Palais de justice de Laon.

Encore l’anarchiste Devertus

Nos lecteurs n’ont pas oublié après quelles longues et scandaleuses hésitations M. le procureur général Melcot, l’ami de l’ex-ministre Dauphin, se décida à déférer à la justice l’anarchiste Deverlus qui, dans une réunion publique tenue le 24 avril au Cirque de Saint Quentin, avait pu, librement et sans provoquer les protestations de la police indifférente, exciter les soldats à l’assassinat de leurs chefs, provoquer à l’incendie, au pillage et au meurtre. Condamné déjà deux fois pour complicité de vol et outrage aux agents, Devertus fut, malgré de semblables antécédents judiciaires, laissé en liberté provisoire. Il en profita pour se dérober à la première assignation qui lui fut adressée, et il ne consentit à comparaître devant la Cour d’assises de l’Aisne que le 14 novembre, c’est-à-dire plus de six mois après la perpétration du délit. Cependant ni les jurés ni les magistrats de la Cour n’éprouvèrent, pour ce dangereux énergumène, les sentiments découpable indulgence qu’il avait su inspirer à M. le procureur général Melcot. En dépit de son attitude hautaine et menaçante, Deverlus fut condamné à un an d’emprisonnement.

Douze jurés indépendants et libres avaient fait leur devoir et donné une première satisfaction à l’opinion publique justement indignée.C’était dès lors à M. le procureur général Melcot à faire le sien en assurant l’exécution d’un arrêt de justice, c’est-à-dire en signant l’ordre d’incarcérer Deverlus. Il n’en fit rien ; et, au mépris d’une condamnation dont il se souci comme d’un… bourgeois, Devertus promène en ce moment son éloquence de meeting en meeting. C’est ainsi qu on le trouve, vendredi, à Belleville, à la tribune de la salle Favié, « recommandant à » ses compagnons anarchistes de ne se « soulever que pour se mettre à la place » de ceux qui détiennent le pouvoir. » Conseil aussi franc que pratique.

Cette fois, le scandale de l’impunité égale le mépris que professe M. le procureur général Melcot pour les décisions de justice, et nous demandons si c’est à un dernier accès de clémence sénile que l’anarcliiste Deverlus doit encore la liberté, ou bien s’il n’a obtenu de la faiblesse de M. Melcot un sursis que pour lui permettre de prendre part aux meetings révolutionnaires, et conduire au pillage les bandes prêtes à descendre dans la rue. En tous cas, nous pouvons dire que, dès avant l’avènement des anarchistes au pouvoir, l’anarchie règne partout puisque les décisions de justice ne sont plus même respectées par ceux qui ont, de par la loi, charge de la faire exécuter.

Journal de Saint-Quentin 30 novembre 1887

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