
On a vu (p. 218) la circulaire que le bureau fédéral avait adressée, à la date du 6 juillet, aux Fédérations régionales de l’Internationale, pour leur communiquer la proposition de la Fédération jurassienne : que le Congrès général de l’Association se réunit à Verviers, et qu’au lieu de s’ouvrir le premier lundi de septembre (3 septembre), date statutaire, il commençât seulement deux ou trois jours plus tard, afin que sa clôture coïncidât avec la date de l’ouverture du Congrès universel des socialistes à Gand (9 septembre). L’exemplaire de cette circulaire destiné à la Fédération belge avait été adressé au secrétaire correspondant du Conseil régional belge. Ph. Coenen, à Anvers, le rédacteur du Werker. Celui-ci, au lieu de communiquer la circulaire aux sections belges, comme c’était son devoir, la garda dans sa poche (ainsi qu’il avait déjà fait, apprîmes-nous, de la circulaire du Bureau fédéral du 8 mai : voir p. 192), en sorte que les sections de l’Internationale en Belgique ne furent pas avisées par leur Conseil régional qu’il dût se tenir en 1877 un Congrès général de l’Association, et que la ville proposée pour la tenue de ce Congrès fût Verviers. Il y avait, dans cette attitude de Coenen, une manœuvre dont nous ne comprîmes toute la portée et toute la perfidie que plus tard. Les Flamands, alliés aux hommes de la Chambre du travail de Bruxelles, étaient devenus les adversaires de l’Internationale, qu’ils voulaient remplacer en Belgique par un Parti ouvrier politique et parlementaire[276] ; en conséquence, ils profitaient de ce que le Conseil régional belge était entre leurs mains pour tâcher d’empêcher, autant que la chose dépendait d’eux, la réunion du Congrès général de l’Association, en laissant ignorer aux sections de Belgique la convocation de ce Congrès. Ce furent des lettres de Verviers qui nous apprirent, vers la fin de juillet, les manigances auxquelles s’étaient livrés les peu scrupuleux membres du Conseil régional, et leur tactique d’abstention et de silence. Mais il était encore temps de déjouer la manœuvre : le Bureau fédéral, avisé de ce qui s’était passé, envoya directement des exemplaires de ses circulaires du 8 mai et du 6 juillet au Conseil fédéral de la vallée de la Vesdre. Cet incident acheva d’édifier les internationaux de Verviers sur les intentions de ceux qui avaient voulu les conduire où ils ne voulaient pas aller, et qu’on avait laissés, pendant des mois, mener dans le Mirabeau une campagne sournoise contre l’Internationale révolutionnaire. Les deux circulaires dont Coenen avait dissimulé l’existence furent publiées dans le Mirabeau ; et le Conseil fédéral de la vallée de la Vesdre écrivit au Bureau fédéral, à la Chaux-de-Fonds, une lettre annonçant que, si l’Internationale décidait de tenir son Congrès général à Verviers, les ouvriers de cette ville seraient heureux de recevoir parmi eux les délégués de l’Association et leur feraient l’accueil le plus fraternel. Le 12 août, un Congrès des sections et corporations de la vallée de la Vesdre, réuni à Verviers, vota à l’unanimité d’accepter la proposition de la Fédération jurassienne de tenir dans cette ville le Congrès général de l’Internationale.
J’ai retrouvé une lettre de Pierre Fluche à Kropotkine, sans date, mais qui doit être de la fin de juillet, et qui est relative aux incidents que je viens de mentionner ; Fluche écrivait :
Mon cher Levachof, veuillez, s’il vous plaît, transmettre la lettre ci-jointe au Bureau fédéral[277]. Vous verrez, par cette lettre que j’ai arrangé la chose telle que vous me l’aviez demandée. Mes amis du Conseil fédéral de la vallée de la Vesdre ont tout de suite approuvé ma manière de voir, qui est la vôtre.
N’oubliez pas de m’envoyer le Drapeau rouge (chanson) et de m’annoncer quand Guillaume sera de retour à Neuchâtel, j’ai hâte de lui écrire[278].
J’ai aussi écrit notre résolution au Conseil régional belge relativement au Congrès.
J’espère que vous viendrez au Congrès à Verviers, et là nous nous verrons longuement…
Une bonne poignée de main de votre ami Pierre Fluche.
La manœuvre de Coenen ayant échoué, et ceux, des socialistes belges qui ne reniaient pas l’Internationale s’étant déclarés d’accord avec nous, le Bureau fédéral lança la circulaire suivante aux Fédérations régionales (Bulletin du 20 août) :
Association internationale des travailleurs.
Le Bureau fédéral de l’Internationale aux Fédérations régionales Compagnons,
La proposition de la Fédération jurassienne de tenir cette année le Congrès général de l’Internationale à Verviers (Belgique), et d’en reculer de deux ou trois jours la date réglementaire afin de permettre aux délégués de l’Internationale de se rendre ensuite plus facilement au Congrès de Gand, a reçu un accueil favorable auprès de toutes les Fédérations qui nous ont répondu. De plus, la Fédération de la vallée de la Vesdre a tenu le 12 août un Congrès où les représentants de cette fédération ont déclare à l’unanimité accepter de recevoir à Verviers le Congrès de l’Internationale, auquel ils promettent l’accueil le plus fraternel.
En conséquence, compagnons, nous convoquons pour le jeudi 6 septembre prochain le Congrès général de l’Internationale à Verviers, et nous engageons les délégués à se rencontrer dès la veille dans cette ville.
Le local de l’Internationale à Verviers est situé Cour Sauvage, 23, place du Martyr.
Au dernier moment, nous recevons encore de la Fédération napolitaine la demande de placer à l’ordre du jour du Congrès général la question suivante : « De la conduite des socialistes révolutionnaires anarchistes vis-à-vis des partis politiques soi-disant socialistes »,
Salut et solidarité.
Au nom et par ordre du Bureau fédéral : Le secrétaire correspondant, L. Pindy.
Chaux-de-Fonds (Suisse), 25 août 1877.
…….
Le neuvième Congrès général de l’Internationale, à Verviers (6-8 septembre 1877)
Je partis de Neuchâtel pour Verviers le mardi 4 septembre ; et, autant qu’il m’en souvient, je fis le voyage seul, par Bâle, Mayence, Cologne, et Aix-la-Chapelle. J’arrivai à Verviers le mercredi, vers le soir, et j’y trouvai la plupart des délégués déjà réunis. Nous nous logeâmes à quelques-uns dans un petit hôtel sur la place du Martyr, à proximité du local où devait se tenir le Congrès.
Le Bulletin a donné, dans son numéro du 24 septembre, un compte-rendu du Congrès, qui est, dit-il, la reproduction d’un article paru dans le Mirabeau du dimanche 16, complété par moi sur quelques points. C’est ce compte-rendu que je vais reproduire ici, en l’abrégeant quelque peu.
Le mercredi 5 septembre étaient arrivés à Verviers des délégués de France, d’Italie, d’Espagne, d’Allemagne, de Russie, de Suisse, et de Belgique. La Fédération de la vallée de la Vesdre avait organisé pour ce jour une soirée familière de réception. « Comme des soirées pareilles ne se représentent pas souvent, à huit heures du soir la grande salle de la cour Sauvage était remplie de compagnons de Verviers et des environs. Après les souhaits de bienvenue adressés aux délégués au nom de la Fédération de la vallée de la Vesdre, la société les Socialistes réunis chanta quelques chœurs de circonstance ; puis des discours furent prononcés par plusieurs délégués. Cette soirée restera comme un excellent souvenir dans tous les cœurs, surtout ceux des ouvriers de la vallée de la Vesdre, qui n’avaient jamais assisté à pareille fête. »
Le lendemain, le Congrès ouvrit ses séances régulières au local de l’Internationale, cour Sauvage.
Première séance (privée), jeudi 6 septembre.
La séance est ouverte à neuf heures du matin. Il est procédé à la nomination d’une commission pour la vérification des mandats. Cette vérification constate la présence des délégués suivants :
Rodriguez [pseudonyme de Soriano] et Mendoza [pseudonyme de Morago], représentant la Fédération espagnole de l’Internationale, composée d’un nombre considérable de fédérations comarcales et locales ;
Andrea Costa, représentant trente-cinq sections de la Fédération italienne ;
Martini, représentant deux sections de la Fédération italienne ;
Paul Brousse et Jules Montels, représentant la Fédération française récemment constituée (douze sections) ;
James Guillaume, représentant vingt-deux sections de la Fédération jurassienne ;
Gérard Gérombou, Luron, Hubertine Ruwette, Simon, Montulet, Noël, Dompret, représentant les sections qui composent la Fédération de la vallée de la Vesdre ;
Otto Rinke et Émile Werner[283], représentant des sections d’Allemagne et de Suisse.
Les socialistes de la Grèce et ceux d’Alexandrie d’Égypte s’étaient en outre fait représenter par Costa.
La question de savoir si les délégués d’organisations ne faisant pas régulièrement partie de l’Internationale, mais ayant son programme, seront admis à siéger au Congrès, est tranchée comme elle l’avait été l’année précédente au Congrès de Berne : ces délégués pourront prendre part aux discussions, à titre d’invités, avec voix consultative. À ce titre sont admis :
Émile Piette, du Cercle l’Étincelle, de Verviers ;
Malempré, des Solidaires d’Ensival (Belgique) ;
Levachof [pseudonyme de Kropotkine], délégué par divers groupes de socialistes russes.
On passe à la formation du bureau. Sont nommés comme présidents : Gérombou, de Verviers ; Werner, d’Allemagne ; et Rodriguez [Soriano], d’Espagne. Les secrétaires sont : Levachof, de Russie ; Montels, de France ; et Piette, de Verviers.
Brousse demande l’admission régulière dans l’Internationale de la Fédération française récemment constituée. — Cette Fédération est reçue.
Werner et Rinke demandent l’admission dans l’Internationale d’un groupe de sections qui viennent de se constituer en Allemagne. — Ce groupe est reçu dans l’Internationale.
La Fédération de Montevidéo est aussi reçue dans l’Internationale[284].
Le Bureau fédéral de l’Internationale ayant chargé le délégué jurassien de la lecture de son rapport, ce rapport, signé Spichiger et Pindy, est lu par Guillaume. Il sera publié en entier dans le compte-rendu du Congrès[285].
Des irrégularités dans la correspondance, de la part du secrétaire du Conseil régional belge, résidant à Anvers, ayant été constatées à la suite de la lecture du rapport en question[286], la résolution ci-dessous est votée par le Congrès à l’unanimité :
Le Congrès, considérant que la correspondance entre le Bureau fédéral et les sections peut se trouver entravée par la négligence d’un Conseil régional, constate que le Bureau fédéral a le droit, quand les circonstances l’exigent, de correspondre directement avec les fédérations locales ou de bassin, et que celles-ci pourront, toutes les fois qu’il leur conviendra, s’adresser au Bureau fédéral.
À la fin de la séance arrive un nouveau délégué : Delban, représentant du Cercle d’études socialistes de Liège.
Ce Cercle demande son affiliation à l’internationale. Les statuts du Cercle ayant été antérieurement communiqués à la Fédération de la vallée de la Vesdre, et ne renfermant rien de contraire aux statuts généraux, le Cercle d’études socialistes de Liège est admis dans l’Internationale, avec cette restriction que, s’il veut s’affilier à la Fédération régionale belge, il devra en faire la demande régulière à cette Fédération.
Le Congrès décide ensuite qu’il y aura un meeting public le même soir, dans la grande salle ; que les séances publiques du vendredi et du samedi seront transformées en soirées familières, et que les rapports des Fédérations seront lus dans la soirée du vendredi. — La séance est levée à midi.
Deuxième séance (privée), jeudi 6 septembre, à deux heures.
La classification de l’ordre du jour du Congrès est établie comme suit ;
1° Vote des sections isolées dans les Congrès généraux ;
2° Des moyens propres à réaliser le plus vite possible l’action révolutionnaire socialiste, et étude de ces moyens (proposition de la fédération de Nouvelle-Castille) ;
3° Dans quelque pays que triomphe le prolétariat, nécessité absolue d’étendre ce triomphe à tous les pays (proposition de la fédération d’Aragon) ;
4° Le Bureau fédéral pourrait-il trouver des moyens de propagande pour nos compagnons d’Égypte (proposition de la section d’Alexandrie) ;
5° Discussion des questions formant l’ordre du jour du Congrès de Gand ;
6° Questions administratives.
La discussion est ouverte sur le premier point : « Vote des sections isolées dans les Congrès généraux ». Le Congrès se rallie à la résolution de la Fédération jurassienne, prise au Congrès de Saint-Imier. (Voir cette résolution plus haut, p. 232.)
On aborde ensuite le deuxième point : « Des moyens propres à réaliser le plus vite possible l’action révolutionnaire socialiste, et étude de ces moyens ». Après une très longue discussion, le Congrès adopte la résolution suivante :
Considérant que la solidarité de fait dans l’action révolutionnaire socialiste a été reconnue, par les congrès et les groupes socialistes révolutionnaires, comme étant, non-seulement le moyen le plus pratique, mais indispensable pour assurer le triomphe de la révolution sociale ;
Considérant, d’autre part, que la question mise à l’ordre du jour par la Nouvelle-Castille se trouve implicitement contenue dans d’autres questions qui seront mises en discussion ;
Pour ces motifs, le Congrès passe à l’ordre du jour[287].
Comme il est six heures du soir et qu’un meeting doit avoir lieu à huit heures, la suite de la discussion est renvoyée au lendemain.
Meeting public, jeudi 6 septembre, à huit heures du soir.
Une foule nombreuse se presse dans la grande salle de la cour Sauvage. Des socialistes de Verviers prennent successivement la parole, et exposent en langue wallonne les principes de l’Internationale ; ils sont chaleureusement applaudis.
Le meeting dure jusqu’à minuit, et paraît laisser à tous les assistants une excellente impression. « Les tiraillements qui avaient malheureusement existé pendant quelque temps entre divers éléments socialistes à Verviers ont disparu ; l’union est rétablie, et chacun envisage l’avenir avec espoir et confiance. Le Congrès de Verviers aura été le signal d’un énergique réveil du socialisme dans le pays wallon : voilà ce que dit chacun, et nous croyons que c’est en effet la vérité. »
Troisième séance (privée), vendredi 7 septembre, à neuf heures du matin.
La lecture des procès-verbaux des deux précédentes séances est faite, et ils sont adoptés.
Un nouveau mandat arrive au bureau, et le Congrès admet le délégué qui en est porteur: Malempré, représentant la section de Lambermont (Belgique)[288].
On aborde le troisième point de l’ordre du jour : « Dans quelque pays que triomphe le prolétariat, nécessité absolue d’étendre ce triomphe à tous les pays ».
James Guillaume, délégué de la Fédération jurassienne, dit qu’il a reçu le mandat de demander au Congrès de passer à l’ordre du jour sur cette question.
Une autre proposition, faite par Costa, avec un complément de Brousse, est présentée aux délégués[289].
Après une très intéressante discussion, le Congrès adopte la résolution suivante de Costa et Brousse, contre laquelle vote seul le délégué de la Fédération jurassienne :
Considérant que, si la révolution sociale est, par sa nature même, internationale, et s’il est nécessaire pour son triomphe qu’elle s’étende à tous les pays, il y a néanmoins certains pays qui, par leur conditions économiques et sociales, se trouvent plus que les autres à même de faire un mouvement révolutionnaire,
Le Congrès déclare :
Qu’il est du devoir de chaque révolutionnaire de soutenir moralement et matériellement chaque pays en révolution, comme il est du devoir de l’étendre (??)[290], car par ces moyens seulement il est possible de faire triompher la révolution dans les pays où elle éclate.
Le quatrième point de l’ordre du jour est ensuite abordé : « Le Bureau fédéral pourrait-il trouver des moyens de propagande pour nos compagnons d’Égypte ? » Sur ce point, le Congrès déclare que le Bureau fédéral de l’Internationale pourra s’entendre à ce sujet avec la section d’Alexandrie, sur la demande de laquelle cette question a été mise à l’ordre du jour.
Quatrième séance (privée), vendredi 7 septembre, à deux heures.
Il est donné lecture d’une lettre des Sections belges du Centre, dont voici la teneur :
« Compagnons, Le Conseil régional belge ayant négligé de nous donner connaissance de la tenue du Congrès, nous n’avons pu en discuter l’ordre du jour dans nos sections, ni nous préparer à y envoyer un délégué. Réunis aujourd’hui en séance intime, nous ne pouvons laisser passer l’occasion de venir vous affirmer que nous partageons fermement les principes exposés et admis dans les Congrès antérieurs de l’Association internationale des travailleurs. Salut et révolution sociale. (Signé) : Fidèle Cornet, groupe des mécaniciens de Jolimont ; — Théophile Massart, J. Gillet, mécanicien, Maréchal, A. Massart, Waterlot, Hermant, Deschamps, section de Fayt ; — Lazare, section d’Haine-Mariemont. »
La proposition suivante est présentée au bureau :
« Nous, délégués de la Belgique, proposons au neuvième Congrès de l’Association internationale des travailleurs de rédiger une adresse de sympathie en faveur de nos frères victimes de leur énergie révolutionnaire dans les divers mouvements qui ont eu lieu, tels que : Notre-Dame-de-Kazan, Berne, Bénévent, Amérique, etc. Les délégués : Gérombou, Lurox, Malempré, Hubertine Ruwette, Simon, Montulet, Noël, Dompret, Delbars, Piette. »
Le Congrès, appelé à se prononcer sur cette proposition, vote la déclaration suivante :
Sur la proposition unanime des délégués belges, le Congrès général de l’Internationale, réuni à Verviers, manifeste par la présente déclaration sa sympathie et sa solidarité envers ceux de nos frères qui ont été victimes de leur énergie révolutionnaire dans les divers mouvements qui ont eu lieu cette année, entre autres à Bénévent, à Saint-Pétersbourg, à Berne, et aux États-Unis.
Une discussion s’engage ensuite sur la manière en laquelle doit être exécutée la décision prise l’année précédente, au Congrès de Berne, concernant une caisse centrale de propagande qui serait administrée par le Bureau fédéral (Voir ci-dessus p. 105). La proposition suivante est adoptée, comme adjonction à la décision du Congrès de Berne :
Les Fédérations détermineront elles-mêmes les moyens qu’elles jugeront convenables pour réunir la somme à verser à cette caisse de propagande.
L’ordre du jour appelle l’examen du programme du Congrès de Gand. Une discussion générale s’engage à ce sujet, et aboutit à la constatation d’une complète entente entre les délégués. La discussion spéciale sur les diverses questions du programme de Gand est renvoyée au lendemain.
La séance est levée à six heures et demie.
« Pendant cette séance, le commissaire de police de Verviers s’est rendu au local du Congrès et a fait prier les délégués de passer le lendemain matin à son bureau pour y faire constater leur identité. Cette cérémonie officielle s’accomplit le lendemain sans aucun incident digne de remarque, et le commissaire, ayant obtenu sur le lieu de naissance des délégués, leur profession, leur âge et la couleur de leurs cheveux, tous les renseignements qui l’intéressaient, put télégraphier au gouvernement belge que sa vigilance avait sauvé la patrie. »
Cinquième séance (publique), vendredi 7 septembre, à huit heures du soir.
Cette séance, tenue sous la forme d’une soirée familière, fut consacrée à l’audition des rapports des fédérations et sections. Les rapports suivants furent lus ou présentés verbalement :
Fédération de la vallée de la Vesdre ; — Section des femmes de Verviers ; — Fédération espagnole ; — Fédération française ; — Fédération italienne ; — Groupe des sections allemandes ; — Fédération jurassienne ; — Groupes socialistes russes ; — Groupes de la Grèce ; — Groupes d’Égypte.
Après la lecture de ces rapports, une discussion très intéressante s’engage sur les grèves, à propos de la grève de Seraing, dont Meunier fait le récit. La séance est levée vers minuit.
Sixième séance (privée), samedi 8 septembre, à neuf heures du matin.
Les procès-verbaux de la troisième et de la quatrième séance sont lus et adoptés.
Cette séance est spécialement consacrée à des questions administratives. Ce sont :
1° « Des moyens de publier le Compte-rendu du Congrès actuel. » — Il est décidé que les secrétaires du Congrès auront à s’entendre avec la rédaction du Mirabeau au sujet de cette publication.
2° « Liquidation des Comptes-rendus du Congrès général de 1874, tenu à Bruxelles. » — Il reste encore environ 300 exemplaires de ce Compte-rendu, dont les frais ont été jusqu’ici supportés exclusivement par la Fédération de la vallée de la Vesdre. Il est décidé que les 300 exemplaires restants seront mis au prix de 50 c., et que chaque Fédération régionale sera invitée à se charger d’en écouler un certain nombre.
3° « Frais du présent Congrès. » — Ces frais, s’élevant à 63 fr. 20, sont répartis séance tenante entre les Fédérations représentées.
4° « Quelle Fédération remplira les fonctions de Bureau fédéral de l’Internationale pour 1877-1878 ? » — Plusieurs Fédérations proposent la Belgique. La Fédération belge n’étant pas représentée dans son entier, il est proposé de charger provisoirement de ce mandat la Fédératiou de la vallée de la Vesdre, jusqu’à ce que la Fédération régionale belge, réunie en congrès, ait pu déclarer si elle accepte ou refuse les fonctions de Bureau fédéral.
Les délégués belges demandent la suspension de la séance pour pouvoir se concerter entre eux. À la reprise de la séance, ils annoncent qu’à l’unanimité ils acceptent la proposition de désigner Verviers comme siège provisoire du Bureau fédéral.
Il est proposé en outre, pour le cas où le Congrès régional belge ne ratifierait pas cette décision, de placer le Bureau fédéral en Espagne. Les délégués espagnols déclarent qu’ils pensent que leur Fédération serait disposée à accepter ce mandat, s’il lui était conféré.
5° « Pays où se tiendra le prochain Congrès général. » — La Suisse est désignée à l’unanimité.
La séance est levée à midi.
Septième séance (privée), samedi 8 septembre, à deux heures.
L’ordre du jour appelle la discussion sur chacune des six questions formant le programme du Congrès de Gand.
Un mémoire émanant d’une section de Genève a été envoyé au Congrès avec prière d’en prendre connaissance. Ce mémoire, destiné au Congrès de Gand, traite une à une les diverses questions du programme. Il est décidé de donner lecture de ses différents chapitres au cours de la discussion.
1re question du Congrès de Gand : « Des tendances de la production moderne au point de vue de la propriété ». — Après une longue discussion, la résolution suivante est adoptée :
Considérant que le mode de production moderne tend, au point de vue de la propriété, à l’accumulation des capitaux dans les mains de quelques-uns, et accroît l’exploitation des ouvriers ;
Qu’il faut changer cet état de choses, point de départ de toutes les iniquités sociales,
Le Congrès considère la réalisation de la propriété collective, c’est-à-dire la prise de possession du capital social par les groupes de travailleurs, comme une nécessité ; le Congrès déclare en outre qu’un parti socialiste vraiment digne de ce nom doit faire figurer le principe de la propriété collective, non dans un idéal lointain, mais dans ses programmes actuels et dans ses manifestations de chaque jour.
2e question du Congrès de Gand : « Quelle doit être l’attitude du prolétariat à regard des partis politiques ? » — À cette question, le Congrès en joint une autre qui s’y rattache, et qui a été proposée pour l’ordre du jour du Congrès de Verviers par la Fédération napolitaine : « De la conduite des socialistes révolutionnaires anarchistes vis-à-vis des partis politiques soi-disant socialistes ».
Après une discussion approfondie, qui a duré plusieurs heures, le Congrès vote la résolution suivante :
Considérant que la conquête du pouvoir est la tendance naturelle qu’ont tous les partis politiques, et que ce pouvoir n’a d’autre but que la défense du privilège économique ;
Considérant, d’autre part, qu’en réalité la société actuelle est divisée, non pas en partis politiques, mais bien en situations économiques : exploités et exploiteurs, ouvriers et patrons, salariés et capitalistes ;
Considérant, en outre, que l’antagonisme qui existe entre ces deux catégories ne peut cesser de par la volonté d’un gouvernement ou pouvoir quelconque, mais bien par les efforts réunis de tous les exploités contre leurs exploiteurs ;
Pour ces motifs :
Le Congrès déclare qu’il ne fait aucune différence entre les divers partis politiques, qu’ils se disent socialistes ou non : tous ces partis, sans distinction, forment, à ses yeux, une masse réactionnaire, et il croit de son devoir de les combattre tous.
Il espère que les ouvriers qui marchent encore dans les rangs de ces divers partis, instruits par les leçons de l’expérience et par la propagande révolutionnaire, ouvriront les yeux et abandonneront la voie politique pour adopter celle du socialisme révolutionnaire.
La séance est levée à sept heures.
Huitième séance (publique), samedi 8 septembre, à huit heures et demie du soir.
Cette séance, comme celle de la veille au soir, est tenue sous la forme d’une soirée familière.
La discussion sur le programme du Congrès de Gand est reprise.
3e question du Congrès de Gand : « De l’organisation des corps de métier ». — Cette question soulève une discussion très intéressante, de laquelle il résulte que, la grande industrie n’étant pas développée aujourd’hui d’une manière identique dans tous les pays, les corps de métier n’ont pas partout, au point de vue socialiste révolutionnaire, la même valeur. La résolution suivante est votée à l’unanimité :
Le Congrès, tout en reconnaissant l’importance des corps de métier, et en en recommandant la formation sur le terrain international, déclare que le corps de métier, s’il n’a d’autre but que l’amélioration de la situation de l’ouvrier, soit par la diminution des heures de travail, soit par l’augmentation du taux du salaire, n’amènera jamais l’émancipation du prolétariat ; et que le corps de métier doit se proposer, comme but principal, l’abolition du salariat, c’est-à-dire l’abolition du patronat, et la prise de possession des instruments de travail par l’expropriation de leurs détenteurs.
4e question du Congrès de Gand : « Pacte de solidarité à conclure entre les diverses organisations ouvrières socialistes ». — Le Congrès, reconnaissant qu’un pacte de solidarité ne peut être conclu entre l’Internationale et des organisations dont les principes et les moyens d’action diffèrent des siens sur des points essentiels, passe à l’ordre du jour.
5e question du Congrès de Gand : « De la fondation, dans une ville européenne, d’un Bureau central de correspondance et de statistique ouvrière, qui réunirait et publierait les renseignements relatifs aux prix de la main-d’œuvre, des denrées alimentaires, aux heures de travail, aux règlements de fabriques, etc. » — Le Congrès émet l’opinion que le Bureau fédéral de l’Internationale pourrait se charger de la mission énoncée dans la question ci-dessus, sans qu’il soit besoin de créer un nouveau bureau spécial.
6e question du Congrès de Gand : « De la valeur et de la portée sociale des colonies communistes, etc. » — Après un exposé historique de la question, lecture est faite de la résolution votée à ce sujet par le Congrès de Saint-Imier (voir p. 235). Le Congrès de Verviers décide de se rallier à cette résolution.
Il est entendu que les résolutions adoptées relativement au Congrès de Gand n’ont pas un caractère absolument impératif et que les délégués ne seront pas liés à leur texte, mais qu’elles indiquent seulement le point de vue auquel les délégués de l’Internationale ont résolu de se placer dans la discussion.
Toutes les questions du programme du Congrès de Gand ayant été examinées, la discussion sur les grèves est reprise, et se prolonge assez tard, mais sans aboutir au vote d’une résolution.
Il est décidé, pour terminer la séance, que les procès-verbaux qui n’ont pas pu être lus seront remis au bureau, qui les vérifiera. Puis la clôturer du Congrès est prononcée aux cris de Vive l’Internationale !
Le lendemain, dimanche, les délégués de l’Internationale prenaient congé de leurs amis de Verviers pour se rendre à Gand, après avoir promis que ceux d’entre eux qui le pourraient s’arrêteraient à Verviers au retour.
James Guillaume
L’INTERNATIONALE,
documents et souvenirs
Tome IV.
Lire le dossier La section de l’Internationale de Bruxelles