
Cour d’assises de l’Aisne. Audience du 19 novembre.
2e Affaire. — Dupont
Le nommé Dupont Victor-Henri, né à Deuil, le 15 décembre 1865, rédacteur du journal Le Père Peinard, demeurant à Paris, boulevard de Clichy, n° 20, a été mis en accusation et renvoyé devant la Cour d’assises de l’Aisne, comme prévenu de provocation directe au meurtre non suivie d’effet.
Acte d’accusation
Le 27 août dernier, le parti anarchiste organisa à Saint-Quentin — salle du Cirque —• une réunion publique. La séance fut ou verte à 9 heures.
Dupont (Victor), rédacteur au journal le Père Peinard, prit la parole, devant un auditoire de quatre cents personnes environ, et, après un préambule sur l’objet des grèves, il prononça les paroles suivantes :
« Je veux parler des grèves de Cool-Creak, en Amérique… Ceux-ci se sont révoltés quand même, et l’un d’eux, plus hardi que les autres, est allé, armé d’un pistolet, trouver le directeur et lui a brûlé la gueule, ce que vous ferez ici, dans quelques mois, j’en suis certain. A quoi ont abouti les grèves en France depuis quelque temps ? C’est tout au plus, si comme résultat, on peut citer Decazeville où Watrin a été tué Si vous n’arrivez pas à comprendre que toute grève doit être une grève de révolte, qu’il ne faut quitter l’atelier qu’après avoir tout brisé, le patron qu’après l’avoir tué, vous n’obtiendrez rien…
Il faut être lâche pour accepter des galons, et encore le jour est proche où l’on tuera tous les traîneurs de sabre. Tuez l’armée, c’est-à-dire le Ministre, les officiers supérieurs, et épargnez les autres, nous ferons la révolution après … Le jour où on fusillera sur la place de Saint-Quentin, le général Lamorelle, on fusillera en même temps à Metz, le Lamorelle de là-bas. »
Il poursuivit, en préconisant, une révolution violente destinée à tout nettoyer, comme on nettoie avec du pétrole une chambre remplie de punaises. — Il fut applaudi.
La réunion se dissipa peu après ce discours.
Dupont a refusé de s’expliquer sur les propos qui lui sont imputés. Quoique jeune, il a eu une existence agitée, et il a prononcé ses théories révolutionnaires un peu partout : c’est ainsi qu’il a résidé successivement en Russie et en Belgique. Il se fait remarquer, dans les réunions publiques, par la violence de son langage.
Ministère public : M. Fouquier.
Après la sentence prononcée contre Fortuné, on appelle pour la troisième fois dans la salle le prévenu Dupont, qui a cru devoir ne pas se présenter.
La Cour le condamne, par défaut, comme son camarade Fortuné, à deux ans de prison et 500 francs d’amende.
Journal de la ville de Saint-Quentin 22 novembre 1892
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