
COUR D’ASSISES DE LA SEINE Présidence de M. le conseiller Benoit
Audience du 13 octobre 1893 LA BANDE RENARD. — LE PILLAGE DE L’HOTEL DE
PANISSE-PASSIS. — VOLS QUALIFIÉS.
L’audience est ouverte à midi moins dix minutes.
Le défilé des témoins continue, sans grand intérêt, et on arrive aux faits concernant l’accusé Parise, inculpé, on s’en souvient, d’avoir recelé certains titres au porteur volés par Renard. Celui-ci trouve alors une nouvelle occasion de rééditer sa prétention de ne pas s’appeler Alphonse, mais bien Alfred, et, par suite, de ne pas connaître Parise.
Et comme M. le président l’invite à formuler ses observations un peu plus brièvement qu’il ne fait, Renard s’écrie : « C’est cela, empêchez-moi de parler ! condamnez-moi tout de suite sans m’entendre ! Il faut pourtant que la conscience de MM. les jurés soit éclairée ! »
A quoi M. l’avocat général Bonin répond : « Oh ! soyez rassuré, Renard, la conscience de MM. les jurés est suffisamment éclairée ! »
quant à Parise, il proteste de son absolue bonne foi, et affirme qu’il n’a jamais su que les titres qui ont passé par ses mains provinssent de vols.
Très peu de témoins à décharge. L’un d’eux, cité par Jably, raconte qu’il a passé avec celui-ci toute la soirée, un des derniers jours de février, mais sans pouvoir — et c’est le point important — affirmer si c’est le 27, le 28 ou le 29 février. Or, c’est le 27 février que l’hôtel de M. de Panisse a été dévalisé.
Deux autres personnes affirment avoir passé avec Latrompette la soirée pendant laquelle le vol au préjudice de M. David a été commis.
M. le président indique ensuite à MM. les jurés les antécédents des accusés, qui, presque tous, ont subi plusieurs condamnations antérieures et sur lesquels les plus détestables renseignements sont fournis.
Le seul accusé qui, à ce propos, soulève une discussion, est naturellement Renard, trop heureux d’avoir une nouvelle occasion de se mettre en scène.
Alfred Renard a subi sa première condamnation, à trente-sept ans: mais Adolphe Renard a, à son compte, toute une série de peines, et M. le président estime que c’est l’accusé actuel qui a jugé à propos de prendre tantôt le prénom d’Alfred, tantôt celui d’Alphonse.
11 s’engage, à ce sujet, entre M. le président et l’accusé, une discussion nouvelle, exactement dans les mêmes termes que celles qui ont eu lieu aux deux audiences précédentes.
Quelques détails en passant : Renard, sous le faux nom de Besnard, se serait, d’après l’accusation, présenté un jour chez une fille galante qu’il connaissait, et lui aurait proposé de l’aider à commettre des vols. « Oh l monsieur le président, c’est absolument invraisemblable. Moi! dont la main droite ignore ce que fait la main gauche, j’aurais été me confier à une femme galante! »
C’est rue Lafontaine, à Auteuil, lui dit M. le président, qu’était votre magasin général, et c’était là que vous mettiez les objets volés que vous vouliez cacher aux investigations de la police ?
— Oh! dame, répond Renard, j’ai fait tout mon possible pour ça! »
Ce capharnaüm de la rue Lafontaine n’a été découvert que longtemps après l’arrestation de Renard, et malgré lui, bien entendu. M. le juge d’instruction, surpris de voir combien étaient fréquentes les absences de Renard de son domicile de la rue Blomet, lui demandait où il passait les nuits : « Oh ! monsieur, répondait Renard avec la plus parfaite dignité, je n’ai pas à rendre compte du temps que je passe avec une femme! »
Une lettre, venue d’Angleterre, a été adressée à la concierge de Renard, après son arrestation, Renard prétend que cette lettre est de lui, et qu’il a réussi, de Mazas, à la faire passer à Londres, pour de là, la faire réexpédier à Paris. M. le président estime, au contraire, qu’elle est de son frère, parce qu’elle fourmille de fautes d’orthographe, et que Renard n’en fait jamais. « Oh ! s’écrie Renard, j’en fais quand je veux! »
Enfin, M. le président donne lecture de la lettre suivante qui, adressée à Renard, sous son faux nom de Barbier, à son domicile de l’avenue Wagram, après son départ de ce domicile, a été saisie par la police. Il semble, on va le voir, résulter de cette lettre que Renard, qui a parfois prétendu être anarchiste, ne serait autre qu’un « faux frère », dont les compagnons auraient singulièrement à se plaindre.
Voici cette lettre : « Vous croyez donc que je suis bouchée à l’émeri pour m’envoyer des bourdes pareilles, que vous êtes parti pour Bruxelles. Vous avez donc peur, que vous vous sauvez; et vos meubles vous ont suivi. Si vous disiez le produit de tous vos vols, et vos outils à ouvrir les coffres-forts, je comprendrais ; mais dire vos meubles, quelle blague ! Une autre fois vous direz : les pièces à conviction, car vous savez que je lésai vues ; vous les avez montrées,et ce que vous n’avez pas dit, Corti s’en est chargé. Si vous croyez que vous avez encore affaire à l’insensée que j’étais pour quelques jours, comment voulez-vous que je les aie autrement vues que montrées par Jules Corti et par sa maîtresse, et par vous.
Mais il faut que je vous l’avoue, j’étais par trop inconsciente, et vous savez, quand on a été estampé comme je l’ai été par Jules Corti, sa maîtresse et vous, ça fait ouvrir les yeux.Cependant j’aurais dû être fixée sur son compte, car, au mois de novembre 1892, pour aller vendre les titres volés et opposés, il n’a pas hésité à compromettre deux amis, à Milan ; et quand vous avez lu le Secolo de Milan, vous vous tordiez parce que on le chercherait à Paris le 19, et qu’il était parti le 18, la veille. C’est comme quand Goron est allé à Londres lui-même, parce que ses roussins sont tellement bouchés qu’ils ne cherchent jamais du bon côté, mais je me charge de les mettre au courant.
Vous étiez content qu’il fasse chou blanc. Vous vous foutiez de sa poire. Mais soyez certain qu’il de faudrait pas grand’chose pour les mettre sur vos traces. C’est, comme pour les 17,000 francs de Milan. Il y a toujours le banquier et le garçon, qui sont au ballon, et vous vous baladez au soleil. Et votre concierge de l’avenue Wagram, il est vraiment naïf de vous croire rentier, car s’il voulait ouvrir les yeux, il verrait clair. Mais, il a peut-être intérêt à ne rien voir, car toute la bande qui arrive de Londres chez vous que vous faites passer pour votre neveu, votre frère ou un commerçant venant à Paris pour acheter un fonds. Mais, en réalité, ce sont tous des voleurs, comme vous, qui êtes le chef, et que vous vous vantez qu’il y a déjà vingt-cinq ans qnc vous faites le métier de cambrioleur.
Comme logement, je sais bien que vous n’êtes pas embarrassé, car vous pouvez bien habiter celui du bois de Boulogne, où vous vous êtes fait passer pour un commerçant venant de Chartres, et où vous avez fait passer Jules Corti comme peintre en bâtiment, et que c’était pour faire la cour, et prendre les empreintes de clés à la bonne de la baronne et la dévaliser le jour opportun. Si elle ne l’a pas été, elle doit son salut au grabuge qu’il y a eu dans le ménage. Mais, si l’air du bois de Boulogne vous est contraire,vous pouvez encore habiter la rue Saint-Antoine, 151, que vous avez fait louer par votre maîtresse à Jules Corti, et payer d’avance, et que le motif était de dévaliser le bijoutier.
Et vous vous cachez sous le masque de l’anarchie pour faire ces coups-là, et estamper les compagnons, et que c’est lâche de faire des révélations, et c’est sans doute vous qui êtes courageux d’agir comme vous le faites. Dans tous les cas, c’est vous qui l’avez voulu, car je vous ai prévenu, et, en généra), un homme averti en vaut deux. Pour toute réplique, vous avez dit que vous agiriez avec des moyens énergiques ; mais je ne vous crains pas, je sais bien que vous avez du poison chez vous, du chloroforme pour endormir. Vous avez eu la bêtise de me les montrer.
Eh bien ! si tous les anarchistes sont comme vous, je plains la société future. Vous dévalisez les bourgeois pour placer le produit de vos vols à la Banque en Angleterre pour vous faire des rentes. Elle est belle, votre anarchie ! Vous êtes loin d’être un Duval, un Pini ou un Ravachol ! Au moins ce qu’ils faisaient, c’était pour la cause, et vous voulez jouer au délicat, ça vous va bien, je vous le conseille.
Maintenant, je veux mes affaires et que tout soit fini. Ça me répugne de faire des révélations. cependant, si vous me forcez, je n’hésiterai pas, et je vous assure que je les ferai au complet. Tant pis, on ne fait pas d’omelettes sans casser d’œufs. Si toutefois vous n’avez pas mes draps, envoyez-moi vingt francs, et, pour la lettre de mon mari, rapportez-la chez le concierge, car rien au monde ne peut la remplacer. G’est un souvenir, et j’y tiens, et je vous répète, je préférerais plutôt vous faire faire vingt ans de bagne que de vous la laisser.
Maintenant inutile de pleurer misère. Je sais que vous ne manquez pas, d’après les vols que vous venez de faire, et, en plus les lingots d’or que vous avez des bijoux que vous fondez, et les brillants que vous retirez. Et vous n’avez pas mangé les 40,000 francs du vol du mois de décembre avec M… et P… Je ne bourdonne pas les adresses, car je crois que c’est inutile. Maintenant, inutile de m’écrire. Vous êtes comme le serpent ; vous avez le miel sur la lèvre, et le venin dans le cœur. Il fait semblant de dormir, il pince le premier qui s’approche.
Renard prétend que cette lettre n’est qu’un tissu de mensonges ; il l’affirme cependant sur un ton moins assuré et moins gouailleur que d’habitude.
La parole est alors donnée à M. l’avocat général Bonin qui soutient l’accusation.
L’audience se termine par les plaidoiries des défenseurs des premiers accusés.
A demain la fin des débats et le verdict, que nous ferons connaître.
Le Droit 14 octobre 1893
Lire le dossier : Avant Marius Jacob, la bande à Renard pillait les riches en se faisant passer pour la police.