Londres 27 décembre 1877
C’est le mardi 27 qu’a eu lieu dans le local du Cygne, Grand Place, le Congrès belge de l’Internationale ; ceux qui la veille avaient été chargés de recevoir les délégués ne furent pas très exacts à leur poste, car les quelques délégués arrivèrent au Cygne, sans être accompagnés. Steens ne s’y trouva qu’après 11 heures du matin ; vers 11 heures 1/2 eut lieu la réception des délégués et la vérification des mandats par Steens et Paterson, il en résulte que huit sections ou fédérations étaient représentées, savoir : l’Union des travailleurs ou Werkersverboud, section de Gand, par Edmond Vanberveren ; le conseil régional et la section d’Anvers par Constant Goedschalk ; les mécaniciens de Jolimont (centre Hainaut) par Abel Wart ; le Secours de Faÿt (Basse Hestre) par Abel Daivière ; la section bruxelloise par Brismée, de Paepe et Steens (les deux premiers étant absents) ; le conseil fédéral des sections de la vallée de la Vesdre, par Joseph Lambrette ; un cercle d’étude et de propagande socialiste par Wagener, 76 rue des Bayards (Liège).
Après la vérification de ces mandats et sur la demande de quelques délégués qui avaient des cotisations, il fut donné à haute voix lecture des mandats et Goedschalk invita les délégués à faire le versement des cotisations afin qu’il puisse rendre ses comptes. Trois sections répondirent à cet appel, lesquelles sont celles de Jolimont 375 fr., la Fédération des mineurs du Centre dont Jules Stracmann (?) était le délégué pour 5 fr. (pas encore cité), le Secours mutuel de Faÿt 25 fr.
Il fut procédé ensuite à la constitution du bureau, à la suite d’une proposition faite par Trappeniers et Debuyger, consistant à choisir des fonctionnaires en dehors des délégués, vue le petit nombre de ces derniers, il y eût une petite discussion : Steens et autres firent observer que cela n’était pas pratique, Trappeniers répondit que dans ce cas, Paterson n’étant pas délégué, n’avait pas le droit de prendre place au bureau ; celui-ci dit que c’était d’usage que le secrétaire de la section de la localité où se tient le congrès, reçoive les délégués et remplisse quelques fonctions jusqu’à ce que le bureau soit constitué (il remplissait les fonctions de président). Le bureau fut constitué de la façon suivante : Steens président et Wart assesseur, Goedschalk secrétaire.
Wagener de Liège propose d’intervertir l’ordre du jour, c’est à dire de mettre en discussion les 3e et 6e questions d’abord, afin qu’il puisse prendre part aux débats, devant retourner à Liège le même jour.
Steens ayant répondu qu’il ne valait pas la peine d’assister à un congrès pour quelques heures seulement, Wagener répondit que cette manière de recevoir les délégués n’était pas très honnête, que ne représentant qu’un groupe d’une douzaine de membres à peine constitué, celui-ci ne pouvait faire face à de fortes dépenses, il ajoute que si ce groupe n’est pas encore admis à l’Internationale, c’est que le conseil régional d’Anvers a répondu à sa demande qu’il devrait attendre jusqu’après le congrès de Bruxelles.
L’assemblée admet la proposition d’intervertir l’ordre du jour. Goedschalk dit que lui aussi voudrait que la 4e question à l’ordre du jour soit discutée la première, savoir : La revue du mouvement ouvrier en Belgique.
Le président répond que cela ne peut se faire ainsi, que certaines questions, telles que celle du rapport et de la vérification des comptes du conseil, son transfert, ainsi que celui du bureau fédéral doivent d’abord être vues.
Lambrette de Verviers dit qu’il trouve extraordinaire que le conseil régional et la section d’Anvers ne se fasse représenter que par un seul délégué et prétend que cela ne peut pas se faire.
Goedschalk répond que c’est par esprit d’économie que cela s’est fait.
Le président donne lecture d’une lettre de Montigny sur Sambre, signée Romain, secrétaire, lequel félicite le congrès et fait des vœux pour la réussite de ses travaux.
Une proposition est déposée au bureau par Trappeniers tendant à accorder la parole aux membres de la section bruxelloise dans les débats qui auront lieu, pendant le durée du congrès.
La plupart des délégués protestent contre cette chose, disant qu’ils ont un mandat à remplir et qu’ils ne veulent pas que les discussions soient entravées par des membres qui n’ont aucune mission.
Trappeniers et Debuyger prétendent que cette mesure d’empêcher un membre de l’Internationale de s’expliquer dans un congrès est une chose arbitraire et qu’elle n’a jamais été refusée. Ils invoquent des congrès antérieurs pour se justifier.
Bertrand dépose une proposition analogue par laquelle la parole pourrait être accordée aux membres non délégués, que sur la question 4, Revue du mouvement ouvrier en Belgique.
Cette proposition ne reçoit pas plus d’accord que la première, il y est répondu par plusieurs délégués que s’il y a parti pris, les travaux du congrès ne pourront être terminés en deux jours.
Les deux propositions mises aux voix sont rejetées.
On se sépare ainsi se promettant d’ouvrir le Congrès à 2 heures précises, il est 12 heures 3/4.
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Archives de la Préfecture de police de Paris Ba 436
Bruxelles le 27 décembre 1877
L’ouverture du congrès a lieu vers 3 heures de relevé ; Goetschalck, Wart et Steens, prennent place au bureau, tous les délégués sont présents, sauf Brismée et De Paepe, lesquels n’arriveront que dans la soirée.
Steens préside, il donne lecture d’une lettre d’une section de Charleroi félicitant les délégués réunis en congrès et formant des vœux pour la réussite de ses travaux. Goetschalck fait seul les fonctions de secrétaire, sans consultation de l’assemblée, le président invite Patterson à prendre des notes, ce à quoi ce dernier ne se refuse pas et prend place au bureau, Goetschalck alors au nom du conseil régional donne un rapport sur la situation de la caisse dudit conseil, d’où il résulte qu’à ce jour les dépenses excèdent les recettes, que les sections suivantes n’ont pas payé leur droit d’affiliation pendant l’année écoulée, savoir celle de Verviers, de Gand, du Borinage, il déclare ne pas avoir d’autre rapport à faire. Daivière dit que le congrès ne doit pas être satisfait de ce qui vient d’être dit et propose de nommer quelques délégués chargés de vérifier les livres du conseil ; plusieurs autres appuient cette proposition. Godschalk dit qu’il ne s’y oppose pas, mais qu’il tient à être du nombre, on nomme Daivière, Lambrette et Steens.
Ward (?) dit qu’il est d’usage qu’une section ou fédération qui ne paie pas, n’a pas voix délibérative, ceci soulève une discussion.
Vanbeevere répond que la section de Gand ayant eu à faire beaucoup de propagande dans le courant de l’année, a eu aussi beaucoup de dépenses à faire ce qui l’empêche de payer momentanément ses cotisations au conseil. Wagener dit que si Liège n’a pas payé, c’est parce que la section qui n’est constituée que depuis quelque temps n’a pu recevoir son adhésion, par le conseil régional d’Anvers auquel la demande a été faite à plusieurs reprises.
On réclame l’ordre du jour, le président en donne lecture, la première question est ainsi conçue : Mesures à prendre en cas d’événements, Wagener, délégué de Liège étant appelé à s’expliquer sur ce point, dit, qu’il n’a d’autre mission que de s’informer de ce que l’Internationale ferait en cas où un événement quelconque se produirait, que la section récemment constituée à Liège entend ne s’allier à aucun parti qui se constituerait en Belgique, excepté celui de l’Internationale.
Steens dit qu’il n’est pas satisfait de cette réponse et qu’il désirerait entendre le délégué le délégué de Verviers de qui émane cette question.
Lambrette s’explique d’une façon très vague en disant qu’en Belgique, notamment dans les Flandres, il s’est constitué des groupes et même des fédérations s’intitulant parti socialiste dont les verviétois connaissent ou plutôt supposent le but, ils ne reconnaissent qu’un seul drapeau qui est celui de l’Internationale. Il voudrait savoir ce que ferait l’association en cas d’événement, nous n’avons qu’une chose en vue, dit-il, c’est la Révolution et nous sommes persuadés que les flamands ne peuvent la faire surgir.
Steens dit qu’il faut savoir qui a tort en ce qui concerne le congrès international qui s’est tenu à Verviers quelques jours avant le congrès de Gand. Pourquoi les verviétois ont-ils tenu ce congrès, alors qu’il avait été décidé à Berne qu’il n’y en aurait pas cette année à cause du congrès socialiste.
Goetschalck dit que le conseil régional s’en est tenu aux décisions prises par le congrès de Berne, de ne pas tenir de congrès de l’Internationale.
Lambrelle prétend que le conseil d’Anvers n’a pas fait son devoir et qu’à diverses reprises, la fédération verviétoise lui a écrit pour annoncer qu’un congrès international aurait lieu.
Steens fait un long discours en vue d’accuser des membres de l’Internationale des Flandres d’avoir travaillé de façon à anéantir l’association.
Si le conseil régional d’Anvers, dit-il, n’a pas organisé de congrès universel de l’Internationale, il était dans le droit mais il a commis un abus de pouvoir en laissant sans réponse les lettres qui lui été adressées, ce qu’il y a de plus regrettable, c’est que ce mouvement socialiste sortait précisément des membres de l’Internationale et s’il y en a parmi nous, dit-il, qui ont fait abstraction de leur profession de foi en reniant leur drapeau mais qu’ils ne se fassent pas d’illusion, ils n’ont pas tué l’Internationale et ne la tueront jamais. Ceux qui ont fait cela sont indignes de nous, ils ont constitué l’Internationale sous un autre nom en se servant des mêmes hommes pour réussir, c’est une coterie que nous découvriront bientôt, ainsi le Verker, journal de l’Internationale ne paraît plus sous ce titre depuis quelques temps et cela pour faire disparaître son nom.
Goetschalck répond que le Verker a enlevé son titre d’organe de l’Internationale parce que ce ne sont pas ses anciens membres qui le soutiennent et qu’il est la propriété de ceux qui le rédigent.
Daissière dans un discours où il répète souvent la même chose, qu’il regrette ces discussions orageuses qui ne peuvent que faire crouler l’Internationale.
Steens reprend la parole et s’acharne contre le conseil d’Anvers qu’il désigne comme ayant agi jésuitiquement et de connivence avec les sections gantoises et il finit par proposer de mettre un terme à tout cela en faisant renaître la concorde et en tâchant de relever l’Internationale, le conseil étant à Bruxelles, dit-il, nous nous mettrons à l’œuvre à cet effet et nous ne tarderons pas à réunir bientôt une armée aussi puissante que celle que nous possédions en 1870.
Daissière, Steens et d’autres membres veulent parler à la fois, des délégués internationaux et font remarquer que le président n’est pas dans son rôle, celui-ci prend la chose au sérieux et quitte le bureau en disant qu’il ne veut plus présider, l’assemblée est en déroute.
Ward (?) préside et demande à ce que Steens reprenne ses fonctions. De Paepe dit qu’il serait préférable de laisser la chose telle, vu que Steens a souvent besoin de parler, mais la majorité demande à ce qu’il reprenne la présidence et celui-ci reprend sa place.
Brismée prend alors la parole et dit qu’il ne comprend rien à la question proposée par les verviétois : « Mesures à prendre en cas d’événements ».
Wagener dit que l’Internationale a un but, qu’elle doit poursuivre qui est de revendiquer tous les droits populaires et que par conséquent elle doit savoir quelles sont les mesures à prendre en cas de grève, d’émeute, de révolte ou autre événement.
Steens et Brismée continuent à dire qu’ils ne savent pas ou veulent en venir les liégeois ; Wagener répond qu’ils ne rêvent que de Révolution et que comme il y a division, les flamands se sont constitués en parti politique en dehors de l’Internationale. Il voudrait savoir quelle sera la conduite de cette dernière en cas d’événement. Nous sommes internationalistes et révolutionnaires, nous ne connaissons qu’un seul drapeau et nous voulons profiter de la première occasion qui se présentera pour l’arborer.
Steens, Brismée, De Paepe répondent que ces explications ne peuvent les satisfaire.
Wagener répond qu’il ne sont qu’une douzaine de membres dans la section de Liège, mais que ce sont des hommes résolus qui n’auront pas de peine à constituer une armée quand le moment s’en fera sentir.
Ward (?) est du même avis, Goetschalck demande la clôture, elle est rejetée.
Brismée fait un long discours dans lequel il dit que les liégeois, verviétois et autres qui se sont ralliés au jurassiens sont dans une profonde erreur lorsqu’ils croient qu’une révolution sociale est possible en ce moment et font remarquer que le mouvement dont se sont emparés les flamands semble vouloir faire naître la division dans le camp ouvrier.
Wagener s’emporte et dit qu’en dépit de tout ce qui pourra se dire, les liégeois et verviétois prendront les armes à la première occasion qui se présentera.
Plusieurs délégués rient de ces paroles, Wagener se fâche et dit que quand même il serait seul pour commencer la Révolution, il est certain de réunir une armée en peu de temps.
Brismée propose de mettre à l’ordre du jour d’un congrès prochain la motion suivante : « De la nécessité pour l’Internationale de s’unir à toutes les organisations progressives en vue des mesures à prendre en cas d’événements politiques, en cas de mouvement philosophique et luttes économiques qui pourraient se produire dans le pays ou à l’extérieur. »
Godschalk fait observer à Wagener que la section liégeoise n’est pas encore admise à l’Internationale, celui-ci répond que c’est le conseil qui en est la cause, que la demande d’affiliation a été faite et que Coemans secrétaire du conseil a répondu qu’elle ne pourrait être acceptée qu’après le congrès prochain.
Godschalk dit que cette mesure a été prise à cause des affaires qui sont arrivées dans l’ancienne section liégeoise lors de l’existence du journal l’Ami du peuple avec un nommé Vermorel et parce qu’on craignait que les mêmes hommes ne viennent encore jeter le désarroi.
Wagener ajoute que la section liégeoise a été représentée au congrès de Verviers et que c’est une raison pour ne pas s’opposer à son admission.
Brismée et Steens disent que le conseil a eu raison de prendre des informations avant d’accepter le groupe de Liège, mais qu’il devrait déclarer pour quelle raison il ne l’a pas accepté.
Le président met aux voix la proposition de Brismée, elle est adoptée à l’unanimité, sauf l’abstention de Goetschalck qui déclare qu’il agit de la sorte parce qu’il a mandat de déclarer que les anversois se retirent de l’Internationale et que par ce fait son vote devient nul.
Tous les délégués sont stupéfaits de cette nouvelle, néanmoins personne ne fait d’objection. Godschalk demande la clôture de la séance. Steens, De Paepe font observer que le congrès peut voter l’admission du groupe de liégeois, il est adopté à l’unanimité.
Brismée dit que pour ce qui concerne le constitution du conseil régional, trois membres dont déjà été choisis et il engage les délégués de province à nommer leur représentant dans huit ou quinze jours afin que le conseil puisse se mettre immédiatement à la besogne.
On passe à la question du transfert du bureau fédéral. De Paepe fait observer qu’il d’usage que le bureau fédéral soit institué dans la localité où siège le conseil régional d’un pays et propose de laisser à ce dernier la latitude de le constituer.
On passe à la question : « Des moyens pratiques de faire réussir la grève générale. », elle ne soulève pas de discussion. Brismée, Steens, De Paepe disent que cette question n’a aucune importance, que les groupes de l’Internationale savent bien que pour faire réussir la grève générale, il faut d’abord s’organiser en association puis ensuite en fédération mais encore qu’il faut que cette fédération s’entende à l’extérieur, sans quoi la chance de réussite n’est pas encore assurée.
Daisière, Lambrette, Wagener répondent à tour de rôle, ils espèrent par suite du siège du conseil régional à Bruxelles, que les quatre bassins houillers du pays ne tarderont pas à acquérir une force et à se fédérer, ce qui pourra amener la Révolution.
Lambrette fait observer que les verviétois ont posé cette question, en vue de savoir que si la grève générale éclatait, les sections de l’Internationale en profiteraient pour faire la Révolution.
Steens et Brismée répondent qu’ils n’ont pas l’espoir de voir cette grève générale se déclarer, qu’en plus si la Révolution devait en résulter, ce serait un malheur pour la Belgique, attendu que les grandes puissances pourraient intervenir et faire d’elle ce qu’elles entendent faire de la Turquie. Ce qu’il y a de plus pratique à faire à leur avis, c’est de tâcher de relever l’Internationale dans tous les pays, afin d’arriver qu’à un moment donné la Révolution se fasse partout. Ils ajoutent que c’est de cette façon que l’Internationale a été constituée et que les gouvernants lui ont fait une guerre atroce parce qu’ils craignaient cette organisation. C’est aussi afin d’éviter la chute des gouvernements que la guerre franco-prussienne s’est déclarée.
Le président ayant consulté l’assemblée, il est décidé que le bureau régional fédéral sera à Bruxelles, comme le conseil régional.
La séance est levée et remise au lendemain à 9 heures 1/2 du matin, la vérification des livres du conseil devant avoir lieu à 9 heures.
Le lendemain 26 à 10 heures 1/2 commence la vérification des livres : sont présents Steens, Ward (?), Devières, Lambrette, Wagener, Wandeevren, Godschalk, au bout d’une demi-heure ils déclarent que les livres sont en règle en reconnaissant qu’il n’y a en caisse qu’une somme de 33 fr. laquelle doit être remise à Brismée auquel l’Internationale auquel l’Internationale est redevable d’un millier de francs pour l’impression du journal l’Internationale qui a cessé de paraître.
En outre, il n’y a pas de séance aussitôt ces comptes réglés, chacun se retire, l’on se désole de la décadence de l’Internationale d’une part, les flamands d’autre part chuchotent entre eux, Steens avec les wallons ainsi que quelques membres de la section bruxelloise tels que Standaert, Paterson, Melchior, Verycken se promettent de faire ce qu’ils pourront pour relancer l’Internationale et on se sépare, c’est à peine si les délégués se serrent la main. Le congrès est terminé, il est onze heures.
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Lire le dossier La section de l’Internationale de Bruxelles