
Rapport de monsieur le commissaire de police de Cuesmes.
Cuesmes, le 27 décembre 1879
Monsieur le procureur du roi,
J’ai l’honneur de vous informer qu’hier, 26 décembre, deux meetings ont été tenus à Cuesmes, le premier chez Lemoine Constant et le second chez Lebeau Léopold, cabaretier demeurant sur la place. Les meetingistes étaient Monnier Léon de Mons, Monnier Henri de Bruxelles, Delhaye, vendeur de journaux à Jemappes, Fourneau, français, boutiquier à Cuesmes et un autre dont je n’ai pu savoir les noms. C’est Delhaye qui le premier a pris la parole en disant : « êtes-vous décidés à continuer la grève avec courage et persistance comme vos camarades de la commune de Quaregnon et autres ? Tous ont répondu affirmativement à haute voix. Continuant Delaye a dit : « Tout le Borinage a l’exception des fainéants de Dour et Boussu sont en grève : moi et les compagnons Monnier et autres nous avons décidé que les grévistes se réuniraient à Paturages et que de là on irait faire cesser le travail à Dour et à Boussu. Nous engageons les socialistes de Cuesmes à venir avec les autres, nous espérons qu’ils répondront à l’appel. » Tous ont déclaré qu’ils iraient à Dour.
Monnier Léon a ensuite pris la parole en faisant l’éloge du meeting de Quaregnon où il y avait 5 à 6.000 personnes, bon nombre de femmes ; il a continué d’engager au maintien de la grève à outrance : « Une commission socialiste est nommée pour convoquer les patrons à Mons, pour leur demander des conditions et une augmentation de salaire. S’ils refusent la grève continuera. Nous vous engageons tous à faire partie des socialistes, quand nous serons tous unis, nous serons les plus forts et si les patrons ne veulent pas plier, nous les romprons. »
Henri Monnier, se disant âgé de 22 ans, est le plus furieux. Il commence par dire « les directeurs sont tous des voleurs qui, depuis longtemps exploitent les ouvriers. Ce sont des lâches qui font mourir vos femmes et vous enfants de froid, de faim et de misère. Ils ne sont bons que pour eux. Ce sont les ouvriers qui doivent leur faire de gros revenus pour entretenir des prostituées et rouler voitures. Ce sont des voleurs et quand viendra le moment que nous n’aurons plus de pain et de monde pour soutenir la grève, nous écraserons les directeurs et nous ferons du bouillon avec leurs cadavres. N’allez pas croire que Bara, Frère-Orban et autres qui sont à la Chambre ferons une loi pour l’ouvrier. Ils feront des lois en faveur des grands voleurs comme Legrand et autres ; ils feront chauffer les wagons pour protéger et faciliter leur fuite.
Voilà ce qui se fait à Bruxelles !
Nous ne voulons pas de la nouvelle loi qu’on va faire au sujet des livrets, nous ne voulons plus de livrets et les ouvriers qui en ont, doivent les mettre au feu en rentrant chez eux.
Le temps est limité. Dans 5 ans nous serons délivrés de l’esclavage. Nos amis du Nord de l’Allemagne et de l’Angleterre seront avec nous. Nous serons les maîtres. Le roi donne des récompenses à ceux qui ne mérites pas. Il n’y a que les voleurs qui sont récompensés. »
Toutes ces paroles sont accompagnées de gestes et menaces et sont fortement applaudis par les ouvriers.
François Fourneau engage tous les ouvriers de Cuesmes à se réunir à lui pour le maintien de la grève. Ils doivent suivre ses conseils et ne pourront aller travailler avant les ordres donnés. C’est lui qui va les conduire à la victoire ! Fourneau est d’un caractère très violent : il a dans le temps été soupçonné d’avoir tiré un coup de fusil sur monsieur Plumat, l’ancien bourgmestre auquel il avait fait des menaces de mort.
Monsieur Plumat était alors directeur du charbonnage.
Monnier Henri a fini son discours en criant : « Vive la République ! »
Ils étaient environ 800 ouvriers au meeting chez Lemaire dit « mon blond » et 3 à 400 chez Lebeau dit l’huissier.
Le commissaire de police.
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Rapport de monsieur le lieutenant commandant le détachement de gendarmerie à la Bouverie.
La Bouverie le 27 décembre 1879
Monsieur le procureur du roi,
J’ai l’honneur de porter à votre connaissance que le 27 janvier, vers 4 heures de relevée, un meeting de l’Internationale a été tenu chez le sieur Duez Clément, cabaretier à Frameries, local du socialisme.
Le nommé Monnier Ferdinand de Bruxelles a pris la parole pour demander aux ouvriers s’ils étaient intéressés de continuer la grève ; ceux-ci ont été unanimes pour répondre affirmativement.
L’orateur a engagé ensuite les grévistes de se réunir lundi prochain de 8 à 10 heures du matin sur la place communale de Pâturages et de se munir d’armes à feu et autres, pour se rendre de là vers Hornu, Dour et Elouges, afin d’interrompre le travail aux puits situés dans ces localités.
Il leur a assuré que la troupe n’oserait rien faire contre eux, ajoutant que eux les Monnier, jeunes gamins de 20 à 25 ans, avaient soulevé plus de 15.000 ouvriers et qu’ils sauraient marcher à leur tête.
Nous voulons, a-t-il dit, votre émancipation, si on nous la refuse, les quatre bassins s’uniront pour marcher vers Bruxelles, sur cette ville où les directeurs-gérants vont se vautrer dans l’orgie avec le fruit de votre travail et c’est aux cris de Vive la République et Vive la liberté que nous marcherons ! Et en prononçant ces paroles, l’orateur a jeté son chapeau dans la foule aux applaudissements frénétiques de celle-ci.
En terminant, je suis d’avis, monsieur le procureur du roi, que si des menaces de vigueur étaient prises à l’égard des meneurs de l’espèce dont je viens de signaler et notamment le nommé Monnier, la grève cesserait immédiatement.
Le sous-lieutenant, commandant le détachement.
Source : Grève dans le le Borinage. Décembre 1879. Inventaire des archives du parquet général de Bruxelles 219
Lire le dossier : Grèves, meetings, attentats à la dynamite dans le Borinage (Belgique)