
La compagne Eliska
Trouvant sans doute que les « compagnons » n’attiraient plus que peu de monde au Cirque, les anarchistes de Saint-Quentin ont eu l’idée de faire venir la « compagne » Eliska, Polonaise… des Batignolles probablement. Mais la « compagne » n’a pas exercé l’attraction attendue et 300 personnes à peine ont assisté à la conférence de samedi.
Le compagnon Dupont, de Paris, a, comme il fallait s’y attendre, recommandé aux prolétaires de voler les bourgeois quand ils en auraient l’occasion. Il n’a pas dit dans quelles proportions, ce qui constitue une lacune. Car puisque la propriété, c’est le vol, à force de voler les anarchistes deviendront propriétaires et, par suite, bourgeois !
Le compagnon Dupont ne veut plus d’armée, qui n’accomplit présentement qu’une malpropre besogne de police. Etc., etc.
Clarine, autre compagnon, était là, mais indisposé, il a dû renoncer à nous faire savourer ses idées qui ne le cèdent, parait-il, en charme, à aucune de celles de Dupont.
La compagne Eliska lit son discours : elle déplore l’esclavage abject dans lequel est tenue la femme dans la société actuelle. Mais elle n’éprouve aucun goût pour le droit au vote des femmes, attendu que le suffrage universel ne leur servirait pas plus qu’au sexe fort.
Au cours de la récitation de la compagne Eliska, un citoyen peu galant invite celle-ci à se lever, par respect pou’ le peup’ souv’rain. Il est entouré et bientôt expulsé de la salle, ce qui permet à Eliska de terminer sa lecture.
Les applaudissements se faisant quelque fois désirer, le compagnon Massey a engagé les anarchistes à ne pas flancher et à continuer la lutte jusqu’à l’avalement complet du bourgeois aussi coriace soit-il ?
— Vive la révolution ! vive l’anarchie ! crient ceux-ci. — Vive le repos et la bonne nourriture ! dit un mauvais plaisant.
Et là-dessus la séance est levée.
Journal de la ville de Saint-Quentin 31 août 1892
Lire le dossier : Les anarchistes de l’Aisne