Orléans. — J’ai suivi avec attention la très intéressante polémique qui s’est élevée entre le Révolté et le Devoir au sujet du Familistère de Guise dont ce dernier est l’organe officiel.

Je viens pour apporter mon moellon à la barricade d’où on peut tirer sur cette absurde institution.
Ayant travaillé assez longtemps dans cette boutique, je puis affirmer que l’élément franchement socialiste ne peut germer dans cet étroit milieu ; j’y ai vu la compression phénoménale des jeunes cerveaux dans les classes où on va jusqu’à affirmer dans des devoirs rendus publics, « que la propriété est toujours le produit du travail. »
Voilà pour l’enfant ! quant à l’homme fait, il comprend bien qu’il est exploité comme dans une autre usine, qu’au lieu de travailler pour un seul patron, il en a plusieurs à nourrir ; j’ai pu constater de visu l’affaiblissement des caractères, pas de ressort, enfin une tendance au fatalisme, il est attaché à la glèbe et il y reste !
La question sociale n’est véritablement résolue pour les conseillers de gérance, ce sont les plus capables comme intrigue ; il faut voir cette cour au petit pied, ces luttes, ces combats entre eux, la victoire reste toujours au plus escobar. Quant à l’amélioration du sort des travailleurs, il n’en est nullement question on ne s’occupe d’eux que pour opérer une diminution quelconque sur leurs salaires, enfin une vraie société anonyme dont la gérance forme le conseil d’administration.
Il n’est pas rare de voir arriver un homme nouveau dans ce singulier fief capitaliste, il est bourré d’illusion, comblé de promesses, il n’a entrevu le Familistère que par le trou du .. Devoir !
Mais au bout d’un ou de deux mois, quelles déceptions, quelle chute ! .. Avoir cru au beau et au vrai et ne découvrir au fond de cette sentine qu’un immense dépotoir !
Après un ballottage plus ou moins long, « le nouveau », écœuré de tant de turpitudes prend le seul parti logique : il se sauve à toutes jambes, emportant de ce lieu maudit un bien triste souvenir.
Le Révolté 24 juillet 1886
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