
Bombe saisie chez Eugène Joutant
On se rappelle qu’il y a six semaines environ, des perquisitions ont été opérées chez Mme veuve Dejoux, cordonnière, âgée de vingt-neuf ans; MM. Joutant, tourneur en métaux, âgé de dix-neuf ans, et Henry Seigné, corroyeur, âgé de trente ans.
Ces perquisitions ont amené la découverte, chez Mme Dejoux, de produits chimiques pouvant servir à la fabrication de substances explosibles comme à d’autres usages, de quelques grammes de fulminate d’argent.
Chez M, Eugène Joutant, on trouva des produits chimiques qui, considérés isolément, ne présentent rien de particulier, mais qui, réunis chez le même individu, offrent de l’intérêt, car toutes ces substances sont fréquemment employées à la préparation de matières explosibles.
Des bombes vides et des pièces servant à leur construction ; des produits explosibles essentiellement dangereux; des bombes chargées ont été également trouvées chez Eugène Joutant.
Au domicile de M. Henri Seigné, les perquisitions ont enfin amené la découverte de flacons de verres ayant contenu de l’acide nitrique, des fragments de journal et de terre imprégnés de nitroglycérine.
A la suite de ces découvertes, une information eut lieu, qui aboutit au renvoi devant le tribunal correctionnel de Mme veuve Dejoux et MM. Joutant et Seigné. L’affaire a été appelée hier devant la 11e chambre correctionnel le, présidée par M. Ragobert.
Au début de l’audience, M, Joutant a lu un petit papier ainsi conçu ;
Attendu que les juges appartiennent à la classe bourgeoise, qui est notre ennemie mortelle ; qu’étant payés et leur situation dépendant de cette même classe que nous attaquons;
Attendu que, du reste, nous ne reconnaissons à personne le droit de juger les autres;
Je déclare repousser toute participation à la comédie qui se joue et ne répondrai que quand je jugerai bon de développer mes idées, afin que le public puisse juger des mobiles qui nous font agir.
EUGÈNE JOUTANT. »
Interrogé par M. le président, les prévenus ont d’ailleurs reconnu qu’ils détenaient à leur domicile les objets dont l’énumération a été donnée plus haut.
Mme veuve Dejoux a expliqué, pour sa défense, que les produits chimiques trouvés chez elle par le commissaire de police, y avaient été déposés à son insu par son mari défunt.
On entend quelques témoins, entre autres M. le docteur-chimiste Ogier qui vient donner au tribunal le résultat de l’expertise à laquelle il s’est livré sur les engins trouvés aux domiciles des trois prévenus.
Après le réquisitoire de M. le substitut Aliard, Me Argyriadès parle en faveur de Mme Dejoux.
MM. Joutaut et Seigné présentent eux-mêmes leur défense.
Le tribunal, après en avoir délibéré, rend un jugement aux termes duquel sont condamnés :
M. Joutant, à dix mois d’emprisonnement; M. Seigné, à huit mois de la même peine ; Mme veuve Dejoux est acquittée.
Le Rappel 26 septembre 1884