En-tête du deuxième et dernier numéro. Document Éphéméride anarchiste.

Lâche agression.

Il paraît que pour les mouchards, il n’y a pas de frontières, ni de patries. Les mouchards français valent les espagnols et vis-versa. Et ils s’entendent à merveille lorsqu’il y a des ordures à remuer.

Depuis quelques temps, ces deux espèces de bipèdes s’étaient mélangés dans Barcelone et de concert ils opéraient la nuit ou se faufilaient de jour en qualités de marchands de vin chez les bonnes femmes, lorsqu’elles étaient seules, pour essayer de surprendre leur bonne foi.

Il paraît que ces véreux personnages cherchaient un pauvre type qui avait, pour pouvoir arriver à nourrir sa nombreuse famille, fabriqué de la monnaie qu’ils appellent fausse ; pour cela ils retournaient tout par ici ; ils marchaient sur le respect des gens aussi bien que sur les immondices ; si bien qu’après avoir fait irruption en pleine nuit chez le copain Ventura et tout retourner chez deux ou trois autres français sans l’ombre d’un résultat, ils sont venus s’abattre chez le compagnon P. Bernard, comme l’aurait fait une grosse charogne qui dans un dernier spasme de vie, brise tout autour d’elle.

Après les avoir vus roder le soir devant sa porte comme des malfaiteurs et avoir averti dix fois qu’ils venir chez lui, il est allé chercher le plus tranquillement du monde (illisible) deux heures du matin, il entend frapper à sa porte, c’est avec un beau rire qu’il s’est levé se disposant à faire visiter ces lieux à ces 30 chevaliers de la nuit.

Quelle ne fut pas son étonnement lorsque, croyant avoir affaire à des bandits distingués, de se trouver simplement en face de 30 brutes qui bondirent sur lui, revolver au poing et le lièrent avec la dernière brutalité pendant que d’autres fouillaient partout.

C’est ainsi, moitié vêtu, que ces misérables le traînèrent au poste du gouverneur civil où il est resté jusqu’à 3 heures du soir sans rien prendre, pour être ensuite conduit, les menottes aux mains, à la prison où il est resté deux jours sans couvert et sans rien pour pouvoir se coucher que les briques mouillées et pleines de boue d’un couloir empoisonné et inhabitable.

Pendant ce temps des agents étaient installés dans son domicile, jour et nuit, pour garder sa compagne et son gamin de quatre ans, de telle sorte qu’elle n’a pu se coucher de tout le temps que notre ami a manqué.

Mais ce n’est pas tout ; ces intègres agents, ces honnêtes serviteurs de l’ordre public ne pouvaient parait-il, rester ainsi à s’ennuyer. Aussi ils n’ont trouvé de mieux que de s’emparer de la table, des chaises, de la lumière, et, ainsi installés, les cartes à la main, le vin et la liqueur sur la table, les gâteaux et les croquets à côté, les voilà parti noçant et faisant ripaille, la nuit comme le jour. Quand les uns sont fatigués, d’autres les remplacent et ainsi de suite ; ils fument, ils crachent ; s’en vont quelques fois au bacon conter des gaudrioles aux belles qui passent, insultant toujours à la douleur de ceux qui étouffaient de rage depuis le moment où ils avaient vu si brutalement enlever, attaché, leur soutien et ami.

Il paraît que tous ces misérables avaient pris Bernard pour un autre et que c’est pour cette raison qu’ils en ont ainsi pris à leur aise. C’est vraiment curieux n’est-ce pas, des mouchards qui le prennent pour un autre. Il a pourtant eu deux ou trois procès pour délit de parole en France ; il a pourtant été expulsé de Suisse, puis d’Italie, il a pourtant porté son livret militaire et donné et donné son adresse à M. le Consul ; ses adresses ont pourtant été données publiquement par les journaux anarchistes. Et les mouchards ne le connaissent pas ? Et les mouchards l’arrêtent pour un autre ? Ce n’était vraiment pas la peine qu’ils viennent tout exprès de France !!!

Il est vrai que l’un d’eux, après l’avoir solidement attaché et lui avoir appuyé le bout froid du canon de son revolver sur la gorge lui dit gentiment : maintenant si vous voulez nous dire où est celui que nous cherchons, vous pourrez retourner vous coucher librement dans votre lit qui vous tend les bras.

Vrai ! Ces gens-là ont poussé la naïveté jusqu’à torturer leur plus mortel ennemi pour le faire parler, jusqu’à faire semblant de le prendre pour un autre.

Ils avaient donc de lui une bien triste idée ces misérables ?

Heureusement que leur dernier four a été leur dernier râle ; ils l’ont manqué leur gibier et ils se sont brisés : Bernard ne s’en portera pas plus mal. Cherchez bien Messieurs de la nuit, nous nous consolons car c’est le commencement de la bataille qui, sûrement ne finira pas à votre avantage.

Source : El Porvenir anarquista 15 novembre 1891. IISG signatuur Microfiche 2795

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