Les groupes anarchistes de Liège, Tilleur, Jemeppe, Frémale-Grande et les compagnons non groupés de Seraing avaient publié, à l’occasion de l’anniversaire du 18 mars, la proclamation suivante :

Au travailleurs

Compagnons,

Partout les ouvriers s’agitent, la crise – terrible et lamentable – au lieu de diminuer, grandit de jour en jour ; partout aussi les idées d’émancipation pénètrent dans la masse exploitée.

A Londres, à Amsterdam, à New-York, partout enfin, les travailleurs font entendre leur voix aux oreilles de la bourgeoisie égoïste.

Resterons-nous dans une coupable apathie ?

Continuerons nous à laisser nos femmes et nos enfants sans pain, quand les magasins regorgent des richesses que nous avons crées ?

Laisserons-nous éternellement la classe bourgeoise jouir de tous les droits, de tous les privilèges et refuser toute justice et toute liberté à ceux qui la nourrissent, à la classe des producteurs ?

Nous ne le pensons pas ; c’est pourquoi nous faisons appel à toutes les victimes de l’exploitation capitaliste, aux meurt-de-faim, à tous ceux que le chômage a jeté sur le pavé pendant le rigoureux hiver que nous traversons.

Rappelez-vous, compagnons, que jeudi 18 mars, il y aura 15 ans, l’héroïque population de Paris se soulevait pour l’émancipation des peuples et que cette tentative de rénovation sociale fut étouffée dans le sang de 35.000 travailleurs.

Nous vous invitons donc, jeudi 18 mars, 15e anniversaire de la Commune, à vous joindre à la grande manifestation qui aura lieu place Saint-Lambert, à 7 heures du soir.

Pour le groupe anarchiste de Liège :

J. Rutters, rue des Ecoles, 8

F. Billen, Rebermont, 28

Une propagande très active avait été faite pour ce meeting. Dès midi, on remarquait même dans les quartiers du centre de la ville une animation inaccoutumée.

Les groupes cités plus haut, celui de Liège excepté, sont partis de Flémalle en chantant des chants révolutionnaires et en criant :

Mort aux riches ! Mort aux propriétaires !

Ces groupes ont fait leur jonction avec celui de Liège, place du Théâtre, pour de là se rendre ensemble place Saint-Lambert.

Avant le meeting, il y a eu une manifestation à laquelle plus de 3.000 hommes ont pris part. Cette manifestation est partie de la place Saint-Lambert. En tête marchaient deux compagnons, portant des drapeaux rouges. Elle a parcouru les rues Léopold, de la Cathédrale et de l’Université pour revenir à son point de départ. C’est alors qu’à eu lieu le meeting annoncé. Un compagnon a prononcé un discours, dans lequel il a fait un parallèle entre la misère des travailleurs et la richesse des capitalistes. « Vous avez traversé des rues riches où des richesses sont étalées, s’écria-t-il, vous ne possédez rien, mais vous avez faim. Vous êtes des lâches ! »

Après cela, un cortège s’est formé et s’est mis en marche vers le quartier d’outre-Meuse.

En passant dans les rues commerçantes, les manifestants ont jeté des pierres dans les vitrines et ont brisé des glaces et des étalages.

Les boutiques des boulangers et joailliers ont été pillées.

Le bourgmestre les somme de se disperser.

Des charges sont faites par la gendarmerie et les chasseurs. Les anarchistes résistent et lancent des pierres, tirent des coups de feu sur les gendarmes et les gardes civiques, et jettent des bidons enflammés entre les jambes des chevaux.

Deux commissaires de police, un inspecteur, plusieurs agents et gendarmes ont été blessés.

Une cinquantaine d’arrestations furent opérées, parmi lesquels notre ami Wagener.

La place Delcour fut occupée militairement. Des charges étaient faites à chaque instant. Là le désordre fut excessivement grave : des coups de revolver retentissaient à tout bout de champ ; un grêle de projectiles, pierres, graviers, cailloux de toutes espèces tombaient dru sur ceux qui voulaient l’ordre et ils étaient insultés de toutes les manières.

L’ordre arrivait de distribuer les cartouches à balles.

Une charge à fond de train, baïonnettes en avant fut faite sur la montagne. A deux reprises différentes on dût charger à la baïonnette.

A 11 heures du soir, les rues de la ville retentirent du roulement de tambours battant le rappel.

Ni dieu ni maître (1886, 28 mars)

Parquet général de Bruxelles 224

Lire le dossier : Les anarchistes dans la province de Liège (Belgique)