
AU CIRQUE
Réunion organisée par le Parti ouvrier. Intervention des anarchistes qui restent maîtres de la tribune. Cette réunion, organisée par le Parti ouvrier Saint Quentinois n’est point de nature à tranquilliser nos édiles. Elle pourrait se résumer en ces mots : « Sus aux conseillers municipaux opportunistes et radicaux ; remplaçons-les par des socialistes. »
Mais qui diable choisit-on pour soutenir cette guerre. Le citoyen Caumau, conseiller municipal de la Ville Lumière, gros, gros, dodu, incapable d’en imposer ni par sa taille, ni par la clarté de son discours excessivement difficile à suivre».
Apologie du parti ouvrier : parti qui marche, qui mène par l’organisation, la lutte en faveur du prolétariat et qui d’ici peu donnera aux bourgeois du jour la leçon donnée par le Tiers-Etat en 93, apologie des Congrès, du prochain surtout qui sera « un point de départ qui creusera davantage le fossé qui existe entre le prolétariat et la bourgeoisie, » apologie du « moi, conseiller municipal de Paris à 35ans »
Voila a peu prés tout ce que nous avons compris. Fatigué par des histoires d’entrepreneurs à propos de murs, un anarchiste lui crie : « Ah ! t’as la colique » alors le bruit, le potin, l’élément ordinaire des réunions à Saint-Quentin, se met de la partie. L’orateur s’enflamme et, apostrophant les anarchistes, s’écrie : « Oh ! nous vous connaissons ; vous êtes le parti des bombes et vous n’en avez jamais lancé (bravos, bruits divers). Dans le Parti ouvrier, vous avez des hommes qui ont fait leur devoir pendant la Commune, tant que vous n’en aurez pas fait autant, taisez-vous. » Le bruit se prolonge toujours et l’orateur continue sur une gamme excessivement élevée. « Il est extraordinaire, citoyens — ter pour conserver la note de l’orateur – – qu’une poignée de citoyens, qui se disent marcher à l’avant garde, tombant sur ceux-là qui sont les plus rapprochés d’eux et ne disent rien dans les réunions bourgeoises, mais faites donc sauter la bombe. — Chahut indescriptible
— Intervention du président beaucoup trop au dessous de sa tâche. Il l’a prouvé trop à fa fin de la séance. Quand un anarchiste vient à la tribune dire au président lui-même, « je me moque du président, » son devoir est tout indiqué : se lever et sortir. Les amis auraient suivi et les anarchistes ne seraient pas restés maîtres de la tribune. — Ceci dit. revenons à la séance. Le bruit nous empêche d’entendre quelque chose, croyons-nous à l’adresse du commissaire de police, ce qui nous le fait croire, ce sont ces mots très bien entendus : « Commissaire de police ; nous prenons la responsabilité de nos paroles. » – « Pas grasses, répliqua un anarchiste. A l’extrême droite, les interruptions volent pendant que l’orateur parle.
Celui-ci s’arrête enfin et dit : « Vous n’êtes pas à votre place, passez à l’extrême gauche ; vous êtes à la place de M. Baudry d’Arson. » En continuant, l’orateur parle des bureaux de placement, bureaux de prostitution et de désorganisation entre les mains de la police. La bourse du travail à Paris, les remplace. Après avoir dit, qu’à Saint-Quentin, il fallait la création d’un bourse de travail, l’orateur termine son discours par ce cri :
« Vive la Commune ! Vive la Révolution sociale ! »
L’anarchiste Mathieu escalade la tribune. Quand nous le pourrons, nous laisserons au discours et l’allure et le style. « Nous sommes du parti du droit qui dit que tout être doit vivre en travaillant et nous n’attendons rien absolument des réformes parlementaires. Qu’a-t on fait depuis 20 ans ? Rien. A Saint Quentin, où il serait à souhaiter que le citoyen Caumau eût travaillé à raison de 1 fr. 50, la misère règne en maîtresse. Que me parlez vous de République, d’égalité; nous nous nous moquons de toutes vus coteries politiques ; nous nous moquons de Carnot avec son cosmétique de pu… car plus nous avançons plus le pouvoir est dégoûtant, pourri. Nous voulons que tout le monde bouffe (sic) et nous, nous disons faites tout pour cela. Si nous lançons des bombes ou si nous en préparons, nous n’irons pas le dire ou citoyen Caumau qui pourrait le répéter à la police. La Commune que nous rêvons est la vraie, la franche et non celle organisée par le bulletin de vote, par ces conseillers municipaux qui achètent des obligations de la Ville de Paris. Ni Dieu, ni maître. Si le bourgeois ne plie pas, on le tuera, mais soyez tranquille, il pliera. A Saint-Etienne on tue les mineurs dans la mine avec la complicité du gouvernement et nous aurions peur de mourir dans la rue ? Allons donc. La statistique médicale prouve que 200.000 travailleurs crèvent de misère par an. Une vraie Commune n’en tuerait pas autant. Où sont les violents ? Nous, qui comprenons que l’exploitation est une rapacité criminelle ou tous ces bourgeois qui se gavent ? — se tournant vers Caumau—Ah ! on n’a jamais vu le préfet de police à l’enterrement de l’un des nôtres. Vous avez passé armes et bagages à l’opportunisme. Vous vous êtes jetés dans les bras de l’assassin et bandit que l’on appelle Jules Ferry et dans celles du radical Clémenceau. Les traîtres ! Arrière les Jésuites, arrière. — Applaudissements frénétiques. — Les congrès sont des coterie». Savez vous ce qu’il en résulte : Du vent ? Les bourgeois, bâillonnez-les : ne vous rendez pas, restez des hommes, Voilà ce qu’on vous demande. Le citoyen Caumau répond ; mais le vacarme continue : « Feignant, t’as menti, assez ! » tout cela se croise ; il parle quand même et sa petite réponse placée, il descend de la tribune. » « Restez là, dit un anarchiste. — Oh ! vous ne me faites pas peur, répondit Caumau. Soit, mais Caumau partit et ne revint plus. Et d’un.
Bien drôle le citoyen Dubois, mais bon anarchiste. Voyez : « Si un patron, vous propose un salaire dérisoire, on doit lui casser la gueule » — « Avec les patrons, n. d. D…, on n’a pas seulement deux sous pour avoir une chique. » — « Il nous faut mourir lentement, je n’en reviens pas (ici encore un juron). « Si au 1er mai, au lieu d’écouter Langrand, vous aviez fait comme à Roubaix, le feu serait partout. Quelle auréole ! — Cette poésie soulève les applaudissements de la salle.
Le citoyen Clément, rédacteur à l’Emancipation des Ardennes, nous parait de beaucoup plus sérieux. Il parle bien ; raisonne. Si réellement tous les syndicats dont il nous a parlé, existent dans les Ardennes, la question sociale est plus rapprochée qu’on ne le croit ; mais le citoyen Clément donne aussi dans l’anarchie. Il admet le principe de cette théorie : « ni Dieu, ni maître, » ce qu’il désapprouve ce sont les moyens violents, cependant « je prends, dit-il, la responsabilité de toutes mes paroles, je n’empêcherai pas les ouvrière d’étrangler leur patron. Je suis un impatient ; je trouve que l’on attend trop. Quand dans un atelier, on voit passer un scélérat, je comprends qu’on lui serre le cou jusqu’à extinction de chaleur naturelle. Mois où est-il à Saint-Quentin, celui qui a watriné son patron. Il n’y en a pas, c’est qu’il faut être un héros et se sentir les coudes. Qui de vous est allé trouver le patron ?
Dubois. — Nous, nous vous le prouverons, mais pas devant la police.
Clément. — C’est ce que je voulais vous faire.
Dubois. — Je vous prends alors, pour un coquin. — Bruits divers.
Clément. — J’ai fait mon devoir aux heures suprêmes.
Dubois. — Prouvez le.
Clément. — Il me répugne de faire mon apologie. Nouvelle attaque dans laquelle Clément est accusé d’avoir voulu imposer les ouvriers étrangers. — Syndiquer, dit-il, et non pas imposer. Enfin, dit Clément, vaut-il mieux un conseil municipal réactionnaire qu’un conseil socialiste. Réactionnaire, répond un anarchiste. Le citoyen Clément s’assied et Massey, l’anarchiste, futur soldat qui, il y quinze jours, excitait ses compagnons à enfoncer leur baïonnette dans le ventre de leur chef, prend la parole à son tour :
« Le citoyen Clément, dit-il, vient de nous couler du beurre dans le dos ».
Le citoyen Clément s’en va alors disant qu’il ne discutait plus avec de telles gens — et de deux.— « Assez, assez, crie-t on. » Des cris partent de la porte d’entrée, toute la salle se lève. Qu’y a-t-il ? Rien.
Le président veut lever la séance : l’anarchiste Mathieu s’y oppose. — « Mais je suis Président, dit l’autre. — Je m’en moque du Président.
Le calme se rétablit peu à peu et durant plus d’un quart d heure, l’anarchiste Mathieu tonne contre le bulletin de vote. Enfin, le Président, qui ne l’était plus, lève la séance. Nous n’ajouterons aucune réflexion à ce compte-rendu déjà fort long. Pourquoi faire ? Le gouvernement, qui chasse ses meilleurs citoyens et de leur maison et de leur patrie, n’est-il pas là pour protéger tous ces marchands de propagande révolutionnaire ?
J. T.
Le Journal de Saint-Quentin 9 septembre 1890
Lire le dossier : Les anarchistes de l’Aisne