Document Éphéméride anarchiste.

En juillet 1894, alors que tout mouvement révolutionnaire conscient venait d’être étouffé par les persécutions gouvernementales contre les anarchistes, parut le journal l’Etat Naturel, avec ce sous-titre, provoquant à l’étude et à la réflexion : La part du prolétaire dans la Civilisation, publié et illustré par le dessinateur Émile Gravelle. Celui-ci mettait, en opposition à la Civilisation industrielle, sociale, et commerciale, l’État naturel anarchisé, libre, harmonique, mais non pas l’état naturel primitif des premiers âges de l’humanité, dont le retour serait absolument impossible, et qui, en ce sens, ne pourrait constituer un progrès social. Il voulait surtout faire admettre par la classe ouvrière, ce point, important, pour lui: Que, dans l’état naturel, tout individu avait le logement — caverne ou hutte, ou chalet, cela rustique, il est vrai, mais habitations naturelles, salubres, où il faisait bon vivre. — la nourriture, gibiers, volailles, bétail, fruits, légumes.plantes, etc. — , et le vêtement, fait de peaux d’animaux, confectionné sans aucun luxe, mais qui n’avait pas le désagrément de vous gêner, comme nos modernes habits civilisés, et et sous lesquelles on pouvait affronter froids et pluies. Et tout cela était gratuit, car la propriété individuelle n’existait pas encore, et l’homme était libre, indépendant et pouvait en conséquence, développer son individualité.

A son apparition l’État Naturel fît assez de bruit dans la presse. Les quotidiens publièrent diverses interviews de Gravelle, qui généralement, tronquaient les idées Naturiennes. — N’est-ce point là le rôle de toute presse gouvernementale qui se respecte? C’est ainsi, qu’il était dit que les Naturiens voulaient absolument l’état primitif qu’ils n’étaient que des troglodytes — et autres insanités du même genre.

Aucune culture — ou très peu — n’est admise par l’état naturel; car la Terre se féconde, elle-même, et la culture — et le déboisement, donc! — ne servent qu’à appauvrir la terre; on est obligé, aujourd’hui, pour la faire produire, d’y mettre quantité d’engrais chimiques, car l’humus n’existe plus. Il est admis cependant une culture restreinte, indispensable, mais non une culture de négoce, d’agio, par conséquent anti-naturelle et intensive. Pourtant, telle quelle est actuellement, la Terre peut largement contribuer à l’existence de l’humanité, toujours, sans une culture intensive.

Au printemps de 1895, on tenta d’établir une colonie naturienne dans le Cantal pour y démontrer la satisfaction de tous par l’état naturel. Mais, pour différentes raisons, ce projet avorta.

Le 20 août, je publiais, avec l’aide des camarades Beaulieu, Bigot, etc., le 1er numéro de la Nouvelle Humanité, organe autographe mensuel, traitant d’Arts, de Questions Sociales, Littérature, Naturalisme, et surtout, absolument dégagé des sectarisme d’écoles. Cette modeste feuille en est à présent à son douzième numéro, aidée par des souscriptions volontaires.

Huit personnes ont surtout aidé à répandre l’idée naturienne : Gravelle, dessinateur, qui conçut la vie à l’état naturel dans l’Amérique du Sud, Henri Zisly, ouvrier et littérateur dont les correspondances accréditèrent le naturisme à l’étranger, Henri Beaulieu. Honoré Bigot, gaînier-bourrelier, militant du groupe de la Bastille, Dutheil, tailleur, Rappelin, sculpteur-ébéniste. Louis Martin, qui est le véritable orateur naturien.

D’autres individus, soi-disant convaincus, firent plus de mal que de bien à l’extension de cette idée. Car, inconsciemment peut-être, ils la dénaturaient en voulant la démontrer : Mathilde Tremulot, Alfred Marné, Jules Bariol — ce dernier un excellent camarade.

Aucun organe anarchiste de Paris ne voulut discuter le naturisme, et seuls pour les «communications de réunions », le Libertaire et le Père Peinard lui prêtent leurs colonnes. Les Temps nouveaux allèrent plus loin, en refusant (peu importait, car l’idée n’en existe pas moins), le titre d’anarchistes aux Naturiens, ce qui provoqua une petite polémique entre Grave et moi dans la Tribune Libre (Etats-Unis). Silence absolu des Temps nouveaux. Seuls, les organes communistes anarchistes étrangers, demandèrent et acceptèrent de vulgariser l’idée, notamment la Débâcle sociale (Belgique); An-archie (Hollande); Prolétaren (Danemark) ; la Tribune Libre et autres journaux de l’Argentine. La Revue d’un Passant, L’Enclos, le Phare de Montmartre, publications indépendantes, nous demandèrent des études sur le Naturisme. Le Réveil de la Gaule, que publie J. Baflier, aide aussi à détruire notre civilisation et à la remplacer par une société plus équitable, partant, plus naturelle! — Dans plusieurs groupes anarchistes, l’idée a été discutée.

« …. Nous aussi comme bien d’autres, nous crûmes que le machinisme développé extraordinairement serait un grand sujet d’aide et de bonheur en une société libertaire, et certains écrivains à l’illusion facile faisaient déjà miroiter à nos yeux trop vite éblouis, des machines incomparables pour tous travaux , si répugnants fussent-ils ; mais après mûres réflexions, nous évoluâmes vers un rêve plus terre-à-terre, car ces machines ne sont pas construites encore et les plans n’en sont même point tracés. En nous disant qu’il y aura probablement, peut-être et même certainement des machines qui exécuteront tous travaux admirablement, on ne s’appuie que sur de simples hypothèses, on joue sur les sentiments de l’individu,…. Une supposition : la Révolution est faite et l’Anarchie triomphante. Le machinisme que l’on espérait n’est pas encore arrivé à son plein perfectionnement. Eh bien, en attendant ce perfectionnement. nous vivrons l’état naturel, quittes après efforts couronnés de succès, à en revenir au machinisme sauveur ». H. Zisly (An-archie, Amsterdam, juillet 1896). .

« Actuellement, la Nature est encore assez riche pour subvenir aux besoins de tous, les cadastres officiels le démontrent : il y a de 1 hectare à 1 hectare 1/2 de terre productive — végétation spontanée — par être humain, ce qui assure la surabondance pour chacun. .

Mais ce qu’ils avaient — les Primitifs — c’était le droit naturel de chasse et récolte pour l’alimentation, la caverne ou la hutte pour l’abri, des fourrures pour se couvrir, et ils avaient la Liberté, car lorsque les hommes ont de quoi manger, se loger et se vêtir, ils sont indépendants et la Nature, seule, leur assurait tout cela, et gratuitement… » Em. Gravelle). (Débâcle sociale, Belgique, février 1896).

Les anarchistes purs veulent du luxe bourgeois , tandis que les Naturiens préfèrent le luxe intellectuel, et aucun luxe matériel.

Henri ZISLY.

L’Enclos 1er décembre 1896

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