Gendarmerie nationale

Compagnie de Hainaut

Lieutenance de La Louvière

Brigade de Morlanwelz

N°1

Morlanwelz, le 9 janvier 1888

Monsieur le procureur du roi,

J’ai l’honneur de vous faire connaître que le 8 de ce mois, vers 6 heures du soir, une conférence anarchiste a été donnée chez le sieur Cabeau Léon, cabaretier à Carnières, par les nommés Mathieu Gustave, Louis, 21 ans et Basse Désiré, 21 ans, né à Guise (France) et demeurant à Haine-Saint-Pierre.

Plusieurs autres individus paraissant être d’origine française les accompagnaient et distribuaient des chansons et le journal intitulé Le Révolté, dont ci-joint un numéro.

Ledit Mathieu a pris la parole pour commencer et finir la séance, il a expliqué le but des anarchistes, a rappelé plusieurs faits antérieurs, tels que la Révolution française, le Commune de Paris, les anarchistes de Chicago et autres faits analogues en concluant que les bourgeois et les gouvernants étaient des voleurs vivant du travail du pauvre peuple, incapable par eux-mêmes de subvenir à leurs besoins et qu’il fallait supprimer pour prendre leurs places et leurs châteaux qu’ils avaient volés ; qu’il ne conseillait pas de faire comme en 1886, de détruire châteaux et machines, qu’il fallait le réserver pour servir aux ouvriers le lendemain de la révolution. Que lorsqu’une chambre était infectée de punaises, on soufflait de la porte pour les détruire, qu’il fallait s’instruire et inventer une poudre pour faire avec les bourgeois comme avec les punaises.

Le nommé Basse Désiré a répété les théories du précédent et rappelé la misère qui règne à Londres et en Irlande, a donné lecture d’un article sur un journal intitulé la Révolution, rappelant des faits qui se sont passés en Suisse où on a mis aux enchères publiques les enfants mineurs, orphelins de l’ouvrier, afin de pouvoir encore les exploiter, il concluait à la révolution, ajoutant que tous les états étaient rongés par la vermine bourgeoise que le peuple était prêt à la révolution, qu’il ne voyait que deux classes dans la société, le peuple qui mourait et crevait de faim et les bourgeois bouffis de richesses provenant du vol et qu’il fallait par la révolution supprimer cette vermine.

Ces orateurs ont été vivement applaudis par les ouvriers au nombre de 200 à 250, parmi lesquels se trouvaient quelques femmes. Ils ont terminé par chanter des chansons anarchistes et révolutionnaires, de concert avec un troisième individu, qui d’après les renseignements serait un nommé Jason Henri, ciseleur, 21 ans, né à Huy (Belgique) et en logement chez Lamaury (?) à Morlanwelz ; les chansons dont nous n’avons pu nous procurer d’exemplaire et chantées par les trois individus sont les suivantes : La Carmagnole, La Dynamite, la Marseillaise anarchiste et autres.

Le soussigné Grojean Alfred, maréchal des logis, commandant de la brigade de Morlanwelz, le gendarme Ernould Achille de la même brigade en costume bourgeois, ainsi que le commissaire de police de Carnières ont entendu les discours et chants.

Le maréchal des logis, commandant de la brigade.

Source : Archives générales du royaume. Dépôt de Forest. Parquet général de Bruxelles 224

Lire le dossier : Les anarchistes de l’Aisne