
Un Complot Anarchiste
L’Organisation anarchiste. — La filière du complot. — Un mot de Decamp
Quand nous disions que les tentatives renouvelées décelaient la présence à St Denis d’une bande d’anarchistes dont le plan bien arrêté était de jeter la terreur dans la ville, nous ne nous trompions pas.
Eux-mêmes se sont chargés de prouver que nous avions raison en venant se livrer à une démonstration violente devant le commissariat Nord.
Avant-hier, vers 11 heures du soir, une troupe d’anarchistes, composée d’une douzaine d’individus, s’est rassemblé devant l’hôtel-de-ville et a fait pleuvoir une grêle de pierres sur les vitres.
Le bruit des carreaux tombant à grand fracas attira l’attention de M. Rouquier qui se trouvait encore à son bureau. Il sortit aussitôt avec M. Marie, son secrétaire, et plusieurs agents.
A la vue du commissaire et de ses agents, les agresseurs s’enfuirent, non sans avoir jeté un certain nombre de pierres dans la direction des agents. Aucun d’eux fort heureusement n’a été atteint.
Deux de ces criminels ont été mis en état d’arrestation. Ce sont les nommés Yves Thos et Georges Lebon,
Le lendemain du jour où ces avènements se passaient commissariat Nord, M. Belouino commissaire de police de la circonscription Sud, accompagné de l’inspecteur principal de la sûreté, Rossignol, arrêtait des anarchistes faisant partie du même groupe que ceux arrêtés à Argenteuil, qui, comme nous l’avons dit, ont tiré le 1er mai, à Clichy, des coups de revolver sur les agents.
Ce sont les nommés Joseph Bastard, âgé de quarante-cinq ans, orfèvre, demeurant à St-Denis, Joseph Gauthier, âgé de 20 ans, polisses, demeurant rue des Echalas, Joseph Altérant, âgé de 34 ans, sujet italien, polisseur, demeurant rue du Canal, 33, et Auguste Heurtaux, âgé de 28 ans, polisseur, demeurant rue du Canal,
Les perquisitions faites aux domiciles des inculpés ont fait découvrir des armes, des cartouches et des brochures.
Ces anarchistes ont été mis à la disposition de M. Couturier, juge d’instruction.
Il est bien certain qu’on ne peut plus dire aujourd’hui que la bande qui sème la terreur ici, n’est pas une réunion d’anarchistes. Ne suffit-il pas d’ailleurs de relever les inscriptions qu’ils ont laissée presque partout où ils ont essayé de mettre le feu : Mort aux patrons ! Vive l’anarchie, etc., etc…
On a même consenti à prendre la chose au sérieux en haut lieu. Agissant en vertu d’une commission rogatoire,M. Bélouino a été chargé de renouer le fil et de suivre le complot depuis les séances un tant soit peu orageuses qui précédèrent le premier mai.
Nos lecteurs n’ont certainement pas perdu le souvenir de la réunion anarchiste où Je compagnon Viard poussait ouvertement au meurtre et à l’incendie. Au sortir de la salle Mérot une troupe de surexcités s’en alla accumuler des tas de bois devant le local même qu’occupe l’Exposition et y eut sans doute mis le feu si on l’eût laissé faire. Pour ce soir on se contenta de briser les vitres.
Ce qu’il y a de certain, c’est qu’une réunion avait été décidée outre les anarchistes de Levallois, de Clichy et de St-Denis.
Les plus fougueux, Ségard et Pauwels qu’on avait recherché vainement la veille du premier mai, s’étaient montrés à Levallois.
Quelques jours après, Pauwels et Segard étaient surpris a Argenteuil par deux inspecteurs de la sûreté dans une maison dite la maison Bauchène, rue du Carême-Prenant. Mais Pauwels et Ségard étaient protégés par une dizaine de compagnons et, durant le temps que l’on mit à demander du renfort au commissaire de police de la circonscription, les vaillants anarchistes avaient pris la poudre d’escampette. On ne put arrêter que la femme Ségard, venue pour voir son mari et un nommé Lardon, habitant à St-Denis.
Des perquisitions faites chez Pauwels rue de La Briche, à St-Denis, ont amené l’arrestation d’un nommé Gautier qui a pris le chemin du dépôt.
Enfin, hier matin, M. Bélouino ayant appris que des anarchistes étrangers étaient depuis quelque temps à St-Denis et les ayant fait surveiller, a fait arrêter deux individus nommés Lefèvre et Rousseau. Lefèvre portait un formidable casse-tête et Rousseau tout un paquet du journal La Révolte. Ces deux compagnons arrivant de Grenoble avaient gîté chez un « frère ». Ils étaient porteurs d’un carnet donnant les adresses d’anarchistes de Paris, de la Banlieue, et de plusieurs grandes villes de France et de l’étranger. Il s’y trouvait même l’adresse d’anarchistes habitant New-York.
Des mesures surveillance extrêmement sévères sont prises pour assurer la liberté du travail et la tranquillité dans les usines.
Un mot de Decamp
Donnons pour terminer un mot de Decamp à Levallois. Il est assez suggestif :
— Quand vous me teniez sous vous, a-t-il demandé au commissaire, vos genoux sur ma poitrine, pourquoi ne m’avez-vous pas fait sauter le caisson?
— Ce n’était pas dans les ordres reçus,
— Eh ben ! vrai, vous avez eu tort, car si vous aviez été à ma place et moi à la vôtre, je vous aurais cassé la gueule. Entre nous, voyez-vous, c’est une lutte à mort. Je suis un anarchiste et vous un policier. L’un ne peut exister à côté de l’autre.
Dernière heure
Plusieurs de nos confrères parisiens ont affirmé que Ségard, Elysée Bastard, dont le père avait été arrêté puis relâché, et Pauwels étaient partis à Londres.
Tout nous fait croire qu’ils ont pris la route de Belgique où ils continuent leur agitation.
Journal de Saint-Denis 10 mai 1891