L’INTERNATIONALE ANTI-AUTORITAIRE

Après 1872, l’Internationale, dont le siège avait été transféré à New-Yok, s’éteignit; la minorité anti-autoritaire qui s’était retirée au congrès de La Haye, tentera de recréer entre les Fédérations autonomes acquises à ses idées, un bureau de liaison que l’on considérerait comme le continuateur de l’Internationale, dont il conserverait le nom.

En France, quelques groupes continuèrent à fonctionner, dont deux à Lyon, un à Saint-Etienne et deux dans le Roannais, restant en liaison entre eux et avec les dirigeants des fédérations voisines et surtout avec Camet, Brousse, Bakounine et James Guillaume de la Fédération jurassienne.

A Saint-Etienne, c’est Dupin et Gillet qui animent la section. Dupin est en rapport avec la section lyonnaise.

Dupin était « pisté ». On sait qu’il a donné 150 F à Deville pour dépenses de cartouches. La famille de Deville, ouvrier tulliste, serait originaire de Roanne, le père se serait fait remarquer en 1848. Gillet est en relation avec les animateurs de l’Internationale, Camet et Brousse. Il correspond avec Bacconi, qui est à Locarno, Ses lettres arrivent chez Mme Rambaud, épicière à Roanne, adressées sous une deuxième enveloppe à Mlle Louise et parviennent à Gouttenoire qui les transmet à Gillet. La police sait que Gillet imprime un journal sur presse autographique, dans la cave de la maison de sa tante, à Valbenoite : « Le Bulletin de la Révolution sociale »·

Le 1er avril, le groupe de Saint-Etienne se réunit dans une carrière abandonnée des environs de la ville et on s’y occupe de l’organisation d’un congrès régional ; une autre le 22 mai dans un garage abandonné.

Le Congrès et le repas auront lieu le 8 juin chez des parents de Gillet qui tiennent un restaurant au Chat, quartier de la Richelandière, à Saint-Etienne. Chaque membre emmènerait un camarade coucher chez lui.

A l’ordre du jour du congrès « Organisation révolutionnaire, mesures à prendre relativement aux événements qui se préparent. »

S’y rendront : Boriasse qui représentera les sections lyonnaises ; Gouttenoire, la section de Roanne; Dupin. Gillet expose les projets à l’étude, lit une circulaire de Bakounine.

Le 3 juin, une circulaire, datée de Barcelone et signée d’Alerini, Brousse et Camet, avait donné des conseils pour l’action à entreprendre et, le 30 juin, une caisse de vin provenant de Cette et contenant des exemplaires de « la Solidarité révolutionnaire » arrivait pour Gillet, qui se trouvait alors en Suisse, où il avait rencontré Bakounine, James Guillaume et Camet.

Revenu de Neufchâtel le 3 juillet, Gillet organise à Lyon, avec Boriasse le congrès du 15 août.

Ce congrès n’aura pas lieu, à la Brasserie Georges, comme prévu, car des policiers ont été signalés.

Les délégués se rendront donc au comptoir national, rue de la Charité, où ils se trouveront au sous-sol. On déjeunera au restaurant parisien, rue des Remparts-d’Ainay. Gillet, Lachal, Gaspard et Chazot y représentent la section de Saint-Etienne ; Gouttenoire, la section de Roanne ; Laffay, la section de Saint-Victor-sur-Rhins, dans le Roannais.

II est entendu qu’on causera seulement de la question de l’émigration à La Plata.

Ils sont là 30 délégués qui discuteront et adopteront le programme anti-autoritaire et se prononceront pour des groupes locaux autonomes, simplement reliés enter eux par ces Comités de correspondance. La France est divisée en quatre régions : Centre, Ouest, Est et Midi. Chaque département a un comité formé d’un délégué par groupe et déléguant à son tour un représentant au Comité régional, dépouillé, lui aussi, de toute autorité.

Ainsi est créée la Ligue révolutionnaire qui aura pendant. six mois, son siège à Saint-Etienne et dont le bulletin de Gillet « Le Bulletin de la Révolution Sociale » sera l’organe mensuel.

Le 1er septembre, avait lieu le sixième congrès de l’Internationale à Genève où Dupin se rendit le 4 seulement. Alerini de Marseille avait le mandat de Roanne.

Le 31 octobre 1873, au café du Chat à Saint-Etienne, douze membres de l’Internationale sont réunis dont Dupin et Camet.

On discute le programme rédigé par Camet, en prévision du succès d’un mouvement insurrectionnel qui proclamerait la Commune à Lyon d’abord.

Le pays était alors menacé d’une restauration monarchique et les libéraux s’organisaient pour défendre la république. Ils avaient constitué un comité central à Lyon. Camet était entré en rapport avec eux et un accord avait été conclu sur le caractère du nouveau pouvoir en cas de réussite de l’insurrection. Une commune libre et autonome serait proclamée, elle décrèterait la dissolution de la police et de l’armée permanente, l’abolition des codes, lois, décrets, de la magistrature, un tribunal populaire rendant la justice.


LES PROCES DE LYON


Selon le procureur, au procès d’avril 1874, Carnet aurait déclaré à Gillet que le Comité central, puissant et organisé, aura des groupes armés qui marcheront sur Givors et Villefranche pour attirer les troupes hors de Lyon. Le Comité central occupera alors l’Hôtel de Ville.
Au cours de ce procès qui s’ouvrit le 20 avril devant le Tribunal correctionnel de Lyon, nous ferons connaissance avec Ayele, de Roanne, à qui on reprochera une condamnation de jeunesse à 15 mois de prison pour être descendu dans une cave boire du vin avec des camarades. Nous verrons Laffay, de Saint-Victore-sur-Rhins. qui est seulement venu se promener à Lyon le 15 août 1873.

Polosse, sous l’Empire – nous apprendra le procureur – a organisé des grèves, puis des banquets de libres penseurs, des enterrements civils. Le 4-9-70, il a remplacé le drapeau tricolore par le drapeau rouge, à la mairie. Après la chute de la Commune, il alla à Genève et vécut avec des réfugiés, Perard notamment.

Gouttenoire fut l’un des fondateurs de la coopérative de consommation « la Solidarité » dont il
sera le président. Mais le véritable organisateur était Gillet, dont nous apprenons qu’il fut condamné, en 1856, à un mois de prison pour vol et vagabondage par le Tribunal correctionnel de Lyon. – J’ai pris 14 francs, précisera-t-il, pour m’échapper d’une communauté religieuse où m’avaient placé mes parents.
Plus tard, il travailla à la manufacture nationale d’armes d’où il fut renvoyé pour ses opinions.
En 1872, il collabora au journal « le Radical de la Loire » sous le nom de Nerval.

Le verdict, rendu le 25 avril, était sévère : Gillet, comme Camet, étaient condamnés à 5 ans de prison ; Gouttenoire, Dupin et Boriasse à 3 ans ; Deville à 2 ans ; Lachat et Ayele à 1 an ; Chazot à 6 mois, tous à 5 ans de privation de droits civiques et à 50 francs d’amende. Polosse était acquitté.


SURVIVANCE DE L’ESPRIT DE L’INTERNATIONALE


En 1881, l’esprit de l’Internationale se retrouva dans les interventions des jeunes participants du deuxième congrès de la Fédération de l’Est (Coupat, Croizier). Les anarchistes Ricard, Et. Faure et Régis Faure seront encore poursuivis pour adhésion à l’Internationale au procès du Comité central (des 66), à Lyon, mais nous ne verrons vraiment revivre l’esprit de l’Internationale qu’avec la constitution de la Fédération des Bourses du Travail, à Saint-Etienne, le 7 février 1892.

Oh ! ils n’étaient pas nombreux au congrès, les délégués appelés à constituer le nouvel organisme : dix bourses du travail directement représentées et trois n’ayant pas envoyé de délégués faute de fonds. Les délégués de la Bourse du Travail de Saint-Etienne qui décidèrent la tenue du congrès le 15 décembre 1891, étaient pour la plupart dirigeants du parti socialiste et, en tant que tels, orientaient l’activité des syndicats. Le sens et la portée du nouveau mouvement a pourtant été bien compris. Dans le n ° 24 du Journal de la Bourse du Travail de Saint-Etienne (février 1892), nous lisons en effet ces lignes : « Ces dernières assises du travail, auront une influence énorme sur les destinées futures du prolétariat et contribueront puissamment à son triomphe.
« Oui, car, pour les Bourses fédérées, plus de sectes parmi les travailleurs. Les ouvriers forment ainsi un parti unique… C’est la classe d’en bas, prenant énergiquement en mains les rênes de ses intérêts et choisissant pour guide la devise lumineuse de l’lnternationale « l’Émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ».
Nous voilà revenant à 1864. Nous disons revenant, car les syndicats de la Loire, dans leur ensemble ne seront gagnés à cet esprit nouveau qu’après l’entrée des anarchistes dans les syndicats, après le vote de la Charte d’Amiens ; esprit nouveau qui sera celui de l’Union Départementale de la Loire constituée en 1911, alors que la Fédération des syndicats et groupes fédératifs de Roanne et de Saint-Etienne qui fonctionnaient en fait depuis 1881, avaient toujours subi la tutelle du parti ouvrier.
La devise de l’Internationale constitue un acte de foi dans le travailleur libre, mais non isolé de la société, n’éprouvant pas le besoin de se tourner vers un Dieu, un César, un tribun, pour assurer son émancipation, et s’écriant avec Pottier : « Producteurs, sauvons-nous nous-mêmes, décrétons le salut commun. »

La société industrielle évolue. Les propriétaires des moyens de production n’en sont plus les maîtres tout puissants, ni les animateurs. La machine n’est plus le monstre infernal qui plie l’ouvrier son esclave, à son rythme : le travailleur qualifié dont l’importance croit, éprouve à son four, après l’homme de métier de 1900, le besoin d’intervenir dans la gestion de l’entreprise et de l’économie, directement ou par la voie de ses représentants directs, et cela dans le même moment où le producteur paysan prend en mains sa propre cause. Ces deux manifestations de « capacité politique » constituent, pour le moment, un retour au socialisme ouvrier dont le caractère se trouvait exprimé dans la devise de l’Internationale et elles peuvent être renforcées par l’application des techniques nouvelles de l’ère atomique, par la décentralisation des institutions qui pourraient en être la conséquence : le producteur libre entre de nouveau en scène, plaidant lui-même sa cause, avec la volonté de la faire triompher lui-même, ayant pleinement conscience de la réalité économique et sociale et des responsabilités que son intervention implique. La voie n’est pas libre. Il y a encore des propriétaires parasites et il y a des coordinateurs et directeurs du système qui, avec un bon nombre de bureaucrates, voudront naturellement conserver ou raffermir le pouvoir qu’ils détiennent déjà en fait. C’est même là l’obstacle principal, à l’Est comme à l’Ouest, mais il n’est pas insurmontable et un mouvement libre, bien orienté peut en avoir raison. Reste à le constituer.


Urbain THEVENON

Extrait de l’article L’Internationale dans la Loire

La Révolution prolétarienne octobre 1964

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