Gustave Mathieu. Document Estel negre.

Parquet de Charleroi

n°2471

Charleroi, le 28 décembre 1887

Monsieur le procureur général,

Comme suite à votre dépêche du 20 courant n°368/5, j’ai l’honneur de vous faire parvenir les rapports que la gendarmerie de Morlanwelz m’a fait parvenir au sujet du meeting socialiste qui a eu lieu en cette commune le 18 décembre.

Il résulte de ces rapports que les sieurs Conreur, Heerschant et Mathieu ont dans leurs discours, directement et méchamment provoqué à commettre des faits qualifiés de crimes par la loi.

La question de savoir si des poursuites à exercer contre ces individus seraient opportunes, est cependant délicate.

J’hésite, je l’avoue, à conclure à des poursuites.

S’il est utile de punir les orateurs qui excitent le peuple à la guerre civile et aux dévastations qu’elle entraîne, il importe cependant d’éviter d’entamer des poursuites qui pourraient aboutir à un acquittement.

En pareille matière, un acquittement est, au point de vue de la paix publique, plus fâcheux, plus dangereux que le laisser faire. Car l’orateur acquitté passe pour une victime, et, pour bien des gens, les poursuites dirigées contre un homme qui finalement a été acquitté, paraissent injustes.

Si dans l’espèce la provocation concernait une infraction à l’art. 125 du code pénal, article qui prévoit des délits de droit commun, elle revêtirait elle-même le caractère de délit et serait de la compétence de la juridiction correctionnelle.

Mais il me paraît que la provocation tend plutôt à des infractions à l’art. 124 du code pénal, infractions qui ont le caractère de crimes politiques et dès lors la provocation revêt elle-même ce caractère et serait dès lors de la compétence du jury.

Le jury du Hainaut condamnerait-il pour ces discours ? C’est possible, mais je pense que la cour d’assises qui a dernièrement acquitté l’anarchiste Jahn, acquitterait aussi les individus ci-dessus cités.

Les circonstances qui entourent l’infraction ont toujours eu une grande influence sur les jugements en matière semblable. Or, en ce moment, la population ouvrière est calme. Les discours tenus par Conreur et consorts n’ont et ne peuvent plus avoir aucune suite fâcheuse en ce moment.

Le jury en tiendrait compte.

Si les provocations se renouvelaient de la part de ces mêmes personnages, je n’hésiterais pas alors à conclure à des poursuites qui auraient alors plus de chances d’aboutir à un résultat. Il ne s’agit actuellement que de faits isolés.

Le procureur du roi.

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Ministère de la justice

3e Direction générale

2e Section

N° 5372.P

Bruxelles, le 9 janvier 1888

Monsieur le procureur général

J’ai l’honneur de vous restituer les pièces qui accompagnaient votre rapport du 31 décembre dernier n°37804, concernant le meeting tenu à Morlanwelz le 18 du même mois.

J’estime avec vous, qu’il n’y a pas lieu d’exercer des poursuites à propos des discours prononcés dans ce meeting.
Le nommé Gustave Mathieu, dont il s’agit dans votre rapport précité a été expulsé du pays dès le 29 décembre dernier

Le ministre de la justice.

Source : Archives générales du royaume. Dépôt de Forest. Parquet général de Bruxelles 224

Lire le dossier : Les anarchistes de l’Aisne