La soirée famiale du groupe Terre et liberté avait lieu 268 rue Saint-Léonard à l’estaminet Degueldre

Ville de Liège

Bureau du commissaire en chef de police

Service de la Sûreté

Annexe de l’Hôtel de ville

rue du Grand Tour

Objet : Cercle anarchiste Terre et liberté, réunion du 22 juillet, 268 rue Saint-Léonard

Liège le 23 juillet 1888

Monsieur le Gouverneur,

Dans le courant de la Semaine dernière, quelques socialistes et anarchistes de notre ville recevaient une invitation imprimée conçue comme suit :

Terre et liberté

Groupe de propagande anarchiste (Liège date de la poste)

Compagnon,

Nous vous invitons, ainsi que votre famille, à la soirée intime qui aura lieu dimanche 22 juillet à 7 heures du soir, chez le citoyen Degueldre, rue Saint-Léonard (local de la Ligue ouvrière du Nord).

Causerie, chants et partie de danses.

Pour le groupe

Oscar Lefebvre

Édouard Wagener

N. B. La présente invitation sera rigoureusement exigée à l’entrée.

Liège Imp. Pierre et frère

Comme l’indique le programme ci-dessus, cette réunion a eu lieu hier à 7 h du soir.

Monsieur l’adjoint Vannvindekens ayant cru devoir chercher à pénétrer dans la salle où se tenait la séance, quelques individus lui ont fait observer que la réunion était privée et conséquemment qu’ils lui contestaient le droit d’assister à cette séance à laquelle ne pouvaient être admises que les personnes en possession d’une invitation.

Leur ayant fait remarquer que la salle dont il s’agit n’était qu’une dépendance de l’estaminet du sieur Degueldre et qu’en conséquence il considérait ce local comme un lieu public, cet officier de police passa outre de la défense qui lui était faite et pénétra dans la salle accompagné d’un inspecteur et de deux agents de police.

Ce personnel fut bientôt entouré par 60 à 70 personnes se trouvant dans le local et on le menaça de le mettre à la porte.

Wagener s’avança un des premiers et s’adressa dans les termes suivants à l’officier de police.

« Croyez-vous donc que nous sommes ici en Russie ? Nous sommes chez nous et tout commissaire de police que vous êtes, vous n’avez pas le droit de pénétrer ici. Si vous ne vous en allez pas, on vous flanquera à la porte. »

Afin de ne pas exposer inutilement le personnel dont il était accompagné et provoquer une scène de désordre, cet officier de police crut devoir se retirer, non sans avoir prévenu Wagener et ses compagnons qu’ils s’exposaient à des poursuites du chef de rébellion.

Quelques membres du personnel de la brigade de Sûreté et de la 5e (?) de police, qui se trouvaient dans une propriété voisine de l’établissement Degueldre ont pu se rendre compte de ce qui se passait.

Entre les deux parties de chant, un orateur verviétois a pris la parole, afin d’approuver ceux qui avaient défendu à la police l’entrée du local et il en a profité déclarer que les bourgeois, les magistrats et les policiers étaient un tas de fainéants. « Ils viennent dans nos meetings, a-t-il ajouté, pour nous espionner et nous provoquer à la révolte. Unissons nous pour pour les démolir, allons droit au but, marchons l’arme à la main, démolissons ces magistrats et policiers qui bien souvent nous excitent à la vengeance et à la révolte. »

Des renseignements confidentiels que j’ai pu obtenir, il résulte que cet orateur serait, croit-on, un nommé Graillet (?) qui avec d’autres individus et une femme, seraient venus de Verviers.

Dans la salle on débitait une chanson wallonne intitulée Du drapeau roche, imprimée chez Plumpans, 66 rue de la Montagne à Verviers. Elle est signée de François Falchamps, avec l’indication Dison 1888.

On y vendrait également au prix de deux centimes La Marseillaise anarchiste, imprimée à Bruxelles chez Vandenhouten.

Nous donnons ci-après le couplet et le refrain de cette chanson :

Allons ! Gueux, redressons l’échine

Et réveillons notre fierté !

L’Orient la-bas s’illumine

Du soleil de la liberté (bis)

Que nos clameurs partout s’entendent :

Sus aux tyrans ! Sus aux voleurs !

Ces palais faits de nos sueurs

Et de notre sang qu’ils les rendent !

Refrain

Fuyez ! Fuyez, tyrans ! Place à la liberté !

Marchons (bis) par l’anarchie à la fraternité !

Aucun autre incident ne s’est produit pendant la soirée organisée par le cercle dont il s’agit.

En terminant le présent rapport, je crois, monsieur le gouverneur devoir attirer votre attention sur les agissements du sieur Wagener, le promoteur et l’instigateur des actes regrettables dont notre ville a été le théâtre en mars 1886.

A peine gracié, ou libéré conditionnellement et autorisé à séjourner à Liège, malgré la peine de surveillance de police qui permettrait de lui interdire d’y résider, Édouard Wagener recommence son active propagande, reconstitue un cercle anarchiste et révolutionnaire et signe même les convocations de ce groupe qui prend le titre de Terre et liberté.

Le commissaire en chef.

Archives de l’État Liège, Sûreté publique XVI A 22

Lire le dossier : Les anarchistes dans la province de Liège (Belgique)