Parquet du tribunal de 1ère instance de Mons
Mons le 28 décembre 1879
Monsieur le procureur général,
Comme suite à mes rapports relatifs à la grève, j’ai l’honneur de vous informer que l’amélioration signalée à Hornu et à Boussu aux puits du Grand-Hornu et de l’Ouest de Mons s’est étendue à quelques fosses d’Hornu-et-Wasmes à Wasmes et des Produits au Flénu. On évalue à douze cents le nombre des ouvriers qui ont repris le travail.
La situation reste néanmoins extrêmement tendue dans son ensemble. Aucun rapprochement sérieux ne s’annonce. On remarque, au contraire, dans les meetings, une irritation qui va croissante. Jusqu’ici prudentes et réservées, ces assemblées entrent depuis deux jours dans une voie nouvelle et provoquent directement à la violence. Dans une réunion tenue avant-hier soir à Cuesmes, un sieur Delhoye, colporteur de journaux à Jemappes, a annoncé que l’on se porterait le lendemain à Dour et à Boussu pour arrêter les traits. Ce projet vivement acclamé, n’a pas reçu heureusement d’exécution.
Hier 27, à Frameries, dans un autre meeting, Ferdinand Monnier*, de Bruxelles, a convoqué pour demain lundi, les ouvriers en armes sur la Grand-place de Pâturages, d’où ils descendraient en masse sur Hornu, Dour. Ces provocations tombant manifestement sous l’application de l’article 66 du code pénal, et si elles sont écoutées, je n’hésiterai pas à requérir mandat d’arrêt.
D’un autre côté, j’ai à vous faire part, monsieur le procureur général, d’un nouvel attentat contre les propriétés. Dans la nuit du 26 au 27, vers une heure, une bouteille remplie de poudre de mine a fait explosion sur le trumeau d’une fenêtre dans une dépendance de la maison du sieur Dufrasnes, agent des Charbonnages à Quaraignon. La commotion n’a produit que des dégâts insignifiants et ce n’est que le matin que M. Dufrasnes a reconnu qu’il en était la victime.
J’ai recueilli sur les lieux le papier qui enveloppait la charge : il est exactement semblable à celui dont la charge a été pratiquée chez Borive. Des rapprochements sont faits dans tous les Charbonnages pour en découvrir la provenance. M. Dufrasnes n’a pas d’ennemis et ne sait sur qui porter ses soupçons. Il se rappelle toutefois avoir été accosté le 24 décembre, devant la maison dévastée du calin Thomas, par un ouvrier qui lui demanda à boire et qui, sur son refus, lui dit : « on a miné ; on minera encore ! » Cet individu que M. Dufrasnes ne connaît pas mais qui habite certainement Quaregnon, est activement recherché et je ne doute pas qu’il soit retrouvé.
Un autre fait grave qui aurait pu devenir le point de départ d’un mouvement, s’est passé à Jemappes dans la soirée du 26. Une bande de cent cinquante individus s’est abattue tout à coup, vers 8 heures, sur (?) Rivage et en a enlevé en quelques instants cent hectolitres environ de charbon. Lorsque la gendarmerie, dirigée en toute hâte sur les lieux, arriva, la bande s’était dispersée. Une instruction est ouverte pour découvrir les coupables.
Aujourd’hui dimanche des meetings ont lieu sur différents points, notamment à Jemappes où la réunion doit être, parait-il, particulièrement nombreuse.
L’armée a été requise et occupe depuis hier le Borinage.
Veuillez agréer, monsieur le procureur général, l’assurance de ma considération la plus distinguée.
Le procureur du roi.
Source : Grève dans le le Borinage. Décembre 1879. Inventaire des archives du parquet général de Bruxelles
*Il s’agit de Ferdinand Monier
Lire le dossier : Grèves, meetings, attentats à la dynamite dans le Borinage (Belgique)