et police de Genève de signaler directement aux postes intéressés tout départ d’anarchiste ou d’individu suspect. C’est ainsi que la police de Genève signale aujourd’hui à Bellegarde tous les individus quittant cette ville par la ligne de Bellegarde. Elle en fera autant pour Gex, lorsque le cas se présentera.
Je pense toutefois qu’il n’y a aucune utilité à ce que mes collègues s’adressent à la police de Genève, pour demander des renseignements que celle-ci m’aura déjà fourni et que je puis toujours leur communiquer, le cas échéant directement, si ces renseignements intéressent leur région, comme je l’ai d’ailleurs toujours fait et s’il y a une surveillance à exercer sur leur demande, s’ils le désirent.
Si chaque commissaire se met, en effet, à demander des renseignements pour la même affaire, on n’arrivera qu’à fatiguer la police de Genève déjà surchargée de besogne. En se présentant en trop grand nombre chez eux, on risquera en outre de froisser leurs susceptibilités et même de lasser leur patience.
On irait ainsi à l’encontre du but recherché et le résultat si péniblement acquis se trouverait bien vite compromis.
J’ajoute que pour arriver à ce résultat, j’ai dû intéresser financièrement à mon service la police de Genève et qu’une partie de ses frais d’indicateurs sont à la charge du poste d’Annemasse.
Il conviendrait donc de demander à la Direction de la Sûreté générale de faire aviser à mes collègues de Bellegarde et de Gex, qu’ils recevront de la police de Genève, les renseignements qui les intéressent et que le poste d’Annemasse est à leur disposition, pour leur fournir tous ceux dont ils pourraient avoir besoin, mais qu’il n’y a aucune utilité pour eux à solliciter de la police de Genève des renseignements qui sont déjà connus et qui leur seront d’ailleurs transmis en temps utile lorsque le cas se présentera.
A moment de clore ma lettre, je reçois votre télégramme relatif aux anarchistes du Valais. Les relations sont déjà établies entre ce canton et le poste d’Annemasse, mais je me réserve néanmoins d’aller à Sion rendre visite au Président du département de justice et police dès que je serai un peu débarrassé du travail que j’ai rapporté de Milan et de Lugano.
Je connais d’ailleurs déjà en partie le groupe de Verbier et celui de Bagues que dirige le nommé Charvoz qui a fait l’objet de divers rapports et d’une notice.
Le commissaire spécial.
Léal
Archives nationales 19940500/59