Bruxelles 8 janvier 1878

La section de bruxelloise de l’Internationale s’est réunie en séance, hier lundi au local du Cygne, Grand Place ; une vingtaine de membres y assistaient.

Elle s’ouvrit après 10 heures du soir sous la présidence de Brismée.

Paterson donna lecture d’un procès-verbal dont la rédaction fut approuvée, il fut procédé ensuite à la nomination d’un nouveau membre : Spilleux, demeurant 327 rue des Palais fut admis sans observation.

La séance fut très orageuse, l’ordre du jour portait : « Revue du mouvement ouvrier en Belgique ».

Brismée proposa la remise de cette question, disant qu’il fallait d’abord rechercher certains faits qui se sont produits depuis quelques années de façon à connaître quels sont les hommes qui ont fait crouler l’Internationale. Nous nous réunirons, dit-il, comme autrefois, le second lundi de chaque mois et nous nous occuperons de l’organisation du conseil régional qui, à partir d’aujourd’hui, doit siéger à Bruxelles. Il rappelle à cet effet que trois membres ont déjà été choisis pour organiser provisoirement ce conseil, ce sont : Standaert, De Paepe et Cammaert.

Paterson donne lecture d’une lettre d’un nommé Tricot Maximilien de Chatelineau qui dit que les affaires vont très mal dans cette localité, que les membres de l’Internationale qui s’y trouvent ont beaucoup de peine à se réunir, mais qu’ils ont satisfaits de ce que le conseil régional va être établi à Bruxelles et qu’ils adhèrent à tout ce qu’il fera.

Debuyger dit qu’il désirerait que la section se réunisse au moins deux fois par mois.

Brismée répond qu’il est préférable, pour le moment, d’avoir un jour fixe et qu’il ne faut pas faire comme le parti socialiste brabançon qui, pour le plaisir d’un individu ou deux, a pris la détermination de se réunir tous les dimanches, ce qui est cause que personne, pour ainsi dire, ne va à ces réunions.

Debruyger, Standaert et Trappeniers sont de l’avis de Brismée.

Debruyger demande alors qu’un des délégués au congrès de l’Internationale, fasse un rapport sur ce qui s’y est passé.
Brismée désigne Steens à cet effet, celui-ci hésite un moment parce qu’il n’a pas de notes, puis raconte brièvement ce dont il se rappelle.

Trappeniers lui fait observer qu’il a oublié de mentionner la démission de l’Internationale donnée par les anversois et il raconte lui-même de quelle façon elle a été donnée, il blâme les anversois pour ce fait.

Steens reprend et dit qu’il n’avait pas voulu soulever cette question à ce moment, mais que puisqu’on l’y forçait, il dirait tout : que le conseil régional d’Anvers n’avait rien fait depuis deux ans et qu’il avait cherché la dissolution de l’Internationale afin de se transformer en parti socialiste, comme les allemands avec lesquels il est affilié. Nous avons vérifié les livres, dit-il, et nous n’avons trouvé qu’un seul procès-verbal, pas d’argent, il y a donc eu une menée souterraine. Lorsque nous avons demandé les comptes à Godschalk, il nous a montré un livre constatant les dépenses qui ont été faites en délégations, soit à Gand, à Malines ou autres villes flamandes, mais les provinces wallonnes ont été complètement négligées. Ce qu’il y a de plus fort, c’est que ces dépenses n’ont pas été faites en vue de consolider l’Internationale, mais pour constituer un parti flamand, duquel ce conseil est parvenu avec l’aide des gantois et même des bruxellois. Lorsque nous demandions à Vanbrevere de Gand comment il se faisait que l’Internationale de Gand n’avait pas payé son droit d’affiliation, il nous répondit que cette section avait eu besoin d’argent pour faire de la propagande au parti socialiste. Anvers a fait la même chose et a trouvé quelques hommes à Bruxelles pour les aider a constituer l’Internationale sous un autre nom. Mais malgré la conduite infamante du conseil d’Anvers, cela n’empêchera pas les hommes de cœur de faire leur devoir et de relever l’Internationale à Bruxelles et dans les pays wallons.

Brismée parle dans le même sens que Steens mais il s’appesantit plus fort contre les membres de l’Internationale qui ont aidé d’une manière jésuitique le conseil régional d’Anvers à abandonner son drapeau pour se reconstituer sous un autre. Pendant cinq ans, dit-il, nous avons tout sacrifié pour amener une entente entre les flamands et les wallons, nous avions même réussi à faire une alliance avec tous les peuples et si quelques jongleurs cherchent à briser notre travail, à s’en emparer pour s’en faire une gloire, cela ne sera pas car Vanbreveren de Gand a avoué lui-mêle que c’est de Bruxelles qu’est sorti le parti socialiste, c’est pourquoi je demande que nous nous mettions à surveiller ceux qui font partie de l’Internationale de Bruxelles, afin de la relever.

Bertrand dit qu’il comprend qu’on le mette en cause, mais j’ose affirmer, dit-il que je n’ai jamais été le promoteur de ces faits et je demande une enquête.

Verrycken dit qu’on ne veut attaquer momentanément aucune personnalité, quoique depuis la création de la Chambre du travail, il ait été un de ceux qui pourraient montrer que le but des anversois était de détruire l’Internationale et c’est, dit-il, lorsque la Chambre du travail chercha à créer une section mixte, avec l’intention de faire disparaître la section bruxelloise et la preuve c’est que cette Chambre sortait de son programme qui n’admettait dans son sein que des ouvriers, en nous convoquant, moi, De Paepe, Scellier et autres, à faire partie de cette section car nous ne sommes pas des ouvriers.

C’est pourquoi, je voudrais que l’on oublie tout cela comme le propose Steens, car si nous ouvrons une enquête sur le conseil régional, cela amènera d’autres échecs qui seront très regrettables.

Standaert est du même avis, cependant il ajoute qu’il n’est nullement prêt à accuser ceux qui ont constitué la Chambre du travail et même la section mixte, parce que à son point de vue, cela a été fait avec bonne intention.

Bertand déclare que la section mixte n’a été constituée qu’en vue de permettre à ceux qui appartenaient à des métiers où il n’existe pas d’association, de pouvoir se réunir quand même, pour pouvoir en créer.

Trappeniers dit que cela est ainsi, qu’il y a amené un certain nombre de typographes, en vue de créer un groupe à côté de celui qui existe et dont le règlement est trop arbitraire.

Brismée dit que Bertrand n’est pas dans le vrai, que la section mixte n’a pas été crée en vue d’y réunir les ouvriers, attendu que c’est chez lui que Bazin et Bertrand se sont rendus pour obtenir des adresses, telles que celles de Janson, Robert, Hector Denis, etc. et qu’il a lui-mêle été invité à mettre sa signature sur la liste, seulement, dit-il, on a eu soin de convoquer De Paepe et Scellier, mais à moi, on ne l’a pas fait et Bazin, Bertrand et autres savent bien pourquoi. Mais c’est égal, cette section n’a pu exister et la Chambre du travail avec tout ce qu’elle a cru faire, n’a pas avancé d’un pouce de terrain.

Bertrand dit, que si un appel a été fait a des avocats, médecins ou autres personnes capables, c’était en vue d’avoir des conférences et pas autre chose. Il déclare qu’il désire ardemment qu’un enquête se fasse afin de prouver que ceux qui l’accusent ainsi que De Paepe, Bazin et Scellier, sont dans une erreur complète.

Steens répond que cette proposition est une folie, qu’il y a des preuves suffisantes pour démasquer les traîtres, que ce n’est pas lui, Bertrand, qui est précisément l’accusé, qu’il ne le considère que comme un instrument, mais qu’il y en a d’autres, mais qu’il préfère tout oublier pour ne pas mettre cette trahison au grand jour.

Trappeniers demande la parole pour une motion d’ordre.

Brismée la lui refuse en disant qu’il n’y a pas lieu d’en faire, il continue en prétendant que tous les orateurs sont restés dans la question et que tout ce qui s’est dit est loin de pouvoir être regardé comme de fausses accusations. Si l’on nous force, dit-il, à dire toute la vérité, il en résultera de drôles de choses et c’est pourquoi je me réserve pour le moment en disant et en affirmant que tout ce qui s’est fait à Anvers et à Gand par quelques bruxellois est indigne au point de vue de l’Internationale.

Bertrand répète qu’il veut une enquête.

Debuyger dit que la personne de Bertrand était en jeu, qu’il a donc le droit de demander une enqête et qu’il croit que ce sera le seul moyen de mettre fin au désordre qui règne.

Brismée dit qu’il ne recule pas devant cela parce qu’on apprendra beaucoup et qu’on continuera à s’acharner contre les anversois qui se sont retirés de l’Internationale, il ajoute qu’il est question aussi que les gantois s’en retirent, mais que cette décision n’a pas encore été prise et qu’il saura, lorsque l’occasion se présentera, prouver combien a été indigne la conduite de certains membres.

Verrycken propose qu’il y ait une séance spéciale dans laquelle on s’occupera de cette question.

Bertrand demande encore que l’enquête se fasse immédiatement.

Steens dit qu’il veut l’éviter parce qu’il pourrait en sortir une vengeance de la part des accusés qui bouleverserait de fond en comble tous les travaux faits antérieurement par ceux qui ont appartenu sincèrement à l’Internationale.

Standaert est du même avis.

On demande la clôture vue l’heure avancée.

Bertrand veut à tout prix que l’enquête se fasse.

Steens, Brismée lui disent qu’il ne doit pas s’acharner ainsi, que si l’enquête se faisait, tous les accusés n’en sortiraient pas blanc comme neige, attendu que la Chambre du travail n’a été crée qu’en vue de faire crouler l’Internationale.

On se décide à terminer cette discussion ; Brismée dit que les trois membres qui ont été nommés pour constituer le conseil régional à Bruxelles auront à écrire aux diverses sections de Belgique, à l’effet de désigner celui qui doit les représenter.

Steens dit qu’il aidera ces trois membres dans leur besogne.

Le président propose de tenir une réunion lundi prochain, ce qui est adopté, sur ce la séance est levée, il est 12 heures 1/4.

J’oubliai de dire que lorsque Bertrand se défendit des accusations concernant la section mixte, il alla prendre dans son pupitre des circulalires qu’il a distribuées, afin de prouver qu’il avait raison.

Ci-joint un exemplaire.*

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Archives de la Préfecture de police de Paris Ba 436

Lire le dossier La section de l’Internationale de Bruxelles

* qui ne figure pas au dossier