Parquet de la Cour d’appel d’Amiens

Direction des affaires criminelles et des grâces

1er bureau

Amiens le 5 mai 1892

Monsieur le garde des sceaux

J’ai l’honneur de vous informer que les anarchistes de Saint-Quentin ont été mis en liberté provisoire par ordonnance de M. le juge d’instruction en date du 2 mai.

Le procureur de la république à qui la demande de mise en liberté avait été communiquée s’en était rapporté à l’appréciation de M. le juge d’instruction.

Sans apprécier l’opportunité de cette mesure, je constate qu’elle a été prise, contrairement à mes instructions écrites qui prescrivaient à mon substitut de ne prendre aucune décision sans mon autorisation.

Il m’avait, le 2 mai, adressé la dépêche ci-jointe et, comme l’indique son rapport du 2 mai, il n’a pu attendre que j’eusse la possibilité de lui répondre pour prendre le parti que je viens de vous faire connaître.

Je viens de lui adresser un blâme dont je vous envoie la copie.

J’aurai l’honneur de vous rendre compte de la procédure.

Le procureur général.

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Parquet de la Cour d’appel d’Amiens

Amiens le 5 mai 1892

Monsieur le procureur de la république,

Je ne puis comprendre pour quel motif vous m’avez envoyé le 2 mai, la dépêche relative à la procédure suivie contre les anarchistes.

La prudence la plus élémentaire aurait dû vous empêcher de faire connaître, par cette voie, les appréciations de M ; le juge d’instruction, les vôtres et celles du commissaire de police sur cette affaire qui demandait un rapport confidentiel. Aucune urgence n’imposait d’ailleurs, l’emploi de ce moyen de communication.

Votre rapport du 2 mai, qui m’est parvenu le 3 m’apprend que vous vous en êtes rapporté dans vos réquisitions, à la sagesse de M. le juge d’instruction : mes instructions ne vous y autorisaient pas.

Je ne puis admettre, en outre que dans une affaire aussi grave et aussi délicate, on n’ait pas attendu le résultat des informations ouvertes dans d’autres arrondissements et les instructions de la chancellerie.

M. le juge d’instruction et vous, avez agi avec une précipitation inexplicable et que je me félicite de n’avoir pas eu à constater dans d’autres tribunaux. Si la conscience de M. le juge d’instruction lui prescrivait de mettre en liberté les inculpés, il fallait lui laisser la responsabilité de cette mesure après avoir sauvegardé la vôtre par l’exécution de mes instructions formelles.

Je ne puis donc que vous adresser un blâme dont je donne connaissance à la chancellerie.

Le procureur général.

Source : Archives nationales BB18 6450

Lire le dossier : Les anarchistes de l’Aisne