
Guise. — Les jobards, ceux qui veulent être exploités, pourvu que l’exploiteur se dise républicain socialiste, se sont scandalisés de notre article paru dans l’avant dernier numéro du Révolté et traitant d’un fait qui s’était produit à l’usine du Familistère ; ils développaient le vieil argument suivant : « Comment vous, socialistes, avez-vous attaqué une institution qui est un essai socialiste de la plus haute importance? Pourquoi ne vous attaquez-vous pas à cet affreux bagne capitalistique qui se nomme Filature Chenest à Guise, où les ouvriers font 12 heures de travail sans espoir de retraite sur leurs vieux jours etc., etc. ; vous faites le jeu de la réaction, un antirépublicain ne parlerait pas mieux etc. »
Nous allons rétablir les faits de façon à répondre selon notre conscience à ces diverses observations.
S’il est une chose reconnue dans la contrée le patron y exploite ses ouvriers avec un cynisme digne des temps antiques, c’est vrai, mais, au moins, il ne se pose pas en réformateur ; il se tient le langage suivant : « Oui, j’exploite parce qu’il est dans mon principe d’exploiter mon semblable ; quand mes ouvriers ont usé leurs forces pendant 30 ou 40 ans à mon service, je les jette à la rue comme un citron dont on a exprimé le jus ; j’y trouve mon bénéfice, c’est là mon but, Que m’importe que cela soit contraire à la plus élémentaire justice, je n’ai jamais dit que cela fut bien. »
Devant cette féroce doctrine les socialistes reculent épouvantés ; à un mal semblable il n’y a pis de remède. Nous n’avons pas le droit môme de considérer cette usine comme une future propriété commune; non, cela est si odieux que le jour du grand réveil, la torche révolutionnaire faisant son œuvre ne laissera qu’un monceau de cendres là où tant de nos frères ont vécu et souffert !
Quant au Familistère, dans une étude ultérieure consciencieuse et impartiale nous examinerons les divers rouage composant l’ensemble de cette association.
Pour aujourd’hui nous nous contenterons de dire que le personnel de cette société est tout aussi malheureux que celui d’une autre usine, les appointements n’y sont pas plus forts et la sécurité du travail tant vantée par certains organes, se paie en vexations, froissements de toute sorte ; on n’arrive aux divers échelons de cette égalitaire institution qu’à force d’intrigues, de bassesses, j’allais dire de trahison.
Nous passerons en revue les statuts et les règlements que le Shah de Perse ne désavouerait pas, nous scruterons ce monument d’autoritarisme, nous y verrons cet article significatif : L’intérêt du capital sera payé en numéraire et la part revenant au travail sera payée en papier.
Enfin nous montrerons aux populations ébahies par quel chef-d’œuvre de machiavélisme on arrive à se faire 350 000 francs de rente en demeurant aux yeux des naïfs un éminent réformateur, un grand homme, un bienfaiteur de l’humanité etc.
Nous étalerons au grand jour le dessous des cartes familistériennes et nous verrons que s’il y a de par le monde des industriels qui se font des rentes en élevant des lapins, il y en a d’autres qui édifient des fortunes en élevant des petits fondeurs.
La Révolte 12 juin 1886
Lire le dossier : Les anarchistes de l’Aisne