Pol Martinet
Dessin d’Henri Meyer pour L’Illustration, 1892.

L’anarchiste Martinet qui doit comparaître demain jeudi devant la cour d’assises de l’Aisne, pour provocation au meurtre, au Cirque de Saint-Quentin, a adressé la lettre suivante à la Tribune :

De la prison, le 6 mai.

Monsieur le rédacteur en chef,

Je comprends très bien que c’est par pure plaisanterie que, dans votre numéro du 30 avril, vous demandez au citoyen Martinet, de vous prouver sa reconnaissance en empêchant ses coreligionnaires de dynamiter qui que ce soit à Laon. ». La plaisanterie a d’autant plus de sel que vous savez très bien qu’il n’y a pas seulement la queue d’un anarchiste à Laon : vous vous souvenez qu’en novembre je voulais donner une conférence dans votre ville et que je n’ai pas pu trouver un correspondant pour l’organiser.

Oui, plaisanterie pure. Mais ce qui n’est pas une plaisanterie, Monsieur le rédacteur en chef, c’est que trois fois déjà j’ai eu recours à votre obligeance, que trois fois vous m avez rendu service et que j’en garde souvenir et reconnaissance.

Les menaces qui ont été placardées à Laon ne pouvaient nuire qu’à moi : elles pouvaient m’aliéner l’esprit du jury. J’aurais presque le droit de dire qu’elles constituent une manœuvre contre moi. Mais je ne sais pas accuser sans preuves, et je n’affirme rien. Je n’affirmerai pas non plus que les placards étaient ne manœuvre électorale. Je dirai plutôt qu’elles sont l’œuvre d’un fumiste. Vous savez Monsieur le rédacteur en chef, qu’il y a des épidémies morales : il y en a une qui court la France en ce moment — c »est la lettre de menaces.

A Laon, elle a pris la forme affiche — et l’affiche polychrome encore ! Le prétendu anarchiste n’est qu’un imager !

Cet imager doit trouver ça très drôle, mais j’aurais préféré qu il ne le fit qu’après mon procès. Il ne faut pas oublier, en effet, que je plaidé non coupable : car, en réalité, je n’ai as prononcé à Saint Quentin les paroles qu’on m’a attribuées : ce fatras n’est ni de mon goût, ni de mon style.

Je me défendrai jeudi prochain, et l’on verra que je ne sais pas menacer : qu’au contraire, je professe une doctrine par où il n’y aura plus, sur la terre, ni menaces, ni colères, ni misères.

Je vous prie de croire, Monsieur le rédacteur en chef, à mon sincère dévouement.

Martinet.

Journal de la ville de Saint-Quentin 12 mai 1892

Lire le dossier : Les anarchistes de l’Aisne